jeudi 24 janvier 2019

Thomas Phillipps (1792-1872), le plus grand collecteur de manuscrits de tous les temps.


Descendant d’une famille établie depuis longtemps à Broadway [Worcestershire, Angleterre], Thomas Phillipps est né hors mariage, à Manchester [Lancashire, Angleterre], 32 Cannon Street, le 2 juillet 1792, fils unique de Thomas Phillipps (1742-1818), industriel, et de Hannah [i. e. Anna] Walton (1770-1851), qui épousera Frederick Judd en 1812.

Middle Hill House et la Tour de Broadway

Il fut élevé à Middle Hill, propriété située près de Broadway, que son père avait achetée en 1794 :

« Dans une des parties les plus riantes du Worcestershire, non loin de la petite ville d’Évesham, se présente une chaîne de collines assez hautes, qui surplombent le hameau de Broadway et offrent l’aspect le plus pittoresque. Une belle maison de campagne, construite à mi-côte, s’élève entre de sombres massifs de verdure et domine toute la contrée, jusqu’aux montagnes de Morvan dans le pays de Galles. Le propriétaire de ce beau domaine, sir Thomas Phillipps, a consacré sa vie entière aux sciences et aux lettres. »
(Ernest Van Bruyssel. « La Bibliothèque de sir Th. Phillipps, Bart ». In Compte-rendu des séances de la commission royale d’histoire. Bruxelles, 1862, Troisième série, t. III, p. 119)

Il commença ses études en 1800 dans une académie privée de Fladbury [Worcestershire, Angleterre], avant d’entrer en 1807 à l’école de Rugby [Warwickshire, Angleterre], puis en 1811 à l’University Collège d’Oxford [Oxfordshire, Angleterre]. Il obtint son baccalauréat en 1815 et son diplôme de maîtrise en 1820.


À la mort de son père, le 1er novembre 1818, il hérita de Middle Hill et, le 23 février 1819, à Cheltenham [Gloucestershire, Angleterre], 

Harriet Molyneux

il épousa Harriet [i. e. Henrietta] Molyneux (1795-1832), fille du général Thomas Molyneux (1767-1841) et d’Elizabeth Perrin (1769-1831). Le jeune couple eut trois filles : Henrietta, née à Londres le 21 novembre 1819 ; Maria, née à Salisbury [Wiltshire, Angleterre] le 14 mars 1821 ; Katharine, née à Berne [Suisse] le 26 avril 1823.

Veuf depuis dix ans, Phillipps épousa en secondes noces Elizabeth Mansel (1814-1879), fille du révérend William Mansel (1792-1823) et de Harriet Oliver († 1877), le 2 juin 1842, à Leamington [Warwickshire, Angleterre]. 

Phillipps fut membre de la Society of Antiquaries de Londres en 1819, de la Royal Society [équivalent de l’Académie des sciences, en France] en 1820 et de l’Athenæum Club en 1826. Il fut nommé administrateur du British Museum en 1861 et élu en 1863 membre honoraire de la New-England historic, genealogical Society.
Il fut créé baronnet [titre donnant droit à l’appellation « sir »] en 1821.

Dès son plus jeune âge, il avait manifesté un amour pour la littérature et dépensait tout son argent de poche dans l’achat de livres. Ses modèles étaient Robert Cotton (1571-1631) et Robert Harley (1661-1724) :  

« My principal search has been for historical, and particularly unpublished manuscripts, whether good or bad, and particularly those on vellum. My chief desire for preserving vellum manuscripts arose from witnessing the unceasing destruction of them by goldbeaters ; my search for charters or deeds by their destruction in the shops of glue-makers and tailors. As I advanced the ardour of the pursuit increased, until at last I became a perfect vello maniac (if I may coin a word), and I gave any price that was asked. Nor do I regret it, for my object was not only to secure good manuscripts for myself, but also to raise the public estimation of them, so that their value might be more generally known, and consequently more manuscripts preserved. For nothing tends to the preservation of anything so much as making it bear a high price. The examples I always kept in view were Sir Robert Cotton and Sir Robert Harley. »

[Ma principale recherche a été faite pour les manuscrits historiques, en particulier inédits, qu’ils soient bons ou mauvais, et plus particulièrement ceux sur vélin. Mon désir principal de préserver les manuscrits sur vélin est né de la destruction incessante de ceux-ci par des batteurs d’or ; ma recherche de chartes ou d’actes par leur destruction dans les magasins de fabricants de colle et de tailleurs. Au fur et à mesure que je progressais, l’ardeur de la poursuite s’intensifiait. Je finis par devenir un parfait vellomaniaque (si je puis dire un mot) et je donnai le prix que l’on me demandait. Je ne le regrette pas non plus, car mon but n’était pas seulement de me procurer de bons manuscrits, mais aussi d’en faire une estimation publique, afin que leur valeur soit plus largement connue et, par conséquent, plus de manuscrits conservés. Car rien ne tend à préserver quoi que ce soit, mais à en faire payer le prix fort. Les exemples que j’ai toujours gardés en vue sont Sir Robert Cotton et Sir Robert Harley]

On lui doit la conservation de très nombreux manuscrits précieux, qu’il a sauvés de la destruction après la suppression des maisons religieuses et durant les guerres qui éclatèrent au début du XIXe siècle.
Dès 1820, il effectua un séjour de plusieurs années sur le continent, en Belgique, en Hollande, en France, en Allemagne et en Suisse, où il acheta des lots très importants de manuscrits.
Il fut en relation avec les plus grandes librairies étrangères et anglaises, dont celle de Thomas Thorpe (1791-1851), à Londres.


Collectionneur compulsif, il fut le principal acheteur dans les ventes  de bibliothèques, dont celles de Charles Chardin (1742-1827) en 1824, à Paris ; de Gérard Meerman(1722-1771) et de Jean Meerman (1753-1815) en 1824, à La Haye ; de Leander Van Ess (1772-1847) en 1824, à Darmstadt ; Gregory Page Turner (1785-1843) en 1824, à Londres ; de Luigi Celotti (1759-1843) en 1825, à Londres ; de Theodore Williams (1785-1875) en 1827, à Londres ; Henry Drury (1778-1841) en 1827, Londres ; de Robert Lang (1750-1828) en 1828, à Londres ; de Craven Ord (1756-1832) en 1829, à Londres ; de Frédéric North, comte de Guilford (1766-1827) en 1829, à Londres ; de Richard Heber (1773-1833) en 1836, à Paris.

Photographie University of California – Berkeley, Bancroft Library

Phillipps utilisait un timbre humide représentant un lion sur une barre, surmontant la mention « Sir T. P. Middle Hill » 

Photographie de Julian's books, New York

et un ex-libris gravé portant le même lion sur une barre, surmontant des armes [De sable, semé de fleurs-de-lis d’or, au lion rampant d’argent] avec la devise « DEUS PATRIA REX. » sur une banderole et la mention « Thomas Phillipps, Middle Hill, Worcestershire. »

Tour de Broadway

Afin de réaliser certaines publications – fac-similés de manuscrits et catalogues de sa bibliothèque - qu’il distribua gratuitement, il installa dès 1822 une imprimerie dans la tour de Broadway, construite en 1798 sur le domaine voisin de Spring Hill et qu’il avait achetée en 1819.

Sir Thomas Phillipps (1860)

En 1862, Phillipps dut déménager sa bibliothèque et son imprimerie dans une résidence plus vaste : 

Thirlestaine House en 1843

Thirlestaine House en 2010
Photographie de Philip Halling

il choisit Thirlestaine House, à Cheltenham. Le déménagement dura huit mois, mobilisa 160 hommes et 103 chariots tirés par 230 chevaux.

Eglise de Broadway

Thomas Phillipps mourut à Thirlestaine House le 6 février 1872 et fut inhumé dans l’église de Broadway.
Sa fille aînée, Henrietta, épouse de l’érudit shakespearien James Halliwell (1820-1889) le 9 août 1842, hérita de Middle Hill. La cadette, Maria-Sophia, épouse du révérend John Walcot (1820-1899) le 1er août 1844, était morte le 26 février 1858. La plus jeune, Katharine, épouse du révérend John-Edward Fenwick (1824-1903) le 4 juillet 1845, hérita de Thirlestaine House et de la bibliothèque. 

Bibliothèque de Thirlestaine House

Cette bibliothèque renfermait alors près de 60.000 manuscrits et 40.000 imprimés.

« Assurément tous ces volumes sont loin d’avoir la même valeur. Plusieurs même n’offrent qu’un intérêt très secondaire ou presque nul. Mais il se trouve aussi dans le nombre des monuments tout à fait précieux pour l’histoire de l’art. Parmi les manuscrits français, par exemple, nous rencontrerons un chef-d’œuvre du XIIIe siècle, les histoires de la Bible et une suite de médaillons des Césars qui peuvent être attribués en toute certitude à l’auteur des illustrations du Livre d’Heures de la reine Anne de Bretagne, le fameux Jean Bourdichon. Devant d’autres volumes de premier ordre, sans pouvoir aller jusqu’à une attribution formelle, nous serons autorisés à prononcer les deux plus grands noms de l’histoire de la miniature française au moyen âge, Pol de Limbourg et Jean Foucquet et à rappeler celui d’un des enlumineurs des ducs de Bourgogne, Jean Hennekart. Un autre livre à peintures est des plus intéressants comme rentrant dans cette catégorie, si peu nombreuse, des manuscrits dont l’enlumineur est nommé en toutes lettres. Non seulement il nous révèle l’existence d’un miniaturiste totalement inconnu jusqu’ici, Henry d’Orquevaulz, qui travaillait à Metz, mais il va jusqu’à nous fournir le portrait de cet artiste. Parmi les manuscrits étrangers, c’est l’Italie qui a la plus grosse part. Elle peut revendiquer les très curieuses illustrations d’un livre d’Évangiles exécuté sur les confins du XIe et du XIIe siècle, les remarquables dessins ombrés du XIVe siècle, insérés dans un exemplaire de la Thébaïde de Stace, l’ornementation d’une finesse exquise, digne d’être attribuée avec grande vraisemblance à Francesco d’Antonio del Chierico, le digne rival d’Attavante, d’un manuscrit des historiens de l’Histoire auguste venant des Médicis, les délicieuses petites miniatures de style florentin accompagnant les Fables d’Ésope, enfin l’exécution matérielle irréprochable de volumes transcrits au plus beau temps de la Renaissance pour les plus fins bibliophiles de l’époque, tels que le pape Nicolas V, Mathias Corvin et les rois aragonais de Naples. »
(Paul Durrieu. « Les Manuscrits à peintures de la bibliothèque de Sir Thomas Phillipps à Cheltenham ». In Bibliothèque de l’École des chartes. Paris, 1889, p. 382-383)

Thomas-Fitzroy Fenwick dans la bibliothèque de Thirlestaine (1936)



Première vente de la Bibliotheca Phillippica

Hormis une partie, qui fut dispersée de gré à gré avec plusieurs gouvernements étrangers, la « Bibliotheca Phillippica » fut vendue aux enchères chez Sotheby’s à partir de 1886, un changement dans la loi britannique permettant la vente par Thomas-Fitzroy Fenwick (1856-1938), petit-fils du vellomaniaque.
En 1945, des libraires londoniens, les frères Lionel Robinson (1897-1983) et Philip Robinson (1902-1991), achetèrent la bibliothèque pour 100.000 £.

Catalogues de Sotheby (1965 à 1976)


Catalogue 153 (1979) de H.-P. Kraus

Le célèbre libraire New-Yorkais Hans-Peter Kraus (1907-1988) acheta en 1977 les 2.000 volumes de manuscrits qui restaient de cette bibliothèque, ainsi que 130.000 lettres et documents manuscrits. 














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