La
bibliothèque de la famille Bigot, normande et originaire du Perche, fut célèbre
dans toute l’Europe savante du xviie
siècle.
Il
épousa, à Rouen, le 18 décembre 1613, Barbe Groulart, fille de Claude Groulart, qui
avait été premier président du Parlement de Rouen de 1585 à 1607, et l’un des
plus doctes philologues de son temps. Elle lui donnera dix-neuf enfants.
En 1621, il acheta la
terre de Sommesnil [Seine-Maritime] à Henri Groulart, son beau-frère, et fit abattre l’ancien château.
Mais,
de son projet gigantesque de reconstruction, il n’a été exécuté que les communs
(remise, écurie, maisons de garde, de concierge et de domestiques) dans le « style
Médicis » et les deux portes de l’entrée, qui semblent deux vrais arcs de
triomphe.
Il
finit par devenir doyen de la Cour des Aides de Normandie.
Dans
son hôtel de la rue du Moulinet [détruit en 1840 lors du percement de la rue
Alain Blanchard], Jean Bigot forma une bibliothèque :
« composee de plus de 6000. volumes,
entre lesquels il y a plus de 500. manuscrits tres-bons & bien rares,
lesquels il communique facilement à ceux qui en ont besoin pour le public, en
quoy il sera à iamais louable. » [sic]
(Louis
Jacob. Traicté des plus belles
bibliotheques publiques et particulieres, qui ont esté, & qui sont
à present dans le monde. Paris, Rolet le Duc, 1644, p. 681).
Il
se procura des manuscrits dans les bibliothèques de quelques amateurs normands et,
surtout, dans les bibliothèques des abbayes de La Trinité de Fécamp
[Seine-Maritime], Notre-Dame du Bec-Hellouin [Eure], de Conches-en-Ouche [Eure],
du Mont-Saint-Michel [Manche], de Saint-Étienne de Caen [Calvados], de Saint-Évroult
[Orne], de Saint-Taurin d’Évreux [Eure], de Saint-Wandrille
[Saint-Wandrille-Rançon, Seine-Maritime], du Valasse [Gruchet-le-Valasse,
Seine-Maritime], et de Valmont [Seine-Maritime] ; dans les bibliothèques
des prieurés de Notre-Dame de Gournay-sur-Marne [Seine-Saint-Denis] et de Bonne-Nouvelle
de Rouen ; dans les bibliothèques de la cathédrale d’Évreux [Eure] et des églises
de Bayeux [Calvados], de Coutances [Manche], d’Écouis [Eure], d’Évreux, de
Lisieux [Calvados], de Rouen, de Sées [Orne].
Il
fit graver un ex-libris portant ses armes, « D’argent, au chevron de sable,
chargé au sommet d’un croissant d’argent, accompagné de trois roses de gueules »,
dont quatre modèles furent adaptés aux formats des livres : 150 x 90 mm.
et 55 x 50 mm., avec son nom « Iohannes Bigot » ; 93 x 79 mm. et
60 x 45 mm., sans son nom.
Il fut en particulier en
relation avec l’historiographe André du Chesne (1584-1640), le Père Frédéric
Flouet (1584-1662) et le généalogiste Pierre d’Hozier (1592-1660).
Il
mourut à Rouen, le 15 avril 1645, et fut inhumé dans le chœur de l’église
Saint-Laurent [aujourd’hui Musée Le Secq des Tournelles, rue Jacques Villon].
Selon ses volontés, son cœur fut rapporté dans l’église de Sommesnil, bâtie
dans les grandes avenues du château dont elle était comme la chapelle, et fut
placé sous le lutrin, là où une dalle de marbre noir montrait un cœur en relief,
avec cette inscription qui finit par s’ effacer : « Icy repose le
cœur de Jean Bigot […] lequel trespassa […] 1645. Priez Dieu pour luy. »
Son
fils Émery Bigot, dit
« Louis-Émeric », conseiller au Parlement de Rouen, était né à Rouen
le 23 octobre 1626.
« L’amour
qu’il avoit pour les sciences, fit qu’il s’éloigna de toutes sortes d’emplois
pour se consacrer tout entier à l’étude dans la bibliothèque qu’il avoit euë de
son père, qu’il augmenta considérablement. Il y tenoit toutes les semaines [le
jeudi] des conférences, & se rendoit utile à tous les Sçavans de l’Europe,
soit par ses lumières & ses avis, soit par les services qu’il s’empressoit
de leur rendre. » [sic]
(Louis
Moréri. Le Grand Dictionnaire historique
(Bâle, Jean Brandmuller, 1731, t. II, p. 254)
Il
visita les grands dépôts littéraires de la France, de la Hollande (1657), de l’Allemagne
(1657-1658), de l’Italie (1659), et de
l’Angleterre. Il y étudia particulièrement les manuscrits grecs.
Il découvrit,
dans la Bibliothèque du Grand Duc, à Florence, le texte grec de la vie de saint
Chrysostome (347-407) attribué à l’évêque Pallade, et le publia avec cinq
autres pièces grecques anciennes, qui n’avaient point encore vu le jour, le
tout accompagné de la version latine d’Ambroise le Camaldule (1386-1439) :
De vita S. Johannis Chrysostomi dialogus (Paris,
Veuve Edme Martin, 1680, in-4).
Il
fixa aussi son attention sur les manuscrits des abbayes normandes, à Évreux, à La
Vieille-Lyre [Eure] et au Bec, en 1665.
Il
posséda quatre modèles d’un ex-libris portant ses armes, « D’argent, au chevron
de sable, accompagné de trois roses de gueules », avec son nom « L.
E. Bigot » : 74 x 70 mm., 80 x 74 mm., 53 x 50 mm., 49 x 42 mm. Ils
sont signés d’un monogramme formé d’un B et d’un D enlacés.
Émery
Bigot avait aussi un fer à dorer.
Il
comptait parmi ses amis Gilles Ménage (1613-1692), chez qui il logeait à chaque
fois qu’il allait à Paris, Nicolas Heinsius (1620-1681), Antoine Vyon
d’Hérouval (1606-1689), Jacques Basnage (1653-1723), Jean-Baptiste Cotelier
(1629-1686), Jean Chapelain (1595-1674), Charles de Sainte-Maure (1610-1690), Richard
Simon (1638-1712), Étienne Baluze (1630-1718), Jean Mabillon (1632-1707), Charles
du Cange (1610-1688).
« Emericus Bigotius étoit de l’Assemblée
que M. Dupuy, Garde de la Bibliotheque du Roy tenoit tous les jours chez lui
avec Messieurs Grotius, Boüilleau, Blondel, de Launoy, Guiet, Ménage, Thoinart
& plusieurs autres. » [sic]
(Vigneul-Marville.
Mélanges d’histoire et de littérature.
Paris, Claude Prudhomme, 1713, t. III, p. 257-258)
En
1682, après la mort de ses frères, Jean [III] et Nicolas, il voulut empêcher la dispersion de
sa bibliothèque : par testament, il ordonna que le prix de ses meubles fût
employé à l’acquisition d’un fonds, dont le revenu joint à une partie de ses
acquêts, servirait à acheter chaque année de nouveaux livres.
Il
mourut d’apoplexie à Rouen, le 19 décembre 1689, célibataire, et fut inhumé le
lendemain dans le chœur de l’église Saint-Laurent, « à main gauche au pied
du balustre du Sanctuaire devant la Chapelle de M. le Président Bigot. »
(De Moléon. Voyages liturgiques de France.
Paris, Florentin Delaulne, 1718, p. 417).
« On
trouve dans la Bibliotéque de M. Bigot, tous les anciens Auteurs Grecs &
Latins trés-bien conditionnez, quantité de petits Livres rares sur des matiéres
singuliéres, & des piéces fugitives qu’on auroit peine à rencontrer
ailleurs. Au reste cette Bibliotéque n’est pas complette. Il y manque bien des
suites ; & c’est sans doute ce qui a empêché M. Bigot d’en faire le
Catalogue, comme on l’en avoit prié.
Ses
amis depuis sa mort, qui fut subite, avoient promis de donner au Public ses
Lettres, & celles des Savans avec qui il avoit commerce ; mais on a
reconnu quelles n’en valoient pas la peine. On ne sait point ce qu’est devenu
le Catalogue qu’il avoit dressé de tous les Auteurs Grecs. Ce qu’il a laissé de
bon, & qui mériteroit d’être recuëilli, ce sont les Notes savantes qu’il a
écrites de sa main sur des papiers volans, & dans les marges du Tresor Grec
d’Henry Estienne, de Plutarque & de quelques autres. » [sic]
(Vigneul-Marville.
Mélanges d’histoire et de littérature.
Paris, Claude Prudhomme, 1713, t. I, p. 206)
La
bibliothèque, estimée à plus de 40.000 livres, fut confiée à son cousin issu de
germain, Robert Bigot (1634-1692), seigneur de Montville [Seine-Maritime], conseiller
au Parlement de Paris.
Celui-ci fit graver, pour cette bibliothèque, un
ex-libris [80 x 67 mm.], à ses armes et portant son nom « Ro.
Bigot ».
Quelques
années après sa mort, la bibliothèque fut achetée par trois libraires de Paris,
installés rue Saint-Jacques [Ve] : Jean Boudot (1651-1754), Charles
Osmont (1668-1729) et Gabriel Martin (1679-1761).
Sur
leurs instructions, Prosper Marchand (1678-1756) en rédigea le catalogue. Ce
fut son premier catalogue de vente. Il en reconnaît lui-même la paternité en
1709, dans son Catalogus librorum
bibliothecae domini Joachimi Faultrier, mais y renie le système
bibliographique qu’il avait employé, perdant ainsi toute possibilité de partage
de paternité du système bibliographique dit « des libraires de Paris »,
auquel Martin demeurera toujours fidèle.
La
vente de la bibliothèque de Jean [III], Nicolas et Louis-Émeric Bigot eut
lieu à partir du 1er juillet 1706, au Collège de Maître Gervais, rue
du Foin, à l’angle de la rue de Boutebrie [Ve] :
Bibliotheca Bigotiana. Seu catalogus librorum, quos (dum viverent) summâ curâ
& industriâ, ingentique sumptu
congessêre Viri Clarissimi DD. uterque Joannes, Nicolaus, & Lud. Emericus
Bigotii, Domini de Sommesnil & de
Cleuville, alter Prætor, alii Senatores Rothomagenses (Paris,
Jean Boudot, Charles Osmont et Gabriel Martin, 1706, in-12, [1]-[1
bl.]-[4]-[2]-72-[1]-[1 bl.]-150 [chiffrées 73-220]-[1]-[1
bl.]-248-61-[1]-31-[1]-31-[1 bl.] p., 2.954 [i.e. 2.972] + 4.345 [i.e. 4.363] +
8.147 [i.e. 8.025] + 597 [i.e. 609] + 450 [i.e. 478] lots).
Catalogue
de 16.447 lots, avec nombreuses erreurs de pagination et de numérotation
[manquent nos 6.375 à 6.513, 3e partie, p. 248], 92 nos
doublés [*] et 1 n° triplé [n° 905 **].
Divisé
en 5 parties, par formats [I (in-fol.), II (in-4), III (in-8, in-12, etc.), IV
(Appendix, seu Libri in digerendo Catalogo prætermissi), V (Catalogus codicum
manuscriptorum)], et, au sein de chaque format, en cinq classes :
théologie, droit, philosophie, belles-lettres et histoire.
Gabriel
Martin, auteur de la « Préface », s’attarde sur l’ordre observé pour
la vente : les livres seront vendus par tranches, mais « à
rebours » des numéros du catalogue, à la fois pour chaque classe et pour
chaque format. Il donne comme exemple les lots mis en vente le premier
jour :
« Historici [Livres d’histoire] in
8. à Num. 8147. ad 8100. exclusivò.
[du Num. 8147 au 8100 non inclus]
in 4. à Num.
4345. ad 4321.
in fol. à Num. 2954. ad 2950. »
Il
en va de même pour les portions des autres classes mises en vente jour après
jour, jusqu’à l’épuisement des numéros. Le libraire faisait afficher chaque
jour les numéros des lots mis en vente, pour éviter aux acheteurs de manquer un
exemplaire. Cet ordre de vente comporte quelques exceptions : les
manuscrits, les exemplaires annotés et les éditions bibliophiles, qui seront
vendus à part.
Les
libraires insérèrent dans ce catalogue beaucoup de livres de la famille De
Mesmes, qui n’avaient jamais appartenu aux Bigot : des manuscrits [nos
9-35-67-97-98-102-131-131*-162-163-194-195-196-201-313-314-358*] et la
collection des Alde sur vélin formée par Grolier [Partie II : n°
4.015 et Partie III : nos 5.136-5.314-5.335-5.389-5.395-5.398-5.399-5.956].
Cette dernière a été déreliée, de même que les armes furent enlevées des plats
des reliures, pour effacer la trace de leur provenance :
« Cette
Précaution fut néanmoins fort inutile ; car, l’Empreinte de ces Armes
paroissoit encore assez sur le Carton de quelques-uns de ces Livres, pour
découvrir ce vain Mistere : & tout Paris se mocqua de cette mauvaise
Finesse. Un des principaux Ornemens de cette belle Bibliotheque étoit un
magnifique Recueil d’Auteurs Classiques, tous d’Edition d’Alde Manuce, la plûpart
imprimez sur Velin, ornez de très belles Miniatures & Lettres peintes,
& enrichis de cette Reliure si révérée des Savans de France à cause de
l’Inscription Joannis Grollierii &
Amicorum. Malheureusement, cela tomba entre les Mains d’un Gredin de
Notaire, qui n’achetoit des Livres que pour en tapisser un Cabinet, & qui,
absolument incapable de connoitre le Mérite de ceux-là, les fit impitoïablement
dépouiller de ces Vêtemens précieux & respectables, pour les revêtir de
Reliures modernes plus brillantes à son Gré : Attentat, véritablement
digne de l’Indignation des Honnêtes-Gens, & qui méritoit incomparablement
mieux la Berne ou les Etrivieres, que celui de ce Vieillard du Boccalin qui s’amusoit
à lire des Chansons & des Madrigaux avec des Lunettes. »
([Prosper
Marchand]. Histoire de l’origine et des
premiers progrès de l’imprimerie. La Haye, Veuve Le Vier et Pierre Paupie,
1740, p. 96)
Malheureusement,
dans le catalogue Bigot, les volumes en maroquin dignes de remarque ne sont
indiqués que par les lettres « mq ».
Les
manuscrits et un grand nombre de livres imprimés furent acquis par l’abbé de
Louvois, pour la Bibliothèque du Roi.
6.750 $ (Jeremy Norman & Co) |
ATTENTION : corrections importantes (arbre généalogique, dates, propriétaires de la bibliothèque)
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