Le duc de Chaulnes représenté en Hercule, par Jean-Marc Nattier (1746) Musée du Louvre |
Michel-Ferdinand d’Albert d’Ailly, duc de Chaulnes, pair de France, vidame
d’Amiens, chevalier des Ordres du Roi, lieutenant général de ses armées,
gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en la province de Picardie, et
pays reconquis d’Artois, gouverneur particulier des villes et citadelles
d’Amiens et de Corbie, et capitaine-lieutenant des chevau-légers, naquit à
Paris le 31 décembre 1714, de Louis-Auguste d’Albert d’Ailly (1676-1744), pair
et maréchal de France, chevalier des Ordres du Roi, capitaine-lieutenant des
chevau-légers de sa garde, et de Marie-Anne-Romaine de Beaumanoir (1688-1745),
fille du marquis de Lavardin.
Il fut destiné dès l’enfance à l’état ecclésiastique, et pourvu à l’âge
de sept ans d’un canonicat de Strasbourg, mais la mort du duc de Picquigny, son
frère, arrivée dix ans après, fit changer sa destination ; il remit son
canonicat, et entra en 1732 dans les Mousquetaires, d’où il ne sortit que pour
passer à la Cornette des chevau-légers de la garde, dont il reçut le brevet en
1733, avec la commission de maître-de-camp de cavalerie.
Dès la fin de
la même année il servit au siège de Kehl, comme aide de camps du maréchal de
Berwick,
et se trouva, un an après, à celui de Philippsburg, où le maréchal
trouva la mort, la tête emportée par un boulet. Il fit la campagne de l’année
suivante et fut pourvu de la place de capitaine-lieutenant des chevau-légers.
Pendant le cours de la paix qui termina cette guerre, il fut fait brigadier de
cavalerie des armées du Roi.
La guerre s’étant rallumée, il fit en 1742 la campagne de Bohème, et se
trouva volontaire au siège de Prague ; l’année suivante, il se trouva à
l’affaire de Dettinguen, où il reçut deux coups de feu ; il eut part aux
sièges de Menin, Ypres, Furnes et Fribourg ; il fut honoré pendant cette
campagne de la Croix de Saint-Louis, du titre de gouverneur des villes et
citadelles d’Amiens et de Corbie et du grade de maréchal-de-camp.
Il servit en 1745 comme aide-de-camp du Roi ; après la victoire de
Fontenoy, il accompagna le Roi aux sièges de la ville et de la citadelle de
Tournai dont la prise termina la campagne.
L’année suivante, le duc de Chaulnes se trouva au siège d’Anvers et à
celui de Namur ; il se trouva à la bataille de Rocourt, et en 1747 à celle
de Lawfeld : ce fut la dernière opération de cette guerre à laquelle il eut
part, la paix d’Aix-la-Chapelle y ayant mis fin en 1748.
Ce fut pendant ce même temps, en 1745, qu’il fut reçu au Parlement en
qualité de duc et pair par la démission du maréchal de Chaulnes en sa faveur. À la fin de sa dernière campagne, il fut fait lieutenant général des armées du
Roi, et peu de temps après il fut nommé pour assister comme commissaire du Roi
aux États de Bretagne.
La guerre s’étant encore rallumée, il servit dans l’armée de
Westphalie, et se trouva à la bataille de Hastenbeck en 1757. Le Roi lui avait
accordé, dès 1751, une place de chevalier de ses Ordres, et en 1752 le
gouvernement de Picardie et d’Artois, vacant par la mort du prince Charles de
Lorraine. Il vendit en 1763 au marquis François-Gaston de Lévis (1720-1787) son
gouvernement d’Artois. Il tomba malade au début de l’été 1769 et le mal alla en
augmentant jusqu’à la mi-septembre ; il se trouva plus mal au moment où on
s’y attendait le moins et mourut le 23 septembre 1769, en moins de cinq
heures ; son corps fut porté à la sépulture de sa maison, accompagné d’un
nombreux cortège de ses amis.
Il avait obtenu en 1743 la place d’honoraire de l’Académie des
sciences, vacante par la mort du Cardinal de Fleury. Tout le temps que ses
fonctions lui laissaient libre, était employé à des recherches utiles. Il
s’était procuré une nombreuse bibliothèque de livres de sciences, et, à
l’instar de son beau-frère, il avait formé un cabinet très curieux de physique,
de mécanique et d’histoire naturelle et avait établi un laboratoire destiné à
l’augmenter d’un grand nombre de pièces qu’il imaginait tous les jours ;
il s’était surtout extrêmement appliqué à la dioptrique et à l’art de
perfectionner les instruments de mathématique et surtout ceux qui servent à
l’astronomie.
Ses savants mémoires furent lus à l’Académie : « Observations
sur quelques expériences de la quatrième partie du deuxième livre de l’Optique
de Newton », « Nouvelle méthode pour diviser les instruments de
mathématique et d’astronomie »,
« Description d’un microscope, et de différents micromètres destinés à mesurer des parties circulaires ou droites, avec la plus grande précision ».
Microscope du duc de Chaulnes Musée des Arts et Métiers |
« Description d’un microscope, et de différents micromètres destinés à mesurer des parties circulaires ou droites, avec la plus grande précision ».
Louis XV se plaisait à faire l’éloge de cet estimable gouverneur, en
l’appelant « l’honnête-homme par excellence ». Par de nombreuses
faveurs, ce monarque s’étudiait à lui faire oublier, ou du moins à adoucir les
malheurs domestiques qui le conduisirent au tombeau.
La duchesse de Chaulnes représentée en Hébé, par Jean-Marc Nattier (1744) Musée du Louvre |
En effet, son cœur vertueux trouvait une juste cause d’affliction dans
la conduite de Anne-Joséphine Bonnier, née le 15 avril 1718, fille de Joseph [I] Bonnier (1676-1726),
baron de La Mosson, trésorier général des États de la province de Languedoc, et
de Anne Melon († 1727), qu’il avait épousée à Asnières-sur-Seine
[Hauts-de-Seine], le 23 février 1734, dans la maison du frère de la mariée :
C’était une femme aussi distinguée par sa richesse que par la vivacité de son esprit ; mais d’une inconstance inconcevable qui la portait avec autant d’ardeur vers le bien que vers le mal. Par ses écarts, ses prodigalités et ses folies, elle causa la ruine de cette illustre maison. Un mot de la comédienne Jeanne-Françoise Quinault (1699-1783) peint le duc de Chaulnes à merveille :
« Le Mariage de M. le Duc de Piquigni avec Mademoiselle Bonnier
s’est fait à Aquieresla nuit du 25. au 26. comme il n’y avoit à cette cerémonie
que les parents les plus proches ; tout s’y est passé avec beaucoup
d’ordre & de tranquilité. Le repas des noces fut, comme vous pensez bien,
M. des plus magnifiques : on y fut servi avec la delicatesse des
Financiers, qui vaut bien sur cet article celle des Ducs. Il y a eû une avenuë
de lampions & de pots à feu, depuis Paris jusques à Aguieres. Mademoiselle
Bonnie à 17. ans & 17. cent mille livres, sans compter 100. mille livres de
diamants & 200. mille livres de meubles. On pretend que Bonnier a fait
entendre à M. de Chaulnes, qu’il étoit, en faveur de leur alliance, dans
l’intention de ne point se marier. Voila, M. toutes les circonstances de ce
Mariage, qui a fait bien des jaloux & sur lequel on ne laisse pas de faire
des commentaires ; quoique l’on soit acoutumé depuis longtems, à voir des
extremités plus grandes encore se raprocher. Vous sentez bien, M. qu’il faloit
un Archevêque au moins pour la benediction nuptiale. Aussi est ce celui de
Toulouse, qui s’est charg[é] de ce soin, ou pour parler plus juste, qui en a eû
la préference. Le Mariage de M. de Pequigny a étouffé tous les autres
[…] » [sic] ([Bruzen de La Martinière]. Anecdotes ou lettres secrettes sur divers sujets de Litterature &
de Politique. S.l., s. n., février 1734, p. 55-56)
C’était une femme aussi distinguée par sa richesse que par la vivacité de son esprit ; mais d’une inconstance inconcevable qui la portait avec autant d’ardeur vers le bien que vers le mal. Par ses écarts, ses prodigalités et ses folies, elle causa la ruine de cette illustre maison. Un mot de la comédienne Jeanne-Françoise Quinault (1699-1783) peint le duc de Chaulnes à merveille :
« M. de Chaulnes avait fait peindre sa femme en Hébé [femme d’Hercule] ;
il ne savait comment se faire peindre pour faire pendant. Madlle.
Quinaut, à qui il disait son embarras, lui dit : faites-vous peindre en
hébêté. » [sic] (Œuvres de Chamfort.
Paris, an 3 [1795], t. IV, p. 344)
En 1773, la duchesse de Chaulnes contracta un nouveau mariage, aussi
ridicule que disproportionné à sa naissance, avec un magistrat, François-Henri,
dit « Martial », de Giac (1737-1794) ; les époux se séparèrent,
de gré à gré, dès l’année suivante. « La femme à Giac » mourut le 4
décembre 1782 au Val-de-Grâce.
« La Duchesse de Chaulnes était certainement la plus extravagante
et la plus ridicule personne de France. C’était une grosse douairière toute
bouffie, gorgée, boursoufflée de santé masculine et de sensibilité
philosophique, qui se faisait ajuster et coiffer en petite mignonne, et qui
zézéyait en parlant pour se razeunir. Elle était éminemment riche, et c’étaient
les enfans du Maréchal de Richelieu qui devaient hériter d’elle ; je pense
que c’était à cause de leur grand’mère qui était une Mlle Jeannin de
Castille. On supposait bien qu’elle éprouvait la tentation de se
remarier ; mais ses héritiers ne s’en inquiétaient guère, en se reposant
sur la difficulté qu’elle aurait à trouver un homme de la cour, ou même un
simple gentilhomme qualifié qui voulût affronter une pareille exorbitance de
chairs, de ridicules et de moustaches.
Il y avait à Paris, d’un autre côté, car c’était dans une des chambres
d’enquêtes, un certain Conseiller sans barbe qui s’appelait M. de Giac, et qui
était l’homme de justice le plus pédant, le plus risiblement coquet et le plus
ennuyeux. Il avait l’air d’un squelette à qui l’on aurait mis du rouge de
blonde et des habits de taffetas lilas. Il pinçait de la mandoline en se
pinçant la bouche et jouant des prunelles. […]
Pour apprendre à M. de Giac à compromettre sa dignité parlementaire en
épousant une folle à cause de son argent, le Parlement de Paris l’obligea de
quitter la magistrature, et le Roi l’exila du côté de Barèges où nous l’avons
vu se promenant le long des ruisseaux, costumé comme un berger d’Opéra, sous un
parasol orné d’églantines, et la houlette à la main. » [sic] (Souvenirs de la marquise de Créquy de 1710 à
1803. Paris, H.-L. Delloye et Garnier frères, 1842, t. II, p. 5-7)
Le duc de Chaulnes n’avait laissé qu’un fils, Louis-Marie-Joseph
d’Albert d’Ailly (1741-1792), qui quitta le service à 24 ans, avec le grade de
colonel, par goût pour les sciences naturelles. Après de longs et dispendieux
voyages, il revint, peu avant la Révolution, dans son château de Chaulnes, avec
une santé ruinée, des dettes énormes et l’affaissement de ses capacités
intellectuelles. C’est dans cet état déplorable et au milieu de l’abandon de
ses serviteurs, qu’il termina sa carrière. Avec lui s’éteignit cette branche de
la maison de Luynes.
Hôtel de Chaulnes (Plan Turgot, 1734) |
Hôtel de Chaulnes (Plan Pichon, 1793) |
Hôtel de Chaulnes (École des Mines) |
Le duc de Chaulnes utilisait deux résidences : à Paris, l’hôtel de
Chaulnes était situé rue d’Enfer [aujourd’hui 60-62 boulevard Saint-Michel, VIe,
siège de l’École des Mines], près des Carmélites ;
Château de Chaulnes (début xviiie
siècle) |
Château de Chaulnes (fin xixe
siècle) |
dans le département de la Somme, le château de Chaulnes fut détruit par son acquéreur, après sa vente en 1806, et un nouveau château fut construit sur son emplacement, qui fut détruit pendant la Première Guerre mondiale.
Super ex-libris |
Ses armes étaient « De gueules, à deux branches d’alisier d’argent
passées en double sautoir, au chef échiqueté d’argent et d’azur de trois traits
[d’Ailly] sur le tout d’or, au lion de gueules armé, lampassé et couronné
d’azur, alias de gueules [d’Albert] ».
La vente de la bibliothèque parisienne du duc de Chaulnes, qui eut lieu
en 35 vacations, du lundi 19 mars au mardi 15 mai 1770, produisit 41.123 livres :
Catalogue des livres manuscrits et
imprimés, et des estampes, de la bibliothéque [sic] de M. le duc de Chaulnes (Paris, Le Clerc, 1770, in-8,
[1]-[1bl.]-[1]-[1 bl.]-276-32 p., 3.951 articles), avec une « Table des
auteurs ».
Elle renfermait des ouvrages rares et curieux : théologie
(312 lots = 8%), jurisprudence (156 lots = 4%), sciences et arts (1.346 lots =
34%) – dont « Arts du Dessein, Peinture & Gravure » (172 lots) et
« Musique » (130 lots) –, belles-lettres (551 lots = 14%), histoire
(1.585 lots = 40%).
Le duc de Chaulnes possédait une seconde bibliothèque, en son château
de Chaulnes, qui fut vendue après le mois de mai 1770 : le Catalogue des livres de la bibliothèque du
château de Chaulnes ([Paris], [Le Clerc], 1770, in-8, 52-11-[1] p., 1.105
articles), avec une « Table des auteurs ». Toujours joint au
précédent, ce catalogue renfermait : théologie (82 lots = 7%),
jurisprudence (22 lots = 2%), sciences et arts (176 lots = 16%), belles-lettres
(420 lots = 38%), histoire (405 lots = 37%).