Un
des grands écrivains du XVIIIe siècle, travailleur infatigable tourmenté par un érotisme
souvent plus obscène que libertin, auteur en 35 ans de 187 volumes, sous 44
titres, totalisant près de 57.000 pages, fut aussi imprimeur.
Nicolas-Edme
Rétif, aîné des sept enfants du second mariage d’un marchand, lieutenant
au bailliage de Sacy [Yonne], fut baptisé le jour de sa naissance, le 23
octobre 1734 [son père signe « Retif »].
D’abord
destiné à l’état ecclésiastique, il fut envoyé en 1751 à Auxerre, en
apprentissage chez François Fournier, imprimeur depuis 1742, rue de
l’Horloge : sur le brevet d’apprentissage, daté du 24 septembre 1751, le
père et le fils adoptent pour leur nom la graphie « Retif », sans « s », ni accent.
Devenu
compagnon, il décida de se rendre à Paris où il fut engagé, en 1755, à
l’Imprimerie royale, fondée cent quinze ans plus tôt par le Roi Louis
XIII ; installée au Louvre, elle était alors dirigée par Louis-Laurent
Anisson-Duperron. Mal payé, Nicolas entra l’année suivante chez Claude
Hérissant, rue Notre-Dame, et prit pension rue Galande, chez un compagnon
soissonnais, Laurent-Nicolas Sellier, fils de feu Adrien Sellier qui avait été
compagnon chez Jacques Quillau dans les années 1720 :
« Je
travaillais avec tant d’action, les deux derniers jours de la semaine, que j’en
avais les mains absolument couvertes de taches rouges. »
Sur
la fin de 1757, Nicolas fut engagé chez André Knapen, trisaïeul de Mallarmé,
rue Saint-André-des-Arcs, imprimeur de la Cour des Aides et spécialisé dans les
factures, placards, libelles et pamphlets.
Après
un détour de quelques semaines à Dijon, chez l’imprimeur Jacques Causse, il
accepta la place de prote [« garçon imprimeur » dit l’acte de mariage]
que son ancien maître lui offrit à Auxerre.
Là,
espérant mettre un terme à ses fredaines, sa famille l’encouragea à épouser la
fille d’un apothicaire dans les armées de sa majesté, Agnès Lebègue, le 22
avril 1760 [paroisse Saint-Loup]. Ils eurent quatre filles avant de se séparer,
et divorcèrent en 1794. C’est au bas de son acte de mariage que Nicolas signa
pour la première fois « N. E. A. [Nicolas-Edme-Augustin]
Restif ». En 1767, il signa « M. de la
Bretone », du nom de la ferme que ses parents avaient achetée à Sacy en
1740, et en 1769, il devint « Rétif de la Bretonne ». On doit donc le
nommer « Nicolas Rétif de la Bretonne ».
Ayant
regagné Paris, il reprit du service à l’Imprimerie royale avant d’assurer, à
partir de 1764, la marche de l’officine de F.-A. Quillau, rue du Fouarre,
imprimeur de la Faculté de médecine, qui comprit bientôt 66 ouvriers et 12
presses. Il gagnait 18 livres par semaine, outre un exemplaire des ouvrages
imprimés.
C’est là qu’il imprima lui-même, pendant les cinq premiers mois de 1767, son premier roman, La Famille vertueuse (4 vol. in-12, 2.000 ex.), qu’il avait vendu à la veuve Duchesne, libraire rue Saint-Jacques. Il résolut alors de se « consacrer tout entier à la littérature ». Il avait 33 ans.
C’est là qu’il imprima lui-même, pendant les cinq premiers mois de 1767, son premier roman, La Famille vertueuse (4 vol. in-12, 2.000 ex.), qu’il avait vendu à la veuve Duchesne, libraire rue Saint-Jacques. Il résolut alors de se « consacrer tout entier à la littérature ». Il avait 33 ans.
Il
ne cessa pas pour autant de fréquenter les ateliers d’imprimeurs, pour
surveiller l’impression de ses ouvrages, dans le format in-12 :
« Je
paie mon imprimeur, mon papetier, mon graveur, mon dessinateur, mon relieur, ma
brocheuse, mon assembleur, mon crocheteur. »
Pour
réduire les frais, il lui arriva donc d’imprimer lui-même certains de ses
ouvrages, secondé par des compositeurs qui participèrent parfois financièrement
à l’opération. Parallèlement, il lisait des épreuves pour les libraires Humblot
et Ganneaux.
Photographie Bertrand Hugonnard-Roche |
C’est
ainsi qu’il imprima, chez Quillau, en septembre 1768, Le Pied de Fanchette (1769, 3 vol., 1.000 ex.),
en octobre La Fille naturelle (1769, 2 vol., 1.000 ex.)
et à la fin de l’année les Lettres de Lord Austin de N** (1769, 2 vol., 1.500 ex.).
En
1769, Nicolas était logé chez le libraire Edme Rapenot, rue des Carmes.
Au mois d’avril, il imprima, encore chez Quillau, avec l’aide d’un nommé Michel, Le Pornographe (1769, 1 vol., 2.000 ex.), premier tome de la fameuse série des « graphes », les seuls dans le format in-8 (sauf L’École des pères, 1776, et L’Anti-Justine, 1798).
La Mimographe (1770, 1 vol., 2.000 ex.) fut imprimée dans les mêmes conditions et achevée en mars 1770.
Le Thesmographe (1789, 1 vol.) est le plus rare.
Au mois d’avril, il imprima, encore chez Quillau, avec l’aide d’un nommé Michel, Le Pornographe (1769, 1 vol., 2.000 ex.), premier tome de la fameuse série des « graphes », les seuls dans le format in-8 (sauf L’École des pères, 1776, et L’Anti-Justine, 1798).
La Mimographe (1770, 1 vol., 2.000 ex.) fut imprimée dans les mêmes conditions et achevée en mars 1770.
Le Thesmographe (1789, 1 vol.) est le plus rare.
En
1770, Nicolas habita la maison de son imprimeur d’alors, Valeyre l’aîné.
L’année suivante, il imprima lui-même Le Marquis de T… (1771, 4 vol., 1.000 ex.), aidé par le fils de son ancien maître auxerrois.
Le 1er novembre 1775 parut Le Paysan perverti (1776, 4 vol., 3.000 ex., dont 400 sous l’adresse de Le Jay, libraire rue Saint-Jacques), premier essai de l’école naturaliste ; pour compositeur, Nicolas avait eu un nommé Laugerot. La vente fut arrêtée le 3 février 1776, car l’ouvrage fut considéré « scandaleux et contraire aux bonnes mœurs » ; la police fit saisir tous les exemplaires le 9 mars. La 4e édition, réalisée en 1782, mais portant la date de 1776, comporte 82 dessins de Binet gravés par Le Roy et Berthet.
Ce
n’est qu’en 1777 que Nicolas fit appel pour la première fois à un dessinateur,
André Dutertre.
Nouvellement relogé, Nicolas imprima lui-même en 1778 Le Nouvel Abeilard (4 vol.) chez André Cailleau, frère de la veuve Duchesne ; le livre contient 10 gravures qui sont peut-être les plus charmantes qu’on trouve dans ses œuvres.
Le 3 avril 1783, il travailla lui-même à la première feuille de Le Paysan et la Paysanne pervertis (1784, 4 vol., 120 fig. de Binet gravées par Le Roy, Berthet et Giraud).
L’Instituteur d’un
prince-royal (1792, 2
vol.), titre de la seconde édition des Veillées
du Marais, fut commencé à être imprimé en 1784 chez Chardon, imprimeur rue
de La Harpe. Dans le même atelier, Nicolas travailla à l’impression des Françaises en 1786 (4 vol., 34 fig.).
Il
fut présenté en 1787, par son ami l’écrivain Louis-Sébastien Mercier, à la
comtesse Fanny de Beauharnais qui l’invita à venir souper tous les vendredis,
rue de Tournon.
En 1787 et 1788, il imprima les 14 premières parties des Nuits de Paris (1788-1789, 3.000 ex.). Il fut du petit nombre de ceux qui sentirent l’approche de la Révolution et écrivit prophétiquement : « Une Révolution funeste se prépare ».
En 1787 et 1788, il imprima les 14 premières parties des Nuits de Paris (1788-1789, 3.000 ex.). Il fut du petit nombre de ceux qui sentirent l’approche de la Révolution et écrivit prophétiquement : « Une Révolution funeste se prépare ».
C’est
en 1788 qu’il se fixa au 11 rue de la Bûcherie [Ve] .
En octobre 1789, après avoir pris connaissance de l’Ingénue Saxancour (1789, 3 vol.) dirigée contre lui, son gendre Charles-Marie Augé le dénonça, en vain, comme auteur d’ouvrages contraires aux bonnes mœurs. Le Bibliophile Jacob considère que ce dernier ouvrage « est le plus rare de tous ceux de Rétif… les pages 249-252 du tome III manquent presque toujours. »
En octobre 1789, après avoir pris connaissance de l’Ingénue Saxancour (1789, 3 vol.) dirigée contre lui, son gendre Charles-Marie Augé le dénonça, en vain, comme auteur d’ouvrages contraires aux bonnes mœurs. Le Bibliophile Jacob considère que ce dernier ouvrage « est le plus rare de tous ceux de Rétif… les pages 249-252 du tome III manquent presque toujours. »
En 1789, Nicolas composa et imprima encore Le Palais Royal (1790, 3 vol., 3 fig.). Après la Révolution, il disposa d’une imprimerie rue de la Bûcherie ; il possédait deux presses en 1802. Il put donc y imprimer un certain nombre de ses ouvrages. Il y réalisa sa première composition le 9 février 1790.
Le Drame de la vie (1793, 5 vol., portrait de Rétif dans un petit nombre d’exemplaires au 1er vol.) fut « Imprimé à Paris, à la maison » en 1792 et 1793, mais n’a paru qu’en 1796.
Les
15e (1790) et 16e (1794, rarissime) parties des Nuits de Paris furent typographiquement
composées et imprimées au fur et à mesure des événements par Nicolas :
véritable journal personnel de l’écrivain pendant la Révolution, elles ont un
intérêt exceptionnel. Les 18 figures des Nuits
de Paris, dans lesquelles il est presque toujours représenté avec son
costume caractéristique de spectateur nocturne, sont attribuées à Binet.
Sa
santé ne lui permit pas de composer entièrement L’Année des dames nationales (1791-1794, 12 vol., 31 fig.).
Le manuscrit du récit de sa vie, Monsieur Nicolas, fut achevé le 31 janvier 1792. « Imprimé A La Maison » depuis 1796, l’ouvrage fut terminé le 21 septembre 1797 (16 vol., 139 fig.). Une note de la page 4108 explique :
« La
grosseur du caractère typographique marque toujours l’importance donnée à
l’héroïne de l’aventure … le caractère italique est toujours indicatif de
l’immoralité d’état. »
Rue
de la Bûcherie, Nicolas apprit le métier d’imprimeur à son neveu, Edme-Étienne
Rétif, qui épousa sa fille Marion et qui décéda prématurément en 1794.
On
ne connaît que quatre exemplaires (3 à la BnF, 1 aux U.S.A.) de L’Anti-Justine, ou les Délices de l’amour (1798, 1 vol.). C’est un des ouvrages les
plus obscènes de la littérature. Resté inachevé lors de l’entrée de Nicolas dans
la police secrète en mai 1798, où il resta jusqu’en juin 1802, il est un
complément à son autobiographie. Deux gravures, sur soixante prévues et 40
réalisées, sont parvenues jusqu’à nous. Nicolas, alors âgé de 64 ans, a
probablement détruit les feuilles tirées en 1798 ; jusqu’en 1802, aucune
publication n’est sortie des presses rétiviennes.
L’attribution
de L’Anti-Justine au publiciste Simon
Linguet s’explique par le mépris de Rétif pour le Rémois guillotiné en 1794.
En
juillet 1802, la police saisit Les
Posthumes (4 vol., 4 fig.) ; les gravures ne se rencontrent presque
jamais dans les exemplaires remis en vente longtemps après la saisie.
Ah ! la culture des journalistes ... |
Malade,
et ruiné par la dépréciation des assignats, Rétif mourut en sa maison du 16 rue
de la Bûcherie le lundi 3 février 1806. Le 5, après un service en l’église
Notre-Dame, il fut inhumé au cimetière Sainte-Catherine. Il avait souhaité
l’être au cimetière de Sacy. Agnès Lebègue lui survivra jusqu’en 1808.
Rétif
laissait plusieurs ouvrages achevés, mais inédits. Certains furent remis à
Louis-Sébastien Mercier, mais son héritier, un nommé Lallement, les aurait
brûlés en 1819. Le plus important, L’Enclos
et les Oiseaux, qui avait été saisi en 1802, tomba au début du XXe
siècle entre les mains de marchands qui le dispersèrent.
À
la parution de la Bibliographie et
iconographie de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne (Paris, Auguste
Fontaine, 1875), par P. L. Jacob, Bibliophile, les bibliophiles se jetèrent sur
les ouvrages de l’écrivain. Depuis, oubliés et dédaignés, ces livres
« imprimés avec des têtes de clous sur un papier à chandelle » furent
détruits comme invendables, après en avoir néanmoins retiré les gravures. Les
éditions originales sont devenues rares. En dehors de la BnF et du British
Museum, qui ne possèdent pas de collection complète, seule la Bibliothèque
municipale de Troyes conserve une grande partie de l’œuvre, grâce au legs d’un
bibliophile troyen. Quelques riches bibliothèques des U.S.A. possèdent une
partie de l’œuvre de Rétif. La Bibliothèque municipale d’Auxerre conserve
quelques volumes.
Dans
certains exemplaires d’une même édition, des différences existent ; Rétif
nous en donne lui-même l’explication :
« Si
les censeurs me changeaient, j’avais la patience de tirer cinquante à soixante
exemplaires, d’après leur attentat adultérin ; je rétablissais ensuite ma
pensée, soit pendant le dîner des pressiers, soit la nuit. Il me fallait
ensuite la plus grande attention, à la brochure, pour donner à propos les
exemplaires cartonnés, au censeur lui-même »
De
l’intérêt, pour un auteur, d’être aussi imprimeur.