In Annales nécrologiques de la Légion d'honneur Paris, F. Buisson, 1807, p. 368 |
Jean-Baptiste-Gaspard d’Ansse,
fils de Jean-Baptiste d’Ansse, seigneur de Villoison [commune de Villabé,
Essonne], et de Charlotte Nollière, est né à Corbeil [Corbeil-Essonnes, Essonne],
le 5 mars 1750, et fut baptisé, le 8 mars suivant, en la chapelle de
Saint-Martin, située dans la collégiale de Saint-Spire, qui servait de paroisse.
Il descendait d’une famille navarraise
de la vallée de Roncal [Espagne], originaire du village de Garde et passée au XVIe siècle à Tudela.
Arbre généalogique simplifié |
Son trisaïeul Michel de Anssio
(1588-1649) était arrivé en France en 1615, dans la suite d’Anne d’Autriche,
femme de Louis XIII, dont il était l’apothicaire, et avait été naturalisé en
1619, quelques jours avant d’épouser Marie Lambert (1601-1680), fille d’un maître
épicier et femme de chambre de la Reine ; leur fille Louise-Angélique aurait
servi de type à Molière pour le rôle d’Elmire dans Le Tartuffe.
Son bisaïeul, Jean d’Ansse (†
1672), avait été aussi l’apothicaire d’Anne d’Autriche, puis celui de
Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV, et avait acquis la seigneurie de
Villoison.
Son aïeul, Jean-Gaspard d’Ansse,
avait succédé au célèbre mathématicien, le marquis Guillaume de L’Hôpital, dans
la charge de capitaine du régiment Mestre-de-camp-général cavalerie et avait
été fait prisonnier, en 1690, à la bataille de Fleurus [Belgique], avant
d’épouser, le 7 juillet 1698, la fille du prévôt de Corbeil.
Son grand-oncle, Pierre d’Ansse,
capitaine de Dragons, avait été tué à la bataille d’Höchstädt [Allemagne], en
1703.
Son père, Jean-Baptiste d’Ansse
(° 7 août 1701) avait été élevé page de la grande écurie du Roi, était entré
dans les mousquetaires et y était resté le temps nécessaire pour obtenir la
croix de Saint-Louis, avant de quitter le service.
Entrée du Collège des Grassins, aujourd'hui |
Jean-Baptiste-Gaspard d’Ansse de Villoison
commença très jeune ses études dans les collèges de Lisieux, du Plessis,
d’Harcourt et enfin des Grassins, rue des Amandiers [12 rue Laplace, Ve],
afin de suivre les leçons de grec du savant Charles Le Beau (1701-1778). Ses
progrès lui permirent de devenir un des auditeurs de Jean Capperonnier
(1716-1775), qui professait le grec au Collège royal de France. En même temps,
il commença l’étude de l’arabe, du syriaque et de l’hébreu.
À 23 ans, il publia le lexique
grec d’Apollonius, manuscrit unique du Xe
siècle, venu de la bibliothèque de Henri-Charles de Coislin (1665-1732), premier
aumônier du Roi, léguée à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qu’il avait trouvé
dans la Bibliothèque de l’abbaye en 1770 : Apollonii sophistæ lexicon græcum Iliadis et Odysseæ (Paris, J. C. Molini,
1773, 2 vol. in-4). L’Académie des inscriptions et belles-lettres, à laquelle
il avait soumis son travail avant l’impression, l’avait admis parmi ses membres
dès 1772, après avoir obtenu pour lui une dispense d’âge, le règlement
défendant d’élire un membre avant l’âge de 25 ans.
À partir de 1774, il fut en
correspondance avec presque tous les hellénistes de l’Europe et avec les plus
grands érudits contemporains, et les principales académies de l’Europe
s’empressèrent de l’inscrire au nombre de leurs correspondants : Société
royale de Londres, Société des Antiquaires de Londres, Académie royale
d’Histoire de Madrid, Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Marseille,
Académie royale de Berlin, Société royale de Göttingen, Société royale de
Mannheim, Académie de Cortone, Académie des Arcades de Rome, Société royale d’Uppsala,
Académie royale danoise.
Plan de Turgot |
Villoison habitait rue
Saint-Jean-de-Beauvais [rue Jean-de-Beauvais, Ve], qui était alors une
des rues de Paris les plus obscures et les plus sales.
Dès 1776, il déménagea quai de la
Tournelle, près la rue des Grands-Degrés, entre les rues de Bièvre et des
Bernardins [Ve]. Le 31 décembre 1776, Villoison épousa, en l’église
Saint-Salomon-et-Saint-Grégoire de Pithiviers [Loiret], Hélène-Caroline de
Neufcarres, née le 22 novembre 1756, d’une famille originaire de Suisse, fille
de Charles-Henri de Neufcarres, ancien major du Régiment de Champagne et aide
major général de l’armée du Roi, et de Hélène-Bernard Mercier de La Tour :
« Je viens d’épouser une
demoiselle d’une très ancienne famille, qui, à un bien fort honnête, à une
figure agréable, joint un esprit fin, délicat, mûr et solide, cultivé par
beaucoup de littérature, même latine (je ne désespère pas qu’elle apprenne le
grec). Elle est élevée dans la campagne avec la plus grande simplicité,
modestie, candeur, aversion du luxe, de la frivolité et des plaisirs, choses
qu’il est impossible de rencontrer dans Paris et qui étoient nécessaires pour
mon bonheur. Je la connois, je l’épie et l’observe depuis deux ans ; ce
n’est pas un mariage d’inclination, ni formé par une folle passion, qui ne dure
que quinze jours. Elle partage tous mes goûts, mes inclinations et même mes
études. Je l’ai prévenue que mon usage étoit de travailler douze heures par
jour au grec, et que tout l’or du monde n’étoit pas capable de me faire
renoncer à ce genre de vie, qu’ainsi, d’après cet exposé, elle n’avoit qu’à
voir si elle vouloit m’épouser et si je lui convenois, parce que je ne
changerois jamais de conduite ; elle est la première à m’exciter et même à
me forcer à travailler et à entrer dans toutes mes vues et à m’encourager. Un
homme qui vit dans son cabinet avec nos amis les Grecs a besoin d’une société
douce et intime qui le délasse de ses travaux, et voilà ce que j’ai cherché et
trouvé dans ma femme. » [sic] (Lettre à Louis-Gaspard Valckenaer, 16
janvier 1777)
À 28 ans, Villoison publia une
édition du roman de Longus, qui accrut encore sa réputation : Longi pastoralium de Daphnide et Chloe, libri quatuor (Paris, Guillaume De Bure,
1778, 2 vol. in-8).
Le 1er septembre 1778,
il partit pour Venise faire des recherches dans la Bibliothèque de Saint-Marc. Il
avait conduit sa femme à Pithiviers, chez son père, où elle resta tout le temps
du voyage ; sa mère resta à Paris, dans sa maison du quai de la Tournelle.
Il se rendit à Lyon, puis passa à Turin, Milan, Vérone et Padoue. À Venise, il
fut en pension chez les frères Coleti, libraires et imprimeurs, au pont
Saint-Moïse.
Ses découvertes parurent sous le titre Anecdota græca (Venise, Coleti, 1781, 2 vol. in-4), qui lui
valurent le titre de correspondant de l’Académie d’Utrecht.
Mais la découverte
qui rendra son nom immortel fut celle d’un manuscrit grec de l’Iliade,
copié dans le Xe siècle, qui fut publié sous le titre Homeri Ilias ad veteris codicis Veneti fidem recensita (Venise,
Coleti, 1788, in-fol.). Cette édition est un des plus beaux présents que
l’érudition ait faits aux Lettres dans le XVIIIe
siècle : les prolégomènes sont un trésor d’érudition ; les scolies
offrent des variantes puisées dans les antiques éditions d’Aristarque, de
Zénodote, d’Aristophane, de Philémon, etc. ; on retrouve sur les marges
les signes dont les premiers critiques se servaient pour indiquer les passages
supposés obscurs, corrompus ou remarquables.
Villoision quitta Venise le 15
avril 1782 et se rendit à Weimar [Allemagne], « l’Athènes
germanique », chez le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar (1757-1828), en
passant par Innsbruck, Augsbourg et Nuremberg. Il y arriva le 7 mai 1782. Il
fut logé au palais, admis à toutes les parties de plaisir, à toutes les fêtes
de la cour et n’eut d’autre table que celle même du duc.
En reconnaissance de l’hospitalité
dont il avait été l’objet, il publia trois recueils de commentaires relatifs
aux richesses de la Bibliothèque ducale sous le titre Epistolæ Vinarienses (Turici [Zurich], Aurelius [Orell], Gessnerus
[Gessner], Fuesslius [Füssli] & Co, 1783, in-4). Il quitta Weimar pour
Paris, le 5 mars 1783.
Le 4 août 1784, Villoison
embarqua à Toulon, avec le comte de Choiseul-Gouffier, pour Constantinople
[Istanbul, Turquie], dans le but de recueillir les inscriptions antiques et les
manuscrits qui pouvaient avoir échappé à la destruction. Dès son installation à
Péra [Beyoğlu, quartier d’Istanbul, résidence des colonies étrangères], il se
pourvut d’un maître en grec vulgaire. Il visita les îles de l’Archipel, le mont
Athos, la Grèce proprement dite et le Péloponnèse, les villes des côtes de
l’Asie Mineure. Il fit une riche moisson d’inscriptions inconnues et recueillit
de nombreuses observations sur les mœurs, les usages et les institutions des
Grecs, mais ses recherches de manuscrits furent infructueuses : les
bibliothèques ne lui offrirent que des livres ascétiques ou des ouvrages de
controverse religieuse.
Villoison rentra en France après
27 mois d’absence, en novembre 1786. Au lieu de retourner directement à Paris
et à Pithiviers, il résolut, après un court séjour à Marseille, d’aller visiter
les antiquités des villes voisines : Aix, Salon, Arles, Nîmes, Avignon,
Mormoiron, Orange, Vienne.
Rue de Bièvre, depuis le quai de la Tournelle |
Arrivé enfin à Paris en avril 1787, Villoison déménagea
au 4 rue de Bièvre [Ve]. Le 29 novembre 1788, sa femme mourut prématurément,
à Pithiviers, chez son père, d’une « maladie de poitrine ».
Quand la Révolution de 1789
éclata, Villoison se renferma dans la société de ses amis, la poursuite de ses
travaux d’érudition et l’accroissement de sa bibliothèque.
En octobre 1792, Villoison partit
pour Orléans [Loiret], dans l’intention de passer quelques-jours avec sa
belle-sœur, Hélène-Henriette-Marie de Neufcarres (1755-1824), mais ne put
s’empêcher de profiter des livres grecs et latins de la Bibliothèque publique
et se logea en face d’elle, 35 rue du Bourbon Blanc, maison de Monsieur Lubin. Chaque
matin, de bonne heure, il entrait dans les salles désertes de la bibliothèque,
s’y installait et y restait jusqu’à la nuit. Il y lut de nombreux livres qui
jusqu’alors avaient échappé à ses recherches, et recueillit les notes savantes
déposées par deux historiens du XVIIe
siècle, les frères Henri et Adrien de Valois, sur les marges de leurs livres.
Il ne revint à Paris qu’en 1799
et se réinstalla rue de Bièvre, au n° 22, au second au-dessus de l’entresol. Ruiné
par les assignats et espérant se procurer un supplément de revenu, il ouvrit un
cours de langue grecque, mais un trop petit nombre de personnes répondit à
l’appel du premier helléniste de l’Europe et le cours ne dura que quelques
mois :
« Jean Baptiste Gaspard d’ANSSE DE VILLOISON,
ancien membre de l’académie des inscriptions et belles-lettres, et des douze
plus célèbres de l’Europe, telles que celles de Londres, Berlin, Gottingue,
Manheim, Upsal, Copenhague, Madrid, Cortone, etc., etc. ; auteur de
plusieurs ouvrages sur la littérature grecque ; rentier, et ainsi
totalement ruiné par une force majeure ; né dans l’aisance, et ayant
toujours joui d’un patrimoine assez considérable, et se glorifiant maintenant
d’une honorable pauvreté, après avoir longtemps lutté contre la mauvaise fortune,
sans se plaindre ni murmurer, se trouve réduit à tirer parti des connoissances
qu’il ne cultivoit, auparavant, que pour son plaisir, et qu’il a tâché
d’acquérir dans la langue grecque, ancienne et moderne, par un travail
opiniâtre de quarante ans, par ses voyages en Allemagne et en Italie, et par un
séjour de trois ans dans la Grèce.
Il ne veut ni solliciter, ni
accepter aucune place qui l’empêche de se livrer à sa passion dominante,
l’amour de la littérature grecque, (qu’il préfere à la vie,) et l’oblige de renoncer
à sa bibliothèque, (l’unique bien qui lui reste,) et d’abandonner un ouvrage sur la Grèce ancienne et moderne, considérée sous tous les rapports, dont
il s’occupe exclusivement depuis quinze ans.
En conséquence, incapable d’être
à charge à ses amis, et desirant, au contraire, être utile à ses concitoyens,
il offre de donner de deux jours l’un, rue des Petits-Champs, n.° 11, au coin
de celle de la Loi, un cours de langue et de littérature grecque ancienne et
moderne, et commencera par Pindare. Il ne taxera personne, mais il se voit
contraint, par les circonstances impérieuses, d’obéir à la dure loi de la
nécessité, et de prendre vingt-quatre francs par mois.
Les personnes qui voudront suivre
son cours, qu’il s’efforcera de rendre instructif, sont averties de se faire
inscrire chez lui, rue de Bièvre n.° 22. Ce cours commencera le 6 Brumaire à
deux heures, et aura lieu les jours pairs de chaque décade.
Nous connoissons plusieurs hommes
de lettres, même des savans distingués qui s’empresseront de suivre le cours du
C. Villoison, qui doit nécessairement offrir un grand interêt par la solidité
et l’étendue de son érudition ; nous savons même que la plupart des
hellénistes qui existent encore à Paris, ont l’intention d’y être assidus. Ce
cours peut ranimer l’étude des lettres antiques. Nous n’ajouterons pas que,
dans un pays où il y auroit plus d’esprit public, en Angleterre par exemple, on
verroit, aussitôt après la publication de cette note, une liste nombreuse de
souscripteurs, qui s’empresseroient d’y mettre leur nom, sans même avoir
intention de suivre ce cours ; mais par le seul motif de témoigner le
respect dû à un savant qui honore la patrie, et de concourir à améliorer son
sort, sans blesser sa délicatesse. » [sic] (A. L. M. « Cours de
langue grecque, par le C. D’ANSSE DE VILLOISON » In Magasin encyclopédique. Paris, Fuchs, An VII-1799, t. III, p.
523-525)
L’appartement qu’il occupait dans
une maison sans apparence particulière était vaste, mais meublé avec une grande
simplicité. La bibliothèque en formait le seul ornement. Villoison avait eu
toute sa vie un goût passionné pour les livres. Quand il séjournait deux heures
dans une ville, il employait au moins une heure à visiter les boutiques des
libraires et les étalages des bouquinistes. Habitué à faire des économies, il
avait les moyens de satisfaire son noble goût et se procurait tous les ouvrages
où il pouvait trouver des renseignements utiles.
Sa bibliothèque, une des
meilleures et des plus nombreuses qu’ait possédées un homme de lettres, offrait
des trésors précieux sur la théologie savante, la philologie grecque et latine,
les littératures française et italienne, les voyages, l’histoire, les
antiquités et l’histoire littéraire. La littérature ancienne formait la base de
cette belle collection. On y trouvait de très beaux exemplaires, achetés aux
ventes Soubise, La Vallière, etc. Il faisait revêtir les livres qu’il avait
acquis en feuilles d’un cartonnage couvert d’un papier gris, dont le dos portait
le titre manuscrit.
Sur la première page, on lisait « Ex libris d’Ansse de
Villoison », et en tête, on trouvait une note qui donnait des détails sur le
livre et l’auteur.
Sa bibliothèque fut vendue, du
lundi 3 mars au samedi 19 avril 1806, en 36 vacations, en sa maison, 3 rue de
Bièvre : Catalogue des livres de feu
M. d’Ansse de Villoison, membre de la
classe d’histoire et de littérature ancienne de l’Institut ; membre de la Légion d’honneur ; professeur en langue grecque au Collège de
France ; de la Société royale de
Londres ; des Académies de
Berlin, Madrid, etc. (Paris, Debure père et fils,
Tilliard frères, 1806, in-8, [1]-[1 bl.]-[2]-xij-266 p., 3.067 + 4 bis = 3.071
lots).
Théologie [227 lots = 7,39 %],
Jurisprudence [22 lots = 0,71 %], Sciences et Arts [314 lots = 10,22 %],
Belles-Lettres [1.220 lots = 39,72 %], Histoire [1.247 lots = 40,60 %], Livres
omis [41 lots = 1,33 %].
Gazette nationale ou Le Moniteur universel Mardi 21 janvier 1806, p. 88 |
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