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Les Deux Gaspards. Paris, Jouvet et Cie, 1887 |
La date de naissance de Jean Engel,
deuxième du nom, donnée par Louis Dumur dans la Chronique du Journal général de l’imprimerie et de la librairie (81e
Année, 2e Série, N° 30, 23 Juillet 1892, p. 152), est erronée. Elle a
été reprise successivement par : Émile Bosquet, dans La Reliure (Paris, Imprimerie générale Lahure, 1894, p. 35), après
qu’il ait pourtant écrit l’année correcte dans L’Imprimerie, journal
de la typographie, de la lithographie et des arts et professions qui s’y
rattachent (15 mars 1891, p. 1.134) ; Henri Beraldi, dans La Reliure du XIXe siècle (Paris, L.
Conquet, 1895, t. II, p. 54) ; Charles Meunier, dans Réflexions d’un praticien en marge de La Reliure du XIXe siècle de
M. Henri Beraldi (Paris, Maison du livre, 1918, p. 73) ; René Billoux, dans
l’Encyclopédie chronologique des arts
graphiques (Paris, L’Auteur, 1943, p. 139) ; Sophie Malavieille, dans Reliures et cartonnages d’éditeur en France
au XIXe siècle (1815-1865) (Paris, Éditions Promodis, 1985, p. 241) et dans le Dictionnaire encyclopédique du livre
(Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2005, t. II, p. 77) ; Philippe
Boitel, dans Les Français qui ont fait la
France (Bordeaux, Éditions Sud Ouest, 2009, p. 495) ; la Bibliothèque
nationale de France et autres amateurs.
Jean [II] Engel. In E. Bosquet. La Reliure. Paris, Imprimerie générale Lahure, 1894, p. 34
Jean [II] Engel naquit le 1er novembre
1819 à Ebingen [quartier d’Albstadt, Bade-Wurtemberg,
Allemagne], fils de Élisabeth-Barbe Linder et de Jean [I] Engel, ancien
soldat d’une famille originaire de l’est de la France, fixé en Westphalie en
1808 et devenu bonnetier à Ebingen.
Jean Engel commença son apprentissage du métier
de relieur dès l’âge de 12 ans à Tübingen [Bade-Wurtemberg, Allemagne], puis
vint à Dijon [Côte-d’Or], où il passa chez Antoine Maître (1809-1871), place
Saint-Jean, dans la maison natale du peintre Bénédict Masson (1819-1893), avant
de monter à Paris.
Il débuta en 1832 dans l’atelier de Wagner, alors
au 9 rue Poupée [disparue, Ve], puis travailla chez Joseph-Rodolphe Kleinhans
(° 1828), 56 rue Mazarine [VIe] : il
y croisa Jean-Baptiste Galette (1806-1876), lui aussi apprenti, qui s’instala
en 1836 au 47 rue Mazarine.
Pendant ce temps-là, le 22 novembre 1834, Étienne-René
Berthe-Noël, d’Angers [Maine-et-Loire], relieur installé dans l’immeuble
portant les numéros 2 rue du Battoir-Saint-André-des-Arts [partie ouest de la
rue Serpente, VIe] et 10 rue Hautefeuille, à l’angle des deux rues, obtenait
« un brevet d’importation et de perfectionnement de cinq ans, pour
l’emploi de la toile, de la perkale [sic] ou percaline, de la cotonnade et
autres étoffes semblables à tous les objets de reliure, cartonnage, gainerie et
couvertures en tous genres, et pour les procédés de préparation au moyen
desquels ces étoffes servent utilement à ces différents usages. »
Engel, rue du Pont-de-Lodi (1838-1844)
3 rue du Pont-de-Lodi. Façade sur cour, par Charles Lansiaux (1917). Coll. Musée Carnavalet
En 1838, à l’âge de 19 ans, après avoir réalisé
un fonds d’économie de 1.200 francs, Jean Engel s’installa à son compte, 3 rue
du Pont-de-Lodi [VIe].
Le 16 novembre 1841, domicilié 79 rue
Saint-Jacques [Ve], Jean Engel épousa Ève-Catherine [I] Schaeck,
relieuse, née le 10 juin 1813 à Geudertheim
[Bas-Rhin], fille de Michel [I] Schaeck, cultivateur, décédé le 8 mars 1838, et
de Anne-Marie Walter : père naturel à quatorze ans, il reconnut et
légitima alors Ève-Catherine [II] Schaeck, née le 12 octobre 1833 à Geudertheim ;
parmi les témoins du mariage, un frère de la mariée, Jacques Schaeck
(1811-1894), serrurier en voitures, demeurant 5 rue de la Bienfaisance [VIIIe],
devint carrossier du roi Louis-Philippe, fit fortune et acheta le château du
Haut à Geudertheim.
Ne pouvant répondre à toutes les commandes pressantes des libraires, les débuts furent difficiles, mais Jean Engel inventa ou perfectionna de nombreuses machines pour la reliure de série, ce qui lui vaut le titre de « père de la reliure industrielle ».
In John Andrews Arnett. Bibliopegia ; or, the Art of bookbinding. London, R. Groombridge, 1835, front. |
En 1842, il fit
venir de Londres, une nouvelle presse à dorer, que la maison Sherwin, Cope
& Co avait construite dix ans auparavant et à laquelle elle avait donné le
nom de « Imperial Arming Press » : tout en ne tirant que des
plaques de petites dimensions, elle rendit pourtant les plus grands services.
Engel et Schaeck, rue Suger (1845-1854)
Encouragements de la jeunesse. Paris, Vve Louis Janet, s. d. |
En 1845, Jean Engel et son beau-frère Michel [II]
Schaeck (1810-1890) s’associèrent et s’installèrent au 20 [22 à partir de 1849]
rue Suger [rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts avant 1844, VIe],
où Schaeck s’était établi l’année précédente.
Ils firent graver de superbes fers à dorer
spéciaux pour la reliure de Le Juif
errant, par Eugène Süe. Édition
illustrée par Gavarni (Paris, Paulin, 1845, 4 vol. in-8) : ces
gravures donnent d’un côté de la couverture du livre les types des membres de
la famille Rennepont, entourés de guirlandes de fleurs ; au revers,
ressortent, au milieu de plantes vénéneuses, les sinistres figures qu’on a vu
paraître dans l’ouvrage ; enfin, au dos, le type du Juif errant.
En 1847, Jean Engel fit construire le premier
laminoir approprié à la reliure : il s’empressa d’en faire part à Antoine
Lenègre (1818-1867), alors au 11 bis rue Saint-Germain-des-Prés [partie de la
rue Bonaparte, VIe], qui s’était installé
en 1840 au 11 rue Furstemberg [sic ; on devrait écrire Fürstenberg, VIe],
qui le mit en pratique.
Voyages de Gulliver, par Swift. Paris, Garnier Frères, 1852 |
L’établissement prit, d’année en année, plus d’importance.
Etau à endosser |
C’est à Jean Engel qu’on doit l’étau à endosser, dont le premier
spécimen fut construit pour lui, en 1853, par Jean-Baptiste Van de Weghe (°
1819), mécanicien, 27 rue Saint-Jacques [Ve], élève du constructeur
de machines Bernard Steinmetz (1812-1890). En 1854, Jean Engel fit transformer
sa presse à dorer avec des pièces venues de Londres, remplaçant le barreau à
bras par un système rotatif, actionné par un lourd volant, commandé par une
manivelle : l’ensemble constituait ce qu’on a désigné depuis sous le nom de
« balancier à genouillère ».
Engel et Schaeck, rue des Marais-Saint-Germain (1855-1862)
18 rue Visconti, par Atget (1910)
En 1855, les ateliers Engel-Schaeck, qui
occupaient alors une vingtaine d’ouvriers, furent transportés 18 rue des Marais-Saint-Germain
[rue Visconti depuis 1864, VIe]. À l’Exposition universelle de 1855,
Jean Engel fit l’acquisition d’un rouleau à endosser, inventé par Sanborn &
Carter, de Boston [États-Unis], et d’une machine à rogner perfectionnée et
appropriée aux besoins de la reliure, construite par Laurent Poirier,
mécanicien, 33 rue du Faubourg-Saint-Martin [Xe].
1860 |
Bientôt, la presque totalité de l’immeuble occupé
fut transformée pour les besoins de l’établissement : Jean Engel en devint
propriétaire le 26 juillet 1860.
1862. Photographies BnF |
Émile Bosquet a prétendu, dans La Reliure (Paris, Imprimerie générale
Lahure, 1894, p. 37), que Schaeck se retira des affaires « vers la fin de
l’année 1851 » : l’Annuaire de
la librairie, de l’imprimerie, de la papeterie (Paris, Cercle de la
librairie, de l’imprimerie, de la papeterie, 1860, p. 420) et l’Annuaire-Almanach du commerce […] ou Almanach des 500,000 adresses (Paris,
Firmin Didot frères, fils et Cie, 1862, p. 253) citent toujours les
deux associés.
Engel, rue du Cherche-Midi (1863-1870)
En effet, Schaeck ne se retira des affaires qu’en
1863, quand Jean Engel voulut s’éloigner du centre, les locaux de la rue des
Marais-Saint-Germain étant devenus insuffisants : il acheta un vaste terrain, à
l’extrémité de la rue du Cherche-Midi [VIe],
au n° 91, sur lequel il fit construire un atelier complet. Il y installa une machine
à vapeur, la première en France qui fut employée à la reliure :
Façade des ateliers Engel, 91 rue du Cherche Midi.
In Exposition de la librairie française, groupes 17 et 18. Saint-Louis, 1904
« Dans une seule et immense salle bien
éclairée, entourée d’une galerie supérieure et traversée par un pont volant,
toutes les opérations de la reliure sont réunies sous la surveillance de divers
contre-maîtres et sous la direction du maître qui, d’un coup d’œil, peut
inspecter l’ensemble des travaux.
Les bras de l’ouvrier étant devenus insuffisants
pour la prompte livraison des travaux commandés simultanément à certaines
époques de l’année, un moteur à vapeur de la force de quatre chevaux communique
le mouvement à diverses machines ingénieuses. C’est ainsi que le livre est
successivement battu, rogné, grecqué, endossé, doré et gauffré [sic] sans le
moindre effort et avec une précision toute mécanique.
De cette organisation nouvelle il résulte une
telle rapidité d’exécution, que mille exemplaires d’un ouvrage nouveau en un
volume grand in-8 peuvent être reliés, dorés et livrés à l’éditeur au bout
d’une semaine, ce qui présente un grand avantage, notamment pour les livres
d’étrennes dont la publication est urgente et dont l’impression n’est
quelquefois terminée que dans les derniers mois de l’année. »
(J. T. [Jules Tardieu]. Chronique du Journal général de l’imprimerie et de la librairie.
Paris, Cercle de la librairie, de l’imprimerie et de la papeterie, N° 42, 17
octobre 1863, p. 175)
Jean Engel y adjoignit bientôt deux presses hydrauliques. De 1864 à 1867, il fut agent-commissionnaire à titre gracieux de la Société Franklin pour la propagation des Bibliothèques populaires en France, pendant la présidence du député Jules Simon (1814-1896).
Salle du Conseil du Cercle de la Librairie |
De 1865 à 1872, il fut
membre du Comité judiciaire et du Conseil d’administration du Cercle de la
librairie. De 1868 à 1870, il fut président deux fois élu de la Chambre
syndicale des relieurs, doreurs sur cuir et sur tranche, expert adjoint de la
Commission des valeurs en douane et arbitre expert au Tribunal de commerce de
la Seine.
En 1866, il fit construire la première cisaille
circulaire pour couper le carton, ainsi qu’une machine à biseauter.
Considérant que la critique est indispensable au
perfectionnement, Victor-Pierre Wynants (1831-1906), relieur-doreur chez Pierre
Chevannes (1830-1899), dit « Amand », 12 rue de l’Ancienne Comédie [VIe],
délégué élu des ouvriers doreurs sur cuir à l’Exposition Universelle de Paris en
1867, et membre de la Commission ouvrière fondée à cette occasion, fut très
sévère, comme à son habitude :
Exposition de 1867. Délégation des ouvriers relieurs. Paris, 1869-1875, 2e partie, p. 188
« La spécialité de cette maison est la
reliure de commerce proprement dite ; aussi sa vitrine ne contient-elle
que des spécimens de livres destinés à la vente des libraires, aux époques des
distributions de prix, du jour de l’an, et des volumes vendus tout reliés à bon
marché.
L’exposition de cette maison est surtout
remarquable par ses dorures au balancier, dans lesquelles elle excelle.
Jusque alors les Anglais, qui avaient créé ce
genre, étaient considérés comme supérieurs à nous pour cette partie du travail.
Cette fois, ils sont dépassés. A la bonne impression des plaques, à la solidité
de l’exécution, que l’on a toujours admirée chez nous, M. Engel a su joindre la
délicatesse dans le dessin, en même temps que la richesse et le goût français
dans la composition, ce qui fait sa supériorité.
Quant à la reliure, elle a un cachet de propreté
qui flatte l’œil ; mais de solidité réelle, il ne faut pas compter. Le
corps d’ouvrage est bien traité, mais n’a pas eu tous les soins voulus pour
être solide. Aucun de ces volumes n’a été mis en paquet à l’endossure, ni
frotté. C’est la tendance de toutes les grandes maisons de négliger cette
façon. C’est plus expéditif, et, par conséquent, plus économique ; mais
les personnes qui aiment la solidité seront assurément de notre avis, en
n’acceptant pas cette façon de faire.
Comme il ne s’agit ici que de reliures de
commerce, nous passerons sur les défauts qui ne sont qu’accidentels ; mais
nous devons, toutefois, relever les plus saillants, et surtout ceux qui sont
généraux.
Les
cartonnages dits à la Bradel (aussi emboîtages) sont élégants et faits avec
soin. Les cartonnages classiques, les basanes pleines racines et jaspées ont
très bonne apparence comme coup d’œil ; mais les cartes sont collées sur
le dos, ce qui empêche l’ouverture. Nous ne comprendrons jamais que l’on
sacrifie l’utile à l’apparence.
La Vie de
la Vierge Marie,
in-folio chagrin bleu azuline, montée entièrement, texte et chromo, sur onglets
de toile. Les onglets sont collés sur le recto du feuillet, c’est-à-dire sur le
côté le plus apparent à l’œil. Le collage au verso n’a rien de plus mauvais, et
a l’avantage de ne pas salir la face de la gravure ou de la feuille de texte.
L’endossure et la rognure sont bien soignées. La
couvrure pèche par son apprêture, défaut général de la maison.
Le plat est orné d’une dentelle dont le caractère
d’originalité est que, au lieu de se terminer en onglet, comme généralement
toutes les dentelles, elle est sans interruption, les coins étant arrondis.
Comme coup de fer, bon aplomb, bonne chaleur, bon brillant, mais il est
regrettable que la dorure ne soit pas nettoyée parfaitement ; cela lui
fait perdre un peu de son effet. La dorure du dos n’est pas en rapport avec le
plat.
Comme M. Parizot, cette maison, qui a pour le
moins trois doreurs à la main dans ses ateliers, a fait faire la seule pièce
capitale dans ce genre hors de chez elle. (Doré par Froment.)
Nice et
Savoie,
in-folio. A ce volume, les onglets sont montés sur le verso ; mais, en
revanche, les planches sont mal margées. L’endossure et la rognure sont bien
faites. La dorure sur tranche est plucheuse.
Les Emaux de Petitot [en bleu] |
Les Emaux
de Petitot,
in-4°, pleine reliure chagrin rouge, tranche marbrée dorée, les onglets sont
encore collés sur le recto ; le corps d’ouvrage est bon ; la marbrure
ne se voit pas sous l’or, elle a été enlevée presque complètement à la façon
qui précède la couchure. Magnifique plaque, imitation consciencieuse, copie
d’un plat doré genre Derome, aux initiales royales dans les coins.
Les Œuvres
d’Alfred de Musset, in-4°, tête dorée, tranche ébarbée ; l’endossure
est bien faite, mais l’ébarbure a été négligée ; la tête est bien dorée,
les coups de la parure sont trop visibles, les nerfs ne sont pas sur les
ficelles. Pour du commerce, cela pourrait passer ; pour de l’exposition,
non !
Un
Album-spécimen d’ornements typographiques de Deriez, fondeur, in-folio, pleine reliure chagrin rouge. Ce volume a été
surjeté pour être cousu, et le dos est cassé. Cet Album est d’usage. N’aurait-il pas été raisonnable
de le monter sur onglets, d’abord pour la fatigue qu’il est appelé à supporter,
et puis pour qu’il y ait harmonie avec la richesse du travail extérieur ?
Le bruni de la dorure sur tranche est rayé, la tranche est blanche par la
peluche, que l’on n’a pas eu la précaution d’enlever.
La dorure extérieure est faite au balancier et
mérite une mention spéciale, tout en accordant à ce travail dans cette maison
des éloges mérités. La plaque a été préparée dans les ateliers de M. Deriez
même et par ses procédés ; elle est en la même matière que les caractères
et les attributs servant à la typographie. Avec des plaques de cette
composition, plomb et régule, on ne pourrait remplacer le cuivre, car le fort
degré de chaleur pour les tirages en cuivre, joint au foulage assez fort
nécessité pour les impressions sur la toile aurait bien vite écrasé la
matière ; mais pour un tirage sur la peau, et surtout en or, l’on pourrait
en quelque sorte un peu s’en servir ; celle-ci, du reste, se prête
merveilleusement au tirage en or sur la peau. En effet, les ornements si fins
qui la composent, ces déliés en traits de plume, la roulette qui sert pour
ainsi dire de cadre, ont quelque chose de si doux à l’œil que la dorure à la
main la mieux faite ne saurait surpasser.
L’exécution des plats de ce volume est parfaite,
l’or est brillant, rien n’est manqué, et l’examen le plus soutenu n’a rien à
demander de plus pour un travail purement mécanique, il est vrai, mais où
néanmoins surgit dans tout son éclat les soins et l’intelligence du doreur au
balancier.
Nous pourrions offrir encore, comme argument
contre les détracteurs du travail au balancier, le grand Atlas de Dufour. La disposition de la vitrine ne nous permet pas de
retirer ce volume de l’endroit où on l’a placé, avec quelques autres, que nous
regrettons de ne pouvoir examiner à notre aise ; mais, tel que nous le
pouvons voir, il peut, à notre avis et avec avantage, servir de point de comparaison
entre les travaux des maisons qui concourent dans cette spécialité et ceux
exécutés à la main : « L’ennui, dit-on, naquit de
l’uniformité. » Mais entre régularité et uniformité, la distance est
immense, quand le résultat obtenu par la presse est aussi satisfaisant que
celui dont nous avons les échantillons sous les yeux, il serait insensé de ne
pas se ranger du côté de l’avantage qu’il doit, qu’il peut procurer et qu’il
procure en effet par la rapidité d’exécution, et du bon marché que donne
naturellement cette facilité de faire vite et bien.
1862 |
Les plaques de Daphnis et Chloé, les Amours
de Psyché et de Cupidon, les Contes
de Perrault, le Sabot de Noël,
plaques froides et or, et beaucoup d’autres, toutes tirées par M. Eugène de la
Courcelle, ainsi que celles dont nous avons parlé plus haut, font honneur à cet
ouvrier, qui a fait preuve d’habileté en montrant quel parti on peut tirer d’un
matériel intelligemment dirigé.
Les cartonnages emboîtages : Mademoiselle Lilli, toile gaufrée, plaque
dentelle, ont un sérieux inconvénient ; les cartons sont à biseaux,
nécessairement très forts et, par conséquent, trop lourds dans les mains d’un
jeune enfant.
DEMI-RELIURES CHAGRIN ET
VEAU
Les demi-reliures veau antique, pièces rouges et
vertes, cinq nerfs, ne peuvent satisfaire un amateur ; les titres ne sont
généralement pas compris. Dans la première pièce, le doreur a mis “ collection
des classiques français ” et, dans la seconde pièce, le nom d’auteur, la
tomaison générale, la matière du volume et sa tomaison particulière ;
tandis qu’il y était, il aurait pu y mettre aussi l’édition, le millésime, et
la pièce aurait été, de cette façon, archicomplète [sic]. Il était plus
convenable de mettre dans la première pièce : Classiques français (collection sous-entendue), un trait, le nom
d’auteur et la tomaison générale, s’il y avait lieu ; dans la seconde, la
matière et la tomaison, cela aurait suffi.
Non-seulement, la seconde pièce est surchargée, mais le nom d’auteur y est mis en petit in-4°, tandis que la matière varie de l’in-8° grand papier à l’in-12 ; avec cela, souvent deux tomaisons, la générale et la particulière, le tout dans un encadrement d’in-8°, dont le dos est à cinq nerfs, par conséquent très étroit.
Le nom de l’auteur peut dominer quand il est mis comme titre général ; mais la matière du volume, lorsqu’elle est mise dans la seconde pièce, est considérée comme discours et ne comporte pas plusieurs composteurs ni surtout l’emploi de gros caractères ; il est inutile de faire une affiche qui puisse être lue à un hectomètre de la bibliothèque, à moins cependant que l’on travaille pour un myope. Pourquoi aussi faire dominer le mot complètes, qui, dans le titre, a moins d’importance que le mot Œuvres ? Il faut éviter de sacrifier la logique pour faire des lignes à perspectives.
Les tomes généraux et de matières peuvent être
mis avec avantage en chiffres romains, surtout si le dos est à cinq nerfs et
affecte l’antique.
Pour les dos à cinq nerfs, lorsque l’on a un
volume seul, sans nom d’auteur, et que par conséquent la seconde pièce se
trouve complètement libre, on peut y mettre le nom, la date ou le lieu de
l’édition pour la remplir ; mais, dans aucun cas contraire, comme il est
dit à la maison Hachette, cela se met dans la queue.
Toute cette dorure à la main et ces titres sont
bien poussés ; les encadrements de certains, au balancier ou remplis à la
main, sont d’un goût un peu douteux.
Il est vrai que cette maison cherche le bon
marché, mais si les doreurs à la main connaissaient les finesses de la dorure,
en tant que titres, le travail, sans coûter plus cher, serait beaucoup
mieux ; ce ne serait qu’une dépense d’intelligence, de goût et de savoir.
L’endossure des demi-reliures est bonne, mais la
rognure n’est pas parfaite, surtout à ceux en veau, les chasses sont
irrégulières. La couvrure pèche par l’apprêture ; c’est un défaut général
à toute cette exposition. Les coins du carton, près la coiffe, sont coupés à
angle droit ; ce défaut est commun à tous les volumes de cette vitrine.
Cela est vilain pour des demi-reliures, mais encore plus laid pour des reliures
pleines ; la coiffe est naturellement difficile à faire et n’est jamais
bien, la bordure intérieure se trouve ébréchée ainsi que le plat extérieur.
Pour bien faire, le coin doit être coupé un peu en long, dans le sens de la
longueur du carton, et en biais dans le sens de l’épaisseur, de façon que la
partie intérieure du carton soit très peu atteinte et que le vide intérieur
puisse être rempli par le repli que la peau fait à la coiffe.
Plusieurs volumes ont des tranchefiles à rubans,
couleurs carnavalesques.
La maison n’emploie que des spécialistes ;
comment se fait-il qu’ils le soient si peu ?
M. Engel père est le fondateur de cette maison,
qui n’a pas de semblable jusqu’alors à Paris pour son nombreux personnel, son
outillage, son agencement, l’emploi de la vapeur comme force motrice et les
vastes proportions de ses ateliers, en 1867.
Son travail exposé se ressent du but pour lequel
il a été fait, car le courant du travail livré au commerce n’atteint pas
toujours le bien fait de son exposition.
COOPÉRATEURS DE LA MAISON ENGEL ET FILS
Mise en train, ENGEL et GRUGER ;
Endossure, FAURE (les volumes ont tous été frottés, les
reliés) ;
Rognure, FAURE et COZIE ;
Doreur sur tranches, Armand POUILLET ;
Couvrure, Jean SICHLER ;
Parure, KIESEWETTER, BUHNER ;
Dorure sur cuirs, Jules GARNON ;
Finissure, SICHLER ;
Dorure sur cuirs, maroquin plein, FROMENT ;
Dorure au balancier, E. DE LA COURCELLE. »
([E.-V. [Eugène Varlin (1839-1871)] et V. Wynants]. Exposition de 1867. Délégation des ouvriers relieurs. Paris, 1869-1875, 2e partie, p. 37-45)
Fondateur de l’hebdomadaire La Libre pensée, Louis Asseline (1829-1878) ne fut guère plus pondéré dans ses critiques :
« L’exposition de M. Engel est très-mêlée.
J’ai remarqué un livre (Botanique à ma fille) [i.e. Botanique de ma
fille] dont les dorures sont d’une invention et d’une délicatesse
remarquables ; mais à côté il y a des livres surchargés, bariolés, comme
cet exemplaire de l’Amour et Psyché qu’un véritable amateur n’admettra
jamais dans sa bibliothèque. Il serait injuste d’oublier quelques volumes dont
les dos, dorés à la presse, sont bien exécutés. »
(L. Asseline. L'Exposition universelle de 1867
illustrée, 42e livraison, 26 septembre 1867, p. 190)
Jean Engel fut enfin naturalisé français, par décret impérial du 1er septembre 1868.
Le 21 septembre 1871, à Saint-Maurice
[Val-de-Marne], son fils Michel Engel (1844-1916), épousa sa nièce,
Anna-Eugénie Delimoges (1854-1923), en présence de Michel Schaeck et des
libraires Auguste Garnier (1812-1887) et Émile Baillière (1831-1920). Le couple
aura six enfants : Michel-Jean-Jacques-Paul-Urbain, né à Paris [VIe],
le 7 novembre 1872 ; Henri-Marc, né à Paris [VIe], le 9
décembre 1873 ; Jeanne-Constance-Berthe, née à Paris [VIe], le
28 octobre 1875 ; Geneviève-Thérèse, née à Paris [VIe], le 6
juillet 1877 ; Lucienne-Éva-Catherine-Émilie-Madeleine, née à Meudon [Hauts-de-Seine],
le 20 juillet 1884 ; Jacques-Michel, né à Paris [VIe], le 14
janvier 1886.
Engel et Fils, rue du Cherche-Midi (1871-1892)
La même année 1871, Jean Engel céda à son fils la direction nominale et financière de l’établissement, mais il ne se désintéressa jamais de la marche des affaires, qu’il surveilla et guida jusqu’à son dernier jour.
Michel Engel fit le voyage de Londres pour y
acquérir une nouvelle presse à balancier pour les tirages en noir-typo,
utilisable seulement pour le tirage des couvertures : c’est alors que son
père fit construire des balanciers à double effet.
De 1872 à 1889, Jean Engel fut membre du bureau de la Société de secours mutuels du quartier Notre-Dame-des-Champ s[VIe]. De 1876 à 1878, il fut membre des Comités d’admission, d’installation et du jury des récompenses, pour l’Exposition internationale de 1878. Il fut juré élu par les exposants pour l’Exposition des arts décoratifs, en 1882, et pour l’Exposition des sciences et arts industriels, en 1886, au Palais de l’industrie.
De 1886 à 1889, il fut membre patron du bureau de l’Association
philotechnique, fondée en 1848, où il fut professeur technique de reliure, les
cours ayant lieu 21 rue de Fleurus [VIe], à ses frais, deux fois par
semaine. Il fut juré nommé par l’administration pour l’Exposition des arts
décoratifs au Palais de l’industrie, en 1887, et pour l’Exposition
internationale de Bruxelles, en 1888. Il fut membre des Comités d’admission,
d’installation et du jury des récompenses, pour l’Exposition internationale du
centenaire, de 1886 à 1889.
Les plus hautes récompenses lui ont été dévolues
aux nombreuses expositions auxquelles il a pris part : médaille de bronze
en 1867, exposant pour la première fois à l’Exposition universelle à
Paris ; médaille d’or en 1869, à l’Exposition universelle à
Amsterdam ; première médaille [la plus haute récompense] en 1881, à
l’Exposition universelle à Melbourne ; médaille d’or en 1883, à
l’Exposition universelle à Amsterdam ; diplôme d’honneur en 1884, à
l’Exposition universelle à Nice ; diplôme d’honneur en 1885, à
l’Exposition universelle à Anvers ; hors concours [membre du jury] à
l’Exposition universelle de Paris (1878), à l’Exposition des arts décoratifs au
Palais de l’industrie (1882), à l’Exposition des sciences et arts industriels
au Palais de l’industrie (1886), à l’Exposition des arts décoratifs au Palais
de l’industrie (1887), à l’Exposition internationale de Bruxelles (1888) et à
l’Exposition internationale du centenaire (1889).
Revue des Deux Mondes. Supplément au numéro du 15 février 1893
« L’établissement de MM. ENGEL et fils, relieurs, a été
fondé en 1838 par M. Engel père.
Cette maison, qui occupe un personnel de 450
ouvriers et atteint un chiffre d’affaires de 1,100,000 francs environ, a su, l’une
des premières en France, créer la branche industrielle de la reliure et
rivaliser heureusement avec l’Angleterre et l’Amérique pour la production
rapide et économique des cartonnages d’étrennes, de classe et de prix, sans
négliger toutefois la reliure de bibliothèque, d’amateur et de luxe.
MM. Engel et fils possèdent trois ateliers
principaux différents, affectés chacun à une spécialité de la reliure :
rue du Cherche-Midi [91] s’effectuent les grands travaux pour éditeurs et imprimeurs ;
l’établissement de la rue de Vaugirard [120] est consacré à l’exécution des
travaux courants pour libraires, détaillants et commissionnaires ; enfin
la maison de la rue Dauphine [16] se spécialise dans la reliure de bibliothèque
et d’amateur.
Cette maison a déjà obtenu les récompenses
suivantes aux diverses Expositions : Paris, 1867, médaille de
bronze ; Anvers, 1885, diplôme d’honneur.
M. Engel père a été six fois membre du jury aux
diverses Expositions depuis les douze dernières années, dont deux fois aux
Expositions universelles de Paris (1878 et 1889). Il a été honoré en 1883 de la
croix de chevalier du Nicham Iftikar [sic], et en 1885 de la croix de l’ordre
royal du Cambodge.
La maison Engel a résolument abandonné toute
compétition sur le terrain de la reliure artistique, si brillamment représentée
par quelques-uns de ses confrères. Mais sur le terrain industriel et
commercial, sa supériorité n’est pas à contester. Les modèles qu’elle a créés
sont imités ou même reproduits partout, aussi bien à l’étranger qu’en France.
La description des diverses reliures qu’elle a exposées nous entraînerait trop loin, vu la multiplicité des articles. Citons cependant : ses tirages en métal et couleur qui ont été très avantageusement appréciés et dont nous avons trouvé des spécimens sur la couverture des ouvrages tels que : Suze et la Perse, les deux œuvres célèbres de M. et Mme Dieulafoy magistralement éditées par la maison Hachette ; les contes de Paul Arène ; l’Anthologie des poètes français et les autres publications d’étrennes de la librairie Alphonse Lemerre ;
les Environs de Paris, de la librairie
Quentin, etc.
Dans les modèles plus simples où l’emploi de l’or est harmonieusement souligné par de simples filets à froid, nous signalerons la série des volumes in-4° de la librairie Firmin-Didot et Cie :
Le XVIIe siècle, Le XVIIIe siècle, Le Directoire, de Paul Lacroix, Les
modes et costumes de Marie-Antoinette, etc.
Nous ne saurions passer sous silence, dans un
ordre de travaux plus modestes, ce petit Guide bleu du Figaro, si coquet, si
recherché, qui s’est relié à 200,000 exemplaires pendant la durée de
l’Exposition. »
(Choquet. Exposition
universelle internationale de 1889 à Paris. Rapports du jury international.
Paris, Imprimerie nationale, 1891, p. 162-163)
« Aujourd’hui comme à l’origine, l’objectif
spécial de la maison est la fabrication rapide, économique et élégante, de
reliures à grand nombre pour Éditeurs, Imprimeurs, Commissionnaires,
Exportateurs. Elle occupe dans ses trois établissements un personnel de 450 à
500 ouvriers, ouvrières et apprentis des deux sexes ; son chiffre
d’affaires atteint 1,200,000 francs par an ; son matériel comporte 26
presses à dorer et à imprimer, 5 presses hydrauliques, 12 coupe-papier, 15
étaux et rouleaux à endosser, 10 presses à percussion. Les dépenses de dessin
et de gravure, nécessitées par la confection des couvertures de livres pour les
prix et les étrennes, atteignent une moyenne annuelle de 25,000 francs. La
valeur de ce matériel dépassait un million au 1er janvier
dernier.
Dans la maison Engel se sont successivement
fondus les anciens établissements de reliure de MM. Schaeck, Vigneau, Pasquier,
Mouveau et Levesque, Smeers et Kaufmann. »
(Le Cercle de la Librairie de Paris à l’Exposition
du Livre. Catalogue. Paris, juillet 1890, p. 89-90)
Ève-Catherine Schaeck décéda à Sèvres
[Hauts-de-Seine], 21 rue des Binelles, le 20 mai 1890.
Par suite de la mort du relieur Germain-Frédéric-Guillaume Gayler, le 12 novembre 1890, à l’âge de 73 ans, époux de Alexandrine Hirou, directeur de la succursale de la ue Dauphine [anciennes maisons Isidore Smeers et Kaufmann réunies], consacrée à la reliure d’amateur et de luxe, cet atelier fut fermé le 1er janvier 1891.
En récompense des services rendus à l’art de la reliure, Jean Engel reçut la croix de chevalier de la Légion d’honneur, le 11 juillet 1891.
Le Monde illustré, 23 juillet 1892, p. 52. Photographie BnF |
Il se rendait tous les ans à Saint-Gervais-les-Bains
[Haute-Savoie], dont l’eau de source est riche en minéraux et oligo-éléments bénéfiques
pour l’arthrose : c’est là que le surprit la catastrophe du 12 juillet
1892, vers 1 heure et demie du matin. Son corps, retrouvé au milieu des ruines
amoncelées sous le limon charrié par les eaux, portant une chemise marquée
« J. E. », fut rapporté à Paris : ses obsèques eurent lieu le
lundi 18 juillet. Il fut inhumé au cimetière du Montparnasse.
« Cette maison, l’une des plus anciennes et des plus importantes qui existent, a été fondée en 1838 par Jean Engel père. Elle occupe actuellement plus de 500 ouvriers, répartis en deux usines. – Ces deux usines sont entièrement indépendantes l’une de l’autre, c’est-à-dire que tout travail entrepris par une usine y est achevé complètement ; chacune d’elles est mue par la vapeur et éclairée par l’électricité, qu’elle produit. Rue du Cherche-Midi, deux machines à vapeur, d’environ 100 chevaux, transmettent électriquement la force aux machines-outils. Ce dernier atelier, entièrement détruit par un incendie le 20 novembre 1901, reconstruit et réinstallé, a été remis en marche moins d’un an après le sinistre ; il est spécialement organisé en vue des gros travaux de reliure, qui sont une des spécialités de la maison.
C’est le plus récent et le mieux compris des
grands établissements similaires européens, tant au point de vue de
l’organisation du travail qu’au point de vue de l’hygiène. L’air et la lumière
y sont répandus à flots ; en hiver, des conduits de vapeur y maintiennent,
par les plus grands froids, une température de 16 degrés.
Le grand vaisseau central occupe un rectangle de
40 mètres sur 30 mètres, soit 1 200 mètres carrés de plain-pied ; le
sous-sol, qui a 4 mètres de hauteur, occupe la même surface ; deux
galeries superposées donnent ensemble un développement de 1 200 autres
mètres carrés, soit au total 3 600 mètres carrés d’ateliers et de magasins
réunis sous la même toiture, outre les cours et dépendances, écuries, remises,
moteurs, groupes électrogènes.
Les deux usines réunies possèdent 24 presses à
dorer mécaniques ; 10 presses à couleurs, 26 machines à coudre au fil de
lin, 8 machines à coudre au fil métallique, 17 massiquots, 13 presses
hydrauliques, etc. La production atteint, à certaines époques de l’année, le
chiffre de 800 000 cahiers cousus et reliés par jour.
Un atelier de gravure sur cuivre et un
dessinateur, installés dans la maison, entretiennent et augmentent sans cesse
le matériel de fers à dorer amassés depuis plus de soixante ans. On trouve
encore dans la maison un atelier de mécanique chargé de l’entretien des trois
moteurs à vapeur, des dynamos et des machines-outils, et aussi un atelier de
menuiserie. »
(« Michel Engel, relieur-doreur ». In Exposition de la librairie française, groupes 17 et 18. Saint-Louis, 1904)
Les établissements Engel fonctionnèrent rue du Cherche Midi jusque vers 1925, puis déménagèrent à Malakoff [Hauts-de-Seine], 148 route de Châtillon.
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