dimanche 8 décembre 2013

Le Dictionnaire bibliographique de Psaume

D’une famille de tanneurs exerçant à Commercy (Meuse), Étienne Psaume  y est né le 21 février 1769 :

« Etienne fils Légitime de Christophe Pseaume et de Catherine Marquant son Epouse de cette Paroisse y est né et a été baptisé le vingt un fevrier mil sept cent soixante neuf ; Il a eu pour parrein Etienne Marquant et pour marreine Marie Richard tous deux de cette Paroisse qui ont signé avec moi Curé de Commercy » [sic] (paroisse Saint-Pantaléon)

L’orthographe « Pseaume » est un lapsus calami commis par le prêtre de la paroisse, les membres de cette famille signant « Psaume » tout au long des xviiie et xixe siècles. Cette orthographe fautive fut parfois reprise par quelques auteurs, après la mort d’Étienne Psaume.



Commercy (Meuse)
Château du roi Stanislas


Destiné à l’état ecclésiastique – son patronyme semblait l’exiger –, Psaume reçut les ordres mineurs à Paris quand la Révolution éclata. Il s’enthousiasma alors pour les idées nouvelles et quitta son collège. Dans son entourage, on lui conserva le surnom d’ « abbé Psaume », d’autant qu’il prétendait être l’arrière-petit-neveu de Nicolas Psaume (1518-1575), évêque de Verdun. Ayant quelque facilité de plume, il publia son premier pamphlet, où il traite Louis XVI de « Néron moderne » : Réponse aux objections des monarchistes contre la possibilité d’une république en France (Paris, Rainville, 1792).

De retour dans sa ville natale, il fut appelé aux fonctions de procureur-syndic du district de Commercy. S’étant fait un grand nombre d’ennemis par la raideur de son caractère, il donna sa démission, resta quelque temps administrateur du même district, puis se déclara négociant.





Il avait épousé Jeanne-Claude Picquot, fille d’un vigneron de Boucq (Meurthe-et-Moselle), qui lui donna trois filles, Cornélie (12 prairial an II [31 mai 1794]), Catherine-Sophie (13 floréal an V [2 mai 1797]) et Victoire (7 frimaire an VII [27 novembre 1798]), avant de mourir prématurément le 24 messidor an IX [13 juillet 1801], à l’âge de 34 ans.

Psaume quitta alors son domicile de la rue des Capucins pour aller à Nancy, où il ouvrit une libraire et un cabinet de lecture, rue de la Douane [aujourd’hui rue Saint-Jean], avant de fonder en 1807 le Journal de la cour d’appel de la Meurthe, de la Meuse et des Vosges qui, bien que ne s’occupant pas de politique, fut interdit de publication dès l’année suivante, après 159 numéros.

« En ces temps, Psaume était libraire à Nancy, mais libraire d’une singulière espèce ; il ne pouvait se déterminer à vendre un bon ouvrage, il en avait toujours un extrême besoin comme faisant partie de sa bibliothèque réservée. Sous la restauration, je l’ai trouvé à Paris ; il était correcteur d’imprimerie à raison de 1 fr. 50 c. par feuille. Il était logé dans un vaste cabinet tout rempli de livres. Son matelas posait sur une tablette prolongée de sa bibliothèque, et lui servait de chaise. C’est assis à côté de lui que nous avons causé ; il écrivait sur une pile d’in-folios [sic], surmontée d’une planche. Cependant, il avait une chaise et une table ; la chaise portait sa garde-robe et la table des assiettes. Voilà un temple de bibliomane. Nous disons bibliomane et non bibliophile : le premier est passionné pour ce que contient [sic] les livres ; le second nous paraît plus curieux des raretés et des belles reliures. Le luxe était inconnu à Psaume. Nous ne nous souvenons pas d’avoir trouvé chez lui de ces magnifiques ou délicieuses reliures qui recouvrent souvent des livres sans mérite. » (Catalogue raisonné des collections lorraines de M. Noël. Nancy, chez l’auteur, 1850-1851, t. I, p. XI, note)    

Psaume retourna à Commercy, devint avocat et se remaria le 30 janvier 1809 avec la fille d’un avocat de Vaucouleurs (Meuse), Jeanne Lemoussu, de vingt ans sa cadette : elle lui donna une fille, Anne-Élisabeth-Stéphanie, dite « Élisa », le 14 décembre de la même année.
Après la Restauration, Psaume fit de fréquents voyages à Paris, tentant d’obtenir, en vain, la place de juge de paix de son canton. À Commercy, sa fille Cornélie épousa Pierre-Charles Simon, fils d’un notaire, marchand de bois et de vin, le 13 mars 1817. De son côté, brûlant d’une flamme adultère, Jeanne Lemoussu quitta son mari pour aller vivre à Pierrefitte (Meuse) : d’abord avec Jean-Claude Cabouat, marchand épicier, puis avec Alphonse-Nicolas Grandjean, un cousin, ancien aide-chirurgien major, chez lequel elle  accoucha d’un garçon  le 25 novembre 1819. Tandis que Psaume avalait la pilule – le divorce avait été aboli en 1816 –, les parents de Jeanne, désespérés par la conduite de leur fille, se suicidaient par noyade.

Appelé par le Journal du département de la Meurthe, qui traversait une crise, Psaume retourna à Nancy en 1820 pour relever le journal et revint à Commercy.
Femme battue par son mari, Cornélie fit son testament le 17 mai 1824, léguant à son père la moitié de son bien en usufruit et le chargeant de veiller à l’éducation de ses trois enfants nés à Commercy : Catherine-Stéphanie, née le 24 janvier 1818, Charles-Etienne, né le 29 mai 1819, et Sophie, née le 23 février 1821. Elle décéda le 28 mai suivant en son domicile de la rue Royale, à peine âgée de 30 ans.


La brouille survint alors entre le beau-père et son gendre Simon, lésé dans ses intérêts. En 1826, à la suite du quadruple incendie de sa maison, dont la cause restera inexpliquée, et de ses démêlés orageux avec l’adjoint au maire, Psaume résolut de quitter à nouveau Commercy, s’éloignant ainsi de sa fille excentrique, Élisa, et de son gendre. Désormais, il fit la navette entre Nancy et Commercy.




Le 22 mai 1828 à Pierrefitte, Élisa fut trainée de force à l’autel par sa mère, l’obligeant à épouser le fils de son amant, Étienne-Adolphe Cabouat, marchand épicier comme son père.





Le 27 octobre suivant, au retour des vendanges à Boucq, Psaume voulut rentrer à pied à Commercy, par la forêt du Hazois. Simon et Cabouat - ce dernier pressé d'hériter -, qui avaient résolu de tuer leur beau-père, le frappèrent à coups de gourdin et traînèrent son cadavre dans la forêt ; trois jours après, Simon revint sur les lieux pour récupérer la montre de son beau-père. Le cadavre de Psaume ne fut retrouvé que le 15 novembre, vers le milieu du jour, dans un taillis, à 30 mètres du chemin de Boucq à Aulnois-sous-Vertuzey (Meuse) ; il fut ramené à Sorcy-Saint-Martin (Meuse) et inhumé le lendemain dimanche :


Cimetière de Sorcy-Saint-Martin (Meuse)


« L’an dix huit cent vingt huit, le quinze novembre à six heures du soir ; Pardevant nous Maire, officier public de l’Etat civil de la Commune de Sorcy, Canton de Void, Département de la meuse ; sont comparus les sieurs françois fristeaux agé de quarante deux ans Marchand tanneur demeurant à Commercy, neveu par alliance, et George Esselin agé de trente un ans tanneur demeurant En la ditte Ville, neveu au décédé, lesquels nous ont déclaré que le sieur Etienne Pseaume agé de soixante ans, natif de Commercy, demeurant à Nancy, fils du deffunt Christophe Pseaume Et Catherine Marquant, Epoux de deffunte Victoire [i.e. Jeanne Claude] Picquot décédée à Commercy, Et en seconde noce de Jeanne Moussu sa survivante demeurante à Pierre-fitte, Est décédé, Est décédé [sic] le jour d’hier sur le territoire de Boucq dans la forest du hazois ; Et ont Lesdits déclarants signé avec nous le présent acte de Décès, après qu’il leur En a Eté fait Lecture. » [sic]      

Simon et Cabouat furent renvoyés devant la cour d’assises de la Meuse, à Saint-Mihiel, sous l’accusation d’assassinat. Les débats durèrent du 8 au 11 juillet 1829, au cours desquels 187 témoins déposèrent, tant à charge qu’à décharge. Après une heure et demie de délibérations, le jury déclara les deux accusés coupables. Ils furent condamnés à la peine capitale et guillotinés le 14 septembre 1829 à Saint-Mihiel.  








Cette fin tragique inspira un homme d’esprit, le sieur Brossais, receveur des contributions à Vaucouleurs, qui composa une Grande complainte tirée des journaux et des audiences de la cour d’assises de la Meuse, avec les portraits des deux criminels, sur l’horrible et épouvantable assassinat commis le 27 octobre de l’an 1828, dans la forêt dite Le Hazois, avec préméditation et de guet-apens, sur la personne de M. Étienne Pseaume [sic], en son vivant avocat et homme de lettres, demeurant à Commercy, département de la Meuse, imprimée en 1829 à Bar-le-Duc et à Nancy, qui fit probablement plus pour la célébrité de Psaume que ne le firent ses publications. 





Dans la forêt du Hazois, une croix a été dressée sur le lieu du crime, qui porte seulement : « Ici est décédé Etienne Psaume. Priez Dieu pour son âme. »    

Membre de la Société royale des Antiquaires de France et associé correspondant de l’Académie de Nancy, Psaume a été l’auteur de quelques pamphlets et éloges, a fourni beaucoup d’articles politiques ou littéraires aux journaux de la capitale, au Journal du département de la Meurthe, au Narrateur de la Meuse, première feuille périodique de Commercy fondée en 1804, etc. Il a collaboré à la Biographie moderne, ou Galerie historique, civile, militaire, politique et judiciaire (Paris, Alexis Eymery et Delaunay, 1815, 2 vol. in-8).





Il a surtout été l’auteur, anonyme, d’un Dictionnaire bibliographique, ou Nouveau Manuel du libraire et de l’amateur de livres (Paris, Ponthieu, 1824, 2 vol. in-8, 264-ij-264 et [4]-507-[1 bl.] p.) :

« Notre travail se compose de deux parties distinctes ; la première est un Essai sur la bibliographie, dans lequel nous donnons les notions élémentaires qui doivent entrer dans la sphère de cet art ; la seconde et la principale, contient un Dictionnaire bibliographique, dans lequel les livres tant anciens que modernes sont indiqués avec leur prix, et des notes sur les principales éditions qui en ont été faites, ainsi que sur le mérite littéraire de la plupart. » (t. I, p. vj)   

L’édition de cet ouvrage avait été très perturbée. Sa confection avait été commencée par le libraire Émile Babeuf, fils du fameux révolutionnaire Gracchus Babeuf. Mais, libéré en 1818 après avoir été emprisonné sous la seconde Restauration pour la publication du journal Le Nain tricolore, Babeuf fit faillite et alla mourir inconnu en Amérique. L’édition fut alors confiée au libraire Ulfrand Ponthieu qui tenait une des plus belles librairies du Palais-Royal. Mais, sous prétexte du temps perdu et du coût d’un trop gros manuel, Ponthieu fit remplacer de nombreux articles et notes par d’autres, tirés de la 3e édition du Manuel du libraire et de l’amateur de livres de Jacques-Charles Brunet (Paris, chez l’auteur, 1820, 4 vol. in-8).  

On trouve dans le Dictionnaire de Psaume des notes sévères pour certains écrivains dont il ne partageait pas les opinions. Ainsi, il écrit contre le vicomte Louis de Bonald (1754-1840), de l’Académie française, publiciste, théoricien du parti ultra :

« En général toutes les productions de ce ténébreux écrivain, que l’on a surnommé avec juste raison le Lycophron de la politique, n’ont eu un peu de vogue que parce que certains valets de plume de la tyrannie avaient fait autrefois à leur auteur un immense trousseau de réputation. Mais, comme toutes les choses humaines, ce trousseau commence à s’user et tombe même en lambeaux depuis que les théories du despotisme, si ingénieuses qu’elles puissent être, ne sont plus de mode, et parce que l’on sent enfin que la clarté dans le style doit être comptée pour quelque chose, et que l’obscurité dans les idées n’est pas toujours de la profondeur. » (t. I, p. 75)  

De même, contre le comte Antoine Ferrand (1751-1825), de l’Académie française, historien et homme politique partisan actif des Bourbons :

« Le même auteur a aussi publié plusieurs pamphlets politiques, imprégnés, comme tous ses autres ouvrages, d’un esprit de parti d’autant plus étonnant, et d’une intolérance d’autant moins pardonnable dans M. le comte Ferrand, qu’il a été le rédacteur de cette fameuse adresse du parlement de Paris au roi Louis XVI, pour presser la convocation des états-généraux, et qu’ayant ainsi contribué à rompre la digue du torrent de la révolution, il devrait se montrer un peu plus indulgent envers ceux qui n’ont pu résister à son impétuosité. » (t. I, p. 216-217)  

Ou encore, contre le comte Joseph de Maistre (1753-1821), écrivain et philosophe, catholique ultramontain et monarchiste :

« M. de Maistre a publié un traité du pape, qui n’a pu trouver d’apologistes que parmi quelques ultramontains exaltés. En général les ouvrages de cet écrivain sont écrits avec beaucoup de nerf, quoique parfois plus obscurs que profonds ; les partisans de la théocratie et du despotisme dans toute sa pureté en font surtout beaucoup de cas. » (t. II, p. 106)


Le Dictionnaire de Psaume n’est qu’une contrefaçon de la seconde édition du Nouveau Dictionnaire portatif de bibliographie (Paris, Fournier frères, 1809, in-4) de l’imprimeur François-Ignace Fournier (1778-1842). Ce dernier ouvrage n’est lui-même qu’un abrégé du Dictionnaire bibliographique, historique et critique des livres rares (Paris, Cailleau et fils, et Liège, Jean-Jacques Tutot, 1791, 3 vol. in-8) de l’imprimeur André-Charles Cailleau (1731-1798), dont un mystérieux abbé R. Duclos, bibliophile, avait composé la plus grande partie.

Ce qui semblait être de Psaume seul est l’ « Essai élémentaire sur la bibliographie », qui est en tête du tome premier et que Charles Nodier (1780-1844) a loué le 15 février 1834 dans le journal Le Temps :

« C’est une analyse bien faite de la science bibliographique, où il n’y a presque rien de nouveau à apprendre pour ceux qui ont appris, mais où rien d’essentiel n’est omis pour ceux qui apprennent. »




Mais cet « Essai » a été calqué sur l’ouvrage inachevé qu’avait publié Claude-François Achard (1751-1809), médecin, puis bibliothécaire de la ville de Marseille : Cours élémentaire de bibliographie, ou la Science du bibliothécaire (Marseille, impr. de Joseph Achard fils et Compagnie, 1806-1807, 3 vol. in-8).





En outre, cet « Essai » est suivi d’un « Appendice de l’Essai sur la bibliographie, Contenant une bibliographie spéciale et chronologique des principaux ouvrages sur l’imprimerie et la  bibliologie » (t. I, p. 216-264), qui est la reproduction de la bibliographie d’Antoine-François Delandine (1756-1820), bibliothécaire de la ville de Lyon, publiée dans son Histoire abrégée de l’imprimerie (Paris, Renouard, Lenormand et Maradan, et Lyon, s. d. [1814], in-8), à ceci près qu’elle ne commence qu’en 1541 et qu’elle est augmentée des ouvrages publiés de 1811 à 1822.

Plus tard, à propos du Manuel du bibliothécaire, accompagné de notes critiques, historiques et littéraires (Bruxelles, J. B. Tircher, 1834) du bibliographe belge Jean-Pie Namur (1804-1867), qui avoua en 1838 s’être servi des travaux de Étienne-Gabriel Peignot (1767-1849) et de Delandine, le bibliographe français Joseph-Marie Quérard (1796-1865) écrivit, dans Les Supercheries littéraires dévoilées (Paris, l’Éditeur, 1850, t. III, p. 313) :

« La bibliographie vit d’emprunts, mais l’emprunteur nomme toujours l’écrivain à qui il a des obligations ; celui qui s’en dispense est moins qu’un compilateur […]
Ce livre offre une particularité peut-être unique jusqu’à ce jour : c’est que rien n’appartient à l’auteur dont il porte le nom ; le titre même n’est pas de M. Namur ; il l’a trouvé page IX du “ Dictionnaire raisonné de bibliologie ” de G. Peignot, où on lit que cet ouvrage devait paraître sous le titre de “ Manuel du bibliothécaire ”. Préfaces, matières, notes et notules, tout s’est fait à coup de ciseaux,  et le bibliognoste Peignot peut revendiquer pour sa part les trois quarts du volume, et Psaume le reste. »

Dans ce labyrinthe d’auteurs, on pourrait ne plus savoir qui a fait quoi. C’est la démonstration, si elle était nécessaire, que les livres, et particulièrement les bibliographies, se font avec des livres.

Psaume avait réuni une des plus belles bibliothèques du département, qui contenait 14.000 volumes, parmi lesquels les publications politiques tenaient une large place, qu’il avait recueillis lors de la vente des livres des maisons religieuses de la province et sur les quais de la capitale. Elle fut vendue à la maison Silvestre, rue des Bons-Enfans, du 12 au 24 octobre 1829 : Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Pseaume [lire Psaume] (Paris, J. J. Techener, 1829, in-8, 147 p., 1.470 lots). Le principal acheteur fut Jacques-Joseph Techener (1802-1873), qui débutait alors dans la carrière de libraire.

   





















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