dimanche 29 juin 2014

Les Ex-Libris d’Aglaüs Bouvenne, monogrammophile



Aglaüs-Ernest Bouvenne [selon l’État-Civil – reconstitué – de Paris], et non pas Ernest-Gustave, dit « Aglaüs », Bouvenne [selon le témoignage de Maurice Tourneux (1849-1917)], est né à Paris, dans l’ancien IIe arrondissement [IXe], le 5 février 1829. Lui-même signait ses œuvres Ernest-Aglaüs, au début, puis Aglaüs Bouvenne.
Il suivit quelque temps les cours du Conservatoire de musique, puis passa dans l’atelier de l’artiste peintre Narcisse Diaz de la Peña (1807-1876), de l’École de Barbizon.



Peu après, il entra à l’imprimerie lithographique de Joseph Lemercier (1803-1887), installée dans un ancien jeu de paume, rue de Seine

                                                                                   
 


















[le sculpteur Antonin Moine (1796-1849) avait reproduit les traits de Joseph Lemercier dans l’une des figures de tritons qui décorent la fontaine des mers et la fontaine des fleuves de la place de la Concorde, inaugurées en 1840].

Il passa 31 ans à l’imprimerie Lemercier, chargé de surveiller les tirages des planches de tout genre qui s’y exécutaient. Le 8 octobre 1853, il épousa Adelphine-Bénédictine Decamps.
À ses rares heures de loisir il maniait volontiers le crayon lithographique ou la pointe de l’aquafortiste, et il reproduisait à petit nombre, pour sa satisfaction propre, diverses compositions de Delacroix ou de Corot ; le dimanche, il courait les quais dont les boîtes regorgeaient de brochures alors dédaignées. Il se forma ainsi une précieuse petite bibliothèque d’art et d’archéologie, et un petit musée de reliures armoriées que l’on rencontrait parfois encore à vil prix, ou qu’il échangeait contre d’autres curiosités.  

Membre des Sociétés archéologiques de Laon et de Soissons, puis de la Société française d’archéologie, il donna d’abord quelques contributions aux recherches archéologiques :

- Notice historique et archéologique sur le château et la ville de Château-Thierry (Paris, Parmentier, 1858), avec P.-J. Delbarre, membre de l’Institut des provinces et des Sociétés archéologiques de Laon et de Soissons.
- articles dans la Revue de l’art chrétien, recueil mensuel d’archéologie religieuse dirigé par l’abbé Jules Corblet (1819-1886), de la Société impériale des Antiquaires de France : « Piscine de l’église d’Ahun (Creuse) » (4e année, 1860, t. IV), 



« Ruines de l’église Saint-Hippolyte à Paris » (5e année, 1861, t. V), « La Lanterne des Morts de Felletin » (8e année, 1864, t. VIII), « Sainte-Wilgeforte » (10e année, 1866, t. X), « Poisson en cristal de roche, provenant des Catacombes » (12e année, 1868, t. XII).




Il ne négligeait pas de prendre un peu partout l’empreinte ou le dessin de monogrammes dont il tira les matériaux pour Les Monogrammes historiques d’après les monuments originaux (Paris, Académies des bibliophiles, 1870), qu’il dédia « A mon père 1798-1864 », tiré à 500 exemplaires sur vergé, 10 sur Chine et 2 sur chamois : quelques erreurs d’interprétation y ont été signalées (L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, LXIIe volume, 10 décembre 1910, col. 841-842). 


Les Monogrammes historiques : bandeau (p. I)



À l’occasion de cette édition, Bouvenne composa et grava un monogramme qu’il utilisa pour ses en-têtes de lettres.   

Le 8 avril 1872, il fonda avec Alexis Martin (1834-1904), historiographe et poète, la Société des Éclectiques, dont le nombre des membres n’excéda pas 25, qui avait pour but de venir en aide aux artistes en difficulté et qui poursuivit ses activités jusqu’en 1902.


Dîner du 14 mai 1894 : eau-forte du Dr Paul Gachet, dit Paul van Ryssel
Les dîners avaient lieu le 1er dimanche de chaque mois dans différents restaurants (Deluc, rue de Seine ; Lafitte, rue Taranne ; Deshays, rue de Saint-Mandé), ou parfois, au printemps et en été, dans les jardins et bosquets de la banlieue, souvent immortalisés par une gravure de l’un des membres, parmi lesquels il y avait


Dîner du 5 octobre 1874 : eau-forte du Dr Paul Gachet, dit Paul van Ryssel

le Docteur Paul Gachet (1828-1905), le sculpteur Emile Guillemin (1841-1907), le journaliste écrivain Ernest d’Hervilly (1838-1911), Charles Asselineau (1820-1874), l’illustrateur Félix Régamey (1844-1907), le graveur Alphonse Leroy (1820-1902), Achille Ricourt (1797-1879), directeur de L’Artiste, l’artiste peintre Eva Gonzalès (1849-1883), l’artiste peintre et graveur Edmond Morin (1824-1882), l’archéologue et lithographe Charles Fichot (1817-1904), l’historien de l’art Maurice Tourneux (1849-1917), etc.
La Société des Eclectiques a publié deux ouvrages : Almanach fantaisiste pour 1882 (Paris, A. Lemerre, s. d. [1881], petit in-8, 195 ex.) et Almanach du vieux Paris pour 1884 (Paris, A. Lemerre, s. d. [1883], petit in-8, 195 ex.).   

Bouvenne orienta ses recherches vers l’art moderne et publia :


Catalogue de l’œuvre gravé et lithographié de R. P. Bonington (Paris, J. Baur, 1873), avec un portrait gravé par Alfred-Alexandre Delauney et plusieurs fac-similés ;





Victor Hugo, ses portraits et ses charges (Paris, J. Baur, 1879), Catalogue de l’œuvre lithographié et gravé de A. de Lemud (Paris, J. Baur, 1881),




Notes et souvenirs sur Charles Meryon (Paris, Charavay frères, 1883, 335 ex.), Théodore Chassériau, souvenirs et indiscrétions (Paris, A. Detaille, s. d. [1884], 115 ex.), premier livre consacré à l’artiste, Le Peintre Émile Garbet (Paris, E. Sagot, 1890),



« Catalogue des pièces gravées de Rodolphe Bresdin » (L’Estampe moderne, 1895-1896).

L’un des premiers, Bouvenne s’avisa de détacher des plats intérieurs des livres qui passèrent par ses mains ces vignettes auxquelles nul alors n’attachait quelque valeur et il se constitua ainsi une collection de plus de 3.600 ex-libris. Cette collection a puissamment aidé Auguste Poulet-Malassis (1825-1878) pour Les Ex-Libris français depuis leur origine jusqu’à nos jours (Paris, P. Rouquette, 1874). Il fut à l’origine de la Société française des Collectionneurs d’ex-libris, fondée le 30 avril 1893, après celles de Londres (1891) et de Berlin (1892).



Félix Bracquemond (1833-1914) lui grava son ex-libris en 1875.



Il a gravé des ex-libris pour lui-même, en 1896, pour ses amis, pour quelques femmes artistes ou lettrées, et pour deux des maîtres qu’il révérait le plus, Victor Hugo et Théophile Gautier, bien que ni l’un ni l’autre ne fussent bibliophiles.
La plupart des 33 ex-libris gravés par Bouvenne portent les monogrammes de leurs possesseurs :



Charles Asselineau,



Arthur Benoît (1828-1898)[daté 1883], Paul Beuve [d’après un dessin d’Alfred Le Petit (1841-1910)],



Édouard Castillon [daté 1882],




Louis Chanut [daté 1899 ; la banderole porte « Ex-libris [chat] nu [lettre de l'alphabet grec] »],



François Coppée (1842-1908),



Paul Cordier,



Jules Cousin (1830-1899),



Louis Delatre (1815-1893),



Alexis Martin (1834-1904) [daté 1868],




la Comtesse de Noé [belle-sœur du caricaturiste Cham ; daté 1888],




Alice Ozy (1820-1893) [daté 1884], Léon Sapin (1839-1905) [signé « Aglaüs Bouvenne sc. à l’ami L. Sapin »],



Maurice Tourneux [daté 1871],



Octave Uzanne (1851-1931) [daté 1882], L. West [daté 1876], etc.
 
Pour Jules Husson, dit « Champfleury » (1821-1889), Bouvenne grava 3 ex-libris, dont l’inspiration est la même.



Le premier est anonyme et sans signature : paysage au fond duquel on distingue la cathédrale et la silhouette de la ville de Laon ; un champ fleuri occupe le premier plan et un miroir portant le mot « veritas », pour symboliser le réalisme de l’auteur, est posé au bord d’un chemin, sur lequel on lit « fais ce que dois » ;



un second état de cette même pièce porte le nom du graveur et, à la place de la devise effacée, les mots « Ex libris Champfleury ».




Le deuxième porte, après la signature de Bouvenne, la date de 1874 ; le champ fleuri a poussé, comme la célébrité de celui qu’il représente ; il occupe la plus grande partie du sujet et la cathédrale s’efface à l’horizon.


Dans le troisième, le champ occupe tout l’ex-libris, les fleurs sont largement épanouies et la cathédrale a complètement disparu ; l’indication « Ex libris Champfleury » ne traîne plus dans la poussière du chemin, elle est montée dans le ciel. 



L’ex-libris de Théophile Gautier (1811-1872) porte un monogramme au-dessus d’un grand scarabée égyptien fourni par Le Roman de la momie. Daté de l’année de la mort de l’écrivain, il ne figure que sur un petit nombre de ses livres.



Celui de Victor Hugo (1802-1885) montre Notre-Dame de Paris dans la nuit ayant, en avant, le monogramme Hugo, et sur le sillon d’un éclair, l’inscription « Ex libris Victor Hugo ». Il inspira à Auguste Vacquerie (1819-1895), dont le frère Charles épousa Léopoldine, fille du poète,  le vers fameux « Les tours de Notre-Dame étaient l’H de son nom » (Mes premières années de Paris. Paris, Michel Lévy frères, 1872, livre I, III, « À Paul M. », p. 12). Cet ex-libris, qui porte la date de 1870, n’a probablement jamais servi. 



Celui de Mario Proth, attribué par la plupart des auteurs à Bouvenne, a été composé et gravé par Félix Bracquemond.


Les exigences de la vie matérielle avaient contraint Bouvenne à se défaire de ses livres armoriés et de quelques autres raretés le 22 janvier 1876 : Catalogue de la bibliothèque de M. Aglaüs Bouvenne (Paris, A. Voisin, 1875, in-8, 28 p.). D’autres livres joints à ceux d’un bibliophile anonyme furent vendus du 25 au 28 novembre 1891 : Catalogue de la bibliothèque de M. Aglaüs Bouvenne (Paris, Léon Sapin, 1891, in-8, 104 p., 900 lots).
Aglaüs Bouvenne décéda à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) le 12 décembre 1903, à l’âge de 74 ans. 

dimanche 22 juin 2014

Chastre de Cangé, amateur d’histoire curieuse et de littérature érotique

Jean-Pierre-Gilbert Imbert Chastre, né vers 1680, était le fils aîné de Pierre Imbert Chastre (1654-1739), apothicaire, premier valet de chambre du duc Philippe d’Orléans (1674-1723), et d’Henriette Prieur († 1735), première femme de chambre de Marie-Françoise de Bourbon (1677-1749), duchesse d’Orléans.
En 1723, il occupa les fonctions de maire de Tours, qu’il conserva jusqu’en 1727, quand il fut pourvu de la charge de commissaire des guerres, en remplacement de Charles-Pierre Galland, décédé. Ce fut à partir de 1723 qu’il abandonna le nom usuel de ses parents, « Imbert », pour ajouter une particule à son patronyme et l’enrichir d’un nom de terre :

c’est lui – « J. D. C. E. S. D. C. » [Jean De Chastre Ecuyer Seigneur De Cangé] – le dédicataire de Les Œuvres de Jean Marot (Paris, Antoine Urbain Coustelier, 1723).
Jean-Pierre-Gilbert de Chastre, seigneur de Cangé (commune de Saint-Avertin, Indre-et-Loire), avait également été premier valet de chambre du duc d’Orléans, succédant sans doute à son père dans cette charge, et le 28 novembre 1735, il fut nommé premier valet de chambre du Roi, en place du sieur Binet, démissionnaire.



Il mourut le 11 ou le 12 novembre 1746, et sa veuve vendit presque aussitôt après le château de Cangé. Après avoir été ravagé par un incendie en 1978, le château fut restauré et accueillit en 2012 la Médiathèque de la ville de Saint-Avertin.

Cangé avait réuni une assez riche bibliothèque, dont nous possédons le catalogue imprimé, rédigé par



Claude Gros de Boze : Catalogue des livres du cabinet de M *** (Paris, Jacques Guérin, 1733, in-12, [1]-[1 bl.]-[2]-xij-450 p., 300 ex.), avec un « Ordre des divisions » de 12 pages et où les livres n’étant pas numérotés, les renvois se font aux pages. L’ « Avertissement » est sans ambiguïté :

« Il est bien plus aisé de faire une Bibliothéque, même nombreuse, que de former un bon Cabinet de Livres, en quelque genre que ce soit.
Il suffit aujourd’hui, pour remplir le premier objet, d’acheter une quantité considérable de Volumes différens, […]. Au contraire, le seul dessein de former un bon Cabinet, soit d’histoire, soit de littérature, ancienne ou moderne, suppose déjà des connoissances ; il demande des recherches continuelles, & on ne sçauroit l’exécuter qu’avec des soins infinis& un bonheur presqu’égal. […]
Tel est le Cabinet dont on donne ici le Catalogue. Formé par le travail assidu d’un grand nombre d’années ; on n’a rien épargné, & on a été assez heureux pour y rassembler, presque tout ce que notre Histoire & notre Poësie, notre Littérature et nos aménitez françoises, ont de plus singuliers. Son acquisition en entier devroit faire un extrême plaisir à quiconque pourroit former le projet d’un semblable Recueil, & ce seroit une grande consolation pour celui qui y étoit parvenu, que de le voir passer sans démembrement en des mains capables d’en faire usage. […] »

Le cabinet de Cangé fut acquis le 30 juillet 1733 par la Bibliothèque du Roi. Le 21 novembre 1733, l’abbé Claude Sallier (1685-1761), garde des imprimés de la Bibliothèque du Roi, écrivit au comte de Maurepas (1701-1781), secrétaire d’État à la Maison du Roi, à la Marine et aux Colonies, pour lui rendre compte des dispositions qu’il avait prises à l’égard des livres de Cangé :

« Après avoir manié plusieurs fois pendant ces deux derniers mois le cabinet que le roy a acquis de M. de Cangé, j’ay l’honneur de vous rendre compte des arrangements que j’ay pris, que je soumets à votre jugement et sur lesquels j’attends vos ordres. J’ay fait le recollement du cabinet […]. Après ce recollement j’ay séparé les manuscripts d’avec les imprimés. Le catalogue ne marquoit que 120 manuscripts et j’en ay tiré 158 auxquels il faut joindre les 12 plus considérables dont, après la conclusion du marché, M. de Cangé s’est dessaisi en faveur de la Bibliothèque du roy, ce qui fait 170 volumes. J’ay mis ensuite à part les livres in-f° au nombre de 597 et les in-4° au nombre de 1.171. L’examen fait, j’ay gardé 126 in-f° et 571 in-4° qui manquent à la Bibliothèque du roy. J’ay changé 80 volumes de la Bibliothèque savoir 28 in-f° et 52 in-4° contre les exemplaires des mêmes ouvrages trouvés dans le cabinet de M. de Cangé et qui valoient plus que ceux du roy en raison de la relieure ou des additions de pièces qui y étoient jointes. J’ay tiré ensuite 234 volumes qui sont effectivement doubles et de moindre valeur que les semblables qui se trouvent à la Bibliothèque ; par conséquent sur plus de 6.500 volumes qui composent le cabinet de M. de Cangé, on peut dès aujourd’huy vendre ces 1.300 volumes pour avancer le payement de M. de Cangé. »

La collection était donc composée de 170 manuscrits et d’environ 6.500 volumes imprimés. 5.200 d’entre eux environ sont entrés à la Bibliothèque du Roi, le reste ayant été vendu comme doubles afin d’aider à régler ce qui était dû à Cangé. L’achat s’est effectué en trois règlements : 14.800 livres à l’acquisition, 11.000 livres à la vente des doubles à un libraire et 14.200 livres pour solde du compte : au total 40.000 livres, somme modique en période de flambée des prix dans les ventes publiques de livres, depuis 1720-1725.
Le titre du catalogue fut réimprimé après que la bibliothèque eut été vendue – Catalogue des livres du cabinet de M. de Cangé acheté par le roy au mois de Juillet 1733 – et on y ajouta une « Notice de quelques manuscrits d’élite qui n’étaient pas compris dans le catalogue », un seul feuillet contenant les 12 manuscrits qui n’étaient pas compris dans le catalogue.

Contrairement à ce que le classement, dit « des libraires de Paris », pourrait faire croire, le cabinet de Cangé n’est pas une bibliothèque encyclopédique : théologie (24 p.), jurisprudence (5 p.), belles-lettres (112 p.), sciences et arts (24 p.) et histoire (272 p.). 88 % des livres appartiennent donc aux classes de l’histoire (62 %) et des belles-lettres (26 %).
La classe de l’histoire est dominée par les ouvrages d’histoire ecclésiastique et civile des provinces de France (p. 334-407) et d’histoire des règnes des rois de France (p. 215-264) ; on y trouve aussi sept titres concernant la papesse Jeanne (p. 178-179) :



-Erreur populaire de la Papesse Jeanne. 1588, in-12.




-L’Antipapesse, ou Erreur populaire de la Papesse Jeanne, par Florimond de Raemond. Cambray, 1613, in-8.
-Johanna Papissa toti orbi manifestata, adversus scripta Rob. Bellarmini, Caes. Baronii, Florimundi Raemundi.Oppenheim, 1619, in-8.
-La Papesse Jeanne, ou Dialogue entre un Protestant & un Papiste, prouvant qu’une femme nommée Jeanne a été Pape de Rome, par Alexandre Cooke, & trad. en François, par J. de la Montagne. Sedan, 1633, in-8.
-Familier éclaircissement de la question, si une femme a été assise au Siege papal de Rome, entre Leon IV & Benoist III par David Blondel. Amsterd., 1649, in-12.
-Traité contre l’éclaircissement donné par M. Blondel sur la Papesse Jeanne ; par le Sr. Congnard. Saumur, 1655, in-8.



-Histoire de la Papesse Jeanne, tirée de la Dissertation Latine de M. de Spanheim, par l’Enfant. La Haye, 1720, 2 vol. in-12.



La classe des belles-lettres est dominée par les livres des poètes français (p. 47-88)



Symphorien Champier. Les Gestes ensemble la Vie du preulx chevalier Bayard.
Lyon, impr. Gilbert de Villiers, 1525.

et les romans (90-115) ;









on y trouve aussi un grand nombre de traités concernant l’amour et les femmes (p. 128-134).




Cangé avait joué un rôle essentiel dans l’édition de Les Amours pastorales de Daphnis et de Chloé, dite « édition du Régent », traduction du grec de Longus, par Jacques Amyot (Paris, Quillau, 1718, pet. in-8, [2]-12-164 p.), frontispice d’après un dessin de Antoine Coypel (1661-1722) et 28 figures gravées par Benoît Audran (1661-1721), d’après les dessins du Régent.



La 29e gravure, intitulée « Conclusion du roman », et connue aussi sous le nom des « Petits Pieds », n’ayant été donnée qu’après coup, ne se trouve pas dans les anciens exemplaires. Des 250 exemplaires de cette édition réservée à une distribution dans l’entourage du duc, 52 restèrent entre les mains de Cangé, qui garda en outre dans son cabinet un exemplaire en maroquin rouge du Levant, riche dentelle, tabis, tranches dorées [Bozerian] enrichi :
-          Un portrait d’Amyot, par Le Mire, avant la lettre.
-          Le dessin original, à la plume, de la gravure dite « Les Petits Pieds », par le Régent.
-          Un autre dessin du même sujet, avec quelques différences, exécuté également à la plume par Massé.
-          L’eau-forte de la gravure faite par le comte de Caylus en 1728, avec une contre-épreuve. Cangé a écrit derrière l’eau-forte : « S. A. R. ne voulut pas permettre que l’on gravât l’estampe suivante. »
-          Une autre gravure du même sujet, qui n’a jamais été publiée.
-          Un feuillet in-4 autographe du Régent, contenant le premier projet des gravures qu’il voulait ajouter à son édition, et qu’il n’a pas exécutées toutes. On lit derrière le feuillet ces mots de la main de Cangé : « Projet écrit de la main de S. A. R. l’an 1712. »
Cangé a mis sa signature et quelques notes bibliographiques sur cet exemplaire, dont les marges sont chargées de notes critiques du savant Antoine Lancelot qui en a fait usage dans l’édition de 1731.
Cet exemplaire a été payé 301 fr. par Étienne-Alexandre-Jacques Anisson-Duperron à la vente de Cangé de Billy, en 1784 [catalogue remarquable par les 52 exemplaires du Daphnis et Chloé de 1718, en feuilles, qui furent vendus]. Il a été porté à 32.500 livres [en assignats], à la vente Anisson-Duperron, en 1795 ; ensuite 305 fr. à la vente d’Ourches (n° 985), en 1811 ; 262 fr. à la vente Pixerécourt (n° 1.171), le 29 janvier 1739 ; £ 42 [1.155 fr.] à la vente du baron Taylor (n° 1.972), à Londres, en 1853 ; 655 fr. à la vente Le Hon (n° 126), en 1854 ; et en dernier lieu, le duc d’Aumale s’en est rendu acquéreur chez Morgand et Fatout, en 1877.   

La plupart des livres de Cangé avaient été acquis entre 1717 et 1729, en particulier aux ventes de Nicolas-Joseph Foucault en 1719, de René-François marquis de La Vieuville en 1720, du château d’Anet en 1724, de Cisternay du Fay en 1725 et de Michel Brochard en 1729.

Cangé avait encore réuni une collection de 89 volumes in-folio de documents, imprimés ou copies manuscrites, sur l’administration militaire, qu’il garda jusqu’à sa mort. Ils contiennent une quinzaine de lettres à lui adressées, ou de mémoires émanés de lui : on y trouve la trace des diverses fonctions qu’il occupa, comme secrétaire des commandements du duc d’Orléans, comme négociateur à Rastadt de son mariage avec la princesse de Bade, comme valet de garde-robe du Roi. Cangé y inséra, sans doute à cause de son gendre Claude Gros de Boze, un nombre assez considérable de planches concernant l’histoire métallique du règne de Louis XIV.



A.-P.-F. Chastre de Cangé de Billy (par J.-Baptiste Perronneau, 1773)

Son fils, Armand-Pierre-François Chastre de Cangé, sieur de Billy († 1784), premier valet de la garde-robe du Roi, les offrit à Louis XV, qui en ordonna le dépôt dans sa Bibliothèque en février 1751.