samedi 23 mai 2020

Damase Jouaust (1834-1893), l’éditeur des bibliophiles

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Rue Saint-Michel, Rennes

Famille de marchands aux XVIIe et XVIIIe siècles, les Jouaust ont vécu à Rennes [Ille-et-Vilaine], sur les paroisses contiguës de Saint-Germain – rue Haute [rue de Saint-Malo] - et de Saint-Aubin - rue Saint-Michel.

D’abord marchand comme ses ancêtres, Marin-Anne-Jacques-Xavier Jouaust (1765-1812) finit son existence comme contrôleur des Postes aux lettres. 


Son fils Jacques-Charles Jouaust, né rue Saint-Michel à Rennes, le 16 prairial An IX [5 juin 1801], devint imprimeur en caractères à Paris, où il fut associé, dès 1826, avec Alexandre-Joseph-Eugène Guiraudet (1792-1860), breveté le 27 mars 1820, 315 rue Saint-Honoré [Ier], vis-à-vis l’église Saint-Roch :

« M. Casimir Périer a déposé hier à la chambre des députés trois pétitions contre le projet de loi sur la presse : l’une des ouvriers de l’imprimerie de MM. Guiraudet et Jouaust, l’autre des ouvriers de M. Smith, la troisième des ouvriers des ateliers d’assemblage, satinage et brochure de M. Barba fils. »
(Le Constitutionnel, jeudi 11 janvier 1827, p. 3)


Jacques-Charles Jouaust épousa Damasine-Joseph Préseau, née hors mariage à Beaufort [Nord], le 15 ventôse An XII [6 mars 1804], marchande de modes, qui lui donna deux fils : Damase, le 25 mai 1834, et Émile, le 19 avril 1837.
L’Imprimerie Guiraudet et Jouaust déménagea en 1851 au 338 rue Saint-Honoré. Ce fut elle qui, de 1854 à 1857, imprima les ouvrages composant la « Bibliothèque elzévirienne » de Pierre Jannet (1820-1870). Le 23 juillet 1858, Jacques-Charles Jouaust fut breveté, en remplacement de Guiraudet, démissionnaire. Il mourut en son domicile, 51 rue Argenteuil [Ier], le 19 décembre 1864. Sa veuve lui survécut jusqu’au 7 février 1891, quand elle décéda en son domicile du 12 rue Saint-Hyacinthe [Ier]. Ils furent tous deux inhumés au cimetière de Montmartre [27e division].

Damase Jouaust
In Le Panthéon de l'Industrie, 19 mai 1878
Damase Jouaust rejoignit l’atelier paternel quand il eut terminé ses études au collège Bourbon [lycée Condorcet, IXe] et obtenu sa licence en droit : il y fut initié aux premières notions de l’art typographique par Jules Petit, prote de la maison Jouaust depuis 1832.  
Damase Jouaust fit ses premières armes, sous le pseudonyme « E. Jouot », dans le journal Le Théâtre, dont le rédacteur en chef était Louis Herlem. Le 23 août 1864, à Paris [IIe], il épousa Marie-Alexandrine-Sara Fortin, née à Paris le 18 mai 1839, fille de Charles-Frédéric Fortin (1806-1878) et de Alexandrine Prestat (1815-1886), marchands de dentelles, 11 rue des Filles-Saint-Thomas [IIe], maison où est mort Brillat-Savarin (1755-1826), auteur de La Physiologie du goût. Le jeune couple aura quatre enfants : Charles-Marie-Frédéric, le 7 décembre 1865, Alexandre-Edmond-Charles, le 21 février 1867, et Marie-Joséphine-Amélie-Laure, le 24 mai 1869, nés 36 rue Saint-Marc [IIe] ; Frédéric-Marie-Joseph-Maurice, le 3 août 1877, né 3 rue David [XVIe]. Frappé deux fois dans son affection paternelle par la perte de deux jeunes fils, en 1868 et en 1874, Damase Jouaust s’isola pendant plusieurs années et se réfugia dans le travail.

En 1865, Damase Jouaust succéda à son père décédé. Amoureux passionné de littérature, il était né pour être éditeur :  


le 20 octobre 1866, il acheva d’imprimer pour Alphonse Lemerre, libraire-éditeur 47 passage Choiseul, le premier livre de Verlaine, les Poèmes saturniens (in-12, couverture datée 1867).
De 1866 à 1870, il imprima la plupart des publications de l’Académie des Bibliophiles, dont toutes les premières qui parurent en 1866 : 


Photographies BnF
De la bibliomanie, par Bollioud-Mermet [2e édition de la réimpression] (in-16) ; Salluste. Lettres à César (in-32) ; La Seizième Joye de mariage (in-16) ; Testament politique du duc de Lorraine (in-18) ; Jean Second. Les Baisers (in-32) ; La Semonce faicte à Paris des coquus en may Vc xxxv (in-8) ; Noms des curieux de Paris (in-18) ; Les Deux Testaments de Villon, suivis du Bancquet du boys (pet. in-8). L’Académie des Bibliophiles avait été fondée par des bibliothécaires : Paul Chéron (1819-1881), de la Bibliothèque impériale ; Lorédan Larchey (1831-1902), de la Bibliothèque Mazarine ; Jules Cousin (1830-1899) et Anatole de Montaiglon (1824-1895), de la Bibliothèque de l’Arsenal ; Louis Lacour (1832-1891), de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. 


En 1869, sa maison d’édition était créée sous le nom de « Librairie des Bibliophiles » : 



il prit comme marque une ancre marine, surmontée de la devise « OCCVPA PORTVM » [tiens le port].
Il voulut publier des livres qui soient en même temps de véritables objets d’art. Pour ce faire, il fit graver de nouveaux caractères elzéviriens, employa des fleurons et des lettres ornées, pour donner plus de clarté aux divisions d’un ouvrage, et du papier vergé ou papier à la forme, pour lui assurer une durée illimitée. Il agrémenta ses publications par la gravure à l’eau-forte, la préférant à la gravure sur bois, bien que moins coûteuse, et à la gravure au burin, dont le prix était presque inabordable pour les éditeurs : 

Photographie Les Libraires associés
son premier ouvrage contenant des eaux-fortes fut Les Sept Journées de la reine de Navarre, suivies de la huitième (1872, 8 fascicules in-16, 9 planches à l’eau-forte par Flameng). Il écrivait souvent lui-même les notices et les notes de ses éditions. Il fut un des premiers à user du catalogue imprimé au nom du libraire : « Nous livrons à tous les libraires, au prix de 5 francs par cent, et par quantités de cent au moins, des exemplaires de notre catalogue imprimés à leur nom. Sur leur demande, la dsrnière [sic] page de notre catalogne [sic] pourra être remplacée par l’annonce de leurs publications personnelles, dont ils devront payer en plus la composition. » (Catalogue de la Librairie des Bibliophiles, mai 1878, p. 32). Il publia un Courrier trimestriel de la Librairie des Bibliophiles, envoyé gratuitement sur demande.

Souhaitant rendre accessibles à un plus grand nombre d’amateurs ses éditions de bibliophiles, Damase Jouaust créa plusieurs collections, pour tous les goûts et pour toutes les bourses [les tirages sont variables et les indications les concernant sont souvent imprécises] :    

Les « Romans classiques du XVIIIe siècle ». Collection complète en 6 vol. gr. in-8 (1867-1873) : Manon Lescaut, par l’abbé Prévost (1867) ; Le Diable boiteux, par Le Sage (1868) ; Paul et Virginie (1869) ; Candide ou l’optimisme (1869, portrait de Voltaire gravé à l’eau-forte) ; 


Histoire de Gil Blas de Santillane (1873, 2 vol., portrait de Lesage gravé à l’eau-forte par A. Nargeot d’après Guélard). 

Les « Classiques français ». Collection complète en 18 vol. in-8 (1867-1877), divisée en 2 séries : la première commencée par l’Académie des Bibliophiles et terminée par Jouaust ; la seconde entièrement publiée par Jouaust. 

Photographie B.M. Bordeaux
Les Essais de Montaigne (1873-1875, 4 vol., portrait gravé à l’eau-forte par Gaucherel). Œuvres de François Villon (1877).

Le « Cabinet du bibliophile ». Collection pour les amateurs de raretés et de curiosités littéraires, complète en 38 vol. in-16 elzévirien (1868-1890) : 


de Le Premier Texte de La Bruyère (1868) à Les Lunettes des princes (1890).

La « Collection bijou ». Collection d’éditions de luxe ornées de gravures, complète en 8 vol. in-16 (1872-1889), avec couvertures parcheminées ornées d’un fleuron tiré en couleur et texte encadré d’un filet rouge :  Daphnis et Chloé (1872, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Flameng, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Rouget et Sargent, couv. impr. en or et bleu), Paul et Virginie (1875, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Flameng, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Rouget et Sargent, couv. impr. en violet et or), Atala ou les Amours de deux sauvages, suivi de René (1877, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Boutelié, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Rouget et Sargent, couv. impr. en vert et or), Psyché (1880, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Boutelié, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Sargent, couv. impr. en bleu et or), Aminte (1882, compositions de Victor Ranvier gravées à l’eau-forte par Champollion, dessins de H. Giacomelli gravés sur bois par Méaulle, couv. impr. en bleu et or), Poésies de Anacréon (1885, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Champollion, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Rouget, couv. impr. en bleu et or), Idylles de Théocrite (1888, compositions d’Émile Lévy gravées à l’eau-forte par Champollion, dessins de Giacomelli gravés sur bois par Berveiller, couv. impr. en bleu et or), 


L’Orestie (1889, dessins de Rochegrosse gravés à l’eau-forte par Champollion, couv. impr. en bleu et or).

La « Petite bibliothèque artistique ». Collection d’éditions de luxe in-16 ornées de gravures, complète en 110 vol. in-16 (1872-1890) : de Les Sept Journées de la reine de Navarre, suivies de la huitième (1872, 8 fascicules, 9 planches à l’eau-forte par Flameng, couv. impr. en rouge et bleu) 

Photographie Pierre Osik
aux Mémoires de Madame de Staal-de Launay (1890, 2 vol., 41 eaux-fortes par Lalauze, couv. impr. en bistre et bleu).

« Les Petits Chefs-d’œuvre ». Collection qui s’adresse au plus grand nombre d’acheteurs, complète en 55 vol. in-16 (1872-1891), avec des couvertures vertes : de Voyage autour de ma chambre (1872) 

Photographie Librairie Le Feu follet

aux Œuvres choisies du chevalier de Bonnard (1891).

Les « Grandes publications artistiques ». Collection d’éditions de luxe gr. in-8, ornées de gravures. 



Fables de La Fontaine (1873, 2 vol., 12 dessins originaux reproduits par l’héliogravure ou gravés à l’eau-forte au choix des amateurs et 1 portrait de La Fontaine par Flameng), édition dite « des douze peintres » ; 



Les Quatre Livres de l’Imitation de Jésus-Christ (1875, dessins de Henri Lévy gravés à l’eau-forte par Waltner) ; 



Théâtre complet de J. B. Poquelin de Molière (1876-1883, 8 vol., dessins de Louis Leloir gravés à l’eau-forte par Flameng).  

« Les Conteurs français ». Collection complète en 10 vol. in-8 écu (1874-1883) : Œuvres du seigneur de Cholières (1879, 2 vol.), 


Nouvelles récréations et joyeux devis de B. Des Périers, suivis du Cymbalum Mundi (1874, 2 vol.), Contes et discours d’Eutrapel (1875, 2 vol.), L’Heptaméron des nouvelles (1879, 2 vol.), L’Élite des contes du sieur d’Ouville (1883, 2 vol.).

La « Nouvelle bibliothèque classique ». Collection qui s’adresse au plus grand nombre d’acheteurs, complète en 75 vol. in-16 elzévirien (1876-1892) : 


des Œuvres poétiques de N. Boileau (1876, 2 vol.), Mémoires du chevalier de Grammont (1876), Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1876), Théâtre de J.-Fr. Regnard (1876, 2 vol.) et Œuvres de Mathurin Regnier (1876), aux Œuvres choisies de Voltaire (1887-1892, 10 vol.) et aux Contes de La Fontaine (1892, 2 vol.).  

« Les Petits classiques ». Collection complète en 9 vol. in-16 (1878-1890), avec une couverture brique : Contes de Boufflers (1878, portrait gravé par Lalauze), 

Photographie Librairie du Cardinal
Œuvres choisies de Fontenelle (1883, 2 vol., portrait gravé par Lalauze), Œuvres choisies du prince de Ligne (1890, portrait gravé par Lalauze), Théâtre choisi de J. de Rotrou (1882, 2 vol., portrait gravé par Lalauze), Œuvres choisies de Saint-Évremond (1881, portrait gravé par Lalauze), Lettres de V. Voiture (1880, 2 vol., portrait gravé par Lalauze).

« Les Chefs-d’œuvre inconnus ». Collection complète en 19 vol. in-16 (1879-1890), avec des couvertures bleu pâle imprimées en bleu : de Le Tombeau de Mlle Espinasse (1879, eau-forte par Lalauze), La Petite Maison (1879, eau-forte par Lalauze) 


et Le Voyage à Paphos (1879, eau-forte par Lalauze), au Voyage à Montbard (1890, eau-forte par Lalauze).

La « Nouvelle collection moliéresque ». Collection complète en 17 vol. in-16 (1879-1890), avec des couvertures de couleur crème, imprimées en noir : de l’Oraison funèbre de Molière (1879) 


au Premier registre de La Thorillière (1890).

Le « Cabinet de vénerie ». Collection complète en 11 volumes in-16 (1880-1888), avec une couverture uniforme, couleur chamois, dont les titres sont imprimés en bistre : Discours de l’antagonie du chien & du lièvre (1880), La Chasse du loup, nécessaire à la maison rustique (1881), Le Bon Varlet de chiens (1881), Le Livre de l’art de faulconnerie et des chiens de chasse (1882, 2 vol.), Débat entre deux dames sur le passe temps [sic] des chiens et des oiseaux (1882), 


Le Livre du roi Dancus (1883), La Conférence des fauconniers (1883), La Muse chasseresse (1884), Le Lièvre, poème (1885), Nouvelle invention de chasse pour prendre et oster les loups de la France (1888).   

La « Bibliothèque des dames ». Collection complète en 17 vol. in-16 (1881-1885), avec des couvertures bleu pâle imprimées en bistre et bleu et des frontispices gravés par Lalauze : 


Le Mérite des femmes (1881), La Princesse de Clèves (1881), Les Contes des fées ou les Fées à la mode (1881, 2 vol.), Œuvres choisies de Mme Des Houllières (1882), La Vie de Marianne (1882, 3 vol.), Œuvres morales de la Mise de Lambert (1883), Souvenirs de Mme de Caylus (1883), Lettres à Émilie sur la mythologie (1883, 3 vol.), Valérie (1884), Mémoires de Madame Roland (1884, 2 vol.), Éducation des filles (1885).

La « Bibliothèque artistique moderne ». Collection complète en 17 vol. in-8 écu (1883-1891), avec des couvertures de couleur crème imprimées en bistre et bleu : Contes choisis de Alphonse Daudet (1883, 7 eaux-fortes par E. Burnand), 

Photographie Librairie du Cardinal
Le Roi des montagnes (1883, dessins de Charles Delort, gravés par Mongin), Le Capitaine Fracasse (1884, 3 vol., dessins de Charles Delort, gravés par Mongin), Une page d’amour (1884, 2 vol., dessins d’Édouard Dantan, gravés à l’eau-forte par A. Duvivier),  Jocelyn (1885, dessins de Besnard, gravés par de Los Rios, portrait gravé par Champollion), Servitude et grandeur militaires (1885, dessins de Julien Le Blant, gravés à l’eau-forte par Champollion), Le Chevalier des Touches (1886, dessins de Julien Le Blant, gravés par Champollion), Graziella (1886, dessins de Bramtot, gravés par Champollion), Nouvelles de Mérimée (1887, dessins de Aranda, de Beaumont, Bramtot, Le Blant, Merson, Myrbach, Sinibaldi,  gravés par Le Rat, Lalauze, Toussaint, Champollion, Géry-Bichard, Manesse, Em. Buland), Gérard de Nerval (1888, dessins d’Émile Adan, gravés à l’eau-forte par Le Rat), Théâtre de Alfred de Musset (1889-1891, 4 vol., dessins de Charles Delort, gravés par Boilvin).

Les « Curiosités historiques et littéraires ». Collection complète en 7 vol. in-18 (1884-1887) : 

Photographie Librairie du Cardinal
Voyages de Piron à Beaune, suivis de ses amours avec Melle Quinault (1884), Les Almanachs de la Révolution (1884), Madame la comtesse de Genlis. Sa vie, son œuvre, sa mort (1885), Parades inédites (1885), Le Régiment de la calotte (1886), Lettres d’amour d’Henri IV (1886), Discours sur les duels de Brantôme (1887).  

La « Bibliothèque des mémoires ». Collection complète en 11 vol. in-16 (1888-1891), avec une couverture rose imprimée en rouge et noir : Mémoires de l’abbé de Choisy, pour servir à l’histoire de Louis XIV (1888, 2 vol.), Mémoires d’Agrippa d’Aubigné (1889), 


Mémoires sur la Bastille (1889), Mémoires de Louvet de Couvrai sur la Révolution française (1889, 2 vol.), Mémoires de la Dsse de Brancas, suivis de la correspondance de Mme de Châteauroux et d’extraits des Mémoires pour servir à l’histoire de Perse (1890), Mémoires de Mme de La Fayette (1890), Mémoires de Marmontel (1891, 3 vol.).

Des publications ne rentrèrent pas dans les collections ordinaires : Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe siècles (1872-1890, 6 vol. in-8) ; 


Comédiens et comédiennes (1875-1877, 16 livraisons gr. in-8), par Francisque Sarcey ; 

Photographie Librairie du Cardinal
Mémoires-Journaux de Pierre de l’Estoile (1875-1883, 11 vol. gr. in-8), le tome XII et dernier fut édité par Alphonse Lemerre en 1896 ; Œuvres diverses de Jules Janin (1876-1883, 17 vol. in-18 Jésus) ; 


Bibliothèque musicale du Théâtre de l’Opéra (1878, 2 vol. gr. in-8).

Photographie Bertrand Hugonnard-Roche
Octave Uzanne (1851-1931) débuta sa carrière de bibliographe chez Damase Jouaust, avec des notices sur les Poètes de ruelles au XVIIe siècle (1875-1878, 4 vol. in-18), une préface pour Édouard (1879, in-12), par Madame de Duras, et des notices pour les Lettres de Vincent Voiture (1880, 2 vol. in-12).

Photographie BnF
Pendant le siège de Paris, du 22 octobre 1870 au 22 février 1871, Damase Jouaust rédigea et publia la Lettre-Journal de Paris. Gazette des absents, destinée à être expédiée par ballon, qui laissait deux pages blanches pour la correspondance privée. 

Photographie Camille Sourget
En 1874, la Librairie des Bibliophiles fut le dépositaire principal de la revue éphémère fondée par Charles Cros, la Revue du monde nouveau, qui ne comptera que trois numéros : dès le premier numéro parut l’essai en prose de Mallarmé intitulé « Le Démon de l’analogie ». À partir de 1876, Jouaust fut l’éditeur de la Gazette anecdotique, littéraire, artistique et bibliographique publiée deux fois par mois par le publiciste Georges d’Heilly, pseudonyme d’Edmond-Antoine Poinsot (1833-1902).

« La Librairie des Bibliophiles, dirigée par l’imprimeur Jouaust, si justement surnommé le prince de la typographie et à qui les amateurs les plus grincheux sont redevables de tant de publications hors ligne, s’attache maintenant à donner, vers la fin de l’année, ses éditions à gravures. Rien ne diffère autant de ces derniers ouvrages, malgré une grande apparence d’analogie, que ce qu’on appelle vulgairement les livres illustrés, où les images sont répandues à profusion, au grand préjudice d’une exécution soignée. Dans les livres à gravures de M. Jouaust, au contraire, chacune des planches est une œuvre sérieusement étudiée et a la valeur artistique d’un véritable tableau. Aussi le nombre en est-il forcément restreint. Mais les véritables amateurs aimeront toujours mieux voir un éditeur consacrer à la publication de quelques gravures hors ligne les fonds qu’il aurait pu disperser sur un plus grand nombre de sujets d’un mérite secondaire.
La moisson est abondante cette année pour les bibliophiles. Parmi les richesses que leur offre leur librairie favorite, voici une splendide édition de Molière, dont le premier volume paraît actuellement et qui doit en compter huit. Depuis quelque temps, il n’est pas un éditeur, petit ou grand, illustre ou inconnu, qui n’ait été piqué de l’ambition louable d’éditer Molière. Parmi toutes ces éditions, il en est de belles, il en est même d’admirables, au double point de vue littéraire et typographique.
Je n’exagère rien en disant que cette édition de M. Jouaust est certainement le plus beau monument qu’on ait jamais élevé à la gloire de notre grand poète. Et jamais, depuis nos éditeurs les plus fameux, on n’avait poussé aussi loin l’art du livre. L’impression, faite dans le format grand in-8°, sur le plus beau papier de Hollande qui se puisse voir, est relevée par des en-tête, fleurons, culs-de-lampe, lettres ornées du plus beau style Louis XIV. Le texte, soigneusement et savamment collationné sur l’édition princeps, ajoute à l’émerveillement du livre l’attrait d’un incomparable régal de lettré.
Le premier volume contient : L’Étourdi, Le Dépit amoureux, Les Précieuses ridicules et Sganarelle.
M. Jouaust a eu l’ingénieuse idée de confier au célèbre peintre Louis Leloir le soin difficile d’illustrer ces splendides volumes. On ne peut rien imaginer de plus gracieux et de plus solide en même temps que ces remarquables compositions de Leloir, gravées par Flameng de sa meilleure pointe, et dont chacune est un charmant et spirituel tableau de genre. Tout en restant fidèle à la vérité historique, à l’exactitude du costume, M. Leloir a su imprimer dans ces dessins un cachet tout à fait personnel, et son Molière portera, avec un reflet aussi exact que possible du siècle de Louis XIV, le caractère de l’époque à laquelle il aura été publié.
Ensuite, dans une collection où l’on a vu paraître successivement ces délicieux bijoux typographiques qui s’appellent : l’Heptaméron, le Décaméron, les Cent Nouvelles, Gulliver, Manon Lescaut, Le Voyage sentimental, voici un Rabelais en cinq volumes, pour lequel le peintre-graveur Boilvin a fait des eaux-fortes d’une puissante originalité et des Contes de Perrault, en deux volumes, les Contes en vers et les Contes en prose, accompagnés, de planches où l’ingénieux talent de composition de M. Lalanzo le dispute à la finesse et au brillant de sa gravure.
Dans un genre tout différent, voici une nouvelle édition de l’Éloge de la folie, d’Érasme, avec les 83 dessins d’Holbein, au prix très abordable de cinq francs. On sait que ces dessins ont été tracés à la plume par Holbein sur les marges d’un exemplaire de l’Éloge de la folie. Le précieux volume qui les porte est conservé au musée de Bâle, dans une vitrine qui le protège contre les mains des visiteurs. Par une faveur tout exceptionnelle accordée à M. Jouaust, le directeur du musée a consenti à ce que le volume fût, pendant plusieurs jours, porté chez un photographe par une personne qui, chaque soir, le venait rapporter à sa place. C’est ainsi qu’on a pu obtenir la photographie sur bois de tous les dessins, et les graver ensuite sur les bois mêmes qui avaient reçu l’épreuve photographique, comme des dessins au crayon, mais avec une garantie d’exactitude que n’aurait jamais présentée la copie la plus habilement faite.
N’oublions pas non plus, dans cette revue sommaire des merveilles sorties des presses impeccables de M. Jouaust, la très intéressante publication des Colloques d’Erasme, en trois beaux volumes in-8. Elle est ornée, en tête de chaque dialogue, d’ingénieuses vignettes à l’eau-forte, dans lesquelles l’artiste, M. Chauvet, s’est fait remarquer par une grande simplicité d’exécution et une entière fidélité de détails, qui conviennent merveilleusement à l’œuvre qu’il avait à interpréter.
Nous voulons aussi rappeler les éditions de Paul et Virginie et de Daphnis et Chloé, avec leurs pages élégamment encadrées de rouge, et dans lesquelles l’œil se promène alternativement sur les gracieuses compositions d’Émile Lévy finement gravées par Flameng, et sur les ingénieux ornements dus au crayon de Giacomelli. Ce ne sont plus là des livres, mais de véritables bijoux ciselés par les mains exercées d’artistes en renom, à placer jalousement dans des écrins.
A côté de tous ces beaux livres que je viens de signaler à l’attention des lecteurs, et qui, en raison de leur prix élevé, ne peuvent être à la portée de toutes les bourses, M. Jouaust a créé une collection de Classiques au prix étonnant de trois francs le volume. Le difficile n’était pas de faire des volumes à trois francs – bien des libraires vous donnent à ce prix des livres qui ne valent pas cinq sous – mais c’était de faire des éditions d’amateurs qui pussent satisfaire les exigences des enragés bibliophiles qui ne peuvent consacrer de grosses sommes à l’achat de leurs livres.
M. Jouaust a complètement réussi. Sa Nouvelle Bibliothèque classique, qui se compose à l’heure actuelle de neuf volumes, a été universellement appréciée et goûtée des délicats.
Les Satires de Régnier, Grandeur et Décadence des Romains, de Montesquieu, les Œuvres poétiques de Boileau, le Théâtre de Régnard, les Mémoires de Gramont, les Œuvres de Courier, la Satire Ménippée, sont les ouvrages par lesquels a débuté cette importante collection, destinée à devenir la plus considérable de la Librairie des Bibliophiles, et qui comprendra les chefs-d’œuvre de la littérature française et étrangère.
Je ne connais pas de plus utiles et de plus charmantes étrennes à donner que ces volumes, pour lesquels M. Jouaust, en vue de la saison, a fait faire de beaux cartonnages. »
(Octave Mirbeau. In L’Ordre de Paris, 28 décembre 1876)

La maison Jouaust a obtenu diverses médailles aux expositions de Paris (1867 et 1878), de Lyon (1872), de Vienne (1873) et de Philadelphie (1876). En 1872, Damase Jouaust fut fait chevalier de la Légion d’honneur et fut promu officier en 1881.

Membre de la Société des Gens de lettres, Jean-Benoît Sigaud (1847-1925), dit « Sigaux », domicilié 136 rue Saint-Honoré, travaillait avec Damase Jouaust depuis plusieurs années.  Le 30 juin 1883, il s’associa avec Jouaust pour une durée de cinq ans, constituant la Société en nom collectif « D. Jouaust et J. Sigaux ». En 1887, l’imprimerie et la librairie Jouaust déménagèrent 7 rue de Lille [VIIe].


Le bibliophile Damase Jouaust utilisait un petit ex-libris [41 x 27 mm], dessiné par Jules Chauvet (1828-1898) et imprimé par Auguste Delâtre (1822-1907) : l’ancre marine est accompagnée d’un livre dont le plat supérieur porte « NON LOQVITVR NISI ROGATVS » [ne parle que si on l’interroge].

Renonçant à la lutte qu’il menait depuis de longues années pour assurer la prépondérance diminuée de sa librairie, Damase Jouaust quitta les affaires par lassitude et par découragement. Le goût des beaux livres, qu’il exécutait à tant de frais, et qu’il était obligé de vendre très cher, était un peu passé de mode, en raison surtout du resserrement de la bourse des amateurs. Le 1er octobre 1891, il céda, à un prix dérisoire, son fonds d’éditeur à Ernest Flammarion (1846-1936), éditeur 26 rue Racine [VIe], près l’Odéon. 


Au mois de décembre suivant, il édita à 300 exemplaires une brochure intitulée Ultima, renfermant des articles de Francisque Sarcey, Gaston Deschamps, E. Spuller, Ph. Gille, Firmin Javel, Fernand Bournon, Maurice Du Seigneur, précédés d’un petit portrait gravé par Lalauze.

La véranda du restaurant Marguery
36 boulevard Bonne Nouvelle
Le 28 mars 1892, il assista au diner que lui offrirent ses collaborateurs artistiques et littéraires, ainsi qu’un groupe de bibliophiles, au restaurant Marguery, 36 boulevard Bonne Nouvelle [Xe] : Eugène Abot, Émile Adan, Georges Bengesco, Fernand Bournon, Chalvet, Chardon, baron de Claye, Dammann, Emmanuel Déborde de Montcorin, Ferroud, Antoine Girard, Alexandre Huré, Jeannin, Émile Jouaust, Lafenestre, Marc Laffont, Lalauze, Léon Lemaire, Lips, Mareuse, Mariani, de Montaiglon, Auguste Moreau, Jules Petit, Édouard Poinsot, Saint-Prix, F. Sarcey et Wittmann furent présents. Le menu avait été imprimé par Georges Chamerot et encadré dans une eau-forte de Lalauze. Le compte-rendu du banquet fut tiré à cent exemplaires.
   
Le 1er janvier 1893, il céda son imprimerie à Léopold Cerf (1844-1901), imprimeur-éditeur 13 rue de Médicis [VIe].

Vivant depuis dans une retraite absolue, Damase Jouaust mourut des suites d’une longue et douloureuse maladie, à l’âge de 58 ans, le dimanche 26 mars 1893, en son domicile du 7 rue Scheffer [XVIe]. Ses obsèques eurent lieu à Notre-Dame-de-Grâce de Passy, en présence de quelques amis. Au cimetière de Montmartre, où a eu lieu l’inhumation, deux discours ont été prononcés : le premier par Georges Chamerot, président de la Chambre syndicales des imprimeurs typographes, puis par Jules Petit, le prote de l’imprimerie Jouaust, qui l’avait vu naître. 

Familles Prestat et Jouaust
Cimetière du Père Lachaise
Sa dépouille fut transférée plus tard au cimetière du Père Lachaise [41e division]. Sa veuve, Sara Fortin, domiciliée alors 3 rue Nicolo [XVIe], décéda le 2 mai 1921 au 8 rue Frédéric Bastiat [VIIIe], près des Champs Élysées.























vendredi 8 mai 2020

Émile Nourry (1870-1935), libraire d’ancien, historien et philosophe


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Tour de Drousson (XIVe siècle)



D’une famille de laboureurs originaire de Drousson, hameau de la commune de Saint-Denis-de-Péon [Saône-et-Loire] - rattachée à la commune de Curgy depuis le 12 août 1818 -, passée à Saint-Pantaléon en 1801, puis à Autun en 1870, Émile-Dominique Nourry est né dans cette dernière ville, le 6 décembre 1870, 27 place du Champ de Mars, au coin de l’avenue de la Gare [avenue Charles De Gaulle].


27 place du Champ de Mars (à gauche) et avenue de la Gare
Ses parents, Dominique Nourry (1842-1915), voyageur de commerce, et Marie Bourillot (1846-1926), demoiselle de magasin, fille d’un charron, s’étaient mariés à Autun le 15 janvier 1870. Devenu marchand papetier, Dominique Nourry déclara sa librairie à Autun le 12 mars 1871, 27 place du Champ de Mars, 


qu’il déménagea, vers 1880, à environ 100 m, au 17 avenue de la Gare.

La profession de ses parents contribua vraisemblablement à donner l’amour des livres à Émile Nourry. Il s’intéressa très tôt à la botanique, passion qu’il partagea avec son père, et s’inscrivit pour l’année 1888 à la Société d’histoire naturelle d’Autun. Après des études théologiques au grand séminaire d’Autun, puis au séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Moulineaux [Hauts-de-Seine], Émile Nourry renonça au professorat pour la librairie ancienne, la recherche folklorique et l’édition.

Place Saint-Etienne, Dijon.
La librairie est au rez-de-chaussée de la première maison à gauche.


Il fut employé 10 place Saint-Étienne [place du Théâtre] à Dijon, dans la librairie de Gustave Lamarche (1840-1899) : celui-ci avait succédé le 1er juillet 1874 à son père, Antoine Lamarche (1811-1882), successeur lui-même, le 21 juillet 1837, de son ancien patron, Victor Lagier (1788-1857), moyennant la somme de 60.000 francs. À cette époque, Émile Nourry publia, sous son nom, la traduction qu’il avait faite de l’anglais de James-Mark Baldwin : Le Développement mental chez l’enfant et dans la race (Paris, Félix Alcan, 1897, in-8). Ce fut lui qui déclara à l’état civil le décès de son employeur, le 17 juin 1899. 


Il lui succéda, rejoint aussitôt par son frère, Joseph Nourry.

La librairie de Thomas Le Meur, successeur de Alfred Bellais, 10 place Saint-Etienne, Dijon
Collection Christian Le Meur
Ce dernier, né à Autun le 6 octobre 1875, se maria le 13 avril 1901 à Asnières-sur-Seine [Hauts-de-Seine] et mourut le 17 novembre 1965 à Lyon [Rhône], où il s’était installé en 1925, laissant la librairie de Dijon à Alfred Bellais († 1929), auquel succéda Thomas Le Meur :

Librairie de Joseph Nourry, 3 rue du Bât-d'Argent, Lyon
 « Mes relations avec celui, qui fut pendant plus de cinquante ans, le maire de Lyon, sont nées au 3 de la rue du Bât-d’Argent dans la Librairie de Joseph Nourry, frère du grand libraire parisien, Emile Nourry, éditeur d’Alfred Loisy et ami de Maurice Garçon. Le père Nourry, à la barbe fleurie, que les Lyonnais chercheurs et bibliophiles ont connu, m’a appris à aimer les livres, et je lui conserve une reconnaissance infinie. Autodidacte, Joseph Nourry était un répertoire vivant des bons auteurs. Aussi, le Président Herriot venait souvent le matin, vers 10 heures, pour s’évader du travail municipal. Le père Nourry mettait ainsi de côté les ouvrages de choix, qui pouvaient plaire à son éminent client. Edouard Herriot recherchait plutôt les textes, il n’était sensible à la reliure que lorsqu’elle correspondait à la qualité de l’écriture.
Ainsi, Joseph Nourry avait découvert un magnifique exemplaire du “ Discours sur l’Histoire Universelle ”. C’est pour le Président, m’avait-il dit, en me le faisant admirer. Je me trouvais dans le magasin, quand il présenta l’exemplaire au maire de Lyon. “ C’est pour moi ? ”dit ce dernier en prenant le livre dans ses fortes mains, devenues brusquement caressantes. Feuilletant, page après page, il se mît à lire de cette voix de bronze, le dernier chapitre. La prose magnifique de l’évêque de Meaux semblait s’élever de la chaire d’une cathédrale. »
(Pierre Antoine Perrod. L’Honneur d’être dupe. Henri Colliard (1915-1945). Roanne, Horvath, 1982)

(in-8, XVI-326 p., 1.685 lots)

11 rue des Saints-Pères, Paris VI (mai 2019)
 Le 8 décembre 1899, Émile Nourry fut admis à la Société bourguignonne de géographie et d’histoire. Après son mariage à Paris [XIXe], le 4 décembre 1902, avec Caroline Fesquet, née à Autun le 9 mars 1863, il ouvrit l’année suivante une librairie à Paris, au 11 rue des Saints-Pères [VIe], dans un immeuble construit en 1882. Il se fit connaître en publiant, sous le pseudonyme de « P. [Pierre] Saintyves », La Réforme intellectuelle du clergé et la liberté d’enseignement (Paris, Nourry, 1904, in-12). Dès lors, il conserva ce pseudonyme pour ses publications.

14 rue Notre-Dame de Lorette, Paris IX (juillet 2019)


Il déménagea sa librairie en 1906 au 14 rue Notre-Dame-de-Lorette [IXe], dans un immeuble construit en 1859, qui prit le nom de « Librairie critique ». 



Ce fut alors qu’il publia son livre fameux : Les Saints successeurs des dieux (Paris, Nourry, 1907, in-8), première pierre d’un édifice où il se montra féru des mythes et des contes. Suivirent : Les Vierges Mères et les Naissances miraculeuses (Paris, Nourry, 1908, in-12), Le Discernement du miracle. Le Miracle et les Quatre Critiques : 1° Critique historique ; 2° Critique scientifiqueCritique philosophiqueThéologie critique [sic] (Paris, Nourry, 1909, in-8).

62 rue des Ecoles, Paris V, près le boulevard Saint-Michel

Photographie Jean Hélias


La librairie déménagea, pour la dernière fois, en 1910, au 62 rue des Écoles [Ve], dans un immeuble construit en 1865. Émile Nourry fut admis membre titulaire de la Société d’histoire naturelle d’Autun, à la séance du 19 mars 1911. La même année, il devint membre de la Société préhistorique française, où il se fit inscrire membre à vie en 1919. Il devint gérant de la Revue anthropologique en 1921, maître de conférences à l’École d’anthropologie de Paris en 1923, expert en douane en 1925. Il fut élu président du Syndicat de la librairie ancienne et moderne le 26 mai 1925 et président fondateur de la Société du folklore français en 1930.

Emile Nourry

Veuf de Caroline Fesquet le 30 décembre 1922, Émile Nourry avait épousé Jeanne Grillot, née au Creusot [Saône-et-Loire] le 11 janvier 1880 : mais celle-ci décéda très prématurément de maladie le 20 juillet 1925. Le 28 mai 1927, Émile Nourry épousa en troisièmes noces, à Paris [XVIIIe], Camille-Zélia-Victoire Quinchon, née le 23 avril 1889 à Suresnes [Hauts-de-Seine], inspectrice des écoles maternelles.

Saintyves poursuivit ses publications personnelles : Les Reliques et les Images légendaires (Paris, Mercure de France, 1912, in-12) ; La Simulation du Merveilleux (Paris, Ernest Flammarion, 1912, in-12) ; La Guérison des verrues. De la magie médicale à la psychothérapie (Paris, Nourry, 1913, in-8) ; La Force magique. Du mana des primitifs au dynamisme scientifique (Paris, Nourry, 1914, in-8) ; Les Responsabilités de l’Allemagne dans la guerre de 1914 (Paris, Nourry, 1915, in-12) ; Le Mystère des Évangiles (Paris, Nourry, 1916, in-8, 110 ex. numérotés H. C.) ; Essai sur les grottes dans les cultes magico-religieux et dans la symbolique primitive (Paris, Nourry, 1918, in-12) ; Rondes enfantines et quêtes saisonnières. Les Liturgies populaires (Paris, Édition du Livre mensuel, 1919, in-12) ; Les Origines de la médecine. Empirisme ou magie ? (Paris, Nourry, 1920, in-8) ; L’Éternuement et le Bâillement dans la magie, l’ethnographie et le folklore médical (Paris, Nourry, 1921, in-8) ; Essais de folklore biblique. Magie, mythes et miracles dans l’Ancien et le Nouveau Testament (Paris, Nourry, 1922, in-8) ; Les Contes de Perrault et les Récits parallèles (Paris, Nourry, 1923, in-8) ; La Légende du docteur Faust (Paris, H. Piazza, 1926, in-12), « A la mémoire de Jeanne Nourry le dernier livre que j’aie écrit dans la douce atmosphère de sa chaude affection » ; Apologie du folklore ou de la science de la tradition populaire (Paris, Nourry, 1927, in-8) ; Mes deux visites à Glozel (Paris, Nourry, 1927, in-8, H. C.), où il expose les raisons qui lui inspirèrent un doute sur l’authenticité des objets préhistoriques trouvés en 1924 à Glozel [Allier] ; Le Massacre des Innocents ou la Persécution de l’Enfant prédestiné (Paris, Rieder, 1928, in-8) ; En marge de la Légende dorée. Songes, miracles et survivances (Paris, Nourry, 1930, in-8) ; Les Cinquante Jugements de Salomon ou les Arrêts des bons juges d’après la tradition populaire (Paris, Domat-Montchrestien, F. Loviton et Cie, 1933, in-12) ; Corpus du folklore des eaux en France et dans les colonies françaises (Paris, Nourry, 1934, in-8, 200 ex.) ; Corpus du folklore préhistorique en France et dans les colonies françaises (Paris, Nourry, 1934-1935, 2 vol. in-8).


Parallèlement, entre 1897 et 1935, il publia une centaine d’articles, dans de nombreuses revues : Annales de philosophie chrétienne, Revue des traditions populaires, Revue des études ethnographiques et sociologiques, Revue moderniste internationale, Bulletin de la Société d’histoire naturelle d’Autun, La Revue des idées, Revue de l’histoire des religions, Æsculape, Revue de l’Université de Bruxelles, Revue d’histoire et de littérature religieuses, Mercure de France, Bulletin de la Société préhistorique française, Revue archéologique, Revue anthropologique, Revue d’ethnographie et des traditions populaires, Revue de folklore français.


Ses activités d’éditeur s’orientèrent vers la publication d’ouvrages de cynégétique : Chasseurs du temps passé (1910), Les Gentilshommes chasseurs (1922), Un capitaine de Beauvoisis (1925), par le marquis Théodore de Foudras (1800-1872) ; Le Savoir-Vivre à la chasse (1911), 


Les Chasses du lièvre (1928), par Michel Anty ; La Vénerie royale (1929), par Robert de Salnove (1597-1670) ; Les Ruses du braconnage (1926), par L. Labruyerre ; Les Chasses au marais (1929), par Robert Villatte des Prûgnes (1869-1965) ; Traité sur l’art de chasser avec le chien courant (1929), par le comte Jacques Boisrot de Lacour (1758-1832) ; 

Photographie BnF
Bibliographie des ouvrages français sur la chasse (1934), par Jules Thiébaud.


Il publia aussi des textes liés à la crise moderniste, conflit d’idées au sein de l’Église catholique, déclenché en 1902 par l’abbé Alfred Loisy (1857-1940). Celui-ci, excommunié en 1908, donna 26 titres à Nourry, de 1909 à 1934 : Leçon d’ouverture du cours d’histoire des religions au Collège de France (1909), Jésus et la tradition évangélique (1910), À propos d’histoire des religions (1911), L’Évangile selon Marc (1912), Choses passées (1913), Guerre et religion (1915), Mors et vita (1916), 


L’Épître aux Galates (1916), La Religion (1917), Les Mystères païens et le Mystère chrétien (1919), La Paix des nations et la Religion de l’avenir (1919), De la discipline intellectuelle (1919), Les Actes des apôtres (1920), Essai historique sur le sacrifice (1920), Le Quatrième Évangile (1921), Les Livres du Nouveau Testament (1922), L’Apocalypse de Jean (1923), La Morale humaine (1923), L’Évangile selon Luc (1924), 


L’Église et la France (1925), Religion et humanité (1926), Mémoires pour servir à l’histoire religieuse de notre temps (1930-1931), La Religion d’Israël (1933), La Naissance du christianisme (1933), Y-a-t-il deux sources de la religion et de la morale ? (1933), Le Mandéisme et les origines chrétiennes (1934).


Émile Nourry publia également des textes liés à l’érudition ésotérique : La Kabbale juive (1923), 


Les Rose-Croix lyonnais au XVIIIe siècle (1929), Traduction intégrale de Siphra Di-Tzeniutha. Le Livre secret (1930), par Paul Vulliaud (1875-1950) ; 


Le Tarot des imagiers du Moyen Âge (1927), Les Mystères de l’art royal (1932), par Oswald Wirth (1860-1943), ancien secrétaire de Stanislas de Guaita (1861-1897).  


Chevalier de la Légion d’honneur en 1934 et, depuis peu, membre à vie de la Société des Africanistes, Émile Nourry mourut le samedi 27 avril 1935, 8 bis rue Léon Delhomme, Paris [XVe], après une opération chirurgicale et de longues souffrances.
Ses obsèques eurent lieu le mardi 30 avril, en l’église Saint-Lambert de Vaugirard [XVe], suivies d’une cérémonie au cimetière du Père Lachaise, avant d’être inhumé au cimetière de Verrières-le-Buisson [Essonne].

« Comme on le sait, M. Nourry unissait les caractères d’un folkloriste scientifique avec la vocation pratique d’éditeur et de libraire en ouvrages anciens. Il bénéficia ainsi d’occasions uniques de se familiariser avec la littérature du folklore et il en profita pour réunir une bibliothèque de la plus grande valeur concernant la science à laquelle il a consacré sa vie. Cette bibliothèque, monument de son savoir et de son activité, est actuellement réunie et artistement disposée dans sa charmante propriété de Verrières, dans les environs de Paris [« Clair Logis », place du Poulinat, Verrières-le-Buisson]. Les longues rangées de volumes bien reliés et bien ordonnés sur les rayons sont vraiment un spectacle impressionnant pour le folkloriste et lui donnent idée de la patience, du savoir et de l’habileté qui ont été nécessaires pour sa formation. C’est, en vérité, probablement l’une des bibliothèques du Folklore les plus complètes et les mieux ordonnées du monde. Telle quelle, elle forme un splendide instrument pour l’étude de cette science. Aussi, dans l’intérêt du Folklore, est-il fort désirable que sa bibliothèque soit conservée et non point dispersée. D’une manière ou le l’autre, elle devrait être réservée à la Société du Folklore français. »
(Discours de Sir James George Frazer. In Un grand folkloriste. P. Saintyves (Emile Nourry). 1870-1935, p. 14)   

« Emile Nourry, dit Pierre Saintyves, […] courtois et obligeant, mais anticlérical déclaré, dont l’action anticatholique et maçonnique fut considérable ; éditeur d’Alfred Loisy, ami des modernistes et de tous les défroqués fameux ; auteur de divers ouvrages, dont quatre ont été condamnés par un décret de l’Index le 17 mars 1908. »
(Revue des lectures. Paris, 1935, p. 655)

« Et sa générosité ne s’exerçait pas seulement à l’égard des belles entreprises intellectuelles qu’il régénérait par son dévouement et sa libéralité : souvent, aux approches de juillet, un peu surpris d’une acquisition qu’il venait de faire, nous lui demandions si ce livre avait des acheteurs ; il souriait … “ Il n’en a guère, mais si je l’avais refusé, celui qui me le vendit n’aurait pu prendre de vacances …” »
(Léo Crozet. « Emile Nourry-Saintyves ». In Archives et bibliothèques. Paris, Emile Nourry, 1935, N° 1, p. 121)

« Que d’entretiens aimables, érudits, pleins de renseignements critiques et précieux, ont eu lieu dans son cabinet de travail, au-dessus de son magasin de vieux livres de la rue des Ecoles. Dans la vie civile, Emile Nourry était bouquiniste, dans l’acception la plus noble et la plus élevée du terme. Nul mieux que lui ne connaissait la valeur scientifique ou littéraire de tel vieux livre rare ou curieux, de telle édition préférable à telle autre. Ce n’était pas tant l’habit, la belle reliure qu’il appréciait, que le fond même de l’œuvre. »
(Cte B. « Émile Nourry-Saintyves ». In Journal des débats politiques et littéraires, 11 mai 1935)

Le 2 avril 1939, sur la maison natale d’Émile Nourry, fut inaugurée une plaque qui portait l’inscription :
PIERRE SAINTYVES
(EMILE NOURRY)

FOLKLORISTE ET HISTORIEN DES RELIGIONS
EST NÉ DANS CETTE MAISON LE 6 DÉCEMBRE 1870
IL EST MORT A PARIS LE 27 AVRIL 1935



Jules Thiébaud avait succédé à son ancien patron ; il exerça jusqu’en 1964 :

« J. Thiébaud, à la fin de sa vie, était paralysé. Il ne pouvait plus parler. Seuls ses yeux pouvaient bouger. On avait pour habitude de le laisser devant la cheminée, assis dans son fauteuil roulant, les genoux protégés par une couverture. Sa femme avait quelque raison d’en vouloir à son mari. Elle lui en voulait même beaucoup.
Tout au long de sa vie de libraire, Thiébaud avait réuni une somptueuse bibliothèque de livres et de manuscrits d’occultisme, tous rangés dans un meuble, non loin de la cheminée. Régulièrement, juste après qu’elle eut amené son mari devant le foyer de la cheminée, Madame Thiébaud prenait l’un des précieux documents en s’assurant bien que rien n’échappa à l’attention de son mari. Le malheureux assistait, impuissant, jour après jour, à la disparition dans les flammes de ses chers trésors.
C’est un employé [source de cette anecdote] de la librairie qui comprit l’infernale vengeance ; le regard implorant de son patron allait sans cesse des espaces vides de la bibliothèque à la cheminée. »
(Frédérick Coxe. « Les Librairies anciennes et leurs grimoires ». In La Nouvelle Revue des livres anciens. Reims, 2009, n° 2, p. 46)

Après le décès de Camille Quinchon, la bibliothèque d’Émile Nourry, conservée jusqu’alors au château de Grémonville [Seine-Maritime, incendié par les Allemands en 1940, sauf le rez-de-chaussée], a été dispersée à Rouen, au Palais des Consuls, quai de la Bourse, les samedi 11 et dimanche 12 décembre 1976, au bénéfice de l’Institut Pasteur, à qui elle avait été léguée par la défunte : Bibliothèque de feu M. Émile Nourry (Rouen, s. n., 1976, in-8), dont 31 incunables.

« Un livre d’heures du XVe avec 28 grandes miniatures, en reliure XVIIIe, provenait de la famille Le Tellier de Courtanvaux : 67 000 F ; un autre, très joliment calligraphié et richement décoré, venait de Hollande : 58 000 F. Parmi les incunables, nous retiendrons les Evangiles et heures de Notre Dame, en vers français (Lyon, 1488), avec ses petites figures naïves : 54 100 F ; le Recueil des histoires de Troyes de Raoul Lefevre (Lyon, 1490), in-folio gothique aux superbes gravures à pleine page : 30 000 F ; 


Horologium devotionis circa vitam Christi (Bâle, vers 1492), avec 36 figures coloriées : 34 000 F. Il y avait bien d’autres choses encore ; 

Photographie BnF
des livres de voyages comme l’Histoire de la Navigation de Jean Hugues de Linschot (Amsterdam, 1638), avec ses superbes planches : 50 000 F ; 


des livres de fleurs, comme la Flore des Antilles, recueil de 600 aquarelles originales d’une grande finesse de Théodore Descourtilz, exécutées vers 1820 : 105 500 F. »
(Librarium. Zurich, 1977, p. 179)


Émile Nourry utilisait un ex-libris [50 x 45 mm] montrant des livres sur une tablette, devant deux branches de laurier et un flambeau, et portant uniquement son patronyme « NOURRY » et la devise « FELIX A LIBRIS » [heureux grâce aux livres].   

(1932)