jeudi 25 octobre 2018

Jacques-Charles Wiggishoff (1842-1912), Montmartrois fanatique, passionné d’ex-libris



Maison natale de Wiggishoff
Maison natale, par Maurice Utrillo (1883-1955)

D’une famille originaire de Saverne [Bas-Rhin], arrivée à Paris avant la Révolution, Jacques-Charles Wiggishoff est né à Montmartre, 37 impasse Trainée [rue Poulbot, XVIIIe], le lundi 25 avril 1842, fils unique de Charles-Joseph Wiggishoff (1814-1850), menuisier en bâtiments, et de Marie-Madeleine-Caroline Hoch (1820-1899).


Devenue veuve, sa mère s’établit mercière 9 rue du Mont-Cenis [XVIIIe], où Wiggishoff passa sa jeunesse.

Arbre généalogique simplifié

Wiggishoff débuta, en 1860, comme employé dans les banques P. E. Chassang, 9 rue du Conservatoire [IXe], puis John Arthur et Cie, 10 rue de Castiglione [Ier]. Il profitait de ses dimanches pour aller sur les quais, fouiller les boîtes des bouquinistes et rapporter des livres anciens, des vieux papiers et des ex-libris.

Bouton de la garde nationale mobile (1870-1871)

Exempté du service militaire pour la faiblesse de sa vue, il resta à Paris pendant le siège (1870-1871) et fit son devoir dans la 1ère compagnie du 142e bataillon de la garde mobile. Quand éclata la Commune (1871), il ne voulut pas rejoindre le gouvernement à Versailles [Yvelines], mais néanmoins ne porta pas les armes contre l’armée régulière.


Ayant eu un fils, Louis-Charles, le 16 janvier 1874, de Louisa Leclercq, née à Clermont [Oise], le 1er avril 1847, fille de Louis-Jean-François Leclercq, aubergiste, et de Hermence Dusuel, avec laquelle il vivait au 96 rue Marcadet [XVIIIe], il l’épousa, le 5 octobre 1875. 


L’année suivante, le couple ouvrit une fabrique de parfumerie au 67 rue du Faubourg Poissonnière [IXe]. Une fille, Louise-Charlotte, naquit le 1er août 1878, 4 rue Ramey [XVIIIe] ; elle épousera, le 3 octobre 1901, Gaston-Charles Cazalières, architecte, né à Paris [VIIIe], le 7 janvier 1872, fils de Louis-Adolphe Cazalières, tailleur de pierre, et de Estelle-Hortense Grimber.


S’étant lancé dans la politique, il fut nommé adjoint au maire du XVIIIe arrondissement en 1882 : il demeurait alors au 153 rue Marcadet.


Il collabora au Journal de la parfumerie française, qui lui doit un « Essai de bibliographie des parfums et des cosmétiques » (juin 1889).

Photographie BnF
Mairie du XVIIIe, place des Abbesses (1895)
Photographie Musée Carnavalet
 
Mairie du XVIIIe arrondissement, place Jules Joffrin (1908)

Il devint maire du XVIIIe arrondissement en août 1889, remplaçant le peintre Émile Bin (1825-1897), auteur du portrait du général Boulanger. La Mairie, construite en 1837, était alors place des Abbesses ; en 1892, les services municipaux furent déplacés au 1 place Jules Joffrin.





Déjeuner au Rocher Suisse : on reconnait Wiggishoff au centre
Photographie Musée de Montmartre
La Société "Le Vieux Montmartre " en promenade le 25 octobre 1903
On reconnait Wiggishoff derrière les enfants

Montmartrois fanatique, il fut un des membres fondateurs, le 4 juin 1886, au restaurant « Au Rocher Suisse », 27 rue de La Barre [rue du Chevalier-de-La-Barre, XVIIIe], de la Société d’histoire et d’archéologie du XVIIIe arrondissement « Le Vieux Montmartre ». Il en fut le président de 1894 à 1907.

Le 24 mars 1895, il fut nommé membre de la Société française des collectionneurs d’ex-libris, constituée dans sa séance du 30 avril 1893 sous la présidence du docteur Ludovic Bouland (1839-1932).

« Wiggishoff possédait des connaissances très étendues sur l’imprimerie et ses origines. Nul n’était plus à même que lui de renseigner sur les incunables et les livres sortis des presses des grands imprimeurs des XVe et XVIe siècles. C’est son amour pour les livres et les reliures qui les habillent, qui l’a conduit à collectionner ces reliures aux fines dorures et ces petites gravures, longtemps négligées, appelées ex-libris, dont il a fait une étude spéciale. »
(Commandant Emmanuel Martin. In Archives de la Société française des collectionneurs d’ex-libris, avril 1912, p. 50)


Wiggishoff utilisa l’ex-libris [84 x 60 mm] qu’il avait fait graver en 1896 par Louis-Aristide Bertrand († 1903). Une vue du vieux Montmartre avec un moulin et l’église Saint-Pierre, dont le chœur est surmonté de la tour du télégraphe optique de Chappe, un carton marqué « EX LIBRIS », appuyé sur une pile de livres et accompagné de monnaies, rappellent l’origine du propriétaire, ses études et ses collections. Au premier plan, un brûle-parfum symbolise sa profession. Au bas de cette composition les initiales entrelacées « CW » et en haut le nom « C. WIGGISHOFF ».


Pour les petits livres et les pièces, Wiggishoff utilisait un petit ex-libris rond [21 x 21 mm], portant au centre le monogramme « J C W », surmonté du 4 de chiffre, dans un quadrilobe tiré en rouge, et en périphérie « * EX-LIBRIS * MONS MART. »

Le dimanche 28 août 1898, suivant son habitude, il était allé bouquiner le long des berges de la Seine : un garçon d’un café du coin de la rue du Louvre [rue de l’Amiral de Coligny, Ier] et du quai le reconnut et vint lui porter le numéro du journal Le Temps daté du lendemain, qui venait de paraître et qui annonçait sa promotion de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Le 8 octobre 1898, tout le personnel politique et administratif de Montmartre, réuni salle Vautier, 8 avenue de Clichy [XVIIIe], en un banquet de 300 couverts, fêta Wiggishoff avec un entrain et une cordialité qu’on voudrait toujours rencontrer dans les fêtes démocratiques.

En 1899, Wiggishoff donna sa démission de maire, à la suite d’incidents survenus au sujet de la caisse des Écoles, mais aussi à cause de l’affaire Dreyfus, car il était très patriote et anti-dreyfusard. Il put consacrer à nouveau ses loisirs à ses chers vieux bouquins.

En 1903, il devint adhérent de la Société « Le Vieux Papier ».

Photographie BnF

Son « Essai de catalogue descriptif des ex-libris et fers de reliure français anonymes et non héraldiques » parut dans les Archives de la Société française des Collectionneurs d’Ex-Libris (septembre-octobre 1904, p. 129-172). Dans cette revue, il a utilisé les pseudonymes « T. de Marca » et « T. Mac-Read », anagrammes de « Marcadet », la rue où il demeurait.
Sa femme, Louisa Leclercq, mourut prématurément le 21 décembre 1903, 153 rue Marcadet.

La Lanterne, mercredi 10 juillet 1907, p. 3

Le 7 juillet 1907, il eut la douleur de perdre son jeune fils dans un accident de la circulation. Louis-Charles Wiggishoff avait épousé Édith-Mabel Latto, née à Birchington [Angleterre] le 15 octobre 1875, qui décèdera le 4 août 1958 à Pinetown [Afrique du Sud]. 

Le 23 février 1908, à l’assemblée générale de la Société française des collectionneurs d’ex-libris, Wiggishoff fut choisi pour succéder au président Paul de Crauzat (1831-1922), lui-même successeur du docteur Ludovic Bouland. L’année suivante, « The Ex Libris Society » le nomma vice-président d’honneur.

Dans une causerie à la Société « Le Vieux Papier », le 24 novembre 1908, il fit, discrètement, son portrait :

« C’était un brave garçon d’une vingtaine d’années, fortement épris de tout ce qui touchait à l’ornementation des livres.
Disposant de peu de temps et d’argent, il bouquinait le dimanche sur les quais, ramassant des titres de livres, des marques d’imprimeurs, etc.
Malheureusement, il était trop curieux, il voulut connaître tous ces imprimeurs, dessinateurs, graveurs, dont il lisait les noms sur toutes les petites pièces ; ce fut alors la recherche d’ouvrages spéciaux et surtout d’une infinité de catalogues de vente de livres, qui furent pour lui une mine d’innombrables renseignements ; il se confectionna pour son usage quelque vingt-cinq ou trente mille fiches, sur ces artistes ou artisans, puis sur les libraires, les bibliophiles, etc., etc. Cela dura une quarantaine d’années, à cause de son peu de loisirs. Pendant ce temps-là, le temps marchait et il ne s’en aperçut que lorsque la faux du terrible vieillard frappa autour de lui en l’égratignant lui-même.
Il se réveilla alors comme d’un long sommeil, avec ses collections en vrac et toutes ses notes que l’âge et les infirmités lui donnent aujourd’hui la plus grande peine à mettre quelque peu en ordre. »
(J.-C. Wiggishoff. « Conseils aux débutants ». In Le Vieux Montmartre. Paris, 1912, fascicules 75 à 78, p. 179)

Le « Puits d’amour », autrefois situé dans le quartier des Halles, donna son nom à un groupement d’archéologues, d’archivistes, d’historiens et d’artistes, auquel appartint Wiggishoff, qui se réunissait en un déjeuner hebdomadaire dans lequel l’histoire de Paris faisait le fonds principal de la conversation.
Wiggishoff fut également membre de la Commission municipale du Vieux Paris et membre du conseil de la Société des Amis de la Bibliothèque de la ville de Paris.
Il collabora au Bulletin du bibliophile, qui lui doit des « Notes pour servir à l’histoire des livres en France. Imprimeurs, libraires parisiens, correcteurs, graveurs et fondeurs oubliés ou peu connus de 1470 à 1600 » (1900), et à L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, où il signait sous les pseudonymes « J.-C. Wig » et « César Birotteau », dont il disait : « J’ai tout de lui, parfumeur, ex-adjoint, décoré ! Il me manque la faillite…on ne sait ce qui peut arriver ? »

Photographie Archives nationales

Jacques-Charles Wiggishoff mourut à Paris, en son domicile, 153 rue Marcadet, le mardi 2 avril 1912, d’une crise d’urémie. 




Il corrigeait les épreuves d’un ouvrage intitulé Dictionnaire des dessinateurs et graveurs d’ex-libris français (Paris, Société française des collectionneurs d’ex-libris, 1915, in-4, [3]-[1 bl.]-278-[2] p., 286 fig., 33 pl. h.-t.), qui sera publié après sa mort, avec l’aide de Henry-André [pseudonyme de Henry-André Schultz (1857-1932)] , du docteur Eugène Olivier (1881-1964) et du baron du Roure de Paulin (1882-1919).

« Ce travail n’est pas un ouvrage iconographique, c’est-à-dire qu’on y chercherait en vain la description des ex-libris ou de leurs différents états, ce n’est pas non plus un ouvrage héraldique, et l’énoncé des armoiries des pièces anonymes n’y sera fait que de la façon strictement nécessaire pour empêcher de confondre la pièce citée avec une autre. Ce n’est qu’une liste de douze à treize cents noms d’artistes français, professionnels ou amateurs, qui ont produit des ex-libris, avec des détails biographiques lorsque cela a été possible et la liste de leurs productions, connues à ce jour ; et nous n’avons pas la prétention de les avoir citées toutes, beaucoup d’entre elles étant encore enfermées dans les livres pour lesquels elles ont été faites, ou dans les cartons des collectionneurs. » (« Prospectus »)

Il fut inhumé dans le caveau de famille, le 4 avril suivant, à l’ancien cimetière parisien de Saint-Ouen [Seine-Saint-Denis]. 


Il repose aujourd’hui au cimetière Saint-Vincent de Montmartre, dans le caveau Cazalières-Wiggishoff, [2e division].








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