mercredi 15 mai 2024

Émile Gautier (1833-1872), l’escroc du château du « Singe doré »

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Château du Clos-sur-l'Eau, Saint-Sébastien-sur-Loire [Loire-Atlantique]

Émile-Auguste-Henri Gautier est né le 25 novembre 1833 à Nantes [Loire-Atlantique], 9 rue de la Bâclerie [3e canton], maison dont le jardin était mitoyen avec la cure de Sainte-Croix et où son père était teinturier.

Rue de la Bâclerie, Nantes

Ce dernier, Pierre-Jacques Gautier, était né à Nantes le 29 novembre 1791, fils d’un imprimeur en indiennes sur l’île Feydeau, et avait épousé, le 25 septembre 1817, Marie Lochard, lingère, née à Nantes le 6 germinal An VI [26 mars 1798] ; 

Indienne de la manufacture Petitpierre, Nantes, 1795.
Musée national suisse, Zurich

devenu veuf en 1824, il avait épousé, le 4 juillet 1825, Victoire Hamon, jardinière, née à Nantes le 18 ventôse An II [8 mars 1794], qui lui donna deux fils : Pierre-Auguste, né le 30 mai 1826, et Émile-Auguste-Henri.


 

Fondé de pouvoir dès 1854 auprès de Antoine Chauvet (1797-1866), receveur des hospices de Nantes, Émile Gautier, qui était alors locataire du 5 rue Bertrand Geslin, lui succéda en 1866. 

Le 19 janvier 1869, les frères Gautier achetèrent, pour la somme de 80.000 francs, le château du Clos-sur-l’Eau, sur la commune de Saint-Sébastien-sur-Loire [Loire-Atlantique], surnommé « le Singe Doré », en référence à son constructeur en 1780, l’architecte Pierre Rousseau (1751-1829), qui portait un gilet brodé d’or.

Après la mort de leurs parents, - Victoire Hamon le 21 décembre 1864 et Pierre-Jacques Gautier le 7 novembre 1868 -, les deux frères Gautier héritèrent de la maison de leurs grands-parents maternels, 35 rue de la Rosière d’Artois, qu’ils revendirent en 1871 pour 54.000 francs.

Célibataire, Émile Gautier se suicida le 29 avril 1872. Son acte de décès le dit « décédé en sa maison de campagne sise au Singe Doré commune de Saint-Sébastien » le 3 avril 1872. La presse locale rendit compte de l’événement :

« Depuis quelques jours, on se préoccupe en ville d’un événement malheureux dont la victime volontaire est M. Emile Gauthier [sic], receveur général des hospices de Nantes.

M. Gauthier [sic] souffrait depuis longtemps déjà d’une cruelle maladie qui devait nécessiter avant peu une opération douloureuse : c’est sans doute cette constante préoccupation qui l’aura déterminé à mettre fin à ses jours dans les circonstances suivantes :

Jeudi soir, après s’être, dans la journée, plusieurs fois entretenu avec ses amis d’une manière qui ne laissait prévoir en rien sa funeste résolution, il écrivit à M. Vincent, secrétaire des hospices, une lettre dans laquelle il lui disait qu’il allait mourir et qu’on trouverait son corps dans son lit. Le pli contenait des lettres adressées à son frère, aumonier à Grand-Jouan, et à plusieurs de ses amis et se terminait par des recommandations très détaillées au sujet de son administration.

Au dos de la lettre, étaient écrits au crayon, comme post-scriptum, ces mots :

Minuit.

Je change d’avis, je confie mon corps à la Loire.

Il est plus que probable qu’après avoir tracé cette dernière ligne, M. Gauthier [sic] quitta son domicile et depuis toutes les recherches n’ont amené aucun résultat.

M. Gauthier [sic] n’était âgé que de trente-six ans : riche, il semblait très heureux aux yeux de tout le monde.

Il avait été longtemps secrétaire de la Société académique et de la Société archéologique. » [sic]

(Phare de la Loire, lundi 1er et mardi 2 avril 1872, p. 2)

« On s’entretenait, depuis quelques jours, avec inquiétude, de la disparition de M. E. Gautier, trésorier des hospices. Son chapeau, trouvé dans les joncs qui bordent la Loire, près de Saint-Sébastien, avait donné l’éveil. Hier enfin, dans l’après-midi, le corps de M. Gautier a été retiré de la Loire vis-à-vis de sa maison de compagne [sic], le Singe-Doré. »

(La Gazette de l’Ouest, vendredi 5 avril 1872, p. 3)

 

Cimetière de Miséricorde, Nantes

Émile Gautier fut inhumé au cimetière de Miséricorde, à Nantes, dans le caveau de ses parents. Seul héritier, son frère Pierre-Auguste Gautier (1826-1892), alors chanoine de la cathédrale de Nantes et aumônier à l’École d’Agriculture de Grand-Jouan, sur la commune de Nozay [Loire-Atlantique], accepta la succession.

L’abbé Gautier revendit le château du Clos-sur-l’Eau pour 90.000 francs le 24 juillet 1872. Mais au mois de septembre suivant, fut découvert un déficit suffisamment important dans la caisse des hospices pour que, le 18 octobre, l’abbé soit obligé d’abandonner au profit des hospices toutes les valeurs mobilières et immobilières provenant de la succession.

La vente des différents biens du défunt, à Nantes et à Paris, rapporta 242.837,84 francs. La bibliothèque fut dispersée en deux ventes :


 

Vente du lundi 2 au samedi 7 décembre 1872, en 6 vacations, à l’Hôtel des commissaires-priseurs, rue Drouot, salle n° 5, au premier étage : Catalogue des livres rares et précieux, la plupart imprimés sur peau vélin et reliés en maroquin, des manuscrits, des dessins originaux, des suites de vignettes, etc., etc., composant la bibliothèque de feu M. Émile Gautier, trésorier payeur des hospices civils de Nantes, membre de la Société académique et de la Société archéologique de la Loire-Inférieure, etc., etc. (Paris, Adolphe Labitte, 1872, in-8, [3]-[1 bl.]-172 p., 979 + 3 doubles [bis] = 982 lots), dont Théologie [103 lots = 10,48 %], Jurisprudence [4 lots = 0,40 %], Sciences et Arts [51 lots = 5,10 %], Beaux-Arts [158 lots = 16,08 %], Belles-Lettres [376 lots = 38,28 %], Histoire [289 lots = 29,42 %]. Avec une « Table des divisions » et un « Ordre des vacations ». Le catalogue fut complété par une Table des noms d’auteurs et des ouvrages anonymes du Catalogue de la bibliothèque de feu M. Émile Gautier, suivie de la liste des prix d‘adjudication (Paris, Adolphe Labitte, 1872, in-8, 17 p.).

 


13. Historiarum memorabilium ex Genesi descriptio, per Gulielmum Paradinum. Lugduni, Ioan. Tornaesium, 1558, 2 part. en 1 vol. in-8, fig., mar. brun, compart. mosaïque, tr. dor. (Duru). Ex. Cailhava.

Photographie BnF


126. Entretiens de Phocion, sur le rapport de la morale avec la politique ; traduits du grec de Nicoclès Par Mably. Paris, Imprimerie de Didot le Jeune, An III, in-4, tiré in-fol., pap. vél., mar. r., dent., tr. dor. (Lefebvre). Ex. unique, orné des dessins originaux de Moreau le Jeune, des fig. avant la lettre et des eaux-fortes.



136. The Birds of Great-Britain, with their eggs, accurately figured. By William Lewin. London, Leigh and Sotheby, 1789-1794, 7 vol. gr. in-4, 265 pl. oiseaux et 52 pl. œufs, mar. r., dent., tabis, tr. dor. (Rel. anglaise). Imprimé sur peau vélin. Ex. Mac-Carthy.




140. Des divers travaulx et enfantemēs des femmes et par quel moyen lon doit survenir aux accidens qui peuvent escheoir devant et apres iceulx travaulx. Paris, Iehan Foucher, 1536, pet. in-8 goth., fig. sur bois, mar. r., fil., tr. dor. (Derome). Ex. Mac-Carthy, puis Veinant.



149. Les Ruses innocentes, dans lesquelles se voit comment on prend les Oyseaux passagers, & les non passagers : & de plusieurs sortes de Bêtes à quatre pieds. Par F. F. F. R. D. G. dit le Solitaire Inventif. Paris, Charles de Sercy, 1688, in-4, fig., mar. vert, fil. à comp., tr. dor. (Petit). Aux armes de W. Hope.



160. Le Cabinet de l’amateur et de l’antiquaire. Revue des tableaux et des estampes anciennes ; des objets d’art d’antiquité et de curiosité. Paris, Au bureau du journal, 1842-1846, 4 vol. gr. in-8, demi-rel. v. violet, non rogn. Exemplaire complet, avec les planches de vitraux coloriées, les eaux-fortes tirées à part et, entre autres, « Le Fumeur » de Jean-Louis-Ernest Meissonier, avant la lettre, sur pap. de Chine, dont la planche a été détruite.

Photographie BnF


191. Abrégé de la vie des plus fameux peintres. Par M. ***. Paris, De Bure l’Aîné, 1745-1752, 3 vol. in-4, mar. r., fil., tr. dor. (Hardy). Ex. Solar.



315. Histoire naturelle de la parole, ou Précis de l’Origine du Langage & de la Grammaire Universelle. Extrait du Monde Primitif. Par M. Court de Gebelin. Paris, l’Auteur, Boudet, Valleyre l’aîné, Veuve Duchesne, Saugrain et Ruault, 1776, in-8, fig. en coul., mar. r., tr. dor. Aux armes de la comtesse d’Artois.



323. Ανθολογια διαφορων επιγραμματων […]. Florilegium diversorum epigrammatum in septem libros distinctum, diligenti castigatione emendatum. Venetiis, Aldi Filios, 1550, in-8, mar. r., riches compart., tr. dor. (Hardy). Ex. Bearzi.



349. Traduction des Fastes d’Ovide : Par M. Bayeux. Rouen, Boucher le jeune, Et se trouve à Paris, Le Barbier l’aîné, Veuve Ballard et Fils, Durand neveu, Nyon et Barrois l’aîné, 1783-1788, 4 vol. in-8, tirés in-4, fig., mar. r., fil., tabis, tr. dor. (Rel. anc.). Ex. unique avec 43 dessins originaux des fig. de l’édition. Ex. La Bédoyère. 



391. Le Roman de la rose, par Guillaume de Lorris Et Jehan de Meung : nouvelle édition, par M. Méon. Paris, Imprimerie de P. Didot l’aîné, 1813, 4 vol. gr. in-8, mar. r., fil., tr. sup. dor., doublé de mar. vert (Koehler). Imprimé sur peau vélin.



459.
Contes et nouvelles en vers. De Monsieur de la Fontaine. Amsterdam, Henry Desbordes, 1685, 2 tomes et 1 vol. in-12, mar. r. à comp., doublé de mar. r., dent., tr. dor. (Thouvenin). Ex. Saint-Mauris et comte de Chaponay.

Photographie Librairie Camille Sourget, Paris


472. La Henriade de Voltaire, avec les variantes. – Imprimé par ordre du Roi pour l’éducation de Monseigneur le Dauphin. Paris, P. Didot, fils aîné de F. A. Didot l’Aîné, 1790, gr. in-4, pap. vélin, fig. de Moreau avec la lettre, avant la lettre et eaux-fortes, v. marb., fil.



532. Les Comédies de Térence. Traduction nouvelle. Par M. l’Abbé Le Monnier. Paris, Ch. Ant. Jombert père et Cl. Ant. Jombert fils, 1771, 3 vol. in-8, pap. de Hollande, fig., mar. r., dent., tr. dor. (Bozerian). Ex. Châteaugiron, Soleinne et Cailhava.



547. Œuvres de Racine. Nouvelle édition. Amsterdam et Leipzig, Arkstée et Merkus, 1750, 3 vol. in-12, fig., mar. bleu, dent. int., non rogn. (Trautz-Bauzonnet). Ex. Armand Bertin.



558. Œuvres choisies d’Alexis Piron, précédées d’une notice historique sur sa vie, et des jugemens de nos plus célèbres critiques. Paris, Haut-Cœur et Gayet jeune, 1823, 2 vol. in-8, mar. r., fil., tr. sup. dor., non rogn. (Müller). 57 pièces ajoutées. Ex. Saint-Mauris et Desq.



645. Les Mille et Une Nuits, contes arabes, traduits en français par Galland ; nouvelle édition, Par M. Édouard Gauttier. Paris, J. A. S. Collin de Plancy, 1822, 7 vol. in-8, cart., non rogn. Seul ex. sur pap. vélin jaune, 21 fig. avant la lette sur pap. de Chine.

Photographie Librairie Amélie Sourget, Paris


703. Les Œuvres de Justin vray historiographe, sur les faictz & gestes de Troge Pompée, contenant XLIIII livres traduictz de latin en frãçoys. Paris, Denys Janot, 1538, pet. in-fol. goth., fig. sur bois, mar. r., comp. dor., tr. dor. (Hardy). Ex. de Cailhava.



728. Figures de l’histoire de France, dessinées par M. Moreau le Jeune. Paris, Moreau le jeune, 1785, in-4, dos et coins de mar. r., non rogn.



736. Les Genealogies, Effigies & Epitaphes des roys de France. Poictiers, Iacques Bouchet, et Iehan & Enguilbert de Marnef frères, 1545, pet. in-fol., mar. r., fleurs de lis, tr. dor. (Duru). Des bibliothèques Cailhava et Solar.  

Photographie BnF


787. Paris dans sa splendeur. Monuments, vues, scènes historiques, descriptions et histoire. Paris et Nantes, Henri Charpentier, 1861, 3 vol. gr. in-fol., 100 pl. sur pap. de Chine, épreuves d’artiste, demi-rel. mar. bl.

Photographie BnF


831. La Chine en miniature, ou Choix de costumes, arts et métiers de cet empire, Représentés par 74 Gravures, la plupart d’après les originaux inédits du Cabinet de feu M. Bertin. Par M. Breton. Paris, Nepveu, 1811, 4 vol. in-18, mar. vert, dent., tr. dor. (Simier). Un des 60 ex. en pap. vélin collé, fig. peintes et rehaussées d’or.

 


Vente les mardi 18 et mercredi 19 février 1873 à la Maison Silvestre, 28 rue des Bons Enfants, salle n° 1 : Catalogue des livres imprimés sur peau vélin et autres, des suites de vignettes, des portraits, etc., etc., composant la bibliothèque de feu M. Émile Gautier, trésorier payeur des hospices civils de Nantes, membre de la Société académique et de la Société archéologique de la Loire-Inférieure, etc., etc. – Deuxième partie - (Paris, Adolphe Labitte, 1873, in-8, 45-[1 bl.]-[1]-[1 bl.] p., 336 lots), dont Ouvrages imprimés sur vélin [12 lots = 3,57 %], Théologie [21 lots = 6,25 %], Sciences et Arts [59 lots = 17,55 %], Belles-Lettres [70 lots = 20,83 %], Histoire [174 lots = 51,78 %]. Avec un « Ordre des vacations ».

Un premier rapport du mois de novembre 1872 avait estimé qu’Émile Gautier était redevable de 192.541 francs ; un second rapport du 23 avril 1873 y ajouta 164.719 francs : soit un total de 357.260 francs détournés.

Le 27 avril 1873, une perquisition fut faite à l’École d’Agriculture de Grand-Jouan :

« Tout l’appartement de l’Abbé était quasiment encombré de meubles somptueux, de services luxueux, de tableaux, de linge brodé en quantité considérable. Dans les locaux annexes, celliers et jumenterie, bien que l’Abbé eût juré qu’il n’y avait rien à découvrir, on mettait en évidence, sous du bois à brûler, des caisses de vaisselle en or, de vins de collection (358 bouteilles de saint Emilion, 170 bouteilles de Champagne…) et le Curé jurait toujours “ Devant Dieu et sa foi d’honnête Homme ” qu’aucun objet ne serait distrait. L’huissier a préféré laisser un gardien…

Cette inspection a duré trois semaines ; quatre vingt deux vacations de trois heures ont été nécessaires pour la rédaction de cette saisie-exécution qui comporte quarante neuf pages. Sur l’acte d’huissier, on ne dénombre pas moins de 7142 livres ou revues. » [sic] [ces livres et revues appartenaient à la marquise de Lescouet, au château de Lesquiniou, à la Société académique, à la Bibliothèque de Nantes et à la Chambre de Commerce]

(Dr. Janine Delumeau. « L’Affaire Gautier ou les Tribulations d’un comptable au-dessus de tout soupçon ». In L’Hospitalier nantais, n° 55)

Le chanoine Pierre-Auguste Gautier quitta Nantes et Grand-Jouan, devint second aumônier de l’Hospice d’Issy-les-Moulineaux [Hauts-de-Seine] et se retira en 1889 à l’Infirmerie Marie-Thérèse, 92 avenue Denfert-Rochereau, à Paris [XIVe], où il mourut le 5 juillet 1892.

Le château du Clos-sur-l’Eau fut démoli en 1970 : on trouva des caves murées, pleines de vins fins et de champagne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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