mardi 30 août 2016

Victor Diancourt (1825-1910), ou « Nul n’est prophète en son pays » *


En guise de réponse à un ami lecteur, célèbre historien étranger, qui s’inquiétait de savoir si j’avais participé à la réalisation de l’exposition « Le Goût des livres. Victor Diancourt, collectionneur champenois », présentée à la Bibliothèque municipale de Reims du 9 septembre au 10 décembre 2016, ainsi qu’à la rédaction de son éventuel catalogue.






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Descendant d’une famille de laboureurs originaire de Balham [Ardennes], passée à Reims [Marne] au XVIIIe siècle, Louis-Victor Diancourt est né le 5 octobre 1825, l’année du Sacre de Charles X, dans la « Maison des musiciens », 31 rue de Tambour, datant du XIIIe siècle [détruite en 1917]. Il était le fils de Louis-Théophile Diancourt (1799-1890), marchand épicier, et de Sophie-Constance Bauchart (1798-1875), mariés à Clermont-les-Fermes [Aisne] le 15 novembre 1824.

Rue de Tambour, dessin et lithographie par J.-J. Maquart (1803-1873)
In Prosper Tarbé. Reims. Essais historiques sur ses rues et ses monuments
(Reims, Quentin-Dailly, 1844, p. 152)

La Maison des musiciens, 31 rue de Tambour
In G. Crouvezier. La Vie d'une cité. Reims au cours des siècles
(Paris, Nouvelles Editions Latines, 1970, p. 80)

Après avoir passé sa thèse de licence, soutenue devant la Faculté de droit de Paris en 1852 et intitulée De la transmission de la propriété par les conventions, Victor Diancourt revint à Reims pour exercer la profession d’avocat et épouser, le 25 avril 1853, Marie-Francine Folliart, née le 29 novembre 1830, fille d’Alphonse-Denis Folliart (1799-1843), notaire, et de Mélanie Pinon (1808-1876), mariés à Reims le 12 février 1828.

Devenu négociant dans le textile, il s’intéressa à la politique et fut, en 1868, un des fondateurs de L’Indépendant rémois, journal quotidien républicain.


Conseiller municipal de la ville de Reims en août 1870, puis adjoint au maire en mai 1871, il devint maire le 30 octobre 1872. Démissionnaire le 3 février 1874, il fut appelé à remplir la fonction de maire comme premier conseiller municipal inscrit en novembre 1874, redevint maire en juin 1875, jusqu’en 1881. Il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur, le 5 juin 1876.
Le 20 avril 1879, il fut élu, au second tour de scrutin, député de la 1ère circonscription de Reims. Inscrit à la gauche républicaine, il fit admettre la limitation à onze heures de travail par jour pour les femmes et les mineurs de 18 ans, et à six jours par semaine. Il ne se représenta pas en 1881. 


Il avait été membre de la loge « La Sincérité », fondée en 1804, et de la Ligue de l’enseignement d’octobre 1872 à février 1874, puis de novembre 1874 à janvier 1881.


Candidat à l'élection sénatoriale du 17 octobre 1886, il fut élu et vit son mandat renouvelé jusqu’en 1906 : il continua à se préoccuper des questions concernant le travail, les réformes sociales et l’amélioration du sort des classes laborieuses. Il ne se représenta pas aux élections du 7 janvier 1906.

10, place Godinot

Veuf sans enfant depuis le 12 octobre 1891, il mourut le mercredi 11 mai 1910, en son domicile, 10 place Godinot. Il fut inhumé le vendredi 13 mai, au cimetière du Nord [canton 3], après un service célébré en l’église Notre-Dame, sa paroisse.

Victor Diancourt sur son lit de mort
Dessin par V. Charlier-Teutsch, 12 mai 1910
(Coll. B.M. Reims)

En 1870, il était devenu membre titulaire de l’Académie nationale de Reims, qui avait distingué en lui le lettré, depuis la publication de sa tragédie intitulée Hercule et Omphale (Strasbourg, Berger-Levrault, 1866, in-12, 80 p.), imprimée pour ses amis à 50 exemplaires et illustrée de photographies d’après les dessins de l’architecte Auguste Reimbeau (1826-1865), et sa conférence faite à la Société industrielle de Reims sur Le Théâtre pendant la Révolution (Reims, Luton, 1869, in-8, 32 p.), imprimée à 20 exemplaires.


Sa lecture, faite à la séance publique de l’Académie du 30 juillet 1874, sur Le Goût des livres (Reims, Imprimerie coopérative, 1875, in-8, 23-[1 bl.] p.), tirage à part à 25 exemplaires des Travaux de l’Académie nationale de Reims (Reims, Paul Giret, 1875, 55e vol., p. 65-85), où il décrivit spirituellement les divers types d’amateurs, lui valut d’être président de l’Académie en 1874-1875 :

« Sans entrer dans le détail infini d’une classification interminable, nous diviserons les livres et les amateurs en deux groupes : d’un côté les ouvrages d’étude ou de délassement, vaste champ ouvert à tous ceux qui savent lire ; de l’autre les ouvrages de luxe et de curiosité, domaine restreint d’un public raffiné qui ne lit guère. »


Les circonstances le révélèrent historien : Les Allemands à Reims en 1870. Aperçu historique (Reims, F. Michaud, 1883, in-12, 165-[1 bl.] p.), tiré à 300 exemplaires sur Hollande, numérotés et paraphés par l’éditeur, eut un tel succès qu’une deuxième édition augmentée fut publiée sous le titre Les Allemands à Reims, 1870-1871. Aperçu historique (Reims, F. Michaud, 1884, in-8, [6]-II-186-[2] p., 1 fac-similé), dont 150 exemplaires sur Hollande furent numérotés, les exemplaires sur vélin ne l’étant pas.

Outre un rapport sur le Concours de poésie (1884), des conférences sur Jeanne d’Arc (1887) et à propos de Valmy (1892), un comptes rendu (1900) et quelques discours, Victor Diancourt a laissé :

(Photographie Remy Bellenger)

Deux originaux rémois, les Hédoin de Pons Ludon, 1739-1866 (Reims, F. Michaud, 1885, in-8, 69-[1bl.], 4 pl.), tirage à part à 52 exemplaires des Travaux de l’Académie nationale de Reims (Reims, F. Michaud, 1885, 75e vol., p. 335-395) : Diancourt a bien connu Aubin-Louis Hédouin de Pons-Ludon (1783-1866), le bibliophile rémois, qu’il décrit :

« On le voyait circuler en ville d’un pas encore alerte, la tête couverte d’une casquette plate placée de travers sur de longs cheveux dont les mèches grisonnantes avaient déposé un épais vernis sur le col d’une longue lévite couleur olive, à boutons métalliques.
Les basques relevées de cette houppelande laissaient entrevoir de vastes poches de lustrine, ballottant sous le poids des livres qu’elles contenaient ; un pantalon à pont de même couleur, boutonné au-dessus de la cheville, livrait passage à des bas bleus qui s’engouffraient dans de vastes souliers lacés. Son costume se complétait d’un large gilet rayé recélant dans les profondeurs de ses poches une énorme montre en cuivre, de la famille des bassinoires, dont la breloque d’acier, toujours flottante, suivait tous les mouvements de son corps. Sa main droite s’appuyait généralement sur un énorme gourdin, de ceux qu’on désignait jadis sous le nom de juge-de-paix, ou rosse-coquin, et qui datait des beaux jours de la jeunesse dorée. Invariablement pendait à son bras un large panier couvert, où il entassait pêle-mêle, avec des livres et des brochures, du pain, des œufs durs, de la viande cuite au four, qui formaient sa nourriture exclusive, car il ne faisait pas de cuisine et n’allumait jamais de feu, même pendant les froids les plus rigoureux. » (p. 383-384)

Une philippique inconnue et une strophe inédite de Lagrange-Chancel, recueillies par un bibliophile (Paris et Reims, 1886, in-8, 42 p., 3 pl.), tirage à part à 150 exemplaires des Travaux de l’Académie nationale de Reims (Reims, F. Michaud, 1886, 77e vol., p. 106-133).


Propos de bibliophiles. Les Vicissitudes de la valeur vénale et de la recherche des chefs-d’œuvre dramatiques du XVIIe siècle et de quelques livres exceptionnels (Reims, Lucien Monce, 1909, in-8, 22 p.), tirage à part à 60 exemplaires numérotés des Travaux de l’Académie nationale de Reims (Reims, L. Michaud, 1909, 125e vol., p. 221-238), illustrant le vers du grammairien Térentianus Maurus « Pro captu lectoris habent sua fata libelli » [Par l’esprit du lecteur, les livres acquièrent leur propre destin], au cours des ventes Nodier (1827 et 1844), Soleinne (1843-1845), Aimé-Martin (1847), Bignon (1849), Monmerqué (1851), Walckenaer (1853), Bertin (1854), Giraud (1855), Hebbelinck (1856), Double (1863), Chaudé (1867), Yemeniz (1867), Benzon (1875), Lebeuf de Montgermont (1876), Rochebilière (1882), Paillet (1887), La Roche Lacarelle (1888), Guyot de Villeneuve (1901), Daguin (1905).
   
Amateur d’art, Victor Diancourt collectionnait les sculptures, peintures, médailles, miniatures et estampes.
Bibliophile, il collectionnait particulièrement les éditions des grands auteurs français, surtout poètes et auteurs dramatiques, les livres illustrés du XVIIIe siècle, les reliures qu’il commandait à Marius Michel, Gruel, Allô et Stroobants, les caricaturistes (Gavarni, Daumier, Granville) et les imprimés de l’époque révolutionnaire. 
Il aimait parler des livres et avait l’habitude de faire imprimer le texte de ses travaux à quelques exemplaires seulement et de les distribuer, avec ou sans dédicace. 



(Coll. B.M. Reims)

(Coll. B.M. Reims)



Il possédait quatre ex-libris, dont le plus utilisé avait été gravé par Stern : une bannière portant son chiffre enlacé, attachée à une hampe portant la devise « ELIGERE, COLLIGERE, LEGERE » [choisir, recueillir, lire] et son nom [82 x 66 mm.].  

Cabinet de travail, 10 place Godinot
Meuble à droite et à gauche de la cheminée
(Coll. B.M. Reims)

À son domicile, place Godinot, son cabinet de travail renfermait les plus précieux des 20.000 volumes de sa bibliothèque, qu’il légua, par testament, à sa ville natale.  

Ex-libris de Victor Charlier
(Coll. B.M. Reims)

Dans La Vérité sur le sauvetage de la bibliothèque et des archives de Reims. Notes d’un témoin. 1914-1918 (Reims, Imprimerie Delarue et Maquin, 1929, in-8, 10 p.), Victor Charlier-Teutsch (1866-1939), artiste peintre et sous-bibliothécaire à la Bibliothèque municipale, installée depuis 1809 au 1er étage de l’Hôtel de Ville, raconta les péripéties du sauvetage des livres et des archives, du mois de mai 1915 au mois d’avril 1917, transportés à l’aide d’une charrette à bras dans les caves voûtées du musée, rue Chanzy, et dans la crypte de la basilique Sainte-Clotilde. Les manuscrits et les incunables, ainsi que des livres parmi les plus précieux furent évacués par le train, à Paris et à Toulouse. Environ 30.000 ouvrages sur 150.000 furent ainsi sauvés. 

La B.M. de Reims, à l'Hôtel de Ville

Mais l’incendie de l’Hôtel de Ville du 3 mai 1917 provoqua des pertes irréparables, dont les collections de presse régionale, la chalcographie et environ 16.500 volumes du legs de Victor Diancourt.

Roger Laslier (1925-2004), conservateur à la Bibliothèque municipale de Reims, a rédigé le Catalogue des livres imprimés du legs Victor Diancourt (Reims, Bibliothèque municipale, 1974, in-8, viii-378 p., front., h.-t.).

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