mardi 29 janvier 2013

L’ Identité révélée du marquis de Bruyères-Chalabre

Tous les dimanches, le marquis de Chalabre déjeunait chez Pixerécourt. Là, il retrouvait Nodier, le Bibliophile Jacob et le marquis de Ganay. Jaloux des livres de Pixerécourt, qui refusait de les lui vendre, le marquis s’était vengé en achetant, non pas à la vente de Madame de Castellane (1834) comme il a été raconté [le marquis de Chalabre était décédé depuis deux ans], mais directement à Mathieu de Villenave (1762-1846), une lettre autographe signée de Henri IV à la marquise de Verneuil, sans date, que Pixerécourt ambitionnait d’avoir depuis dix ans.
« N’importe ! dit Pixerécourt, furieux : je l’aurai !
-          Quoi ? demanda le marquis de Chalabre.
-          Votre autographe.
-          Et quand cela ?
-          À votre mort, parbleu ! »
Et Pixerécourt tint parole. À la mort du marquis de Chalabre, il acheta l’autographe.

La bibliomanie peut aller jusqu’au délire. Le marquis de Chalabre, ambitionnant d’avoir une Bible que personne n’eût, tourmenta Nodier pour qu’il lui indiquât un exemplaire unique. Nodier fit mieux : il lui indiqua un exemplaire qui n’existait pas. Le marquis se mit aussitôt à la recherche de cet exemplaire. Plus la Bible était introuvable, plus le marquis mettait d’ardeur à la trouver. Les recherches durèrent trois ans, en vain.
Un jour, on apporta au marquis de Chalabre une Bible. Ce n’était pas la Bible indiquée par Nodier : elle n’était pas unique, mais seulement le second exemplaire connu. Le marquis l’acheta néanmoins, moyennant la somme de 2.000 fr., la fit relier et la mit dans une cassette particulière.

Le marquis de Chalabre devint amoureux de Anne-Françoise Boutet (1779-1847), comédienne connue sous le nom de « Mademoiselle Mars ». Celle-ci lui trouvait bonne façon et beaucoup d’originalité, mais sa figure ombragée d’une barbe noire, son teint cadavéreux, ses deux yeux brillants et renfoncés dans leur orbite ne la réjouissaient que médiocrement, et elle l’avait surnommé « le beau ténébreux ». Il la suivait dans toutes les villes où elle jouait, l’invitait à souper et l’accablait de présents, qu’elle refusait le plus souvent : fortes sommes en billets de banque, une très belle maison de campagne à Sceaux, un exemplaire des Lettres choisies de Madame de Sévigné (Paris, Bossange et Masson, 1815, 2 vol. in-12), avec l’ex-dono anonyme sur la garde « Quand on aime, on se plaît à l’écrire », etc. À cette époque, Mademoiselle Mars n’était pas libre, et cette poursuite obstinée pouvait amener quelques ennuis. C’est ainsi qu’un soir, au théâtre, le marquis vint chercher querelle au colonel Antoine-Fortuné de Brack (1789-1850) : l’affaire se termina heureusement à l’amiable.

Le marquis de Chalabre commença très tard à acheter des livres, à la vente Duriez (1827), puis des autographes, à la vente Techener (1831). Il ne regardait pas à payer ce qu’il désirait.
Sur la fin de sa vie, il avait pris Thouvenin en grippe, persuadé que le relieur, qu’il avait chargé de réparer un exemplaire du comte d’Hoym, lui avait changé son exemplaire.
Quand il mourut, le marquis laissa sa bibliothèque à Mademoiselle Mars. Celle-ci pria Merlin de classer les livres du défunt et d’en faire la vente. Un jour, Merlin entra chez Mademoiselle Mars avec 30 ou 40.000 fr. de billets de banque à la main : il les avait trouvés dans une espèce de portefeuille pratiqué dans la reliure de la Bible presque unique.
La vente du cabinet du marquis eut lieu du 6 au 25 mai 1833, en 17 vacations : Catalogue des livres imprimés et manuscrits et des autographes, composant le cabinet de feu M. de Bruyères Chalabre (Paris, J.-S. Merlin, 1833, in-8, [2]-4-136 p., 920 lots de livres et 570 lots d’autographes). 

« Le beau cabinet dont nos publions le catalogue n’est que le commencement d’une bibliothèque que M. de Bruyeres Chalabre se proposait d’étendre, lorsque la mort est venue le frapper dans un âge encore peu avancé. On s’étonnera sans doute de trouver déjà, dans une réunion dont il ne s’occupait sérieusement que depuis quelques années, un aussi grand nombre de raretés bibliographiques, et dans quelques parties un ensemble qui ne s’obtient guère que lentement. Mais M. de Bruyeres Chalabre, riche, ami du beau et impatient de jouir, ne suivait pas seulement la marche ordinaire des ventes pour y arrêter les belles choses qui s’y présentaient, il pénétrait dans les cabinets des amateurs, et souvent il leur arrachait, à force d’argent, les objets dont ils étaient le moins disposés à se dessaisir. C’est avec de tels sacrifices que sont entrés dans son cabinet une partie des manuscrits et des éditions anciennes, ainsi que les beaux Elzeviers qui en font un des principaux ornemens ; c’est ainsi encore que s’est formée, en moins de trois années, la collection d’autographes qui termine le catalogue, collection aussi précieuse dans son ensemble que curieuse dans ses détails, et la plus belle qui ait encore paru en vente. […]
Les livres qui sont en reliûres anciennes sortent, pour la plupart, des bibliothèques de De Thou, de Colbert, de Longepierre, du comte de Hoym, de Girardot de Préfond, de Gaignat ; les reliûres des Deseuil, des Padeloup, des Derome, y abondent ; les reliûres modernes sont presque toutes des premiers ateliers de la capitale. » [sic]

5. Biblia (latina) cum summariis (Paris, Fradin et Picard, 1497).  In-fol., goth., réglé, mar. r., dent., tr. dor., signature « M. Stuart » sur le titre, 105 fr. Ex. de Duriez (n° 8).
94. Le Miroir de l’humaine salvation, traduction française du Speculum humanae salvationis de Vincent de Beauvais. In-fol. relié en bois, recouvert de v. f. chargé d’ornements à froid, avec coins, clous et fermoirs en cuivre. Très beau manuscrit du xve siècle, sur peau de vélin, orné de 168 miniatures en or et en couleur. Provient de la bibliothèque de Duriez, à la vente duquel il fut payé 2.860 fr. Adjugé 1901 fr. à Crozet.
128. Lactantii Firmiani de divinis institutionibus adversus gentes Libri VII (In Monasterio sublacensi, 1465). In-fol., mar. r., fil., tr. dor., 1.550 fr. à Techener. Première édition de Lactance, et premier livre imprimé avec date en Italie, rarissime, ex. de Renouard vendu 80 liv. st. à Londres en 1830.
139. Traité de la nature et de la grâce, par Malebranche (Amst., Dan Elzevir, 1680) avec Esclaicissement, par le même (Amst., veuve Dan Elzevir, 1681).  In-12, réglé, mar. r., fil., tr. dor., Duseuil, 43 fr. Ex. de Nodier, avec  « Le seul exemplaire connu où se trouve la seconde partie » de sa main.

149. Des. Erasmi rot. Ecclesiastae sive de ratione concionandi libri quatuor (Basilae, in offic. Frobeniana, 1535). In-fol., v. f., à compartim., tr. dor., 49 fr. 05 c. (Nugent, 1826, 120 fr. Coste, 1854, 530 fr.). Ex. de Grolier avec titre et nom seulement, contrairement à ce qu’annonce le catalogue (« avec sa devise »).
153. Thomae à Kempis, de Imitatione Christi Libri IV (Lugd. [Bat.], Joh. et Dan. Elzevirii, absque anni nota). In-12, mar. r., fil., doublé de tabis, tr. dor., Derome, 153 fr. 05 c. Ex. de Renouard. 
187. Traité de l’existence et des attributs de Dieu (Amst., J. F. Bernard, 1727). In-12, réglé, 3 vol., mar. r., fil., tr. dor., Padeloup, 86 fr. 50 c. Ex. du comte d’Hoym avec la signature de Guyon de Sardière.
265. Le comte de Gabalis, ou Entretiens sur les sciences secrètes, par l’abbé de Villars (Paris, Barbin, 1670). In-12, mar. r., doublé de mar. vert, tr. dor., 42 fr. 50 c. Ex. de Longepierre, portant sa signature.



284. Mutus Liber (Rupellae, P. Savouret, 1677). In-fol., fig., v. f., fil., tr. dor., 18 fr. Rare.
291. Le Miroir d’alquimie de Rogier Bacon, avec Rogier Bachon, de l’admirable pouvoir et puissance de l’art et de nature, et L’Elixir des philosophes, attribué au pape Jean XXII (Lyon, Macé Bonhomme, 1557). In-16, mar. v., dent., tr. dor, 30 fr. Ex. de Gaignat.



304. Catalogue raisonné de coquilles et autres curiosités naturelles, par Gersaint (Paris, 1736), avec Catalogue d’une collection considérable de curiositez de différens genres, par le même (Paris, 1737). In-12, mar., r., fil., tr. dor., aux armes du Dauphin, avec prix, 10 fr. 50 c.
342. Les Dix Livres d’architecture de Vitruve (Paris, Coignard, 1673). In-fol., fig., mar. r., fil., tr. dor., aux armes de Colbert, 43 fr.
350. Le Roy Modus des deduitz de la chace (Paris, Guill. Lenoir, 1560). In-8, fig. en bois, mar. bl., fil., tr. dor., Thouvenin, 49 fr. 95 c.
355. Traité de la relieure des livres, par Gauffecourt (1763), d.-rel., très rare, tiré à 12 ex., 15 fr. 60 c.
395. Stephani Doleti Orationes duae in Tholosam (S. l., s. n., s.d. [Lyon, Gryphius ?, 1534]). In-8, v. f., fil., le plus rare des livres de Dolet, 16 fr.
429. Q. Horatii Fl. Poemata (Amst., Dan. Elzevir., 1676). In-12, vél., non rogné, 150 fr. Payé 280 fr. à la vente Bérard.
436. Les Odes d’Horace en vers burlesques (Leyde, J. Sambix [Elzevir], 1653). In-12, mar. citr., dent., non rogné, très rare, 64 fr. 50 c.
486. Francisci Philelfi satyrarum hecatosticon decades X (Mediolani, per Christ. Valdarpher, 1476). In-fol., d.-rel., dos de mar. r., première édition fort rare, 290 fr. Ex. de Renouard payé à Londres 33 liv. sterl. en 1830.
501. Constant. Hugenii Momenta desultoria (Lugd.-Batav., Bonav. et Abr. Elzevirii, 1644). In-8, mar. vert, fil., tr. dor., rel. anc., signature de J. Racine, 19 fr. 50 c.
595. La Célestine (Paris, G. Robinot, 1578). In-16, réglé, mar. bl. à compart., tr. dor., quelques piqûres, aux chiffres de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, 32 fr.
598. Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé (Paris, Quillau, 1718). In-8, mar. vert à riches compart. en mosaïque, doublé de tabis, tr. dor., 180 fr. 95 c. Ex. Renouard payé 10 liv. sterl. à Londres en 1830.
674. T. Ciceronis Opera (Lugd. Bat., ex offic. Elzevir., 1642). In-12, 10 vol., mar. bleu, dent., doublés de moire, tr. dor., Derome, 341 fr. Ex. Renouard, avec quelques défauts.
677. L. Ann. Senecae philosophi Opera omnia (Lugd.-Bat., Elzevirii, 1640). In-12, réglé, 3 vol., vél. Avec Joh.-Fred. Gronovii ad L. et M. Ann. Senecas Notae (Lugd.-Bat., ex offic. Elzevir., 1649), réglé, plié. Non rogné, 500 fr.
753. L’Histoire de Cyrus, roi de Perse. In-fol., mar. bleu, dent., Bozerian jeune, 715 fr. Manuscrit du xve siècle, sur vélin, avec 7 miniatures.
765. Titi Livii Historiarum Libri (Lugd.-Bat., ex offic. Elzevir., 1634, 3 vol.), avec Joh.-Fred. Gronovii in Titum Livium notae (Lugd.-Bat., Elzevirii, 1645, 1 tom. en 2 vol.), avec Supplementorum Livianorum Decas (Holmiae, Janssonius, 1649, 1 vol.). Les 6 vol. in-12, mar. bleu, dent., doublés de tabis, tr. dor., 109 fr. Ex. Renouard.
779. C. Jul. Caesaris Commentarii (Venetiis, Nic. Jenson, 1471). In-fol., mar. bleu, à compart., mors et bords de mar. bleu, tr. dor., Bozerian jeune, 400 fr. Ex. payé à Londres en 1830 à la vente Renouard, 23 liv. st. et 2 sch.
793. P. Cornelii Taciti ab excessu Augusti annalium libri sedecim (Lugd., Haeredes S. Gryphii, 1559). In-16, mar. bl., fil., tr. dor., aux armes du comte d’Hoym, 17 fr. Le catalogue d’Hoym ne porte pas cette édition pour la raison que cet exemplaire est remboîté.
809. Figures des monnoyes de France, par J.-B. Haultin (1619). In-4, mar. bleu à compart., doublé de tabis, tr. dor., fort rare, 99 fr. Payé 7 liv. st. 17 sch. à Londres en 1830, à la vente Renouard.
818. Les Mémoires de Phil. de Commines (Leyde, Elzeviers, 1648). In-12, mar. r. à compart., mors et bordures de mar., tr. dor., [reliure assez laide] 107 fr. Haut de 5 pouces 1 ligne.
823. Le Cabinet du roy de France, par N. D. C. [Nic. Barnaud] (1581). In-8, réglé, mar. vert à riches compart., tr. dor., aux chiffres de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, 66 fr.
829. Histoire de France et des choses mémorables advenues aux provinces estrangères (Paris, Métayer, 1605). In-4, réglé, mar. r., couvert de fleurs de lis, tr. dor., aux armes et au chiffre de Marie de Médicis, 26 fr. 50 c.
840. Mémoires du duc de La Rochefoucauld et de M. de La Chastre (Villefranche, 1702). In-12, mar. r., fil., tr. dor., aux armes du comte d’Hoym, 49 fr. 95 c.
844. Remarques curieuses sur plusieurs songes de quelques personnes de qualité (Amst., Jac. Le Jeune, 1690). In-12, mar. vert, fil., tr. dor., Derome, 65 fr. 05 c.
856. La Ville et la République de Venise, par le chev. de Saint-Disdier (La Haye, Adr. Moetjens, 1685, 4e édition). In-12, v. gris, dent. à froid, non rogné, Simier, 97 fr. Ex. de Nodier, avec note de sa main qui restitue à Dan. Elzevir cette édition.
894. Manuel du libraire et de l’amateur de livres, par Brunet (Paris, 1820). In-8, 4 vol., d.-rel., dos de v. bleu, papier fort, 85 fr.

La première grande collection d’autographes qui ait été mise en vente fut celle du marquis de Chalabre, « formée en trois années, à force d’or, par un amateur qui n’aimait pas à attendre. » Elle était surtout riche à partir de Louis XIII et dans la série des rois et maîtresses, chronique d’alcôve et de cour.

Il y eut un supplément à ce catalogue, sous le titre de Notice de livres et d’autographes dépendans du cabinet de feu M. de Bruyères-Chalabre (Paris, J.-S. Merlin, 1833, in-8, [2]-9-[1 bl.] p., 35 lots d’imprimés et 87 lots d’autographes), dont la vente se déroula en deux vacations, les 31 mai et 1er juin 1833.

Qui était donc ce marquis de Chalabre bibliophile ?
Tout le monde en a parlé, souvent d’une manière anecdotique ou erronée : Eugène Roger de Beauvoir dans la Revue de Paris, Charles Nodier dans le Bulletin du bibliophile, Élisa Aclocque dans ses Souvenirs anecdotiques sur Mademoiselle Mars, Alexandre Dumas dans Les Mariages du Père Olifus, Paul Dupont dans son Histoire de l’Imprimerie, Madame Roger de Beauvoir dans ses Confidences de Mlle Mars, Mathurin de Lescure dans ses Autographes, le baron Pichon dans des notes publiées dans le Bulletin du bibliophile, Gabriel Hanotaux dans ses Bibliophiles, etc.
Personne ne s’est soucié de transmettre son identité véritable.

Après avoir eu soin de ne pas le confondre avec Roger, dit « le comte de Chalabre », administrateur des jeux de Paris, on découvre qu’il s’agit de Jean-Marthe-Félicité de Bruyères, marquis de Chalabre. Il était d’une très ancienne famille ayant pris son nom de la terre de Bruyères (Essonne), près d’Arpajon. Après la guerre contre les Albigeois et le partage des domaines du comte de Toulouse, cette famille reçut dans son lot la principauté de Chalabre (Aude), près de Carcassonne. Ses armes étaient « D’or, au lion de sable, armé et lampassé de gueules, la queue fourchée et passée en sautoir. »



Le marquis de Bruyères-Chalabre est né à Paris, le 26 juillet 1785, fils de Jean-Louis-Félicité de Bruyères-Chalabre (1762-1838), ancien chef d’escadron et député de l’Aude, et de Anne-Françoise Bouret d’Érigny (1764-1785). Il mourut à Paris, le 28 mai 1832.  


vendredi 25 janvier 2013

Le Comte de Mosbourg et « la boîte à 10.000, et plus »

Jean-Antoine-Michel Agar (Mercuès, Lot, 1771-Paris, 1844) passa une grande partie de sa jeunesse à Saint-Domingue, devint avocat à Cahors (Lot), suivit son ami d’enfance, le maréchal Murat, dont il épousa en 1807 une des nièces, Alexandrine Andrieu (1791-1811), et reçut, pour prix de ses services, le comté de Mosbourg, en Bavière. Il fut créé comte de Mosbourg par décret en 1813. Devenu roi de Naples, Murat le nomma son ministre des finances. Il rentra en France en 1815, épousa Alexandrine Janet (1796-1874) en 1819, fut élu député du Lot en 1830, puis élevé à la dignité de pair de France en 1837.

En dehors de sa féroce bibliophilie, on en sait moins sur le fils que lui donna sa seconde épouse, Michel-Pierre-Antoine-Laurent Agar, comte de Mosbourg. Il naquit à Paris le 8 novembre 1824, fut ministre plénipotentiaire à Karlsruhe, puis à Vienne, et mourut célibataire, en son domicile, 9 quai Voltaire, le 16 mais 1892. Il fut le dernier représentant mâle de sa famille.
Le comte de Mosbourg fut surtout un fidèle de l’hôtel Drouot, de 1877, époque de la vente Turner, jusqu’à sa mort. Il forma une petite, mais précieuse, collection de merveilles les plus chères, semblant savourer le double plaisir de posséder un livre et d’en avoir privé ses confrères.

« C’était un vaillant acheteur que le comte de Mosbourg, faisant de la bibliophilie de haute lutte, et, pour son plaisir, combattant à visage découvert en vente publique : attaquant de face, tenant bon, même contre Morgand, et finalement, à ce jeu-là, conquérant souvent le morceau, mais au triple du grand maximum ; de vrais prix de bibliophile de 1875. », écrivit Henri Beraldi en 1896.


Oeuvres de Diderot (Paris, Desray et Deterville, 1798-1821, 17 vol. in-8)
Reliure de Jean-Claude Bozerian
(Christie's, Londres, 01/06/2005, 16.800 €)
La vente de la première partie de son Catalogue des livres rares et précieux, manuscrits et imprimés, provenant de la bibliothèque de feu M. le comte de Mosbourg (Paris, Ch. Porquet, 1893, in-8, IX-112 p., 367 lots) eut lieu du 6 au 9 février 1893 et fut un événement bibliophilique.
La vente produisit 332.000 francs. Pourtant, des sommes non négligeables furent perdues sur des livres que le comte de Mosbourg avait achetés à des prix variant entre 5.000 et 20.000 francs ; mais il est vrai que souvent c’était son intervention qui avait fait monter ces livres à des prix excessifs et impossible à maintenir. La perte la plus considérable a été faite sur le numéro 285 de son catalogue. On a souvent parlé des bonnes affaires et des bénéfices des bibliophiles : « sur quinze articles ayant coûté 154.000 francs et revendus 91.000, soixante-trois mille francs de perte apparente, quatre-vingt-dix-huit mille de perte réelle. […] Là, les Trautz furent enveloppés dans la débâcle. Dix-huit articles reliés par lui et payés 33.154 francs firent 8.290. Sur certains livres la perte allait des cinq sixièmes aux huit neuvièmes du prix coûtant ! », ajouta Beraldi.

19. D. Aurelii Augustini libri XIII confessionum, édition elzévirienne de 1675, mar. bleu ancien aux insignes de Longepierre, 2.600 fr. (Lacarelle, 1888, 4.100 fr.).
24. Sermons et Pensées de Bourdaloue, 1707-1734, 16 vol. in-8, mar. citron aux insignes de Longepierre. 3.600 fr. (Ganay, 1882, 6.000 fr.).
26. Les Provinciales. Cologne, 1700, 2 vol. in-12, mar. doublé de Boyet aux armes de Madame de Chamillart. 9.250 fr. (Ganay, 1882, 10.000 fr.). Adjugé au comte de Sauvage.
27. Instruction sur les états d’oraison, par Bossuet, 1697, édition originale, mar. rouge aux armes de Bossuet, avec un autographe de l’auteur, 820 fr. (Didot, 1882, 1.320 fr.).
39. Cicéro, De officiis, édition elzévirienne de 1642, in-12, mar. doublé aux armes du comte d’Hoym, 3.450 fr. (Lacarelle, 1888, 4.000 fr.).
59. Monument du costume, 1774-1777-1783, les trois suites complètes des figures de Moreau le Jeune et Freudeberg, 9.000 fr. (Muller, 1891, 10.200 fr.).
63. Le Roy Modus, 1560, mar. doublé de Trautz, 700 fr. (Quentin-Bauchart, 1881, 4.000 fr. ; Delbergue-Cormont, 1884, 1.475 fr.).
64. La Chasse royale de Charles IX, 1625, mar. rouge de Derome, 6.950 fr. (Béhague, 1880, 13.282 fr.).
70. Anacreontis carmina, Paris, 1639, édition donnée par le célèbre abbé de la Trappe, de Rancé, à l’âge de 12 ans, puis supprimée par l’éditeur lui-même, exemplaire dans une superbe reliure mar. rouge de Le Gascon, un des trois qu’on connaisse ainsi reliés, 2.715 fr. (Desbarreaux-Bernard, 1879, 2.530 fr.).
80. Les Poésies d’Horace, 1750, 2 vol. in-12, mar. rouge aux armes de Madame de Pompadour, 580 fr. (Firmin-Didot, 1879, 605 fr.).
91. Joannis Joviani Pontani opera, édition aldine de 1518, mar. br., avec filets et compartiments, exemplaire de Grolier, portant son nom et sa devise, 4.520 fr. (Techener, 1887, 5.000 fr. ; Franchetti, 1890, 6.500 fr.).
98. L’Eschole de Salerne, édition elzévirienne de 1651, pet. in-12, maroq. cit., mosaïque de mar. bleu et rouge doublé de mar., non rog., de Trautz-Bauzonnet, 10.060 fr. (Béhague, 1880, 16.100 fr.). Exemplaire de Clinchamp, passé chez le comte de Béhague : reliure à mosaïque [compart. à losanges], réalisée par Trautz-Bauzonnet en 1853. L’exemplaire de Hoe [1912, n° 2.108, adjugé 17.500 fr. à Cortland F. Bishop], dont la description est : « 12mo, citron levant morocco gilt, doublures of blue morocco, elaborately tooled in panels, gilt edges, by Trautz-Bauzonnet. » est le n° 99.
103. Le Chevalier délibéré, d’Olivier de la Marche, Gouda, 1483, un des plus précieux de la vente, seul exemplaire connu, exemplaire ayant appartenu à Colbert, puis à Hoym, qui l’avait fait relier en veau fauve à ses armes, reliure cassée pour la remplacer par une reliure mar. vert doublé mar. rouge de Trautz-Bausonnet, 13.520 fr. (Ganay, 1881, 16.200 fr.).
105. Les Œuvres de Clément Marot, La Haye, 1700, qu’on joint aux elzévirs, 2 vol. in-12, mar. doublé de Boyet, 2.600 fr. (Béhague, 1880, 3.120 fr.).
107. Les Marguerites de la Marguerite des princesses, Lyon, 1547, mar. doublé de Trautz, 1.200 fr. (Essling, 1881, 4.450 fr. ; Hoe, 1912, 1.805 fr.).
110. Les Odes d’Olivier de Magny, Paris, 1559, mar. rouge ancien, 735 fr. (Ganay, 1881, 1.400 fr. ; Lacarelle, 1888, 1.115 fr. ; Franchetti, 1890, 610 fr.).
111. Les Diverses Poésies du sieur de La Fresnaye Vauquelin, Caen, Macé, 1612, mar. doublé de Trautz, 1.000 fr. (Quentin-Bauchart, 1881, 3.600 fr. ; Delbergue-Cormont, 1884, 1.480 fr.).
114. La Guirlande de Julie, le moins beau des deux manuscrits calligraphiés par N. Jarry en 1641, celui-ci dépourvu de tout ornement, belle reliure de Le Gascon, 19.000 fr. (Sainte-Maure-Montausier, 15.030 fr.).
118. Fables de La Fontaine, édition originale de 1668, in-4, mar. vert de Trautz, 550 fr. (Silvestre de Sacy, 1879, 2.045 fr.).
119. Fables de La Fontaine, 1678-1694, édition originale complète en 5 vol., mar. rouge doublé de Boyet, 10.000 fr. (Turner, 11.950 fr.).
121. Fables de La Fontaine, édition de 1755-1759, fig. d’Oudry, 4 vol. in-fol., grand papier de Hollande, mar. ancien aux armes de la comtesse de Montessuy, 7.500 fr. (Paillet, 10.000 fr. ; Muller, 6.600 fr.).
125. Contes de La Fontaine, 2 vol. in-12, 1762, édition des Fermiers Généraux, mar. rouge  avec dentelles de Derome, 3.000 fr. (Ganay, 4.700 fr.).
144. Chansons de Laborde, avec le portrait, 4 vol. mar. rouge ancien, 3.910 fr. (E. Martin, 1877, 6.400 fr.).
164. Œuvres de Molière, 1741, recherchée pour ses figures de Punt, 4 vol. in-12, mar. rouge d’Anguerran, 510 fr. (Béhague, 1.000 fr.).
177. Les Amours de Daphnis et Chloé, s. l. [Paris], 1718, in-8, édition dite du Régent, exemplaire du Régent, à ses armes, dans une reliure mosaïque de Padeloup, 12.500 fr. (Quentin-Bauchart, 1881, 17.500 fr. ; D. C., 1885, 10.650 fr.).



178. Même ouvrage, même édition, mar. rouge, larges dentelles, avec attributs, 1.900 fr. (J.-C. Brunet, 1868, t. I, n° 413 ; H. Grésy, 1869 ; Montgermont, 1911 ; Rahir, 1930 ; Christie’s, 8 novembre 2004, 37.600 €).
187. La Plaisante et Joyeuse Histoire du grand géant Gargantua, Lyon, Dolet, 1542 ; dans le même vol. Pantagruel, 1542, et le Tiers Livre, Paris, 1547. Vélin blanc, 8.020 fr. (Techener, 1887, 14.100 fr.).
189. Œuvres de Rabelais, édition elzévirienne de 1663, 2 vol. in-12, ex. mesurant 135 mm., mar. doublé de Trautz-Bauzonnet, 450 fr. (Ganay, 1881, 1.700 fr.).
194. La Princesse de Clèves, édition originale de 1678, avec la critique, 4 vol., rel. Trautz, 285 fr. (Silvestre de Sacy, 1879, 1.310 fr.).
197. Mémoires de Grammont, Londres, 1792, in-4, mar. bleu de Thouvenin, 520 fr. (Silvestre de Sacy, 1879, 375 fr.).
202. Manon Lescaut, 1797, 2 vol. in-18, figures de Lefèvre avant la lettre et eaux-fortes, mar. bleu de Trautz, 1.200 fr. (Quentin-Bauchart, 1881, 4.450 fr.).
205. Les Amours de Faublas, an VI, 4 vol. in-8, épreuves avant la lettre, avec des planches doubles offrant des variantes, mar. de Trautz, 1.300 fr. (Turner, 3.750 fr.).
216. Le Songe de Poliphile, édition princeps, Venise, Alde Manuce, 1499, in-fol., superbe reliure veau fauve de l’époque, 10.020 fr. (Gosford, 1884, 14.800 fr.).
217. Même ouvrage, trad. française de 1554, rel. veau par Thouvenin, aux armes de la duchesse de Berry, ex. médiocre, 325 fr. (Firmin-Didot, 1882, 935 fr.).
231. L’Origine des puces, Londres, 1749, in-12, texte gravé, mar. rouge ancien, armes de Madame de Pompadour, 2.384 fr. (Lebeuf de Montgermont, 1876, 1.150 fr. ; Quentin-Bauchart, 1881, 1.410 fr.).
238. Giordano Bruno Nolano, 1585, rel. mosaïque de Padeloup, 7.100 fr. (Laroche-Lacarelle, 1888, 6.000 fr. ; Franchetti, 1890, 8.120 fr.). Ce vol. avait fait partie des collections Girardot de Préfond et Mac-Carthy.
239. Les Divers et Mémorables Propos, par Gilles Corrozet, Lyon, 1558, in-16, mar. bleu aux armes de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, 2.850 fr. (Ganay, 1881, 2.770fr.).
268. Histoire des variations, par Bossuet, 1688, 2 vol. in-4, édition originale, mar. rouge ancien aux armes de Bossuet, 5.100 fr. (Roger du Nord, 1884, 5.110 fr.).
275. C. J. Caesaris comment., Amsterdam, 1661, in-8, mar. rouge de Le Gascon, compartiments, dorure à petits fers, aux armes et au chiffre de Du Fresnoy, 2.200 fr. (Gosford, 1882, 3.419 fr.).
277. Procopius, 1509, in-4, veau brun, riches compartiments, volutes et fleurs en or et en couleurs, rel. exécutée pour Th. Maioli, avec son nom et sa devise, 5.300 fr. (Firmin-Didot, 6.700 fr.).
285. L’Entrée de Henri II à Paris, 1549, in-4, ex. célèbre, en papier fort, dans son vélin blanc primitif, aux armes et au chiffre de J.-A. de Thou, 13.000 fr. (Beckford, 1882, 11.750 fr. ; Destailleur, 1891, 20.200 fr.).
286. L’Entrée de Charles IX, 1572, in-4, ex. en vélin blanc, aux armes de J.-A. de Thou, 3.900 fr. (Destailleur, 1891, 10.200 fr.).
296. Histoire de Henri le Grand, par Péréfixe, édition elzévirienne de 1664, in-12 mar. rouge par Derome, 505 fr. Provient de Pixerécourt.
310. Recueil des portraits et éloges, par Mademoiselle de Montpensier, Paris, 1659, in-8, mar. rouge aux armes de Mademoiselle de Montpensier, portant sur le titre la signature de Charles de Lorraine, 10.685 fr. (Turner, 14.000 fr. ; Lacarelle, 15.080 fr.).
330. Histoire de Gustave Adolphe, 1686, in-12, mar. rouge aux armes du duc de Montausier et de Julie d’Angennes, 595 fr. (Béhague, 1.305 fr.).

La seconde partie, passée antérieurement les 5 et 7 décembre 1892, ne semble pas avoir laissé de trace dans les annales de la bibliophilie : Bons livres anciens et modernes, bien conditionnés, provenant de la bibliothèque de feu M. le comte de Mosbourg (Paris, Ch. Porquet, 1892, in-8, 35 p.).



L’ex-libris du comte de Mosbourg porte le blason incomplet de sa famille.




mardi 22 janvier 2013

Nouvelles découvertes sur le relieur Théodore Hagué

Dès le xviiie siècle, les amateurs n’hésitèrent pas à substituer aux reliures des livres anciens, d’autres reliures au goût de leur époque. Au cours du siècle suivant, qualifié « le siècle de la copie » par Henri Beraldi (1849-1931), ils se mirent à rechercher les livres anciens dans leurs reliures originales, et, quand ces reliures étaient en mauvais état, ils faisaient réaliser des restaurations ou, comme Charles Nodier (1780-1844) ou Joseph Barrois (1784-1855), ils les faisaient remplacer par des pastiches, aux décors dits « rétrospectifs ». C’est alors que des artisans peu scrupuleux firent circuler des reliures falsifiées, copiant de préférence les chefs-d’œuvre de la Renaissance, ou ajoutant à des reliures anciennes des armoiries prestigieuses : tandis que Vittorio Villa († 1892) sévissait à Bologne, puis à Milan, d’autres collectionneurs furent abusés, à Paris, à Bruxelles et à Londres par Théodore Hagué (1823-1891).

Sextus et Clementinae de Tortis (Venise, Tortis, 1496)
Armes du pape Léon X
(Blacker, 1897, n° 91)

 On a cru longtemps que le prénom du célèbre « relieur-truqueur » Hagué était Louis, découvert dans les archives de la librairie londonienne Quaritch. Il se prénommait en réalité Pierre-Étienne-Théodore, selon son acte de mariage – perdu en 1871 et reconstitué – à Paris, du 31 décembre 1853, avec Eugénie Coutin, née à Reims le 11 août 1836. Il serait né à Paris, fils d’un chantre de la cathédrale, et serait venu à Reims pour faire son apprentissage chez le relieur Jean-Baptiste Tinot.

Tinot avait été formé par l’habile Charles-François Capé (1806-1867), rue Dauphine, à Paris, relieur de l’Impératrice Eugénie, qui était devenu célèbre pour ses compositions pastichées et qui, selon Edmond de Goncourt, « était inimitable pour la résurrection des reliures riches du xviiie siècle et de leurs arabesques fleuries ». Tinot avait ensuite fondé son atelier de reliure et dorure sur tranche en 1852, au n° 25 de la rue Saint-Symphorien, à Reims. Un peu plus tard, il le transféra au n° 5 de la rue de l’École de Médecine, puis au n° 36 de la rue du Bourg-Saint-Denis, actuelle rue Chanzy. Sa spécialité était, selon sa propre publicité, la « Reproduction de Reliures Antiques de toutes les époques ». Tinot exerça jusque vers 1882, eut une certaine vogue, et ses reliures furent remarquées dans les expositions régionales : à celle de Troyes, en 1860, il obtint une médaille d’argent pour ses très belles reliures, tandis que sa fille Clémentine, ouvrière chez lui, obtenait une mention honorable, et son contremaître, Riche, une médaille de bronze.

Pontificale romanum (Venise, Giunta, 1561)
Armes du pape Pie IV
(Wittock, 7 octobre 2005, 3.360 £)
Après son retour à Paris, Hagué partit pour Londres en 1858 et fut employé dans l’atelier de Joseph Zaehnsdorf (1816-1886), un des relieurs les plus remarquables de la seconde moitié du xixe siècle, mais dont les reliures reproduisaient les défauts reprochés à presque toutes les reliures anglaises, c’est-à-dire des châsses trop larges et des cartons trop épais.
Né en Hongrie, Zaehnsdorf avait fait son apprentissage à Stuttgart, puis avait travaillé en Autriche, en Suisse et en France avant de se rendre à Londres en 1837, où il travailla pour Westley & Co, puis pour Mackenzie. Il s’était installé à son compte en 1842 au 30 Brydges Street, Covent Garden : relieur du roi de Hanovre, il réalisait des reliures « in the Monastic, Grolier, Maioli and Illuminated styles ». C’est son fils, Joseph-William Zaehnsdorf (1853-1930), son associé puis son successeur, qui publia un traité pratique de reliure intitulé The Art of Bookbinding (London, George Bell & Sons, 1880).




Le Champion des dames (Lyon, J. du Pré, 1488)
Armes de Montmorency
(New York, 24 octobre 2007, 40.000 $)

À Londres, Hagué rencontra le célèbre Bernard Quaritch (1819-1899), surnommé par ses collègues « le tsar des libraires antiquaires », grand spécialiste de la reliure dite « historique », qui entretenait des rapports ambigus avec le monde des faussaires.
Né en Allemagne, Quaritch avait travaillé chez des libraires à Nordhausen et à Berlin avant de partir en 1842 à Londres, où il fut engagé par le premier libraire d’occasion d’Angleterre, Henry Bohn (1796-1884). Il s’était installé à son compte en 1847, au 16 Castle Street, Leicester Square. Vers 1858, il avait commencé à acheter des livres rares, et il avait déménagé en 1860 au 15 Piccadilly.

Hagué rencontra également le fameux Guillaume Libri (1803-1869) qui, poursuivi en France pour avoir soustrait frauduleusement de nombreuses pièces des dépôts publics, s’était réfugié à Londres en 1848 et avait été condamné par contumace en 1850 à dix ans de réclusion ; il continuait néanmoins d’organiser la vente des caisses de livres qu’il avait emportées avec lui. Hagué mourait presque de faim à Londres, lorsqu’il rencontra Libri qui le guida dans la restauration des vieilles reliures, alors authentiques. Il travailla également pour le duc d’Aumale, exilé à Londres depuis 1848, mais ayant mis les livres du prince en gage, il le perdit comme client. C’est alors qu’il se mit à fabriquer des fausses reliures.



Sextus liber Decretalium (Paris, U. Gering et B. Rembolt, 1500)
(Blacker, 1897, n° 39)
(New York, 19 mai 2000, 5.640 $)

Hagué quitta l’Angleterre et vint s’installer, vers 1868-1870, dans une maison de Croissy-sur-Seine (Yvelines).
Tandis qu’il réparait des reliures anciennes pour les amateurs et les libraires, il achetait discrètement des livres anciens dont la reliure était sans ornementation et les transformait en fausses reliures du xvie siècle pour des personnages illustres, brillamment exécutées. Il prenait les empreintes d’armoiries sur des volumes authentiques et, par les procédés nouveaux de la galvanoplastie, il fabriquait lui-même des fers armoriés absolument semblables aux anciens. Il travailla ainsi pour de grands bibliophiles : Joseph Renard (1822-1882), maire d’Écully (Rhône), l’imprimeur Ambroise-Firmin Didot (1790-1876), dont la bibliothèque renfermait au moins 67 reliures exécutées en fac-similé, dispersées au cours des six ventes publiques qui eurent lieu entre 1878 et 1884.
Ses stratagèmes finissant par être connus à Paris, il voyagea alors en Champagne, où il réussit à vendre à Eugène Deullin (1827-1897), riche banquier sparnacien, un certain nombre de reliures soi-disant historiques du xvie siècle. Cet amateur, cazinophile par ailleurs, ne tarda pas à céder ses fausses reliures, qui disparurent alors du marché français, à Edwin Tross (1822-1875), libraire-éditeur et bibliophile, rue Neuve-des-Petits-Champs, à Paris, qui connaissait la supercherie.


L'Histoire des successeurs de Alexandre le Grand
(Paris, Josse Bade, 1530)
(Londres, 7 juillet 2004, 5.378 £)

Après la guerre franco-prussienne, ses créanciers obligèrent Hagué à s’enfuir en Belgique, ce qui ne l’empêcha pas de revenir périodiquement en France. Le libraire parisien Anatole Claudin (1833-1906) rapporta que « sa présence [à Bruxelles] fut décelée par l’apparition soudaine d’un lot de reliures princières [...] Les gens honnêtes s’abstinrent ; mais, comme à Paris, des spéculateurs et des gens sans scrupule les achetèrent à de petits prix, espérant les repasser avec de gros bénéfices. »
Hagué était à Bruxelles sous un faux nom : « J. Caulin ». Son atelier était rue Caroly, à Ixelles, une des dix-neuf communes de la capitale. Il y réalisait des reliures rétrospectives du xvie siècle : il se réservait le travail de décoration et confiait le lavage et le corps d’ouvrage à des artisans habiles, dont Joseph-François Dubois d’Enghien. Il les proposait, comme authentiques, à Quaritch, qui prenait 5 % de commission, et avec lequel il entretenait une correspondance régulière, sous forme de lettres strictement personnelles et de lettres qui pouvaient être montrées à des acheteurs potentiels.

À partir de 1882, Quaritch eut des doutes sur l’authenticité des reliures que lui fournissait Caulin : certaines avaient des couleurs trop vives pour être du xvie siècle, d’autres présentaient des armes manifestement retouchées récemment ou dont le propriétaire était mort avant la date d’impression de l’ouvrage, d’autres encore semblaient avoir servi à un remboîtage. Quaritch contestait alors les prix trop élevés, mais Hagué continuait d’affirmer qu’il s’agissait de reliures authentiques. Parmi les clients amateurs figuraient le peintre Charles-Fairfax Murray (1849-1919), le fabricant de tapis Michael Tomkinson (1841-1921) et, « le gros client », John Blacker (1823-1896), homme d’affaires qui commerçait avec l’Amérique du Sud.
Ce dernier devint le seul client à partir de décembre 1885, après qu’il eut appris la véritable identité de Caulin, lors d’un voyage en France, à Blois : persuadé que Hagué voulait récupérer ses reliures à bas prix pour les revendre, il continua à acheter des reliures chez Quaritch. Celui-ci, pourtant informé de la découverte de Blacker, accepta de poursuivre les ventes, mais en dégageant sa responsabilité et en faisant passer sa commission à 10 % : il devenait ainsi complice du faussaire. C’est à cette époque que Caulin lui interdit la vente au duc d’Aumale et au baron de Rothschild, qui connaissaient sa malhonnêteté.


John Blacker et son fils Carlos

Chaque soir après le dîner, au 12 Sussex Square, Blacker examinait seul et en secret ses chers livres. Chaque livre était placé dans un coffret en cuir tapissé intérieurement de velours, fabriqué par Leuchars, installé dans Bond Street, et dans lequel était glissé un sachet parfumé Atkinson. Le bibliopégimane gardait à portée de main un tissu de soie permettant de cacher les livres en cas de l’arrivée d’un intrus.
En 1890, Hagué se rendit à Londres chez Quaritch où il rencontra Blacker : malgré les aveux de contrefaçon du relieur, Blacker continua de croire à l’authenticité des reliures qu’i possédait, mais cessa alors d’en acheter. Il avait dépensé au total, selon sa belle-fille, plus de 70.000 £.

En 1887, ce fut au tour de l’expert de Quaritch, le bibliographe Michael Kearney, d’avoir des doutes : il renvoya à Caulin une reliure aux armes de Catherine de Médicis, qui lui paraissait de fabrication récente.

Hagué rentra en France et s’installa en Normandie, selon Claudin, pour y mourir. Le 19 mars 1891, Madame Hagué annonça à Quaritch la mort subite de son mari Théodore, à l’âge de 68 ans, le lundi 16 mars 1891, à 9 h. 30 du matin : c’est ainsi qu’elle révéla le véritable prénom de son mari et sa naissance en 1823. Le 7 avril suivant, de Rouen, la veuve Hagué adressa une autre lettre à Quaritch pour lui proposer de lui céder, contre la somme de 6.000 francs, des dessins d’ornements ayant appartenu à son mari, ce que le libraire accepta. Jusqu’à présent, les recherches n’ont pas permis de retrouver l’acte de décès de Hagué à Rouen, lieu d’affranchissement des lettres de sa veuve et ville nommée par Henri Menu.

Cinq ans plus tard, à la mort de son père, Carlos Blacker apporta des reliures au British Museum : les experts annoncèrent en dix minutes qu’elles étaient fausses. Pour éviter le ridicule à son père, préserver l’honnêteté de Quaritch et la crédibilité de son expert, il fit procéder à la vente publique de la collection de reliures par Sotheby, Wilkinson & Hodge, sans publicité, le 11 novembre 1897.



Le Catalogue of a remarkable collection of books in magnificent modern bindings formed by an amateur (Recently deceased) présentait 110 reliures, dont une reliure authentique [Biblia Germanico-Latina. Wittenberg, J. Krafft, 1574] et 109 reliures de Hagué, aux armes ou devises de François Ier (14 reliures), Henri II et Diane de Poitiers (11), Jean Grolier (11), Thomas Mahieu (7), Anne de Montmorency (6), Pierre-Ernest de Mansfeldt, gouverneur de Luxembourg (4), Charles IX (4), Diane de Poitiers (4), Catherine de Médicis (4), du pape Jules III (3), Henri II (3), Charles de Lorraine (3), Henri IV (3), Henri III (3), du pape Paul III (2), Philippe II (2), Marc Lauwereins, de Bruges (2), du pape Paul IV (2), Louis de Sainte-Maure, marquis de Nesle (2), etc. L’ensemble rapporta 1.907 £ et parmi les  acheteurs furent remarquées les librairies Uriah Maggs, Henry Sotheran, et même Bernard Quaritch pour 27 lots.


Chez Sotheby's : Quaritch est immédiatement au-dessous de la tribune
du commissaire-priseur


Outre les reliures des ventes Didot et Blacker, celles achetées par Tross, celles détenues par Quaritch et celles des clients de Hagué non identifiés sont susceptibles d’apparaître un jour sur le marché. L’impressionnante perfection de leur composition et de leur exécution, liées aux moyens techniques utilisés par l’habile faussaire, ne pourront alors que les trahir.




samedi 19 janvier 2013

La Bataille de Borluut

La célèbre « bataille » de Roxburghe, qui avait eu lieu à Londres le 17 juin 1812, et dont le souvenir avait été perpétué le soir même par la fondation de la première Société de bibliophiles, « The Roxburghe Club », avait été anglo-anglaise.



Le lundi 19 avril 1858, à 9 heures du matin, ce furent les bibliophiles de toute l’Europe qui eurent rendez-vous à Gand, au Kouter ou place d’Armes, à l’ancien hôtel Falligan, où siégeait depuis 1802 la Société littéraire dite « Le Club », qui existe encore aujourd’hui, domicile de feu Borluut de Noortdonck, pour la vente de son cabinet.

Le Catalogue des livres, manuscrits, dessins et estampes, formant le cabinet de feu M. Borluut de Noortdonck (Gand, Van der Meersch, 1858, 3 vol. in-8, [2]-XXI-[3]-374 p., 2.655 lots ; [4]-XIV-[2]-426 p., lots 2.656-5.527 ; [4]-XIII-[3]-364 p., 2.629 lots) avait été rédigé par Polydore-Charles Van der Meersch (1812-1868), avocat et conservateur des Archives de l’État et de la Province.

 François-Xavier-Joseph-Ghislain Borluut, dit « de Noortdonck », était né à Gand le 12 octobre 1771, du second mariage de Pierre-Jean Borluut (1725-1782), seigneur de Noortdonck et échevin à Gand, descendant d’une des plus illustres familles de Flandre.


La bibliothèque du père, qui inculqua très tôt l’amour du livre à son fils, fut vendue après sa mort : Catalogue de livres historiques et généalogiques, délaissés par feu Monsieur Mon.r Pierre-Jean Borluut (Gand, Pierre de Goesin, s. d. [1782], in-12, 24 p., 165 et 51 lots). Son ex-libris (111 x 87 mm), aux armes des Borluut, « D’azur à 3 cerfs courants d’or », porte deux fois la devise « Groeninghe Velt », nom du champ de la bataille de Courtrai, dite « des éperons d’or », où s’était illustré un de ses ancêtres, en 1302.

Orphelin très jeune, François-Xavier Borluut fut élevé chez son tuteur, envoyé au collège à Liège et à Douai, puis fit son droit à l’Université de Louvain. C’est à Louvain qu’il fit ses premières armes, comme bibliophile. Rentré dans sa ville natale, il devint amoureux, mais fut éconduit et resta célibataire. Il s’isola dans une vie paisible et retirée, consacrant son intelligence, son temps et sa fortune considérable à sa bibliothèque et à sa collection d’estampes. Il voyagea en Allemagne et en France. Au cours de ses nombreux séjours à Paris, il noua de bonnes relations avec les frères Nicolas-Noël et Jacques-François Tilliard et les frères Jean-Jacques et Marie-Jacques Debure, libraires qui lui adressèrent tous les catalogues des ventes remarquables. Borluut n’acheta pas seulement à Paris, mais aussi en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Hollande et en Belgique. Sans jamais avoir été malade, il s’éteignit le 21 juin 1857, et la branche aînée de la famille Borluut s’éteignit avec lui.




Le cabinet de François-Xavier Borluut passait, avec raison, pour le plus beau, le plus riche et le plus précieux que jamais particulier ait formé en Belgique. Moins nombreux que les bibliothèques de Jean-François Van de Velde (Gand, 1832) et de Pierre-Philippe-Constant Lammens (Gand, 1839), moins volumineux que celle de Charles Van Hulthem (Gand, 1836-1837), qui était devenue la propriété de l’État, le cabinet de Borluut l’emportait sur ces collections par le choix des ouvrages et la beauté des exemplaires qu’il renfermait, et par leur admirable conservation et l’élégance de leur reliure. Borluut lisait tous ses livres, leur joignant de remarquables notes bibliographiques, qui furent heureusement conservées par le rédacteur des catalogues de sa vente. C’est en rédigeant le catalogue de sa collection que Borluut écrivit :

« Les livres sont l’essence des meilleurs esprits, le précis de leurs connaissances, le fruit de leurs veilles : l’étude d’une vie s’y recueillit dans peu d’heures. Ce sont des amis paisibles, instructifs, agréables, sans caprices, sans indiscrétions, sans fard, qui n’exigent rien, accordent beaucoup ; qu’on quitte et reprend, qu’on oublie dans la prospérité et retrouve dans l’infortune ; toujours prêts à nous consoler, nous distraire et nous diriger. Ils sèment dans nos cœurs des germes de sagesse, qui y fermentent doucement et se développent au besoin. »


Il se servait de trois ex-libris : celui de son père, pour ses in-folios ; un ex-libris (64 x 52 mm) gravé par le Gantois Charles Onghena, représentant, dans un jardin, devant un portail en ruines, une statue de Minerve avec, sur le piédestal, l’inscription « Ex-libris Borluut-de Noortdonck. », et, à ses pieds, un paysage, un autoportrait de Raphaël, un parchemin aux armes des Borluut, un globe et un carton à estampes ; un ex-libris (29 x 29 mm) imprimé en or sur papier lustré noir, avec la mention « Du cabinet de Mr Borluut de Noortdonck » dans un double cercle entouré d’une guirlande de lauriers, le tout enfermé dans un filet octogonal.

À la vente de la première partie des livres et manuscrits du cabinet, qui eut lieu du 19 au 27 avril en huit vacations, on n’avait jamais vu une plus brillante réunion de bibliophiles et de libraires, venus d’Angleterre, d’Allemagne, de Hollande, de Belgique et de France.
Cette dernière était représentée par Firmin-Didot, Techener, Baillieu, Giraud de Savine, Claudin, Porquet, Schlesinger, Gouin, Potier et La Villestreux, de Paris ; Leleu, Beghin, Corbel et Lefevre, de Lille ; Gilain, de Tourcoing ; Ternas, de Douai.
La vente eut lieu dans un des confortables salons de l’appartement de Borluut, au premier étage. La lutte fut vive, mais courtoise et loyale. Jamais les livres n’avaient été vendus en Belgique à des prix aussi élevés, et ceux des ventes les plus célèbres de Paris et de Londres furent dépassés de beaucoup. Entre les deux vacations, un dîner digne de Véfour, présidé par le rédacteur du catalogue, réunissait tous les jours une grande partie des amateurs présents à la vente.
Au début de la vente, la possession de vieux livres flamands fut vivement disputée à l’Angleterre par la Belgique. Un exemplaire de la première édition de la Bible en langue flamande (n° 3), imprimée à Delft, a été adjugée à W. Boone, de Londres, au prix de 145 fr., plus les 10 % habituels.

La vente de la deuxième partie des livres et manuscrits de la riche bibliothèque de Borluut eut lieu du 19 au 28 juillet, en neuf vacations. Cette vente, comme la première, attira un grand concours d’amateurs ; les beaux livres furent vivement disputés et vendus à des prix extrêmement élevés.

Les adjudications égales ou supérieures à 500 francs, au cours des ventes des deux parties des livres et manuscrits :

65. Horae beatae Mariae Virginis. [sic]
In-8. velours rouge tr.d.  
Magnifique manuscrit du xive siècle sur peau de vélin, orné de 96 miniatures au calendrier, de 19 grandes miniatures, dont 10 entourées de 4 plus petites, et de 9 miniatures en initiales à la fin, provenant de la bibliothèque des ducs de Bretagne. Le recto et le verso de toutes les pages sont ornés d’arabesques. [adjugé 630 fr. à Giraud de Savine, Paris, ami et prête-nom du Nantais Thomas Dobrée]
220. Jehan Boutillier, la somme rurale compillée par lui. (In fine :) Cy fine la somme rural compillee par Jehan Boutillier conseillier du roy à Paris. Et imprimée à Bruges par Colard Mansion lan mil cccc. Lxxix. [sic]
In-fol. goth. à 2 col. mar. bl. doublé de mar. rouge entouré d’une large et riche dent. à pet. fers dans l’intérieur. tr. d. Chef-d’œuvre de reliure de Niedrée.
Magnifique exemplaire, et certainement le plus beau et le plus splendide qui existe de cette rarissime édition. Le volume, qui se compose de 253 f. imprimés en lettres rondes, sans chiffres, signatures ni réclames, commence par la table des sommaires, précédée d’une inscription en rouge. La souscription, aussi en rouge, se trouve au recto de la seconde colonne du dernier feuillet.
Van Praet, qui a donné une description très minutieuse de cette précieuse édition (Notice sur Colard Mansion, pp. 38-40), assure qu’il n’en existe que trois exemplaires, et Brunet dit qu’on n’en connaît que quatre ou cinq. [adjugé 2.650 fr. à Techener, Paris]



245. Bonifacius, papa VIII, liber sextus decretalium. (In fine :) Presens huius sexti decretalium preclarum opus, non atramento plumali canna neque aerea, sed artificiosa quadam adinuentione imprimendi seu caracterizandi sic effigiatum, et ad eusebiam dei industrie est consummatum per Johannen Fust ciuem moguntinum et Petrum Schoiffer de Gernsheym. Anno domini M. CCCC. sexagesimo quinto [1465], die vero decima septima mensis decembris. [sic]
Gr. in-fol. 142 f., y compris un f. bl., mar. vert, fil.
Exemplaire des plus précieux, imprimé sur peau de vélin, et le seul qui soit enrichi d’une miniature, d’initiales et d’une bordure peinte en or et en couleurs (f. 6). C’est celui mentionné par Van Praet, et qui appartenait alors aux frères Debure, à la vente desquels il a été acheté en 1840. On n’en connaît que dix exemplaires. [adjugé 2.000 fr. à Didot, Paris]
299. (Jacques Legrant), le livre des bonnes mœurs. [sic]
In-4. mar. oliv. tr. d. Aux armes des ducs de Bretagne.
Manuscrit de la plus grande beauté sur peau de vélin, du xve siècle. Ce magnifique volume, composé de 161 feuillets, est orné de 51 charmantes miniatures très délicatement peintes en or et en couleurs et occupant les trois quarts des pages ; elles sont exécutées avec la plus grande finesse par un artiste habile de l’ancienne école française. Reliure du xviie siècle. [adjugé 3.700 fr. à De Buyser, marchand antiquaire à Gand]
472. Georges Cuvier, le règne animal distribué d’après son organisation, pour servir de base à l’histoire naturelle des animaux et d’instruction à l’anatomie comparée. Edition accompagnée de pl. gravées par une réunion de disciples de Cuvier. [sic]
Paris, Fortin, Masson et Cie, impr. chez Paul Renouard (1849). 17 vol. sur papier vélin et ornés d’un nombre considérable de figures coloriées, dem. rel. mar. Exemplaire de souscription. [adjugé 635 fr. au baron de Saint-Genois, bibliothécaire de l’Université de Gand]
681. L’artiste, journal hebdomadaire. [sic]
Six premières séries en 57 vol. in-4, les vol. de 1831-1856 dem. rel. dos de v. sumach rouge non rogné (Simier), le vol. de 1857 en cahiers. Magnifique exemplaire sur papier vélin satiné, orné d’un grand nombre de lettres ornées, culs-de-lampe, vignettes, gravures sur bois et sur acier, tirés sur papier de Chine. Dans cet exemplaire se trouvent les planches qui manquent dans presque tous les exemplaires, savoir : les Moissonneurs, t. 6, p. 48 ; le jeune Clifford, t. 8, p. 284 ; l’Italie, t. 4, p. 188 ; une planche gravée sur pierre par Gigoux, t. 1, p. 189. Ces planches ont été brisées pendant le tirage, et n’ont été tirées les unes qu’à 50, les autres qu’à 100 exemplaires seulement. [adjugé 680 fr. au baron de Vinck, Bruxelles]
694. Du Sommerard, les arts au moyen-age, en ce qui concerne principalement le palais romain de Paris, l’hôtel de Cluny, issu de ses ruines et les objets d’art de la collection classés dans cet hôtel. [sic]
Paris, Techener, 1837 et années suiv. 5 vol. gr. in-8. dem. rel., un atlas et un album, reliés en 6 vol. gr. in-fol. dem. rel. dos de v. vert.
Ouvrage splendide, contenant les principaux types dans les diverses branches de l’art au Moyen Age, exécutés d’après les dessins des principaux artistes français. Exemplaire magnifique, dont les planches sont soigneusement coloriées, et un grand nombre richement rehaussées d’or. [adjugé 1.350 fr. à Van Baalen, Rotterdam]
757. Die Sammlung alt-nieder und oberdeutscher Gemälde der Brüder S.-M. Boisserée und J. Betram, lithographirst von J.-N. Strixner. [sic]
Stuttgart und Munich, 1821 et ann. suiv. gr. in-fol. en cahiers.
Ce bel ouvrage, renfermant la reproduction des plus beaux tableaux de l’ancienne école de peinture allemande et flamande que possède la galerie royale de Munich, a paru en 40 livraisons et a coûté 1.600 fr. aux souscripteurs. [adjugé 515 fr. à Onghena, Gand] 
764. Musée français, ou collection complète des tableaux, statues et bas-reliefs qui composent la collection nationale, avec l’explication des sujets, et des discours sur la peinture, la sculpture et la gravure, (par S.-C. Croze Magnan, Visconti et Eméric David), publié par Robillard Péronville et Pierre Laurent. [sic]
Paris, 1803-1811. 4 vol. in-fol. max., dem. rel. dos et coins de mar. vert.
Magnifique exemplaire de l’édition originale, dont toutes les planches sont avant la lettre et en épreuves de choix ; de tels exemplaires ont coûté par souscription 7.880 fr. Celui-ci, qui provient de la vente du comte de La Bédoyère (n° 257), a été adjugé au prix de 2.560 fr. ; c’est le même qui est mentionné par Brunet.
765. Le Musée royal, publié par Henri Laurent, ou recueil de gravures d’après les plus beaux tableaux, statues et bas-reliefs de la collection royale, avec description des sujets, notices littéraires et discours sur les arts, (par Visconti, Guizot et le comte de Clarac.) [sic]
Paris, 1816-22. 2 vol. in-fol. max., dem. rel. dos et coins de mar. vert du Levant.
Magnifique et précieux exemplaire dont toutes les planches sont avant la lettre. L’exemplaire avec les planches avant la lettre avait coûté 3.840 fr. aux souscripteurs.
[764 et 765 adjugés 3.200 fr. à Techener, Paris]
769. Gavard, galeries historiques de Versailles, avec une histoire de France servant de texte explicatif aux peintures et sculptures du musée de Versailles. [sic]
Paris, 1837 et années suiv., 13 vol. gr. in-fol. dem. rel. dos et coins de mar. vert du Levant, tête d.
Exemplaire de toute beauté, en papier vélin demi-colombier, avec les planches sur papier de Chine, et le texte orné de vignettes, culs-de-lampe et ornements gravés sur bois. Cette importante collection a paru en 300 livraisons, au prix de 5 fr. chacune.
770. Gavard, galeries historiques de Versailles : histoire de France servant de texte explicatif aux tableaux des galeries de Versailles. [sic]
Paris, Gavard, 1838-41, 4 vol. gr. in-4. cart., non rogn.
[769 et 770 adjugés 800 fr. au baron de Saint-Genois, bibliothécaire de l’Université de Gand]
1.136. (Joannes Balbus de Janua) summa que vocatur catholicon, edita a fratre Johanne de Janua, ordinis fratrum predicatorum, etc. (souscription) : Hic liber egregius catholicon, dominice incarnacionis annis M. CCCC. LX, alma in urbe maguntina nacionis inclite germanice … impressus atque confectus est. [sic]
Gr. in-fol. rel. en 2 vol. goth. de 373 f. à 2 col. de 66 lignes, mar. bl. richement d. sur pl. tr. d. dans un étui.
Magnifique exemplaire, et certainement un des plus beaux qui existe de cette édition précieuse, attribuée par les uns à Gutenberg, par d’autres à Henri Bechtermuntze. Il est orné d’un grand nombre de lettres tourneures et de bordures élégamment peintes en différentes couleurs et rehaussées d’or. Il provient de la vente de la riche bibliothèque de Lammens (Gand, 1839, t. I, n° 24), où Borluut l’a acheté au prix de 710 fr., non compris les frais. Depuis, il a été recouvert d’une belle reliure de maroquin bleu du Levant. [adjugé 1.150 fr. à Didot, Paris]
1.476. (Christienne de Pisan), les cent hystoires de Troye. Lépistre de Othea, déesse de prudence, enuoyée à lesprit cheualereux Hector de Troy ; avec cent hystoires Nouuellement imprimées à Paris par Philippe le Noir, libraire et relieur juré en luniversité de Paris lan mil cinq cens vingt et deux, le dernier jour de nouembre. [sic]
Gr. in-4 goth. de 52 f. non chiffrés à 2 et 3 col. avec fig. en bois, mar. vert, fil. tr. d. (Derome).
Volume très rare, bien complet et d’une parfaite conservation. Provient de la vente du baron Taylor (n° 1.086). [adjugé 500 fr. à Techener, Paris]
1.493. (P. Gringoire), les fantaisies de la mere sote. On le vend a lelephant sur le pont nostre dame à paris (vers 1516). [sic]
In-4, 110 f., fig. sur bois, col. mar.vert, fil. à comp., tr. d. (Thompson).Magnifique exemplaire relié par Thompson à l’imitation des plus belles reliures de Duseuil. Provient de la bibliothèque de Richard Heber (avril 1836, 10 liv. 10 sh. = 262 fr. 50 c., alors non relié). [adjugé 500 fr. à W. Boone, Londres]
1.840. Recueil de mystères : Le mistère de la Conception, Natiuité, Mariage et Annonciation de la benoiste Vierge Marie. Avec la natiuité de Jesuchrist en son enfance. Contenant plusieurs belles matières : dont les noms sont en la table de ce présent livre xxii, 1540. [sic]
In-4, mar. rouge ancien, fil. tr. d. (Padeloup). Provient de la vente Giraud (Paris, 1855, n° 1.582). [adjugé 750 fr. à W. Boone, Londres]
2.063-2.098. Trente-six mystères et moralités imprimés à Florence au xvie siècle. [adjugés 750 fr. à W. Boone, Londres]
2.169. La genealogie auecques les gestes et nobles faitz darmes du trespreux et renomme prince Godeffroy de Boulion et de ses cheualereux freres Baudouin et Eustace : yssus et descendus de la tresnoble et illustre lignee du vertueux cheualier au Cyne. [sic]
Paris, Michel le Noir, 1511. In-fol. goth. à 2 col. fig. en bois, mar. rouge du Levant, richem. d. s. tr. et pl. (Bauzonnet).
Exemplaire magnifique, parfaitement conservé, de ce livre précieux, compté au nombre des plus rares et des plus recherchés de la classe des anciens romans de chevalerie. Cet exemplaire, relié au chiffre d’Audenet, est celui mentionné par Brunet, et qui a été vendu à Paris en 1841 au prix de 343 fr. (n° 938). [adjugé 1.000 fr. à Quaritch, Londres]
2.798. Des saintes peregrinations de Jerusalem et des lieux prochains, du mont Synai et la glorieuse Caterine (tiré du latin de Bernard de Breydenbach, par frère Nicole le Huen). [sic]
Lyon, Michelet Topie de Pymont et Jacques Herembeck, 1488. In-fol. goth. fig. en bois, mar. puce, fil. tr. d. rich. d. à l’intér. Reliure anglaise.
Magnifique exemplaire de cette édition extraordinairement rare provenant de la vente du prince Essling (Paris, 1847, n° 364, 601 fr.). Renferme plusieurs planches sur cuivre, les plus anciennes qu’on trouve dans les livres français. [adjugé 1.110 fr. à Duquesne, Gand]      
3.311. Dom.-Mart. Bouquet, recueil des historiens des Gaules et de la France, accompagné de sommaires, de tables et de notes. [sic]
Paris, 1738-1840. 20 vol. in-fol. v. m. [adjugé 1.850 fr. à W. Boone, Londres]
3.337. Premier volume, contenant quarante tableaux ou histoires diverses qui sont mémorables, touchant les guerres, massacres et troubles advenus en France, en ces dernières années, le tout recueilly selon le temoignage de ceux qui y ont este en personne et qui les ont veues, lesquels sont pourtraits à la vérité (de 1559-1570). [sic]
In-fol. mar. rouge, fil. tr. d. Premier et seul volume qui ait paru de cette suite précieuse, dont les exemplaires complets sont extrêmement rares. Celui-ci offre d’autant plus d’intérêt qu’il se compose de 44 pl. au lieu de 40. Cet exemplaire est celui de Lair mentionné par Brunet. [adjugé 630 fr. à Potier, Paris]
3.735. Ant. Sanderi chorographia sacra Brabantiæ, sive celebrium aliquot in ea provincia ecclesiarum et cænobiorum descriptio, imaginibus æneis illustrate. [sic]
Brux., Lovanii et Antverpiæ, 1659-1669, 2 vol. in-fol., fig. v. br.
Edition originale et extraordinairement rare d’un ouvrage estimé par son exactitude. Le 2e volume est tellement rare que son existence a été ignorée de presque tous les bibliographes et qu’on n’en connaît que cinq ou six exemplaires. Manquent deux planches au 1er volume, qu’on peut obtenir facilement. Acheté 325 fr. 89 c. par Borluut, dans une vente à Gand le 6 mars 1827. [adjugé 530 fr. à W. Boone, Londres]
4.126. Monumenta Germaniæ historica, inde ab anno Christi 500 usque ad annum 1500, auspiciis societatis aperiendis fontibus rerum germanicarum medii ævi, edidit Geor.-Henr. Pertz. Hanoveræ, impensis bibliopolii aulici haniani, 1826-1856. [sic]
16 vol. in-fol. Exemplaire en grand papier vélin, en cours de publication. [adjugé 605 fr. à Duquesne, Gand]
4.707. Paléographie universelle ; collection de fac-simile d’écritures de tous les peuples et de tous les temps, tirés des plus authentiques documens de l’art graphique, chartes et manuscrits existants dans les archives et les bibliothèques de France, d’Allemagne et d’Angleterre, publiés d’après les modèles écrits, dessinés et peints sur les lieux mêmes par M. Silvestre et accompagnés d’explications historiques et descriptives par MM. Champollion-Figeac et Aimé Champollion fils.
Paris, typogr. de Firmin Didot frères, 1839-1841.
4 vol. in-fol. max. pap. vél. dem. rel. dos et coins de mar. vert du Levant, fil. sur les jonctions. Ouvrage somptueux divisé en huit parties. Toutes les planches sont coloriées et un grand nombre rehaussées d’or. Ces sortes d’exemplaires ont coûté 1.690 fr. [adjugé 1.210 fr. au baron de Saint-Genois, bibliothécaire de l’Université de Gand]     
4.793. Jehan Bocace de Certald de la ruyne des nobles hommes et femmes. (À la fin :) A la gloire et loenge de dieu et a linstruction de tous a este cestui euuvre de Bocace du dechiet des nobles hommes et femmes, imprimé à Bruges par Colard Mansion. Anno M. CCCC. lxxvj. [sic]
In-fol. mar. bl. tr. d.
Magnifique exemplaire de cette édition précieuse dont Van Praet n’indique qu’une dizaine d’exemplaires. Il paraît que dans celui-ci deux feuillets de la table, qui manquaient, ont été refaits à la plume, mais avec une telle perfection que l’œil le plus exercé ne pouvait les distinguer. [adjugé 1.858 fr. à W. Boone, Londres]      

La bibliothèque a produit une somme totale de 125.471 fr. et 75 c. Leleu avait emporté 395 lots (toutes les classes), Techener 98 (théologie, jurisprudence, sciences et arts, belles-lettres), Baillieu 58 (toutes les classes), Schlesinger 53 (sciences et arts, belles-lettres, histoire), Porquet 49 (sciences et arts, belles-lettres, histoire), Gouin 47 (belles-lettres, histoire), Potier 22 (histoire), Didot 12 (théologie, jurisprudence, sciences et arts, belles-lettres), Claudin 10 (sciences et arts, belles-lettres), Corbel et Gilain 7 (histoire), La Villestreux 6 (belles-lettres, histoire), Beghin 5 (théologie, sciences et arts, belles-lettres), Ternas 4 (histoire), Lefèvre 2 (histoire) et Giraud 1 (théologie).

La troisième partie du cabinet de Borluut, qui comprenait les dessins et les estampes, fut vendue du 13 au 18 décembre 1858 et produisit 36.954 fr. Les dessins n’étaient pas en très grand nombre, mais on en trouvait de Rubens, de Nicolas Poussin, de Cochin, de Fragonard, etc. La collection d’estampes était composée de plus de 15.000 pièces qui provenaient, pour la plupart, de ventes célèbres : l’école flamande et hollandaise était la plus riche et la plus nombreuse, acquise essentiellement dans la vente de la collection Lousbergs (Gand, 1811).