samedi 26 novembre 2016

Henri Nicolle (1767-1829), barbiste et ami des Bertin

Carte de Cassini

Parmi les nombreux libraires et éditeurs que la Normandie a fourni à la capitale, Gabriel-Henri Nicolle est né à Fresquiennes [Seine-Maritime], le 23 mars 1767, descendant d’une famille de laboureurs originaire de Roumare, en pays de Caux. 

Arbre généalogique simplifié des Nicolle


Il était le sixième des neuf enfants de Marie-Françoise Neufville, née à Pôville [Pissy-Pôville depuis 1822] le 4 juin 1734 et décédée à Fresquiennes le 11 messidor An X [30 juin 1802], et de Charles Nicolle, né le 9 février 1730 à Roumare et décédé à Fresquiennes le 1er frimaire An XII [23 novembre 1803] ; ils s’étaient mariés à Pôville le 12 juillet 1757 et tenaient la ferme du château de Nicolas-Louis Romé (1693-1773), officier au régiment de Condé cavalerie.

Maison de Sainte-Barbe
Entrée rue de Reims en 1830

Fils de laboureur aisé, Henri Nicolle put faire d’excellentes études à Paris, dans la célèbre Maison de Sainte-Barbe, dont l’entrée était rue de Reims [Ve, disparue en 1880], fondée le 30 mai 1430, le plus ancien collège de Paris. Il y avait été précédé par son frère aîné, Charles-Dominique Nicolle (1758-1835), devenu en 1782 maître de conférences, puis préfet des études. Henri Nicolle se destinait, comme son frère, à l’instruction publique, lorsque la Révolution renversa ses projets ; le collège Sainte-Barbe fut dissous avec les autres collèges de l’Université.

L’abbé Charles-Dominique Nicolle, précepteur, depuis 1790, du second fils du comte Marie-Gabriel-Florent-Auguste de Choiseul-Gouffier (1752-1817), ambassadeur à Constantinople, ayant refusé le serment imposé aux ecclésiastiques, fut obligé de quitter sa patrie en 1792 : il conduisit son élève chez son père, qu’il suivit ensuite à Saint-Pétersbourg, où il établit un institut pour la jeune noblesse russe.

Resté à Paris, Henri Nicolle concourut à la rédaction de plusieurs journaux.
Il fut propriétaire et rédacteur en chef du quotidien Journal français, ou Tableau politique et littéraire de Paris, qui parut du 15 novembre 1792 au 2 juin 1793 :  

« La stupeur profonde qui avait brisé la plume de nos écrivains s’est dissipée ; la terreur, cette arme perfide entre les mains des scélérats, s’est émoussée. On peut enfin témoigner hautement l’horreur qu’ont inspirée les effroyables journées des 2 et 3 septembre ; il est permis de vouer à l’exécration de la postérité ce comité des boucheries dit de surveillance ; on peut appeler la vindicte publique sur cette meute de scélérats qui, lâchés dans les départements par la régence tripolitaine de Paris, prêchent partout le carnage et la sédition […]. Arracher le masque de l’hypocrisie à ces individus d’un jour, publicistes par famine, anarchistes par besoin, assassins par tempérament, voilà la tâche honorable et périlleuse que nous nous sommes imposée. » (Prospectus)

Les opinions contre-révolutionnaires qu’il y manifesta le firent incarcérer en janvier 1793, mais la Convention, considérant sa détention comme attentatoire à la liberté de la presse, ordonna sa mise en liberté le 1er février. 

Bertin l'Aîné en 1802
Par François-Xavier Fabre

Son ami et ancien barbiste, Louis-François Bertin (1766-1841), dit « Bertin l’Aîné », y fit ses débuts comme journaliste.

Bertin de Veaux en 1815
Par Anne-Louis Girodet de Roucy dit "Girodet-Trioson"

Henri Nicolle prit aussi part à la rédaction du Courrier universel de J.-H.-Alexandre Poujade de Ladevèze (v. 1770-v. 1840), qui parut du 21 décembre 1792 au 27 nivôse An VIII [17 janvier 1800], où il eut pour collaborateurs les deux frères Bertin, Bertin l’Aîné et Louis-François Bertin (1771-1842), dit « Bertin de Veaux ». Ceux-ci eurent l’idée de former, entre les jeunes écrivains politiques de leur opinion, une sorte de société qui se réunissait chez un petit restaurateur de la place du Louvre [Ier], où on dressait les plans d’attaque contre les Jacobins.



En l’An IV, les Bertin créèrent L’Éclair, qui s’imprimait, comme le Courrier universel, chez Jean-Baptiste-Étienne-Élie Lenormant (1765-1832), 42 rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois [Ier, emplacement sur lequel fut construit l’agrandissement du magasin 2 de la Samaritaine en 1928], et qui parut du 17 vendémiaire An IV [9 octobre 1795] au 17 fructidor An V [3 septembre 1797]. Henri Nicolle le faisait parvenir à ses abonnés du nord de la France par une berline, qui précédait le courrier ordinaire. « Pierre » était le pseudonyme de Bertin de Veaux, qui, lors de son arrestation au sujet d’un article très vif contre Germain-Théodore Abolin (1757-1842), membre du Conseil des Cinq-Cents, fut provisoirement remplacé par son frère, Bertin l’Aîné, durant sa détention à la prison de La Force, rue Saint-Antoine [3 rue Mahler, IVe], et qui signa ensuite en toutes lettres. Après le coup d’État du 18 fructidor An V [4 septembre 1797], Bertin de Veaux et Nicolle continuèrent à publier L’Éclair sous le nom des Annales politiques et littéraires.

Le Courrier universel et L’Éclair menèrent côte à côte la même existence précaire jusqu’au jour où –
1er et 2 pluviôse An VIII [21 et 22 janvier 1800] - les frères Bertin achetèrent à l’imprimeur François-Jean Baudouin (1759-1835) le Journal des débats et à Ladevèze le Courrier universel, qui, sous leur direction, devinrent une seule et même feuille dont leur nom reste inséparable : le Journal des débats prit le format de L’Éclair - petit in-4 -, l’imprimeur fut Lenormant – 42 [17, à partir de 1806] rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois -, le service des voitures imaginé par Nicolle pour L’Éclair emporta le nouveau journal dans les départements, la rédaction fut composée de ceux qui avaient lutté dans L’Éclair et le Courrier universel, des amis de la réunion du restaurant de la place du Louvre et des anciens barbistes.


La prudence avait imposé de séparer, aux yeux du pouvoir, les intérêts du journal et ceux de la librairie que Nicolle avait établie dès la fin de l’année 1797, avec le soutien financier de Bertin de Veaux, 56 rue du Bouloy [Ier], à l’entrée de la rue, près la rue de la Croix-des-Petits-Champs, dans la maison natale du cardinal de Richelieu, devenue hôtel de La Reynie [détruit en 1880].


En décembre 1802, la librairie déménagea 26 rue des Jeûneurs [IIe].

Le 14 germinal An XI [4 avril 1803], Henri Nicolle épousa, à Saint-Eustache, Reine-Jeanne Prévost, qui lui avait donné deux filles, Clémentine-Louise-Françoise, en 1800, et Henriette, le 1er jour complémentaire An IX [18 septembre 1801] ; elle lui donna une troisième fille, Louise-Clémentine-Gabrielle, en 1809.


En juillet 1803, la librairie déménagea dans le Petit Hôtel Bouillon, 15 quai Malaquais [VIe].


En 1797, Louis-Étienne Herhan (1768-1854), employé du graveur Jean-Pierre Droz (1740-1823), avait perfectionné un procédé de fabrication des assignats par clichage, pour imprimer en stéréotype. N’ayant pu rendre son entreprise rentable, il loua, le 27 novembre 1804, à Bertin de Veaux le droit exclusif de se servir de son procédé pendant dix-huit ans, puis, le 30 octobre 1805, lui vendit fictivement son imprimerie pour 24.000 francs, à condition de ne plus travailler que pour Nicolle et Jean-Baptiste Garnéry (1764-1843).


Entre-temps, au mois de décembre 1804, Henri Nicolle avait installé sa « Librairie Stéréotype » 9 rue Pavée-Saint-André-des-Arts [rue Séguier, VIe]. 





Il la déménagea, au mois de juin de l’année suivante, 33 rue des Petits Augustins [rue Bonaparte, VIe], puis, en 1806, 15 rue des Petits Augustins.

Il entreprit alors de donner une immense collection de livres classiques, connus sous le nom d’« éditions stéréotypes ».

In Bibliographie de la France, samedi 28 mars 1818, p. 184

Il conçut le premier le plan d’une « Bibliothèque latine, ou Collection d’auteurs classiques latins, avec des commentaires dits perpétuels, et des index. », mais il dut y renoncer après en avoir publié quelques volumes, pour éviter une concurrence fâcheuse avec Nicolas Éloi Lemaire (1767-1832), professeur à la Faculté des lettres de Paris, ancien maître de Sainte-Barbe.
Il se fit l’éditeur des Nouveau dictionnaire latin-français (1807) et Nouveau dictionnaire français-latin (1808), par François Noël (1756-1841), inspecteur général des études, et du Dictionnaire grec-françois (1808), par Joseph Planche (1762-1853), professeur et ancien barbiste, devenus ensuite la propriété de Lenormant.

« Je vous dirai qu’en me trouvant à dîner avec un M. Nicolle, que Marmontel et moi nous avons connu comme instituteur au collège de Sainte-Barbe, et qui est aujourd’hui libraire, à la tête du magasin d’Herhan, auteur d’une nouvelle manière de stéréotyper, il m’a engagé à aller voir l’atelier de M. Herhan. J’ai été frappé de la beauté et de la grandeur de l’établissement : j’y ai trouvé quarante presses en mouvement à la fois, occupées à tirer à cinquante mille exemplaires le catéchisme qui doit servir à tous les diocèses de France.
Herhan et Nicolle m’ont fait suivre toutes ces opérations que j’entreprends de vous décrire en peu de mots. Figurez-vous donc de petites lames de cuivre sur une des extrémités desquelles on grave les lettres en creux qu’on compose comme des caractères ordinaires pour en faire une page solide. Cette page ensuite est enfoncée avec force dans une matière de caractères d’imprimerie en demi-fusion et donne une planche ou page en relief formant aussi une seule masse, chaque page ou planche n’ayant guère que quatre à cinq lignes d’épaisseur. C’est de ces planches, assemblées dans un châssis de construction nouvelle, que se forme la feuille qui doit passer sous la presse.
J’ai vu là des ouvrages stéréotypes in-octavo, ce qu’on n’avait point encore fait jusqu’ici, et d’une netteté, d’une correction vraiment admirables.
J’ai vu les formes de tout un Racine n’occupant qu’un très-petit espace et pouvant être envoyées dans une caisse au bout du monde, sans risque d’aucun dérangement. »
(Mémoires inédits de l’abbé Morellet, de l’Académie française, sur le dix-huitième siècle et sur la Révolution. Paris, Ladvocat, 1822, t. II, p. 193-194)



Tableau historique et pittoresque de Paris
Frontispice

En février 1809, un dernier déménagement de la « Librairie stéréotype » eut lieu 12 rue de Seine [VIe], dans l’hôtel de La Rochefoucauld [détruit en 1825]. Henri Nicolle fut breveté libraire le 1er octobre 1812.
Après le décès de son épouse, Reine-Jeanne Prévost, arrivé le 5 janvier 1813, il épousa, au plus tard en 1815, Angélique-Justine Dussault, qui lui donna une quatrième fille, Gabrielle-Joséphine-Louise, le 5 août 1816.


« Le goût du théâtre, qui se répand de jour en jour, a suggéré depuis quelques années l’idée d’offrir aux nombreux amateurs de l’art dramatique la collection de tous les ouvrages restés au répertoire, qu’il seroit difficile de se procurer autrement, sans des frais considérables et sans des recherches longues et pénibles, et qui d’ailleurs, à raison de la différence des formats, de l’impression et du papier, ne peuvent jamais composer un recueil élégant et commode. Dans le nombre de ces collections, on a toujours distingué celle qui a été donnée par H. Nicolle, en soixante-sept volumes in-18, et imprimée d’après le procédé stéréotype d’Herhan. On connoit les avantages de cette découverte, qui seule a atteint le but principal que l’imprimerie doit se proposer, celui de produire des éditions exemptes de fautes. Déjà plusieurs tirages successivement épuisés ont prouvé combien cette collection étoit agréable au public. Cette considération a persuadé à l’éditeur qu’un nouveau tirage imprimé avec soin, d’après une révision plus sévère, dans un format plus élégant, sur du plus beau papier, enfin avec cette sorte de luxe que peuvent admettre les éditions stéréotypes, trouveroit aussi de nombreux amateurs dans la classe de ceux à qui leur fortune permet de rechercher à la fois les bons livres et les belles productions de l’imprimerie. C’est donc une édition in-12 du Répertoire du Théâtre Français qu’annonce aujourd’hui l’éditeur : les vingt-sept premiers volumes sont consacrés aux auteurs du premier ordre, c’est-à-dire à Pierre et Thomas Corneille, dont les chefs-d’œuvre sont accompagnés des Commentaires de Voltaire, à Racine, à Crébillon, à Voltaire, à Molière et à Regnard. Les quarante volumes suivants renferment, par ordre de temps, tous les ouvrages restés au théâtre, depuis Scarron jusqu’aux auteurs de nos jours, et les pièces de chacun d’eux sont précédées d’une notice biographique, rédigée avec autant de précision que d’exactitude.
Cette belle collection composée, ainsi que nous venons de le dire, de soixante-sept volumes in-12, paroîtra par livraisons de trois volumes chacune, à l’exception de la dernière qui sera de quatre. Le prix de chaque livraison sur papier fin, sera pour les souscripteurs de 9 fr., et de 15 fr. sur papier vélin satiné. Le prix, pour les personnes qui n’auront pas souscrit, sera de 3 fr. 50 c. le volume en papier fin, et 6 fr. en papier vélin satiné, dont il ne sera tiré qu’un très petit nombre d’exemplaires. La souscription sera fermée le 15 août prochain. Les deux premières livraisons ont paru. On souscrit sans rien payer d’avance, chez H. Nicolle, à la librairie stéréotype, rue de Seine, n° 12 ; chez le Normant, même rue, n° 8 ; et chez les principaux libraires de province. » [sic]
(Journal des débats politiques et littéraires, vendredi 26 juin 1818, p. 4)

Tome 1


Tome 67

À partir d’octobre 1819, Henri Nicolle fit gérer sa librairie par son commis et neveu Charles Gosselin (1795-1859), ex-élève de Sainte-Barbe, en faveur de qui il se démit le 12 décembre 1821 et qui succéda à son brevet le 24 janvier 1822.


Retiré des affaires, Henri Nicolle rejoignit son frère, qui venait de rétablir le Collège de Sainte-Barbe.

Dès que la tourmente révolutionnaire fut passée, la Maison de Sainte-Barbe, dénommée « Collège des sciences et des arts », s’était réorganisée, en 1798, dans les bâtiments de la rue de Reims, sous l’habile direction de Victor de Lanneau (1758-1830), ex-théatin et ex-vicaire épiscopal, alors sous-directeur du Prytanée français [lycée Louis-le-Grand, Ve].
Pendant ce temps, des anciens barbistes avaient repris l’enseignement, dans les bâtiments de la communauté de femmes de Sainte-Aure, situés rue Neuve-Sainte-Geneviève [rue Tournefort, Ve] ; ils avaient été transférés, en 1806, rue des Postes [rue Lhomond, Ve], dans les bâtiments du couvent des religieuses de la Présentation Notre-Dame, sous le titre « Association des anciens élèves de la communauté de Sainte-Barbe », puis achetés, en 1818, par l’abbé Nicolle.
Une lutte s’était engagée entre les deux établissements pour la possession exclusive du titre de « Maison de Sainte-Barbe ». L’autorité administrative avait donné plusieurs fois gain de cause à Victor de Lanneau, notamment en 1808 et en 1818, mais l’abbé Nicolle, revenu définitivement de Russie et ayant été nommé recteur de l’Académie de Paris en 1821, la question fut alors tranchée dans son intérêt, sous le nom de « Collège de Sainte-Barbe ».


L’abbé Nicolle plaça son frère, libraire et attaché à la rédaction du Journal des débats, à la tête du Collège de Sainte-Barbe de la rue des Postes. Après la mort de Henri Nicolle, le collège fut racheté par la ville de Paris et prit le nom de « Collège Rollin », le 6 octobre 1830 ; il déménagea, en 1876, avenue Trudaine [IXe] et devint, en 1944, le Lycée Jacques Decour.


La Maison de Sainte-Barbe, devenue Collège Sainte-Barbe, eut, en 1882, son entrée 4 rue Valette [Ve], fut fermé en 1999 et devint, en 2009, la Bibliothèque Sainte-Barbe.

Malade depuis les derniers mois de 1828, Henri Nicolle mourut d’apoplexie le mercredi 8 avril 1829. Une épouse et trois filles lui survécurent. Ses obsèques eurent lieu le vendredi 10 avril 1829, en l’église Saint-Étienne-du-Mont [Ve], sa paroisse. Il fut inhumé au cimetière du Montparnasse, où Charles-Auguste Defauconpret (1797-1865), préfet des études et son successeur dans la place de directeur du Collège Sainte-Barbe, prononça un discours.

Le 20 février 1841, quelques mois avant la mort de Bertin l’Aîné, arrivée le 13 septembre 1841, son fils Édouard Bertin (1797-1871) épousa la petite-fille de Henri Nicolle, Amélie-Henriette-Joséphine Gobert (1822-1915).







samedi 12 novembre 2016

Un morvandiot providence des romantiques : Eugène Renduel (1798-1874)


Eglise de Lormes en 1841, détruite en 1865, par Corot
Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut, USA


La famille Renduel a vécu à Lormes [Nièvre], dans le Morvan. La forme « Randuel » du patronyme, qui figure dans les actes, n’est pas qu’une erreur de leurs différents rédacteurs : tous les membres de la famille ont signé « Randuel », ou parfois « Randuelle », jusque vers la fin du XVIIIe siècle, quand Jacques adopta la forme « Renduel ».     

Généalogie simplifiée des Renduel

Claude [I] Randuel, huissier, épousa, le 9 décembre 1727, Anne, fille de Simon Pannetrat, lui-même huissier, et de Marguerite Collin. Il en eut six enfants, dont Claude [II], baptisé le 3 octobre 1736, qui devint armurier-serrurier et qui prit pour femme, le 15 septembre 1760, Reine Camusat, fille d’un drapier : elle décéda prématurément le 14 janvier 1763. Claude [II] se remaria, le 7 juin 1763, avec Reine Ducrot, qui lui donna six enfants, puis, le 24 novembre 1789, avec Gabrielle Girard ; il mourut le 22 nivôse An XI [12 janvier 1803].

Claude [I] Randuel, veuf en premières noces d’Anne Pannetrat le 10 juin 1740, s’était remarié le 18 octobre 1740 avec Françoise Droit, fille de Bernard Droit, tailleur d’habits, et de Élizabeth Chalumeau : il avait eu d’elle huit autres enfants et mourut le 23 décembre 1757 ; sa veuve lui survécut jusqu’au 4 septembre 1778.

Jacques Renduel, deuxième des enfants de Claude Randuel et de Reine Ducrot, naquit le 29 mars 1767, devint cabaretier et épousa Étiennette-Henriette Gourdault, fille de Pierre Gourdault, relieur à Avallon [Yonne], dont il eut deux filles et quatre fils : Marie, née le 18 messidor An III [6 juillet 1795] ; Jean-Alban-Louis, né le 17 floréal An V [6 mai 1797] ; Pierre, né le 28 brumaire An VII [18 novembre 1798], qui devint l’éditeur connu sous le prénom d’Eugène ; Hugues-Alban, né le 14 germinal An X [4 avril 1802] ; Jeanne-Françoise, née le 29 frimaire An XII [21 décembre 1803] ; Jean-Alban, né le 16 mars 1807.

***

Eugène Renduel en 1832
par Jean-François Gigoux

Pierre Renduel est donc né dans une famille modeste, le 28 brumaire An VII [18 novembre 1798], et non le 23, comme dit Adolphe Jullien, dans Le Romantisme et l’éditeur Renduel (Paris, Charpentier et Fasquelle, 1897, p. 12) :

« Le vingt neuf Brumaire an sept de la republique francoise à neuf heures du matin, devant moy nicolas heulhard du fery agent municipal de la commune de Lorme dept. de la nievre y demeurant, et en cette qualité chargé de dresser les actes de naissances et deces des citoyens, a comparu en la salle Publique de la maison commune dud. Lorme, Jacques Randuel cabaretier y demeurant, le quel assisté de pierre thieblot son oncle maréchal agé de soixante deux ans, et de marie Claudine Randuel sa tante agée de quarante ans femme de claude Jean francois Camusat, tous les deux demeurans aud. lorme, m’a déclaré que Etiennette henriette Gourdeau sa femme en légitime mariage est accouchée hier soir sur les trois heures d’un garcon qu’il m’a présenté et au quel il a donné le prénom de pierre, d’après cette déclaration que led. pierre thieblot et marie claudine Randuel m’ont certiffiée conforme a la vérité et la presentation qui m’a eté faitte de l Enfant denommé j’ay en vertu des pouvoirs qui me sont délégués dressé le présent acte que led. randuel père de l Enfant, et led. pierre thieblot ont signés avec moy, lad. marie claudine Randuel a déclaré ne scavoir signer : faît aud. lorme les jour an heure le lieu que dessus.
[signatures :]   pierre thiéblot        renduel        heulhard du fery » [sic]   

Dès la fin de sa scolarité, il fut clerc de notaire chez Pierre-Gaspard Lobbé (1756-1826), à Lormes. Parti avec ses parents, en 1816, pour Clamecy [Nièvre], il entra comme clerc d’avoué chez Vrain-Pierre-Gabriel Pellault. Bientôt atteint par la conscription, il fut peu de temps soldat, ayant pu se faire remplacer.  

En 1819, il s’en fut à Paris, où il trouva une place de commis chez deux libraires avant d’entrer, en 1821, chez Jean-Baptiste-Pierre-Louis Touquet (1775-1836), ancien colonel d’État-major, qui venait d’ouvrir une librairie, au 4e étage d’une maison, 18 rue de la Huchette [Ve] :

« Fidèle aux promesses qu’il a faites à ses nombreux souscripteurs, M. Touquet a publié ce matin le premier volume de son Voltaire. Cette première édition contient les soixante-deux premiers chapitres de l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, c’est-à-dire plus de trois tomes de l’édition de Kehl. L’édition du Voltaire-Touquet, ainsi qu’on la désigne à la Quotidienne et autres lieux semblables, n’est pas comparable, sans doute, sous le rapport de l’exécution typographique au Racine de Didot, par exemple ; mais le papier est beau, l’impression est correcte, et la petite dimension des caractères ne fatigue point l’œil des lecteurs.
M. Touquet, déjà célèbre par son édition de la charte à cinq centimes, acquiert une nouvelle célébrité par son édition du Voltaire à trente francs, et pour achever de se mettre aux prises avec les partisans de l’obscurantisme, il vient de faire confectionner je ne sais combien de milliers de tabatières, dont nous avons déjà parlé, et qui se vendent, rue de Richelieu, n. 83, à l’enseigne de la Charte TOUQUET ; il répand la charte avec profusion, il place aux mains des artisans, des ouvriers, des plus modestes habitans de la campagne, les œuvres du plus philosophe des philosophes, et il fabrique des tabatières au moyen desquelles on a toujours le nez sur la charte. » [sic]
(Le Constitutionnel, journal du commerce, politique et littéraire, 25 septembre 1820, p. 3)  

Le magasin de Touquet fut transféré, en novembre 1822, au 1er étage du 40 rue de la Huchette, au coin du nouveau quai Saint-Michel et de la place du pont, puis, le 15 juillet 1823, au Marais, 21 rue Saint-Louis [rue de Turenne, IVe].

Les affaires amenaient fréquemment Renduel chez Jean-Joseph Laurens (1751-1833), dit Laurens « Aîné », imprimeur-libraire, alors 14 rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice [rue Bonaparte, VIe]. 


Il y rencontra plusieurs fois la cadette des filles de l’imprimeur, Célestine-Rose Laurens, née à Paris le 21 septembre 1801, et la demanda en mariage. Mais la mort de Madame Laurens, Marie-Rose Grégoire, le 23 avril 1823, retarda cette union.
La librairie de Touquet commençant à décliner – en faillite déclarée le 15 mars 1824 -, Renduel travailla quelque temps chez la veuve de Étienne-Théodore Dabo, décédé le 20 août 1822, 5 rue Hautefeuille [VIe], et chez Herménégilde-Honorat Hautecoeur, libraire 7 rue de Grenelle-Saint-Honoré [rue Jean-Jacques Rousseau, Ier].

Dès 1825, devenu « Eugène » Renduel, il s’installa à son compte, 20 rue du Battoir [rue de Quatrefages, Ve].


L’ancien clerc édita alors, pour moitié avec Charles Froment, libraire-éditeur des classiques français, 37 quai des Augustins [quai des Grands-Augustins, VIe], Les Cinq Codes, avec indication de leurs dispositions corrélatives, qui furent imprimés par Jules Didot Aîné, 6 rue du Pont-de-Lodi [VIe], dans le format in-48.

Rue des Grands Augustins, vue de la rue Saint-André-des-Arts
Photographie de Charles Marville
Le n° 22 est à gauche, au niveau de la charette

En 1826, tandis que Touquet déménageait galerie Vivienne [IIe], Renduel déménagea son cabinet de librairie au 22 rue des Grands-Augustins [VIe] et devint, pour deux ans, directeur du Journal des avoués, rédigé par Adolphe Chauveau (1802-1868), avocat à la Cour royale de Paris. 


Il édita, avec Charles Froment, le tome troisième des Lettres sur la Suisse, par Raoul-Rochette, intitulé Lettres sur la Suisse écrites en 1824 et 1825 et imprimé en un volume in-8 par Cosson, 9 rue Saint-Germain-des-Prés [rue Bonaparte, VIe].
Pendant ce temps, et avant le 16 mars 1826, Laurens « Aîné », installé alors 17 rue des Marais-Saint-Germain [rue Visconti, VIe], vendait son imprimerie à Honoré de Balzac (1799-1850) et quittait Paris pour Villers-Cotterêts [Aisne].

Renduel obtint enfin son brevet de libraire le 7 août 1827 et publia, avec Pichon-Béchet, libraire 47 quai des Augustins, successeur de Béchet « Aîné », le Code forestier expliqué par les motifs et la discussion (in-12), par Adolphe Chauveau.

En 1828, Renduel édita une Nouvelle grammaire italienne, élémentaire et raisonnée, divisée en vingt leçons, avec des thèmes (in-12), par Clément Pantini et Jérôme Monaci ; le Cours d’archéologie, professé par M. Raoul-Rochette, à la Bibliothèque du Roi, tous les mardis (in-8).

En 1829, il édita L’Homme blanc des rochers, ou Loganie et Délia (4 vol. in-12), par Toulotte ; 

Frontispice gravé sur bois, d'après un dessin de Eugène Sue

Soirées de Walter Scott à Paris (1829-1831, 2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Les Tarifs en matière civile, commerciale et criminelle, expliqués et commentés (in-18), par A. Vervoort, avec A. H. Devielbanc, 2 rue Saint-Étienne-des-Grès [rue Cujas, Ve] ; deux ouvrages de l’historien Alexandre-Fursy Guesdon, sous son pseudonyme « Mortonval » - Maurice Pierret, épisode de 1793 (5 vol. in-12) et Le Comte de Villamayor, ou l’Espagne sous Charles IV (5 vol. in-12) ; Les Marionnettes politiques ; (Mœurs contemporaines) (4 vol. in-12), par G. Touchard-Lafosse ; 


Palmerin d’Angleterre, chronique portugaise (4 vol. in-12), par Francisco Moraes ; etc.

Devenu le libraire à la mode, Renduel lança sur le marché un grand nombre de rééditions et d’ouvrages nouveaux. Il eut l’habileté d’attirer à lui tous ces écrivains, aujourd’hui célèbres, alors modestes débutants, de les enlever aux libraires qui avaient mis au jour leurs livres de début, par des propositions plus avantageuses et l’audace de publier tous leurs ouvrages, laissant au lecteur le soin de décider lesquels auraient le plus de succès et le dédommageraient des pertes occasionnées par les autres. Il s’entoura des meilleurs illustrateurs contemporains : Louis Boulanger (1806-1867), Tony Johannot (1803-1852) et Célestin Nanteuil (1813-1873).

« La vie littéraire était, en ce tems-là, une vie d’abnégation et de misère. Les grands journaux ne publiaient pas de romans. La vieille critique y jouait encore son jeu. Seuls, Loëve Weimars et Jules Janin avaient mis en œuvre l’esprit nouveau. Ce qui dominait alors, c’était le voltairianisme tombé en enfance. La mode était de railler le romantisme, - avec le rire de ceux qui ne sont pas contens. Il n’y avait donc pas à frapper à la porte des journaux. Restaient les libraires ; mais ces messieurs étaient des autocrates qui ne publiaient que les livres de leur bon plaisir. Eugène Renduel tenait le haut du pavé ; quand un nouveau venu se présentait devant lui, il le désarmait bien vite par un sourire moqueur. Il avait pourtant publié les Jeunes France, de Théophile Gautier ; mais cela ne voulait pas dire qu’il les eût payés. » [sic]
(Arsène Houssaye. Les Confessions. Souvenirs d’un demi-siècle. 1830-1880. Paris, E. Dentu, 1885, t. I, p. 289-290)

Aux deux premiers rangs des écrivains qui alimentèrent la librairie Renduel figurent Victor Hugo, puis les frères Lacroix.

1830 : Les Deux Fous. Histoire du temps de François Ier. 1524 (in-8), par P. L. Jacob ; 


Contes fantastiques de E. T. A. Hoffmann (12 vol. in-12) ; Contes nocturnes de E. T. A. Hoffmann (4 vol. in-12) ; Législation et jurisprudence des tribunaux de simple police (in-8), par Bost et Daussy ; Le Bourreau (4 vol. in-12), par François-Eugène Garay de Monglave, sous le pseudonyme « Maurice Dufresne » ; Tableau de l’histoire moderne (2 vol. in-8), par Frédéric Schlegel, traduit de l’allemand par Joël Cherbuliez ; La Fin du monde, histoire du temps présent et des choses à venir (in-8), par Rey-Dussueil ; etc.

1831 : Le Roi des ribauds, histoire du temps de Louis XII (2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Plik et Plok (in-8), par Eugène Sue ; Don Martin Gil. Histoire du temps de Pierre-le-Cruel (2 vol. in-8), par Mortonval ; 


Les Intimes (2 vol. in-8), par Michel Raymond, pseudonyme de Raymond Brucker ; Le Caprice (2 vol. in-12), par Eugène Chapus ; Le Monde nouveau, histoire faisant suite à La Fin du monde, par Rey-Dussueil ; Marion Delorme, drame (in-8), par Victor Hugo, premier traité conclu entre le poète et Renduel ; etc.

Notre-Dame de Paris (1832)
Frontispice par Célestin Nanteuil

1832 : Œuvres de Victor Hugo.- Romans (I. Le Dernier jour d’un condamné. 18…. 5e édition, in-8. II. Bug-Jargal. 1791. 5e édition, in-8. III. IV. V. Notre-Dame de Paris. 8e édition, 3 vol. in-8) ; Œuvres de Charles Nodier (I. Jean Sbogar. in-8. II. Le Peintre de Saltzbourg. Adèle. Thérèse Aubert. in-8. III. Smarra. Triby. Mélanges. Hélène Gillet. in-8. IV. La Fée aux miettes. in-8. V. Rêveries. in-8. VI. Mademoiselle de Marsan. Le Nouveau Faust et la Nouvelle Marguerite. Le Songe d’or. in-8) ;  Œuvres de Charles Nodier. Le Dernier Chapitre de mon roman (in-8, pas de tomaison) ; Un divorce, histoire du temps de l’Empire. 1812-1814 (in-8), par P.-L. Jacob ; 


La Danse macabre, histoire fantastique du quinzième siècle (in-8), par P. L. Jacob, dont seule la 2e édition, la même année, présente une gravure par Johannot en page de titre ; Vertu et tempérament, histoire du temps de la Restauration. 1818-1820-1832 (2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Critiques et portraits littéraires (in-8), par C.-A. Sainte-Beuve ; La Salamandre, roman maritime (2 vol. in-8), par Eugène Sue ; Aux enfants. Contes de E.-T.-A. Hoffmann (in-12) ; Contes et fantaisies de E. T. A. Hoffmann (Le t. XVII porte la date de 1833, les t. XVIII et XIX la date de 1832, 3 vol. in-12) ; 

Paris, Alde, 16 octobre 2014 : 1.400 €
Reliure G. Mercier

Les Consultations du Docteur-Noir. Stello, ou les diables bleus (blue devils). Par le comte Alfred de Vigny. Première consultation (in-8, trois vignettes de Tony Johannot, gravées par Brevière), avec Charles Gosselin, 9 rue Saint-Germain-des-Prés ; 

Paris, Drouot, 21 novembre 2014 : 800 €
Reliure Salvador David, dorure Domont

Les Feuilles d’automne (in-8, préface datée de novembre 1831, vignette sur bois de Porret d’après Tony Johannot), par Victor Hugo ; Critiques et portraits littéraires (3 vol. in-8, les deux derniers ont paru en 1836), par Charles-Augustin Sainte-Beuve ; 


Le Roi s’amuse, drame (in-8, vignette frontispice gravée sur bois par Andrew, L. B., d’après Tony Johannot et tirée sur Chine), par Victor Hugo ; Les Deux Cadavres (2 vol. in-8), par Frédéric Soulié ; La Table de nuit (in-8), par Paul de Musset ; 

Traité conclu entre Martin et Renduel pour la publication de Minuit et midi
Coll. Bertrand Hugonnard-Roche

Minuit et midi1630-1649 (in-8), par Henri Martin ; etc.

1833 : Œuvres de Victor Hugo.- Romans (VI. VII. Han d’Islande. 4e édition, 2 vol. in-8) ; Œuvres de Victor Hugo. - Drames. (I. Le Roi s’amuse. 3e édition, in-8) ; 


Œuvres de Victor Hugo. Drames. (V. Lucrèce Borgia. 3e édition, in-8. VI. Marie Tudor. in-8) ; Œuvres complètes de Charles Nodier (VII. Le Dernier Banquet des Girondins ; étude historique, suivie de Recherches sur l’éloquence révolutionnaire. in-8. VIII. Souvenirs et portraits. in-8) ; Quand j’étais jeune, souvenirs d’un vieux (2 vol. in-8), par Paul L. Jacob ; De la France (in-8), par Henri Heine ; La Vie de E.-T.-A. Hoffmann, d’après les documens originaux (non tomé, mais forme le t. XX des Œuvres complètes de E. T. A. Hoffmann, in-12, portrait de Hoffmann gravé sur acier par P. Pelée, d’après Henriquel-Dupont) ; 


Les Jeunes France, romans goguenards (in-8, frontispice eau-forte de Célestin Nanteuil), par Théophile Gautier ; Les Deux Cadavres (3e édition, 2 vol. in-8), par Frédéric Soulié ; 


Champavert. Contes immoraux (in-8, vignette sur bois de Jean Gigoux, gravée par Godard), par Pétrus Borel, le lycanthrope ; Le Sabbat des sorcières, chronique de 1459 (in-8), traduit de l’allemand de Louis Tieck ; De la France (in-8), par Henri Heine ; Titime ? Histoires de l’autre monde (in-8), par Eugène Chapus et Victor Charlier ; 

"La Coupe et les Lèvres"

Un spectacle dans un fauteuil (in-8), par Alfred de Musset ; 


Les Écorcheurs ou l’Usurpation et la Peste, fragmens historiques. 1418 (2 vol. in-8, vignettes de Tony Johannot), par le vicomte d’Arlincourt ; L’Âme et la Solitude (in-8), par Achille du Clésieux ; Samuel, roman sérieux (in-8), par Paul de Musset ; L’Amulette. Étrennes à nos jeunes amis. - 1834 (in-18), édité avec F. Astoin ; Le Libelliste. 1651-1652 (2 vol. in-8), par Henri Martin ; Une grossesse (in-8), par Jules Lacroix ; 


Le Balcon de l’Opéra (in-8), par Joseph d’Ortigue, seule incursion de Renduel sur le terrain musical ; 


Poésies posthumes et inédites (2 vol. in-8), par André Chénier, avec Gervais Charpentier, 4 rue Montesquieu [Ier] ; etc.

Au cours de l’année 1833, Renduel fut aussi le libraire, pour la France, de L’Europe littéraire, journal de la littérature nationale et étrangère, paraissant trois fois par semaine, dont le premier numéro parut le 1er mars 1833, et le 69e et dernier, le 9 août 1833.

1834 : Œuvres complètes de Victor Hugo.- Poésie (I. II. Odes et ballades. 2 vol. in-8. III. Les Orientales. in-8. IV. Les Feuilles d’automne. in-8) ; Œuvres complètes de Victor Hugo. 1819-1834. Littérature et philosophie mêlées. (I. II. 2 vol. in-8) ; Œuvres complètes de Charles Nodier (X. Souvenirs de jeunesse. in-8. XII. Notions élémentaires de linguistique. in-8) ; Les Francs-Taupins, histoire du temps de Charles VII, 1440 (3 vol. in-8), par Paul L. Jacob ; Volupté (2 vol. in-8), anonyme [C.-A. Sainte-Beuve] ; Œuvres de Henri Heine (II. III. Reisebilder-Tableaux de voyages. 2 vol. in-8, t. I non paru) ; Paroles d’un croyant 1833 (in-8), anonyme [Félicité de La Mennais] ; La Sainte-Baume (2 vol. in-8), par Joseph d’Ortigue ; 


Venezia la bella (2 vol. in-8), par Alphonse Royer ; Les Hirondelles (in-18), par Alphonse Esquiros ; 

Paris, Sotheby's, 19 juin 2013 : 1.250 €
Reliure Duplanil



Un roman pour les cuisinières (in-8, blason sur le titre, frontispice signé par Camille Rogier), par Émile Cabanon ; Études sur la science sociale (in-8), par Jules Lechevalier ; La Tête et le Cœur (in-8), par Paul de Musset ; Corps sans âme (2 vol. in-8), par Jules Lacroix ; Un accès de fièvre (in-8), par Juliette Bécard ; etc.

1835 : Œuvres complètes de Victor Hugo.- Poésie (V. Les Chants du crépuscule. in-8) ; Œuvres de Victor Hugo. Drames. (VII. Angelo, tyran de Padoue. in-8) ; Œuvres de Sainte-Beuve. Poésie (II. Les Consolations. 2e édition, in-8) ; Œuvres de Henri Heine (V. VI. De l’Allemagne. 2 vol. in-8) ; 

Lyon, Librairie ancienne Clagahe : 6.000 €
Reliure de Cuzin

Mademoiselle de Maupin – Double amour – (1835-1836, 2 vol. in-8), par Théophile Gautier ; Pélerinages (in-8), par Édouard d’Anglemont ; Lettres autographes de Madame Roland, adressées à Bancal-des-Issarts, membre de la Convention (in-8) ; 




Œuvres complètes de Berquin (4 vol. in-12), avec Félix Astoin, 60 rue Saint-André-des-Arts, et A. Biais, 26 rue des Bons-Enfants ; Une fleur à vendre (2 vol. in-8), par Jules Lacroix ; Le Monde comme il est (2 vol. in-8), par le marquis de Custine ; Outre-mer (2 vol. in-8), par Louis de Maynard de Queilhe ; etc.

1836 : Œuvres complètes de Victor Hugo. Drames. (I. II. Cromwell. 2 vol. in-8. III. Hernani. in-8. IV. Marion de Lorme. in-8) ; La Folle d’Orléans, histoire du temps de Louis XIV (2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Pignerol, histoire du temps de Louis XIV. 1680 (2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Mon grand fauteuil (2 vol. in-8), par P. L. Jacob ; Critiques et portraits littéraires (1836-1839, 5 vol. in-8), par C.-A. Sainte-Beuve ; 



Reliure "à la cathédrale"


Notre-Dame de Paris (1 vol. in-8, première édition illustrée, dite « édition keepsake », et 3 vol. in-8 avec les mêmes gravures), par Victor Hugo ; La Carte jaune, roman de Paris (2 vol. in-8), par Eugène Chapus ; Histoire des lettres avant le christianisme (2 premiers tomes, in-8), par Amédée Duquesnel ; etc.


En 1837, Renduel transféra sa librairie au 3 rue Christine [VIe] :

« Il y a bien des années, j’avais entrevu le Renduel des anciens jours, dans son dernier domicile de libraire, celui de la rue Christine (1837). Les établissements des éditeurs les plus renommés n’étaient pas alors, comme aujourd’hui, de véritables ministères. Ce magasin de Renduel occupait le rez-de-chaussée d’une vieille maison qui n’avait été ni repeinte, ni peut-être balayée depuis la première Révolution. C’était une vaste pièce tirant son jour d’une petite cour intérieure profondément encaissée. […]. J’aurais volontiers remercié Renduel, qui daignait me vendre lui-même un certain nombre de volumes in-8° à couverture jaune, de 250 à 300 pages en moyenne, dont plus de la moitié n’était que du papier blanc, ou plutôt gris ; - le tout au prix réglementaire de 7 fr. 50 le volume, sans escompte ni remise. […]. Le tout formait un gros paquet que Renduel aurait bien voulu se dispenser de me faire porter à domicile ; attendu, disait-il, que son unique commis était sujet à s’attarder aux vitrines des marchands d’estampes. Avec de si beaux bénéfices, et d’aussi belles économies sur les frais généraux, il ne pouvait manquer de s’enrichir promptement. Aussi il “ pensait déjà à faire la retraite ”, comme le Tircis de Racan. »
(Bon E. [Baron Ernouf]. « Causeries d’un bibliophile ». In Bulletin du bibliophile et du bibliothécaire. Paris, Léon Techener, 1880, p. 88-89)


1837 : Œuvres complètes de Victor Hugo.- Poésie (VI. Les Voix intérieures. in-8) ; Œuvres complètes de Charles Nodier (XI. Contes en prose et en vers. in-8) ; Pensées d’août, poésies (in-18), par Sainte-Beuve ; Luccioles (in-8), par Théodore Guiard, avec Houdaille, 11 rue du Coq [rue de Marengo, Ier] ; Le Livre des communes, ou le Presbytère, l’École et la Mairie (in-8), par Roselly de Lorgues, avec la Société agiographique, 14 rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice ; Arthur (in-8), par Ulric Guttinguer ; etc.    

1838 : Castille et Léon, drame (in-8), par Ferdinand Dugué ; Tout est bien, poésie (in-8), par Victor Leroux ; etc. Le libraire Henry-Louis Delloye, 13 place de la Bourse [IIe], reprit les Œuvres complètes de Victor Hugo. 

Château de Beuvron, vers 1880

Château de Beuvron, aujourd'hui
Photographie Ph. Poiseau

Cette même année 1838, Renduel, las de la librairie, acheta le château de Beuvron [Nièvre], à une quinzaine de kilomètres au sud de Clamecy et à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Lormes, avec 20 hectares de prés et 40 hectares de terres en culture. Ce château, bâti au XVe siècle, au bord de la rivière, a été fortement remanié aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il se compose de deux corps de logis, disposés à angle droit, et flanqués d’une tour ronde à leur jonction ; on y pénètre par un portail carré défendu par une bretèche. Il y passa d’abord plusieurs mois par an.

1839 : Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles XVIIe siècle (7e et 8e vol., in-8), par Amans-Alexis Monteil ; Le Vol des heures. Poésies (in-8), par Ferdinand Dugué ; etc.

Port-Royal (Paris, Eugène Renduel et L. Hachette et Cie, 1840-1859)

1840 : Port-Royal (t. I daté 1840, t. II daté 1842, 2 vol. in-8), par C.-A. Sainte-Beuve.

En 1841, le libraire Louis Hachette (1800-1864), 12 rue Pierre Sarrazin [VIe], reprit le fonds romantique de Renduel.
Renduel avait promis, en 1833, à Louis, dit « Aloysius », Bertrand de faire paraître son livre, Gaspard de la nuit. Bertrand essaya une dernière fois, le 5 octobre 1840, de faire sortir son manuscrit des tiroirs de son éditeur : celui-ci était absent et Bertrand lui laissa un sonnet, qui furent ses derniers vers. Quelques mois après, le 11 mars 1841, Bertrand entra à l’hôpital une troisième fois, cette fois à Necker, pour y mourir, le 29 avril. À la fin de l’année 1842, grâce aux efforts de Sainte-Beuve et de David d’Angers, qui racheta le manuscrit à Renduel, Gaspard de la nuit. Fantaisies à la manière de Rembrandt et de Callot (Angers, V. Pavie, et Paris, Labitte, 1842, in-8) vit enfin le jour.

Après avoir enfin épousé Célestine-Rose Laurens, le 29 février 1840, aux Batignolles [Paris XVIIe], Renduel, en libraire avisé - sentant peut-être le déclin du romantisme -, se retira des affaires et s’installa définitivement à Beuvron. Il s’occupa alors d’agriculture, obtint des prix aux comices, se fit aimer et élire maire d’octobre 1840 à octobre 1846 et de janvier 1871 à février 1874 : il se donna tout entier à ses fonctions municipales, veillant à mieux employer les fonds de secours et faisant exécuter des routes praticables, dont l’une, la route de Clamecy à Brinon-sur-Beuvron, fut appelée « le chemin de Renduel ».

À Paris, on l’oublia, malgré quelques brefs retours : il descendait à l’hôtel des Colonies, 27 rue Paul Lelong [IIe], et dînait au Restaurant Magny, qui fonctionna de 1842 à 1895, 3 rue de Contrescarpe-Dauphine [rue André Mazet, VIe]. On se demande pourquoi Edmond Werdet n’a pas un mot de souvenir pour son ancien confrère, dans De la librairie française (Paris, E. Dentu, 1860).
Pour soigner une ancienne maladie du foie, Renduel allait presque chaque année aux eaux de Bourbonne-les-Bains [Haute-Marne]. Il était encore alerte et solide, quand il fut subitement frappé d’une paralysie partielle ; une seconde attaque plus violente l’emporta le 19 octobre 1874.
La plupart des journaux se contentèrent d’annoncer cette mort comme un simple fait divers, tous le croyant enterré depuis longtemps :
 

« Eugène Renduel vient de mourir dans sa soixante-seizième année, au château de Beuvron (Nièvre).
A ce seul nom, ce qui reste de la génération de 1830 n’a pu s’empêcher de dresser l’oreille. Eugène Renduel a été celui des éditeurs qui a le plus contribué à affermir l’école romantique dans son triomphe. C’est lui qui a prononcé une sorte de fiat lux pour les œuvres magistrales d’alors ; ses in-octavos, illustrés de vignettes de Poret et des Johannot, donnaient plus de relief encore à Victor Hugo, à Charles Nodier, à Théophile Gautier et aux autres. […]
S’il faisait de bonnes affaires avec les grands écrivains de son temps, il les mettait de moitié dans la réussite de l’entreprise. Un livre édité par lui avait, rien que sur le nom de celui qui l’avait fabriqué, un passe-port sûr auprès du public.
Les catalogues qu’il a laissés sont des monuments littéraires. Il n’y a pas de bibliophile qui ne se fasse un devoir de les consulter, afin de se rendre compte de ce que pouvait être l’esprit français en 1830. Eugène Renduel, très-téméraire, a été le premier éditeur des deux ouvrages les plus audacieux de ce temps : Reisebilder, d’Henri Heine, et les Paroles d’un croyant, de Lamennais. » [sic]
(Philibert Audebrand. « Courrier de Paris » In L’Illustration, samedi 7 novembre 1874, p. 295)

« Renduel en avait gardé beaucoup de ces livres précieux, mais il en avait perdu aussi beaucoup par manque de prudence et par la bêtise des paysans qui fouillaient librement dans ces volumes, en regardaient d’abord les images et puis les déchiraient pour allumer leur feu. Ne surprit-on pas un jour la bonne et le jardinier qui s’escrimaient de la plume et du crayon sur une brochure dont l’édition princeps vaut de l’or aujourd’hui : le Sacre de Charles X, par Victor Hugo ? Renduel n’avait pas perdu des livres de ce seul fait : il en avait aussi donné à de prétendus amateurs ; il en avait prêté qui n’étaient jamais revenus […] mais sa bibliothèque, après tant de malheurs, était encore assez bien garnie en éditions originales, et le vieux libraire regardait surtout avec amour des tirages sur beau papier de Chine ou des Vosges, sur papier rose ou vert, qu’il avait faits pour lui-même et seulement pour des volumes de choix, ceux signés de Victor Hugo, de Sainte-Beuve et de Lamennais, de Charles Nodier et d’Alfred de Musset ; il couvait enfin d’un œil jaloux deux recueils médiocrement élégants et qui n’étaient rien moins que les épreuves complètes des Voix intérieures et de Cromwell, avec corrections de la main de l’auteur.
Vous figurez-vous quelle quantité inconcevable de lettres : offres, requêtes, demandes d’argent, reproches, engagements, Renduel dut recevoir pendant les dix ans qu’il fut le libraire attitré de l’école romantique ? Et dans cet énorme masse de papiers qu’il avait conservés, que de noms illustres dans les lettres, les arts et la politique à côté d’autres de notoriété moyenne ou même absolument inconnus ! » [sic]
(Adolphe Jullien. Le Romantisme et l’éditeur Renduel. Paris, Charpentier et Fasquelle, 1897, p. 76-79)

Eugène Renduel, par Auguste de Châtillon (1836)
Musée Carnavalet