Dans la seconde moitié du xixe siècle, une biographie et une bibliographie de Hubert Cazin (1724-1795), libraire et éditeur à Reims et à Paris, furent publiées par des amateurs qui, devant l’absence d’archives consultables, lui inventèrent une histoire conforme à leur imaginaire. Limitant sa production aux éditions dans les petits formats, ils lui attribuèrent toutes ces éditions du dernier quart du xviiie siècle dont ils ne connaissaient pas les éditeurs et, utilisant l’appellation éponymique de « Cazin », favorisèrent ainsi la confusion entre « édition de Cazin » et « format Cazin ». Exclusivistes, les « cazinophiles » ne sont donc amateurs que de « Cazins », c’est-à-dire de petits formats (in-16, in-18, in-24 et in-32), alors que le libraire a aussi édité des textes dans des formats plus grands (in-12, in-8o et in-4o).
Au début du xixe siècle, on ne connaissait de Cazin que ce que La Bastille dévoilée (Paris, Desenne, 1789), anonyme attribué à Pierre Manuel, procureur de la commune de Paris en 1792, avait rapporté à propos d’une perquisition faite en 1776.
Relevant le défi lancé en 1845 par Louis Paris, bibliothécaire de la ville de Reims, – « Il serait d’un bon bibliophile rémois de chercher à distinguer et à réunir tout ce qui est véritablement l’œuvre de Cazin » – le libraire rémois Charles Brissart-Binet publia anonymement Cazin. Sa vie et ses éditions par un cazinophile (Cazinopolis [Reims], s.n. [Brissart-Binet], 1863), où l’invention le dispute à l’inexactitude (332 titres, en 706 volumes tous formats, de 1758 à 1793).
Devant les insuffisances de cet ouvrage, le libraire parisien Augustin Corroënne commença en 1877 la publication mensuelle d’un Bulletin du cazinophile qui complétait un Manuel du cazinophile (Paris, A. Corroënne, 1877), où la collection, réduite aux éditions dans le format in-18, est présentée, sans raison véritablement légitime, en cinq périodes triennales (140 titres, en 438 volumes in-18, réimpressions comprises).
Par leurs limites arbitraires, leur inachèvement et leurs inexactitudes, tous ces travaux créèrent, involontairement, désordre et confusion.
À la lumière des résultats de l’étude des archives de l’État civil, de la trop rare correspondance de Cazin – 31 lettres –, d’environ 200 textes imprimés (biographies, bibliographies, mémoires, catalogues, journaux, etc.) témoins de son existence et de quelques milliers d’exemplaires d’éditions qu’il a, ou qu’il aurait, commandées, on peut aujourd’hui réviser la cazinophilie éponymomaniaque qui s’est imposée au xixe siècle.
Que sait-on de Cazin aujourd’hui ?
1. Libraire à Reims.
Hubert-Martin Cazin est né au pied de la cathédrale de Reims le 22 mai 1724. Il fit son apprentissage de libraire et relieur chez son père, ancien syndic de la communauté des marchands libraires et imprimeurs de Reims, auquel il succéda en 1755, rue des Tapissiers [aujourd’hui rue Carnot]. Sa femme, Marie-Françoise Duhamel, fille d’un maître brasseur de Soissons, lui donnera cinq filles : Marie-Françoise (1759), Marie-Thérèse (1761), Marie-Anne (1767-1811), future épouse du diplomate bavarois Antoine Cetto (1756-1847), Charlotte-Constance (1771) et Marie-Anne-Henriette (1774).
Client des frères Cramer, à Genève, Cazin fut pour la première fois destitué de sa qualité de libraire en 1759, pour avoir vendu des livres prohibés, des « mauvais livres » contraires aux bonnes mœurs, à la religion ou à l’État, édités en Hollande, en Suisse ou à Avignon, que les librairies provinciales s’étaient mises à vendre pour survivre, les libraires parisiens ayant monopolisé les privilèges et dominé le monde de l’édition. Grâce à l’intervention de son beau-frère, Nicolas Gerbault, procureur au bailliage ducal, il fut rapidement réhabilité.
Cette sanction ne l’empêcha pas, dès l’année suivante, de s’entendre avec Pierre Rousseau, imprimeur de contrefaçons, fondateur du Journal encyclopédique et, en 1768, de la Société typographique de Bouillon, pour faire quelques affaires : le libraire bouillonnais Luc Trousseaud conduisait les ballots de livres chez Pierre Thésin, imprimeur à Charleville, qui les chargeait au carrosse pour Reims où Cazin devait s’entendre avec les officiers de la Chambre syndicale.
Comble du paradoxe, c’est Cazin qui fut chargé, en 1762 et 1763, de dresser le catalogue et de faire la saisie des livres interdits de la bibliothèque des Jésuites de Reims qui avaient été bannis du royaume !
C’est avec son complice carolopolitain, Pierre Thésin, que Cazin aurait débuté en 1762 ses activités éditoriales : ils auraient édité ensemble, selon Brissart-Binet, une Méthode nouvelle, courte et facile pour apprendre le plain-chant, par Henri Hardouin, maître de musique de l’Église métropolitaine de Reims (1 vol. in-8o).
Mais en 1764, des perquisitions faites à Bouillon et à Reims entraînèrent la condamnation de Cazin à 3.000 livres d’amende et sa destitution. Sa seconde réhabilitation fut moins rapide que la première. Il ne reprit ses activités que trois ans plus tard et se fit plus discret pendant plusieurs années, entreprenant des activités éditoriales, seul ou associé à des collègues de Paris et de Liège.
La deuxième édition connue réalisée par Cazin est anonyme et attribuée au philosophe Nicolas de Malebranche : elle s’intitule Recherches sur l'état monastique et ecclésiastique (Amsterdam, avec le libraire parisien Dessain junior et l’imprimeur rémois J.-B. Jeunehomme, 1769, 1 vol. in-12).
En 1773, il déménagea sa librairie sur la nouvelle place Royale voisine [aujourd’hui salon de coiffure, en face de la banque Société Générale]. Devenu libraire de l’Université l’année suivante, il édita la Relation des formalités observées au sacre des rois de France (1774, avec l’imprimeur liégeois Jean Dessain, 1 vol. in-12), attribuée au chanoine Charles Régnault, une Ordonnance du roi, concernant les régimens provinciaux (1775, 1 vol. in-8o), l’anonyme Corbeille galante : aux demoiselles de Reims (1775, avec l’imprimeur parisien Valleyre l’aîné, 1 vol. in-8o) et, selon Saugrain, le Traité économique et physique des oiseaux de basse-cour (1775, avec le libraire parisien Lacombe, 1 vol. in-12), par le docteur Pierre Buchoz.
C’est en 1775 que Cazin devint client de la Société typographique de Neuchâtel, fondée en 1769, dont le catalogue manuscrit de « livres philosophiques », – terme qui qualifiait les livres prohibés –, était déposé à Reims par l’un des fondateurs, Frédéric Ostervald.
En 1776, exaspérés par les atteintes portées à leurs privilèges par leurs collègues de province, les libraires parisiens obtinrent qu’une perquisition soit effectuée à Meaux chez un libraire qui, pour se défendre, dénonça Cazin. Celui-ci, se fournissant en particulier auprès de la Société typographique de Neuchâtel, était effectivement en contravention avec les règlements : il vendait des livres prohibés ou contrefaits. Des milliers de livres furent saisis chez lui et il fut conduit à la Bastille où il resta dix semaines. Ruiné, Cazin mettra plus d’un an à remettre sur pieds son commerce, au prix de nombreux voyages à Paris et à l’étranger (Flandres, Hollande, Liège, Neuchâtel), et avec l’aide des relations de son beau-frère et la coopération à prix d’or d’individus sans scrupules. Cette affaire lui aurait coûté plus de 60 000 livres [environ plus de 600 000 €].
Ayant repris ses activités, Cazin aurait publié dès 1777, selon une lettre de Cazin à la Société typographique de Neuchâtel datée du 1er janvier 1780, une Histoire de Gil Blas de Santillane (Londres, 4 vol. in-12), par Le Sage. En 1778, il publia l’Analyse et abrégé raisonné du Spectacle de la nature de M. Pluche (1 vol. in-8o), par le marquis de Puységur, et la fameuse Question agitée dans les écoles de la Faculté de médecine de Reims […]. Sur l’usage du vin de Champagne mousseux contre les fièvres putrides (1 vol. in-8o, avec les libraires parisiens Méquignon l’aîné et Didot le jeune, le libraire châlonnais Paindavoine et l’imprimeur châlonnais Seneuze), par le docteur Jean-Claude Navier ; il publia son premier catalogue la même année.
Cherchant à s’installer à Paris, il échoua dans une association avec Jean-Baptiste Musier, libraire quai des Augustins, avant de faire la connaissance du libraire et imprimeur Jacques-François Valade (env. 1727-1784), rue des Noyers [aujourd’hui partie du boulevard Saint-Germain, Ve] : celui-ci, s’inspirant de la collection des auteurs latins éditée par son collègue londonien James Brindley, débuta en 1779 une collection in-18 sous la rubrique de Londres, allait fonder la « Bibliothèque amusante » et imprimer la « Petite bibliothèque des théâtres ».
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S. n. [Valade], Londres [Paris], 1780 |
2. Libraire à Paris.
Rue des Noyers
Séjournant de plus en plus souvent à Paris chez Valade depuis 1780, – au point de ne pas pouvoir assister au mariage de sa seconde fille à Reims en 1781 –, Cazin s’installa définitivement chez son hôte et s’associa à lui pour éditer certains titres de la collection in-18, dont le premier fut Les Jardins, ou l’Art d’embellir les paysages (Paris, 1782, 1 vol., grav. Laurent), par l’abbé Jacques Delille. Suivirent La Morale de Confucius (Paris, 1783, 1 vol., grav. Delvaux), attribuée au journaliste Louis Cousin, la Traduction nouvelle de l’Art d’aimer d’Ovide (Paris, 1783, 1 vol., grav. Duponchel, et 1784, 1 vol.), attribuée au magistrat Claude Masson de Saint-Amand, l’édition princeps grec-latin des Aphorismes et Pronostic d’Hippocrate (Paris, 1784, 2 vol.), annotés par le docteur Édouard Bosquillon, et, selon Paul Lacroix, les Œuvres de Molière (Londres, 1784, 7 vol., grav. Delvaux, catalogue de Valade au t. VII).
En 1783, Cazin se rendit à trois reprises à la Bastille, chargé de surveiller la destruction des livres saisis et mis au pilon sur ordre de Jean-Charles Lenoir, lieutenant général de police à Paris, ami de Valade et bibliophile. Cette même année, Cazin décida de cesser de se procurer des livres prohibés à l’étranger.
Malade, Valade laissa bientôt la direction de sa collection in-18 à Cazin. La première série que celui-ci publia dans le format in-18 fut éditée en 1784, à l’adresse de Reims, sous le titre de « Petite bibliothèque de campagne ou collection de romans », et comprend des traductions des œuvres de Henry Fielding (16 vol.), de Sarah Fielding (3 vol.), de Tobias Smollett (4 vol.) et de Goethe (1 vol.).
Valade mourut le 24 juin 1784 et sa veuve, Marie-Jeanne Ledoux, lui succéda. Cazin commença alors la publication de deux ouvrages importants : une Histoire des Allemands (Reims, 1784-1789, avec l’imprimeur liégeois Clément Plomteux, 8 vol. in-8o), traduite de l’allemand de Michel Schmidt, et une Histoire de l’Ordre Teutonique (Reims, 1784-1790, avec la veuve Valade, 8 vol. in-12), par le baron de Wal.
À la fin de l’année 1785, au cours de laquelle Cazin avait réédité, dans le petit format, Les Jardins de l’abbé Delille (Reims, 1 vol.), et édité le Roman comique, de Scarron (Londres, 3 vol., grav. Chapuy), les Pensées de Pascal (Londres, 2 vol., grav. Delvaux), le Nouveau voyage sentimental, traduction de l’anglais de Sterne qu’il fit imprimer à Bouillon (Londres, 1 vol.), et les Œuvres de M. Gresset (Londres, 2 vol.), la veuve Valade abandonna définitivement la collection in-18 à Cazin.
Devenu propriétaire d’un dépôt de gravures et de petits formats brochés ou « en blanc » [livres non reliés dont les feuilles sont classées et non pliées], Cazin fit graver son nom sur les planches de cuivre qui lui avait été cédées, signant ainsi le second tirage des titres gravés, des frontispices et autres portraits. C’est pourquoi certains volumes de la collection in-18 mis en vente par Cazin ont une ou des gravures portant la mention « Edition de Cazin. » ou « Collection de Cazin. », avec un titre typographié datant de l’époque d’activité de Valade. D’autres volumes sont une véritable réimpression, avec date mise à jour au titre et une ou des gravures portant la mention « Edition de Cazin » [second tirage] ou non [premier tirage du dépôt].
Rue des Maçons
En 1786, Cazin quitta la rue des Noyers et installa sa petite librairie au 31 rue des Maçons [aujourd’hui rue Champollion, Ve].
La « Collection des poètes italiens », imprimée à Orléans et éditée sous l’adresse de Paris, commencée en 1785 avec La Gerusalemme liberata du Tasse (2 vol., grav. Delvaux), fut poursuivie avec d’autres textes du Tasse (1 vol.), de Guarini (1 vol.), de Tassoni (1 vol.), de Pétrarque (2 vol., grav. Delvaux), de Bonarelli (1 vol.), de Pignotti (1 vol.), de l’Arioste (5 vol., grav. Delvaux) et de Bonesana (1 vol.), et terminée en 1787, avec les trois actes distincts de La Divina commedia de Dante (3 vol.). Cette même année 1786, il publia, selon Brissart-Binet, Le Diable boiteux (Paris, 3 vol. in-12) par Lesage, et compléta la collection des petits formats avec les Poésies du romancier suisse François Vernes de Luze (Londres, 1 vol.), un Choix de poésies traduites du grec, du latin et de l’italien par le docteur Édouard-Thomas Simon (Londres, 2 vol., grav. Thomas), De l’amour de Henri IV pour les lettres par l’avocat Gabriel Brizard (Paris, 1 vol.), les Passions du jeune Werther par Goethe (Paris, 1 vol., grav. Chapuy), qu’il fit imprimer à Genève par Paul Barde, un Choix de pièces de théâtre du chansonnier Jean-Joseph Vadé (Londres, 2 vol.), Les Orangers, les Vers à soie et les Abeilles, poèmes traduits du latin et de l’italien par le monarchiste Anselme Crignon (Paris, 1 vol.), un Choix de petits romans de différens genres par le marquis de Paulmy (Paris, 1 vol. sur les 2), et les Nouvelles Lettres angloises traduites de l’anglais de Richardson (Londres, 7 vol., grav. Chapuy).
En 1787, outre les trois volumes de Dante, Cazin publia dans la collection in-18, Caroline de Lichtfield par la baronne de Montolieu, qu’il fit imprimer à Bouillon (Londres, 2 vol., grav. Frussotte), un Choix de pièces de théâtre du comédien Jean-Baptiste Sauvé dit « Lanoue » (Londres, 1 vol., grav. Duponchel), un Choix de pièces de théâtre des avocats Brueys et Palaprat (Londres, 1 vol.), Laure par le publiciste Samuel Constant (Londres, 5 vol., grav. Frussotte), et les Mémoires de madame la baronne de Staal (Londres, 3 vol., grav. Delvaux).
En 1788, la collection in-18 fut complétée par Ismene and Ismenias, traduit du français de l’historien Godard de Beauchamps (London, 1 vol., grav. Delvaux), et Les Chefs-d’œuvre de Pope traduits de l’anglais (Londres, 1 vol., grav. Frussotte). Cazin publia également Les Délassemens poétiques (Paris, avec le libraire lausannois Lacombe, 1 vol. in-8o), par le botaniste suisse Samuel-Élias Bridel, qu’il fit imprimer à Neuchâtel, et la Nouvelle grammaire pour enseigner le françois aux Anglois (Paris, 1 vol. in-12), par dom Jean-Noël Blondin, de l’ordre des Feuillants.
Toujours désireux de multiplier ses activités éditoriales, il participa en 1789 à l’édition du quotidien royaliste, politique et littéraire de Jean-Charles Le Vacher de Charnois, intitulé Le Spectateur national.
La collection des « Cazins » fut complétée par le Voyage sentimental (Londres, 1789, 2 vol., grav. Duponchel, catalogue au t. II), traduit de l’anglais de Sterne, L’Aminte (Londres, 1789, 1 vol., catalogue), traduit de l’italien du Tasse, la Seconde partie des Confessions de J.J. Rousseau (Londres, 1790, 7 vol.), qu’il fit imprimer à Neuchâtel par Louis Fauche-Borel, l’Hymne au soleil (Londres, 1790, 1 vol., grav. Delaunay), par l’abbé de Reyrac, Les Saisons (S.l. [Paris], s.d. [1790], 1 vol.), poème traduit de l’anglais de Thomson, La Pucelle d’Orléans poème héroï-comique en dix-huit chants (Londres, 1790, 1 vol.), par Voltaire, Les Aventures de Télémaque (Londres, 1790, 3 vol., grav. Chapuy, id. 1791), par Fénelon, Les Jardins (Paris, 1791, 1 vol., grav. Delvaux), par l’abbé Delille, Du contrat social (Paris, 1791, 1 vol.), par J.-J. Rousseau, et les Entretiens de Phocion (Paris, 1792, 1 vol.), traduits du grec par l’abbé de Mably.
Cazin publia des catalogues en 1788 et 1789, qui présentaient ses collections dans tous les formats, ainsi que les collections de Valade et celles d’autres éditeurs. Ses catalogues de 1792 et 1793 (154 titres en 382 vol., dont seulement 48 titres en 106 vol. sont des éditions authentiques de Cazin) ne contiennent que des petits formats.
Rue du Coq
Après son déménagement au numéro 3 de la rue du Coq-Saint-Honoré, dite cul-de-sac du Coq [aujourd’hui rue de Marengo, Ier], Cazin participa à l’édition en français des Considérations importantes sur les droits et les devoirs respectifs de la France et des états de l’empire d’Allemagne possessionnés en Alsace (Paris, Desenne et Gattey, Blanchon, Cazin, et Strasbourg, Kœnig, 1792, 1 vol. in-4o), traduites de l’allemand de l’archiviste Georg-August Bachmann, et publia ses derniers volumes dans le format in-18 avec les Œuvres du poète Charles-Pierre Colardeau (Paris, 1793, 3 vol., grav. L’Épine).
Rue Pavée
Cette dernière année, il déménagea au numéro 15 de la rue Pavée-Saint-André [aujourd’hui rue Séguier, VIe]. Dans l’après-midi du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il se trouvait dans un café de la petite rue du Dauphin et en sortit au moment où le tir des boulets de Bonaparte enfilait la rue pour enlever le porche de l’église Saint-Roch où s’étaient barricadés les royalistes. Il fut atteint au ventre par un éclat de mitraille et expira le surlendemain 15 vendémiaire (7 octobre).
Cazin n’a donc jamais été imprimeur, n’a jamais eu de fils (invention de l’érudit rémois Lacatte-Joltrois), n’a été emprisonné qu’une seule fois à la Bastille en 1776, n’a jamais eu de valise toujours prête pour y séjourner (invention de son petit-fils, l’écrivain Chaalons d’Argé), s’est installé à Paris dès 1780 et définitivement en 1782, n’a jamais tenu de salon littéraire (invention de Brissart-Binet) et est mort le 15 et non le 13 vendémiaire an IV.
À la mort de Cazin, sa femme lui succéda jusqu’en 1806 et lui survécut jusqu’en 1814. En 1799, la Société Richard, Caille et Ravier, rue Hautefeuille, racheta la collection des petits formats in-18 qui passa, après la mort de Richard en 1802, à la Société de Crapart, Caille et Ravier, au numéro 17 de la rue Pavée-Saint-André-des-Arcs, jusqu’en 1808, puis à la Société de Caille et Ravier jusqu’en 1822.
Comment authentifier une édition de Cazin ?
On devrait toujours garder à l’esprit les idées, en avance sur leur temps mais aujourd’hui évidentes, que l’abbé Jean-Joseph Rive (1730-1791) développait dans La Chasse aux bibliographes et antiquaires mal-advisés (Londres, N. Aphobe, 1789, t. I, p. 48-49) :
« Ainsi il n’y a rien de moins solide, que d’attribuer à un Artiste l’exécution typographique d’un ouvrage sorti de la presse sans nom d’Imprimeur, sous prétexte que les types de ce même ouvrage ont de l’analogie avec ceux des éditions qui portent son nom. […] Ne sera-t-il pas plus sage de renoncer à des conjectures inconcluantes, & de croire que ces éditions peuvent ne venir ni de l’une, ni de l’autre presse, mais qu’elles sortent peut-être d’une troisième que nous ne connoissons pas ? »
Par un abus de langage, conséquence de l’ignorance de sa biographie et de sa bibliographie exactes, Cazin est considéré, sans preuve et donc à tort, comme l’éditeur de presque tous les petits formats du dernier quart du xviiie siècle sans nom d’éditeur, imprimés clandestinement à Paris ou dans les Provinces-Unies. S’ils appartiennent, pour partie, à la collection parisienne de Valade, ils pourraient, pour le reste, tout aussi bien appartenir à d’autres collections, dont celles de Couret de Villeneuve à Orléans, de Lehoucq à Lille, de La Roche ou de Bruyset et Périsse à Lyon, de Tutot à Liège, de Didot et Debure à Paris, de Hardouin et Gattey à Paris, de Le Prince et Baudrais à Paris, de Ancelle à Évreux, de Manoury à Caen, de Mercier à Paris, etc.
Parmi ces éditions sans nom d’éditeur attribuées à Cazin sans aucune preuve, les cazinophiles ont toujours été très intéressés par les éditions pornographiques, dites « érotiques », illustrées souvent par François-Roland Elluin (1745-1810), d’après Antoine Borel (1743-1810) :
Nouvelle traduction de Woman of pleasur [sic], ou Fille de joie par John Cleland (Londres, chez G. Fenton, 1776) ; La Pucelle d’Orléans, poème héroï-comique en dix-huit chants par Voltaire (Genève, 1777, 18 fig. libres non signées connues sous le nom de « suite anglaise » parce qu’elle est imitée des 27 figures d’un graveur anglais, gravées par Pierre Duflos d’après Marillier) ; La Pucelle d’Orléans, poème héroï-comique en dix-huit chants par Voltaire (Londres, 1780, mêmes illustrations que dans l’édition de 1777) ; La Foutromanie, poème lubrique par Sénac de Meilhan (Londres, aux dépens des Amateurs, 1780) ; Les Sonnettes par Guillard de Servigné (Londres, 1781) ; Le Meursius françois par Nicolas Chorier (Cythère, 1782) ; Parapilla par Charles Borde (Londres, 1782 ; Florence, 1784) ; Félicia par Nerciat (Londres, s.d. [1782]) ; La Tentation de Saint-Antoine par Sedaine (Londres, 1782) ; Les Égarements de Julie par Perrin (Londres, 1782) ; Mémoires de Saturnin par Gervaise de La Touche (Londres, 1787) ; Le Doctorat in-promptu par Nerciat (S.l., 1788) ; Étrennes aux amateurs de Vénus (Paphos, s.d. [1788]) ; Théâtre gaillard (Londres, 1788) ; Justine par Sade (Londres, 1792 : « Un des ouvrages les plus rares de la collection Cazin » dit Henri Cohen, dans la 6e et dernière édition de son Guide de l’amateur de livres à gravures du xviiie siècle, col. 920 !) ; etc.
L’attribution à Cazin des petits formats sans nom et à la fausse adresse de Londres (celle de Genève signant des éditions lyonnaises) ne peut se faire :
- ni à l’aide du format in-18 : économique, aisément maniable, discrètement transportable, voire facilement dissimulable, il est apparu au commencement du xviiie siècle, quand on voulut obtenir un volume de dimensions équivalentes à celles de l’ancien in-12 qui était devenu plus grand par l’emploi de papiers de plus grande forme. À la fin du même siècle, l’in-18 mesurait alors, en moyenne, 127 sur 80 millimètres.
Pour obtenir un in-18, la feuille totale est divisée :
. soit en deux cahiers inégaux de 12 et de 24 pages : les signatures tombent alors aux pages 1, 25, 37, 61, etc., les pontuseaux de chaque feuillet sont verticaux et le filigrane est visible tout entier au milieu du feuillet dont la place est variable dans la feuille.
. soit en trois cahiers de 12 pages chacun : les signatures tombent alors aux pages 1, 13, 25, 37, etc., et coïncident avec celles d’un in-12 plié, par demi-feuilles, en deux cahiers successifs ; la direction des pontuseaux du papier permet alors de reconnaître le format, horizontaux dans l’in-12, verticaux dans l’in-18.
- ni à l’aide de la reliure : en veau écaille [orné de marbrures rouges], triple filet d’encadrement sur les plats, filet ou roulette sur les coupes, avec ou sans roulette sur les chasses, dos long à six compartiments délimités par un double filet, dont deux portent les pièces de titre et de tomaison et les quatre autres ornés d’une grenade stylisée, baptisée « fer Cazin » et entourée d’une paire de volutes de feuillage, tranches dorées, signet de soie verte : ce type de reliure existait avant la collection Valade-Cazin. On peut regretter que cette reliure n’ait jamais retenu l’attention des historiens. Les dos de reliures qui portent en queue la mention dorée « Edition Cazin » appartiennent à des reliures réalisées au xixe siècle.
- ni à l’aide du papier azuré : rare, il est le plus souvent réuni au papier blanc dans un même volume, comme par accident ou indifférence.
- ni à l’aide des caractères, des fleurons ou des dispositions typographiques : prétendument caractéristiques, ils n’appartiennent qu’aux imprimeurs.
. la petite tête couronnée aux cheveux bouclés fait partie du matériel de Couret de Villeneuve à Orléans puis à Paris ;
. la petite tête rayonnée de Glisau et Pierret a appartenu auparavant à Valade et à Pierres ;
. les deux pigeons font partie du matériel de Valade qui les a utilisés pour les Œuvres de M. Gresset (Londres, 1780), Bélisaire, par M. Marmontel (Londres, 1780), les Œuvres mêlées de M. le chevalier de Boufflers, et de M. le marquis de Villette (Londres, 1782), Les Amours de Psyché et de Cupidon, par M. de La Fontaine (Londres, 1782), les Considérations sur les mœurs de ce siècle, par M. Duclos (Londres, 1784) et les Passions du jeune Werther (Reims, Cazin, 1784).
Quand bien même on identifierait l’imprimeur d’une édition adressée à Londres, il faudrait d’autres arguments pour pouvoir l’attribuer à Cazin.
- ni à l’aide des gravures : on cherchera en vain des éditions de Cazin avec des figures gravées d’après Charles Eisen (1720-1778).
Le graveur privilégié de Cazin fut Rémi-Henri-Joseph Delvaux (1748-1823), élève de Noël Le Mire, qui grava des figures pour La Morale de Confucius (1783), les Œuvres de Molière (1784) d’après Pierre Mignard (1612-1695), les Pensées de Pascal (1785) d’après Robert Nanteuil (1623-1678), La Gerusalemme liberata (1785) et Le Rime (1786) et Orlando furioso (1786) d’après Titien (1490-1576), les Mémoires de madame la baronne de Staal (1787) et, d’après Clément-Pierre Marillier (1740-1808), Les Jardins (1785 et 1791) et Ismene and Ismenias (1788).
Charles-Eugène Duponchel (né en 1748), élève de Tardieu, grava les figures de la Traduction nouvelle de l’Art d’aimer d’Ovide (1783) d’après Kaspar Pitz (1756-1795), du Choix de pièces de théâtre de La Noue (1787) d’après Charles Monnet (1732-1808) et du Voyage sentimental (1789).
Jean-Baptiste Chapuy (1760-1802) grava les figures du Roman comique de Scarron (1785), des Nouvelles Lettres angloises (1786) d’après Clément-Pierre Marillier, des Passions du jeune Werther (1786) et Les Aventures de Télémaque (1791).
On ne sait pas grand chose sur C. Frussotte qui grava des figures pour Caroline de Lichtfield (1787) d’après Louis Binet (1744-1800), le collaborateur régulier de Rétif de la Bretonne, Laure (1787) d’après Balthasar-Antoine Dunker (1746-1807) et Les Chef-d’œuvres [sic] de Pope (1788) d’après Godfrey Kneller (1646-1723) ; ni sur P.-E. L’Épine qui grava le portrait de l’auteur des Œuvres de Colardeau (1793) ; sur N. Thomas, élève de Ingouf, qui grava le frontispice du Choix de poésies, traduites du grec, du latin et de l’italien (1786) d’après Jean-Jacques-François Le Barbier « aîné » (1738-1828) ; ni sur F. Dubercelle qui grava pour Le Diable boiteux (1786) d’après Magdelaine Hortemels (1688-1767), mère de Charles-Nicolas Cochin « fils ».
C’est Pierre-François Laurent (1739-1809), élève de Baléchou, qui grava d’après Charles-Nicolas Cochin « fils » (1715-1790) pour Les Jardins (1782).
Nicolas Delaunay (1739-1792), élève de Lempereur, grava pour l’Hymne au soleil (1790).
- ni à l’aide des catalogues de la librairie : sont ceux de tout libraire donnant la liste des ouvrages en différents formats disponibles en sa boutique.
- ni à l’aide des journaux contemporains : toute l’ambiguïté des annonces ou des comptes rendus des journaux contemporains se trouve dans celui-ci :
« Théatre [sic] de Regnard. Nouvelle édition, revue, exactement corrigée, & conforme à la représentation. 4 vol. in-18. A Londres, & se trouve à Paris, chez la veuve Valade ; à Reims, chez Cazin. 1784. On connoît les jolies éditions que le Sr. Cazin donne depuis quelque tems [sic] au public : nous lui devons encore celle-ci, qui sans doute ne sera pas moins recherchée. »
(Journal encyclopédique ou universel. Bouillon, février 1785, p. 552-553)
Elle concerne le « Théatre de Regnard ; Nouvelle édition, Revue, exactement corrigée, & conforme à la représentation. [entre deux filets] Tome Premier. [fleuron] A Londres. [double filet] M. DCC. LXXXIV. », en 4 vol. in-18.
Le matériel typographique appartient à l’imprimerie Valade, avec, en particulier, le même fleuron aux quatre pages de titre que celui utilisé pour la page de titre du Choix de pieces de théatre de Brueys et Palaprat (Londres, et Paris, Cazin, 1787).
Rien ne permet d’ajouter « & se trouve à Paris, chez la veuve Valade ; à Reims, chez Cazin. », comme s’il s’agissait de l’adresse au titre : en février 1785, le Journal encyclopédique sait effectivement que madame Valade est veuve et que Cazin a édité l’année précédente, sous l’adresse de Reims, la « Petite bibliothèque de campagne ou Collection de romans ».
Mais alors, comment peut-on attribuer à Cazin des éditions ne portant ni son nom, ni son adresse ?
En se souvenant qu’aucun petit format ne peut être de Cazin avant 1786, la collection appartenant aux Valade qui, eux, ne l’ont commencée qu’en 1779 :
- sur l’existence de la mention « Edition de Cazin » sur les gravures, seulement quand il n’y a pas d’édition antérieure par Valade : Roman comique de Scarron en 1785, Laure par Constant en 1787, Mémoires de Madame la baronne de Staal en 1787, Hymne au soleil par l’abbé de Reyrac en 1790.
- sur le témoignage d’un éditeur : Claude-Marin Saugrain pour le Traité économique et physique des oiseaux de basse-cour par Buchoz en 1775, Cazin lui-même pour l’Histoire de Gil Blas par Le Sage en 1777.
- ou d’un bibliographe : Brissart-Binet pour la Méthode nouvelle, courte et facile pour apprendre le plain-chant en 1762 et pour Le Diable boiteux par Lesage en 1786, Paul Lacroix pour les Œuvres de Molière en 1784, Joseph-Marie Quérard pour les Pensées de Pascal en 1785.
- sur l’identité de l’imprimeur : Glisau pour les Œuvres de M. Gresset en 1785, Glisau et Pierret pour Les Aventures de Télémaque en 1790 et en 1791, Fauche-Borel pour la Seconde partie des Confessions de J.J. Rousseau en 1790.
- sur l’existence d’un « Avis » (Pensées de Pascal en 1785) ou d’un catalogue de Cazin (Voyage sentimental en 1789).
Dans la collection in-18, Cazin, seul ou associé, n’est donc le responsable, de 1782 à 1793, que de l’édition de 59 titres formant 120 volumes. Il ne peut être tenu responsable, de 1762 à 1793, que de l’édition de 74 titres, en 154 volumes, tous formats confondus, et d’un journal quotidien.
Ces éditions en d’autres formats que l’in-18, négligées jusqu’à présent, pourraient sensibiliser les amateurs à une nouvelle cazinophilie qui s’attacherait enfin à l’identification des éditeurs restés jusqu’à présent anonymes.