La doyenne des sociétés de géographie fut fondée à Paris en 1821, à l’initiative de l’orientaliste Louis-Mathieu Langlès (1763-1824), bibliothécaire à la Bibliothèque royale.
184, boulevard Saint-Germain - Paris (VI) |
Les sept autres principaux membres fondateurs furent recrutés parmi les membres de l’Institut : le géographe Jean-Denis Barbié du Bocage (1760-1825), le géographe Conrad Malte-Brun (1775-1826), l’archéologue Jean-Antoine Letronne (1787-1848), le contre-amiral Paul-Édouard de Rossel (1765-1829), le naturaliste Charles-Athanase Walckenaer (1771-1852), le mathématicien Joseph Fourier (1768-1830), qui avait participé à l’expédition d'Égypte, et le géographe et archéologue Edme-François Jomard (1777-1862), le principal artisan de la publication de la Description de l’Égypte, monumental ouvrage de 23 volumes publiés de 1809 à 1828. Cette Société fut présidée de 1910 à 1924 par le prince Roland Bonaparte (Paris, 19 mai 1858-14 avril 1924).
Le prince était le fils d’un aventurier lettré, Pierre Bonaparte (1815-1881), assassin de Victor Noir (1848-1870), journaliste au quotidien La Marseillaise, et de Éléonore-Justine Ruffin (1831-1905). Son grand-père paternel était Lucien Bonaparte (1775-1840), frère de l’empereur Napoléon Ier. Il épousa en 1880 Marie-Félix Blanc (1859-1882), fille du richissime fondateur de la Société des Bains de mer de Monaco et du casino de Monte-Carlo, morte après avoir donné naissance à Marie Bonaparte (1882-1962), future princesse de Grèce et célèbre psychanalyste, maîtresse du ministre Aristide Briand et disciple de Sigmund Freud.
Veuf, le prince vécut alors avec sa mère et se consacra à ses travaux et à ses collections scientifiques. En 1885, il déménagea de Saint-Cloud à Paris, 22 cours de la Reine. Il quitta l’armée d’active pour la réserve, avant d’être rayé des cadres en tant que membre d’une famille ayant régné sur la France, conformément à la loi du 22 juin 1886. Ses moyens financiers et ses relations influentes contribuèrent à l’accroissement de nombreuses sociétés savantes dont il fut membre et président. Il s’intéressa d’abord à l’anthropologie et à la géographie. Il entreprit la réalisation de collections photographiques anthropologiques et devint en 1884 membre de la Société d’anthropologie, fondée en 1859, et membre de la Société de géographie. La plupart de ses albums, qui portent les noms des groupes ethniques photographiés, furent réalisés au cours d’expositions ethnographiques à Amsterdam (Exposition coloniale de 1883), à Paris (Exposition universelle de 1889), à Londres et à Berlin (1884). Le prince effectua néanmoins quelques voyages d’étude, en Amérique du Nord (1888 et 1893), en Europe de l’Est, en Norvège (1884) et en Corse (1887). Chaque photographie porte la mention « Collection du Prince Roland Bonaparte » et un timbre sec représentant l’aigle impérial.
Dans les années 1890, il se tourna vers la géologie et la botanique. Il étudia le mouvement des glaciers alpins, et participa à la création de nombreux postes d’observation dans les Alpes et les Pyrénées pour leur étude. Il fut de ceux qui financèrent en 1891 la construction de l’éphémère observatoire météorologique du Mont-Blanc et fournit des fonds à la station zoologique de Banyuls-sur-Mer, qui avait été fondée en 1881. Membre en 1900 de la Société française de photographie, fondée en 1854, il en fut le président de 1919 à 1922.
En 1905, il commandita une expédition envoyée en Équateur pour mesurer l’arc méridien de Quito. Il devint membre de l’Académie des sciences en 1907, et en fut le président en 1919. En 1908, il fut élu président du Club alpin français, fondé en 1874.
Puis il se tourna vers la botanique, avec le projet de constituer un herbier général, spécialisé sur les fougères. Il voyagea, passa commande à de nombreux correspondants en voyage ou en mission et acheta des herbiers, dont celui en 960 cartons du journaliste Georges Rouy (1851-1924), ancien vice-président de la Société botanique de France. Ce dernier était l’auteur, avec Julien Foucaut (1847-1904), directeur du jardin botanique de la Marine, à Rochefort, d’une Flore de France (Société des sciences naturelles de la Charente-Inférieure, 1893-1913, 14 vol. in-8).
Le prince laissa à sa mort un herbier de 2.500.000 échantillons concernant près de 100.000 espèces, soit plus du tiers de la flore mondiale. La Faculté des sciences de Lyon en hérita, et cet herbier est aujourd’hui à l’Université Claude-Bernard, Lyon 1 : 8.800 cartons de planches, du mobilier de rangement et une bibliothèque qui étaient arrivés par un convoi de vingt wagons. L’herbier Bonaparte est le deuxième de France après celui du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, et le septième dans le monde.
L’herbier avait occupé à lui seul plusieurs pièces et une dizaine d’employés dans l’imposant hôtel particulier du 10 avenue d’Iéna (XVIe), que le prince avait fait construire entre cette avenue, ouverte en 1858, et la rue Fresnel, ouverte en 1877, grâce à la fortune héritée de sa femme.
Il fut édifié sur cinq niveaux, de 1892 à 1895 (permis de construire du 30 juin 1891), par l’architecte Ernest Janty (1837-1913), élève d’Hector Lefuel (1810-1881), l’architecte du Louvre et des Tuileries
L’hôtel n’avait pas de jardin.
Au premier étage, en façade sur la rue Fresnel, la bibliothèque était formée de quatre pièces en enfilade disposées autour d’une cour carrée intérieure, de 24 mètres de côté, située au-dessus des communs. Par le grand escalier d’honneur, on entrait dans celle qui était éclairée par quatre grandes croisées prenant jour sur la cour intérieure. Les trois autres pièces étaient éclairées par des verrières zénithales. Le parquet était en frisette de chêne de Hongrie, disposée par panneaux et compartiments symétriques. Les boiseries, cheminées et escaliers étaient en noyer ciré, avec des panneaux sculptés de style Louis XIV.
Dans chaque pièce, une galerie, munie d’une rampe en acier forgé et bronze doré et soutenue par des colonnes en noyer sculpté, divisait en deux la hauteur totale de 7 mètres.
Quatre escaliers en colimaçon, décorés de sculptures en cuivre doré, donnaient accès à cette galerie. La serrurerie et les ferrures des portes et croisées étaient en bronze doré.
Près de 150.000 volumes occupaient 6.805 tablettes, sur environ 6.310 m de longueur. Les collections du prince eurent pour noyau primitif la bibliothèque de géographie, d’art militaire et de littérature étrangère de son père. Elles s’accrurent de livres de celle du prince Anatole Demidoff (1813-1870), époux de la princesse Mathilde Bonaparte, fille du roi Jérôme, qui contenait des ouvrages ayant appartenu à Napoléon à l’île d’Elbe, puis de celle du géographe Louis Vivien de Saint-Martin (1802-1897), secrétaire général de la Société de géographie de 1845 à 1849, de celle de l’orientaliste Charles Schefer (1820-1898) et de celle de Napoléon qui se trouvait à la Malmaison. Le prince ajouta à sa bibliothèque les publications anciennes ou récentes dont ses travaux avaient besoin. Parmi ses nombreuses publications, hormis les textes de ses conférences et ses articles de presse, figurent :
- Les habitants de Suriname. Paris, 1884.
- La Nouvelle-Guinée. Paris, 1887.
- Le premier établissement des Néerlandais à Maurice. Paris, 1890.
- Démocratie suisse. Paris, 1890.
- Les variations périodiques des glaciers français. Paris, 1891.
- Une excursion en Corse. Paris, 1891.
- Documents de l’époque mongole des xiiie et xiv e siècles. Paris, 1895.
- Fougères du Congo belge. Bruxelles, 1913.
- Notes ptéridologiques. Paris, 1915-1924.
Les livres étaient classés dans un cadre géographique (Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie), suivant vingt-six divisions représentées sur les livres par une lettre de l’alphabet et dans l’ordre suivant : généralités, géologie, géographie, histoire, mœurs et législation, sciences, arts, etc. Une collection des voyageurs hollandais, des atlas de cartes anciennes, des recueils de planches de sciences et d’art, des milliers de clichés photographiques et des centaines de revues et journaux géographiques français et étrangers, classés selon la même méthode que les livres, complétaient les collections. Un signe spécial, une étoile à cinq branches, marquait les œuvres de la famille Bonaparte ou la concernant.
Environ un quart de la bibliothèque formait le cabinet de travail particulier du prince, qui occupait une des quatre pièces, avec les sections : bibliographie, linguistique, encyclopédies, relations générales de voyages, voyages en plusieurs parties différentes du monde. Un double catalogue par fiches était établi au jour le jour : des fiches pour l’ordre alphabétique des auteurs, des fiches pour l’ordre des matières.
Cette bibliothèque était une bibliothèque de travail plus qu’une bibliothèque de bibliophile : elle était en effet plus remarquable par les séries bien complètes sur les sujets préférés par le prince que par la rareté ou le grand luxe des livres, munis néanmoins, pour la plupart, d’un ex-libris.
Le service de la bibliothèque, qui était à la disposition des lettrés, des érudits et des savants, était assuré par un bibliothécaire, un bibliothécaire adjoint et trois aides chargés de la manutention, de l’étiquetage et de la confection des fiches. François Escard (1836-1909), ami et disciple du sociologue Frédéric Le Play (1806-1882), fondateur en 1856 de la Société d’économie sociale, fut le bibliothécaire le plus connu.
C’était au rez-de-chaussée que se trouvaient le cabinet du bibliothécaire, ainsi qu’une bibliothèque de réserve, des magasins et un laboratoire photographique.
En 1925, après la mort du prince, l’hôtel de l’avenue d'Iéna fut acheté par la Compagnie universelle du canal maritime de Suez. Il fut modifié en 1929 (permis de construire des 17 février et 10 mars 1926) par Michel Roux-Spitz (1888-1957), l’architecte de l’Hôtel de Ville de Saint-Nazaire : l’hôtel fut surélevé de trois étages, les communs furent transformés en garage fermé par une grande baie vitrée monumentale, et une salle de conférences fut réalisée dans la partie supérieure de l’ancienne cour. Dans les années 1980, d’autres travaux modifièrent profondément la partie arrière du bâtiment. Seuls le rez-de-chaussée et le 1er étage subsistent ; la bibliothèque a depuis longtemps disparu.
La partie géographique de la bibliothèque, environ 40.000 volumes, ainsi que 17.000 clichés, furent offerts à la Société de géographie par Marie de Grèce.
Ce don ne pouvant tenir dans les locaux du 184 boulevard Saint-Germain (VIe), inaugurés en 1878, la Société loua l’hôtel Bonaparte à la Compagnie Universelle du canal maritime de Suez et déménagea.
La bibliothèque du prince demeura ainsi en place. En 1942, la Société réintégra les locaux du boulevard Saint-Germain et les collections furent alors déposées à la Bibliothèque nationale : 90.000 ouvrages, 2.000 titres de périodiques (345 titres vivants), 135.000 documents iconographiques, en majeure partie des photographies sur papier ou plaques de verre, 500 cartons d’archives, environ 35.000 cartes, ainsi que le manuscrit de Vingt mille lieues sous les mers et un fragment de celui de Cinq semaines en ballon de Jules Verne, donnés à la Société de géographie par son fils Michel en 1906.
En 1888, après son voyage en Corse, le prince avait donné 5.000 volumes à la bibliothèque d’Ajaccio : des livres de chimie, de sciences, de botanique, de médecine et d’anatomie, ainsi que des ouvrages de littérature, d’histoire, de géographie et des récits de voyages.
D’autres parties de la bibliothèque de Roland Bonaparte furent mises en vente aux enchères publiques : à Paris, chez Sotheby’s le 21 mars 2002, Drouot le 29 mai 2002 ; à Londres, chez Christie’s le 18 novembre 2003 ; à Cincinnati, chez Cowan’s, le 16 novembre 2006, etc.
Devenu le siège d’Ubifrance, agence française pour le développement international des entreprises, l’hôtel de l’avenue d’Iéna a été racheté à l’État en 2005 pour 92 millions d’euros par le groupe hôtelier Shangri-La pour en faire, après de nouveaux remaniements, le huitième palace de Paris, dont l’ouverture eut lieu le 17 décembre 2010.
Il avait une bonne tête ce prince, je l'aurais bien vu boucher-charcutier aux Halles non ?
RépondreSupprimerOk ...
Sympa d'être Prince quand même ...
Bonne journée,
Nous vaincrons !
B.
Une constante chez les écrivains et les érudits : avec l'âge ils s’intéressent de plus en plus à la botanique et perdent tout sens de la mesure. Une telle bibliothèque impressionne autant que la maintenance pour la garder vivante. A combien de temps estime t-on la vie d'un herbier (en moyenne évidemment ) ? Pierre
RépondreSupprimerLes herbiers ont généralement la vie dure ...
SupprimerUn herbier bien réalisé et conservé dans de bonnes conditions peut se garder sans problèmes plusieurs centaines d'année.
RépondreSupprimerLes plus anciens date de la seconde moitié du XVIe siècle, comme dans le cas de l'Herbier Jehan Girault datant de 1558 et conservé au MNHN à Paris http://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/botanique/herbiers-historiques/herbier-jehan-girault.
On peut même encore observer les fleurs de la couronne de Ramsès II, ça laisse un peu de marge pour nos herbier ! http://www.mnhn.fr/fr/collections/ensembles-collections/botanique/herbiers-historiques/guirlandes-ramses-ii
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Ce sont des objet patrimoniaux mais aussi des outils scientifiques inestimable qu'il est indispensable de conserver !
Grand merci pour votre lecture attentive et votre commentaire !
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