vendredi 28 mars 2014

L’État civil perdu de « Vrain Lucas »

L’incurie des pseudo-biographes de « Vrain Lucas » pourrait faire croire que son état civil était aussi perdu que son honneur. À défaut de pouvoir lui rendre celui-ci, rendons-lui celui-là.

Fils d’un ouvrier travaillant à la journée, Denis-Vrin Lucas, dit « Vrain Lucas », est né le 1er décembre 1816 dans un lieu modeste de la commune de Lanneray (Eure-et-Loir) :   

« Du premier jour du mois de décembre mil huit cent seize une heure du soir.
Acte de naissance de Denis Vrin Lucas, fils de François Lucas et de Marie Madeleine Bret, ses père et mère, journalier demeurant aux Places, commune de Lanneray, né aujourd’hui au domicile de ses dits père et mère à une heure du matin, sur la déclaration à moi faite par le dit François Lucas père de l’enfant, en présence de Denis Beauger, laboureur demeurant à Fougueil, commune de Lanneray, et de François Cellier, journalier demeurant à Loisilière, commune de Lanneray, et majeurs, lesquels ont déclaré ne savoir signer, de ce interpellés.
Constaté par moi adjoint et officier de l’état civil soussigné. »
(Orthographe corrigée)




Il compléta le peu d’instruction qu’il avait reçu à l’école communale de Lanneray par de nombreuses lectures à la Bibliothèque de Châteaudun (Eure-et-Loire), ville où il trouva une place de clerc d’avoué et où il épousa, le 27 septembre 1842, Clémentine Luxereau (Châteaudun, 27 janvier 1824-Paris, 7 septembre 1856), couturière, fille d’un charretier de labour. Son travail lui valut ensuite un emploi de copiste au greffe du tribunal et à la conservation des hypothèques en 1846.
En 1852, il décida de monter à Paris, où il chercha vainement – faute d’être bachelier et de savoir le latin – un emploi à la Bibliothèque impériale, puis dans la librairie Auguste Durand, rue des Grès (Ve). Un malheureux hasard le fit entrer comme collaborateur et démarcheur dans le cabinet généalogique de Paul Letellier, qui fabriquait des chartes vieilles de six siècles pour des familles soucieuses de nobles ascendances. Il fréquenta les Bibliothèques Sainte-Geneviève, de l’Arsenal, Mazarine et la Bibliothèque impériale, et suivit les cours de la Sorbonne. En 1856, il réussit à se faire nommer membre correspondant de la Société archéologique du département d’Eure-et-Loir.

En 1861, il eut le bonheur de rencontrer le célèbre mathématicien Michel Chasles (1793-1880), membre de l’Institut, né dans le même département que lui et passionné collectionneur d’autographes.
 
« Il sortait de chez lui à onze heures, et déjeunait, tantôt au café Riche, lorsqu’il était en fonds, tantôt à la crêmerie, lorsque l’argent manquait. Tout le jour il travaillait à la Bibliothèque impériale, et le soir il rentrait chez lui après avoir diné. Il ne parlait à personne et n’allait que chez M. Chasles. » [sic] (Henri Bordier et Émile Mabille. Une fabrique de faux autographes ou Récit de l’affaire Vrain Lucas. Paris, Léon Techener, 1870, p. 94-95)

On connaît la suite : de 1861 à 1869, Vrain Lucas réussit à vendre à Chasles, pour plus de 140.000 francs, plus de 27.000 manuscrits d’une invraisemblable antiquité. Sa fraude suspectée, il fut surveillé par la police pendant un mois, avant d’être arrêté le 9 septembre 1869, à son domicile, rue Saint-Georges (IXe).   



« L’accusé, Vrain-Lucas, […], présente un aspect assez vulgaire qui tient de l’homme d’affaires et du maître d’école, l’œil très-couvert est protégé par le voile des paupières contre toutes les indiscrétions que le regard pourrait commettre. Le nez, d’un dessin vulgaire, est envahi par les joues dont le rictus, ni joyeux, ni triste, a quelquechose des physionomies campagnardes. Les cheveux sont foncés et un peu rares sur le crane ; la bouche a un caractère de prudence et de discrétion qui est le trait saillant de toute cette physionomie banale. Vrain-Lucas a paru tel à l’audience ; dans toutes ses relations antérieures, il avait produit cette même impression de vulgarité. » [sic] (Étienne Charavay. Affaire Vrain-Lucas. Étude critique. Paris, Jacques Charavay aîné, 1870, p. 14)

Il fut condamné pour escroquerie, le 24  février 1870, à deux ans d’emprisonnement, 500 francs d’amende et aux dépens. Mais Vrain Lucas était un bibliomane incorrigible et récidiviste : sorti de prison, il s’était lancé dans le commerce des livres rares et fut de nouveau condamné, dès 1873, à trois ans de prison pour vol, escroquerie et abus de confiance, puis en 1876 à quatre ans de prison , 500 francs d’amende et dix ans de surveillance. Libéré, il rentra à Châteaudun, où il mourut le 11 avril 1881 :

« L’an mil huit cent quatre-vingt-un, le onze avril, à onze heures du matin, devant nous Denis François Hippolyte Pateau, adjoint au maire et suivant délégation officier de l’état civil de la ville de Châteaudun, ont comparu Messieurs Clément Édouard Daubignard, âgé de trente-sept ans, et Paulin Zéphirin Pechoteau, âgé de trente-cinq ans, tous deux employés de la mairie et demeurant tous deux à Châteaudun, lesquels nous ont déclaré que Denis Vrin Lucas, sans profession, âgé de soixante-quatre ans, né à Lanneray le premier décembre mil huit cent seize, fils de feu François Lucas et de feue Marie Madeleine Bret sa femme, et veuf de Clémentine Luxereau, est décédé aujourd’hui à neuf heures du matin à l’hôpital de cette ville. Nous officier de l’état civil, après nous être assuré du décès, en avons dressé le présent acte que les comparants ont signé avec nous après lecture. » (Orthographe corrigée)

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