mardi 29 décembre 2015

Louis-François-André Gaudefroy, bibliographe éclairé.


Rue Saint-Leu au XIXe siècle, par Chapuy.
Hôtel-Dieu à droite, église Saint-Leu à gauche, cathédrale au fond.
Louis-François-André Gaudefroy est né à Amiens [Somme], le 20 septembre 1758, rue Saint-Leu, et a été baptisé le même jour en l'église Saint-Leu. Ses parents, André Gaudefroy, marchand épicier, et Marie-Geneviève Petit, s'étaient mariés le 26 avril 1755, en l'église Saint-Firmin-le-Confesseur [détruite en 1798].

Il fut reçu libraire à la Chambre syndicale de Paris en 1787.
Sous la Révolution, il fut nommé commissaire littéraire à la Bibliothèque du district de sa ville natale. C'est sous sa direction que fonctionna la Commission formée le 26 floréal an II, pour la recherche, le transport, l'inventaire, le récolement et la conservation des monuments des arts appartenant à la Nation, dans l'étendue du district. C'est en cette qualité qu'il a rédigé les catalogues alphabétiques des livres des bibliothèques de l'abbaye de Saint-Jean d'Amiens, des religieux Dominicains d'Amiens et du marquis de Vérac, émigré, trouvés en son château d'Orival [Somme, détruit].
Les fonctions de la Commission des arts ayant cessé avec la suppression du district, le 10 frimaire an IV, Gaudefroy ouvrit un magasin de librairie à Amiens, rue des Rabuissons [rue de la République], n° 5.395, au premier, près le Département. Il annonçait « que son magasin est des mieux fournis dans toutes les classes bibliographiques, même en ouvrages secrets parus à l'étranger sous Louis XV et Louis XVI, écrits de mains de maîtres, prohibés sous l'ancien régime, présentant un tableau fidèle et exact des anecdotes secrètes les plus piquantes, et la chronique scandaleuse de la cour et de la ville, etc. » Il offrait de ranger dans le meilleur ordre bibliographique les bibliothèques qu'on voudrait bien lui confier et d'en dresser les catalogues.
Dès le début du siècle suivant, n'ayant pas trouvé le succès qu'il espérait, Gaudefroy retourna s'installer à Paris, 32 rue de Grenelle-Saint-Honoré [partie sud de la rue Jean-Jacques-Rousseau, Ier], vis-à-vis la rue des Deux-Écus. Il profita des lumières du bibliothécaire Louis Ripault (1775-1823), qui l'appela quand il fut chargé, en juillet 1800, de constituer à Saint-Cloud une bibliothèque pour le Premier Consul. Il rédigea divers catalogues d'ouvrages dont il opérait la vente aux enchères, entre autres celui de Le Monnier :



Catalogue des livres de la bibliothèque, et notice d'instruments de physique, d'astronomie, etc. provenants [sic] du cabinet de feu L. G. Le Monnier, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, membre de l'Académie des sciences de Paris, et autres, premier médecin de Louis XVI ; […] : le tout disposé et mis en ordre par L. F. A. Gaudefroy. (Paris, Gaudefroy, an XII-1803, in-8, xxij-[1]-[1 bl.]-226-4- p., 2.176 + 21 = 2.197 lots).
Vente en 23 vacations, du lundi 11 nivose-2 janvier au vendredi 6 pluviose-27 janvier an XII-1804, Salle de vente rue des Bons-Enfants, 19 et 36, en face de l'entrée de la cour des Fontaines.

D'une famille originaire de Saint-Sever-Calvados, Louis-Guillaume Le Monnier est né à Paris le 27 juin 1717, de Pierre Le Monnier (1675-1757), professeur de philosophie au Collège d'Harcourt, et de Marie-Louise Gaillard (1685-1757).
Physicien et botaniste, il fut placé dès 1739 à Saint-Germain-en-Laye, comme médecin de l'hôpital. Membre de l'Académie des sciences, comme son père et son frère, en 1743, il fit l'herborisation de la forêt de Fontainebleau en 1745, avec Linné et Antoine et Bernard de Jussieu. En 1755, il fut nommé professeur au Jardin des plantes. En 1771, Louis XV lui donna les fonctions et les honneurs de la place de premier médecin du Roi, dont il ne prit le titre que sous Louis XVI, en 1788.
Le 2 octobre 1773, il épousa, à Versailles, Marie-Ursule Durant Demonville (1727-1793), première femme de chambre de Madame Victoire de France et veuve de Jean-André Martin (1725-1762), commissaire de guerres. Remarié le 26 pluviose an VI [14 février 1798], à Versailles, avec une de ses nièces, Renée-Michelle Le Monnier (1769-1820), fille de l'astronome Pierre-Charles Le Monnier (1715-1799), il mourut à Versailles, en son domicile du 18 rue Michel Montaigne, le 21 fructidor an VII [7 septembre 1799].

« Après avoir rendu le compte que j'ai cru nécessaire de la rédaction de notre Catalogue, il ne me reste plus qu'à entretenir un instant les Amateurs des articles importants qu'il présente : ils en trouveront d'excellents dans toutes les classes.
L'Histoire Naturelle en fournit un grand nombre dans toutes ses parties, principalement dans la Botanique, étude chérie et adoptive de la vie paisible de M. Le Monnier : on y verra d'abord presque tous les ouvrages de Linné, parmi lesquels on pourra distinguer un exemplaire précieux du Species Plantarum avec notes et additions manuscrites, l'Histoire de la Jamaïque de Browne, Gessner historia naturalis, le bel exemplaire du comte d'Hoym de l'Aldrovande, la majeure partie des figures enluminées des Oiseaux de Buffon, Oiseaux et Glanures d'histoire naturelle d'Edwards, fig. coloriées, Morison Plantarum historia, un très bel exemplaire de l'Hortus Malabaricus, Desfontaines Flora Atlantica, pap. vélin, Recueil des Plantes de Robert, Bosse et Chastillon, deux recueils très précieux de Fleurs, Plantes, Arbres et Arbustes dessinés et peints à la Chine. On en ajoutera de plus un troisième, qui sera exposé sous le n° 421 bis. Il avoit été réservé par la veuve comme le plus fini dans ce genre, du pinceau et des couleurs les plus agréables, moins volumineux à la vérité que les deux précédents, ne contenant que 135 dessins d'Oiseaux et 6 de Dorades supérieurement exécutés à la Chine : cette estimable dame vient de s'en détacher en reconnoissance des soins que j'ai donnés à son Catalogue, raison pour laquelle il n'a pu y être compris et annoncé.
On y trouvera encore les descriptions de divers jardins célèbres, données par les Trew, Commelin, Dillenius, Aïton, et autres illustres Botanistes ; les éditions originales et très rares du Phytobazanos et de l'Ekphrasis, l'Héritier Stirpes novæ ; un magnifique exemplaire de Schœffer Fungi circa Ratisbonam, etc. ; l'édition rarissime de 1741 du Dillenius historia Muscorum, Plukenet opera botanica, Kempfer Amoenitates exoticæ, Commentarii de rebus in Scientiá naturali et Mediciná, 34 vol. in-8° ; ce recueil, imprimé à Leipsick, très intéressant, et rarement aussi complet, fut porté à la vente du médecin Baron, où il ne se trouvoit alors qu'en 28 volumes, à 160 liv.
La Médecine, l'Anatomie, la Chirurgie, la Chimie et l'Alchimie, contenant une collection aussi importante qu'immense d'ouvrages estimés, curieux et piquants, je n'en extrairai ici aucun, renvoyant les Amateurs instruits, qui voudront en prendre connoissance, aux divisions où ils sont détaillés : je puis leur assurer d'avance que, depuis les Ventes Baron et Petit, ils n'auront trouvé une réunion aussi complete de bons livres sur ces parties de sciences si utiles à l'humanité souffrante.
Les Mathématiques et l'Astronomie offrent aussi d'excellents ouvrages.
Les autres subdivisions de cette classe présentent encore la grande Galerie de Versailles, et la Description des Arts et Métiers, presque complete.
Quoique les Belles-Lettres aient été la partie la plus négligée de la Bibliotheque de notre célèbre Médecin, parmi les Dictionnaires qu'il y a placés, on y remarquera un exemplaire pur du Lexicon, grec et latin, de Constantin ; et dans les Poëtes, un exemplaire de présent du Racine de Luneau de Boisjermain, en pap. de Hollande, relié en mar., etc.
L'Histoire, et sur-tout la partie des Voyages qui a une connexité plus intime avec la Botanique, passion favorite, comme on l'a vu plus haut, de notre savant Naturaliste, présentera une plus abondante moisson aux Amateurs : ils distingueront d'abord, dans la Géographie, un bon exemplaire du Strabon, grec et latin, de 1707, le Neptune oriental de d'Après de Mannevillette, un très bel exemplaire du Cours du Danube, etc. ; dans les Voyages, un exemplaire de souscription de la traduction des 3 Voyages de Cook, presque tous les Voyages savants, ceux de Tournefort, Niébuhr, Chardin, Sonnerat, et autres célèbres Voyageurs ; ceux de Richard Pococke, 3 vol. in-fol., en anglois, de Bruce, 5 vol. in-4° idem, un superbe exemplaire du Voyage à Madere, aux Barbades et à la Jamaïque, de Hans Sloane, 2 vol. in-fol. mar. r., aussi en anglois, etc.
L'Histoire ancienne offre également les bons écrivains traduits, ou originaux. Les Antiquités et l'Histoire Littéraire présentent de même des articles, qui eussent été très importants si la perte de la fortune de leur propriétaire ne l'eût empêché de s'en procurer les suites : parmi ces articles intéressants on distinguera les premiers volumes des Antiquités Etrusques d'Hamilton, des Peintures d'Herculanum, 131 vol. des Mémoires de l'Académie des Sciences, 35 vol. de l'Académie de Pétersbourg, et autres parties de diverses Académies, etc.
Enfin on trouvera dans l'Addition nombre de bons ouvrages qui méritoient pareillement leur place dans le présent Catalogue. Les livres en nombre et en blanc, qui le terminent, étant d'un Astronome qui a joui d'une grande célébrité, M. Le Monnier, frere du médecin, pourront présenter encore de l'intérêt aux libraires qui en fonds des articles de Sciences exactes, et qui font des échanges avec l'étranger.
Les Instruments de Physique, Mathématiques, Astronomie et autres, satisferont les curieux, plusieurs étant très précieux et d'une correction achevée. » [sic] (p. x-xiij)
Gaudefroy fut nommé en 1810 inspecteur de la librairie et de l'imprimerie à la résidence de Paris. Il demeurait alors 30, rue Saint-Thomas-du-Louvre [Ier, disparue en 1850]. Quand cette place fut supprimée en 1815, Gaudefroy reprit la confection des catalogues, d'abord à Paris, puis à Bruxelles, de 1816 à 1823, où il prit part à la rédaction de la Revue bibliographique des Pays-Bas, fondée en 1822 par P. J. De Mat (+ 1828), libraire et imprimeur sur la Grand' Place.


Catalogue raisonné de la bibliothèque de feu C. L. Van Bavière, ancien professeur d'histoire à l'École centrale du département du Nord, secrétaire de l'Académie et de la Faculté de droit de Bruxelles : rédigé et mis en ordre par L. F. A. Gaudefroy, ancien libraire de Paris. Tome premier. (Bruxelles, P. J. De Mat, 1816, in-8, xxiv-[4]-433-[2]-[1 bl.] p., 5.460 lots).
Vente en 22 vacations, du mardi 12 novembre au vendredi 6 décembre 1816. Salles basses de l'ancienne Cour, qui sont sous le Musée.

Charles-Louis Van Bavière est né le 18 octobre 1765 à Cassel [Nord], de Robert-Jean Van Bavière et de Marie-Ernestine-Claire Lombart.
Licencié en droit de l'Université de Douai, il préféra toutefois les travaux d'érudition et les recherches historiques et littéraires. Il fut bientôt appelé à Lille comme professeur d'histoire à l'École centrale du département du Nord, puis à Bruxelles comme secrétaire de l'Académie et secrétaire général de la Faculté de droit. Il profitait du temps des vacances pour visiter les villes les plus commerçantes en librairie, tant de la Hollande que de la France et de l'Allemagne : Amsterdam, Leyde, Paris, Francfort, Leipsick, etc. Ses nombreuses et riches collections étaient distribuées dans huit pièces. Alors qu'il voulait se retirer en France, il mourut à Bruxelles, presque subitement, le 16 mars 1815.

Depuis Carlos-Antonio de La Serna Santander (1752-1813), il ne s'était point formé en Belgique de bibliothèque particulière aussi riche que celle de Van Bavière.

« J'ai connu dans mon enfance cet excellent Van Bavière, qui était bien le plus paresseux de tous les suppôts de l'académie de Bruxelles, après son recteur, bien entendu. Les inscriptions, les examens, l'expédition des diplômes l'ennuyaient à la mort ; il ne prenait plaisir qu'aux bons dîners et aux ventes de livres. Là il recherchait de préférence les paquets de hasard, qu'on obtient pour quelques sous. Il comptait, en effet, sur la fortune, et avec sa méthode de dépecer des volumes pour en extraire les pages qui se rapportaient à certaines [sic] sujets favoris, il trouvait toujours dans le plus affreux fatras, de quoi se satisfaire. » (Frédéric de Reiffenberg. « Des marques et devises mises à leurs livres par un grand nombre d'amateurs. » In Le Bibliophile belge. Bruxelles, A. Van Dale, 1845 [i.e. 1844], t. I, p. 172)

Pour détailler le contenu de 80 caisses dans lesquelles se trouvaient toutes les collections, Gaudefroy fut aidé, pendant les cinq premiers mois, par Pierre-François De Goesin-Verhaeghe, imprimeur, rue Hautport, à Gand.

« D'après un simple apperçu de la main du propriétaire, nous voyons que sa bibliothèque est composée de 40,000 articles au moins : nous ferons nos efforts pour en présenter au Public le choix dans un Catalogue raisonné, que nous réduirons, si faire se peut, à 4 Volumes in-8° d'environ 500 pages chacun. » [sic] (p. xij)

Outre le tome 1er, consacré aux ouvrages de Théologie, le catalogue devait comprendre un tome 2 [Sciences et Arts, Codes religieux et Histoire des religions et des superstitions, Histoire de la Belgique, de la Hollande, de la France et des pays du Nord de l'Europe], un tome 3 [Géographie et Voyages, Chronologie, Histoire universelle et ancienne, Histoire des autres pays de l'Europe, Histoire de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, Histoire héraldique et Antiquités, Histoire littéraire et Biographie], un tome 4 [Belles-Lettres] et un tome 5 [Subdivisions des Belles-Lettres, Histoire littéraire et bibliographique].
Gaudefroy n'a mis en ordre que la première partie du tome 2, qui fut imprimée, en son absence, sur très mauvais papier, ainsi que les suivants publiés de 1817 à 1820. Les dix ou onze ventes successives réussirent mal. De surcroit, les créanciers opérèrent une saisie judiciaire sur les débris de la bibliothèque : Catalogue des livres saisis de Ch. Van Bavière (Bruxelles, 1818, in-8).
Van Bavière utilisait un ex-libris typographié [50 x 45 mm.], avec une couronne d'olivier, gravée sur bois : au centre, « EX BIBLIOTHECA C. VAN BAVIÈRE, FACULT. JURIS ACAD. BRUXELL. A SECRETIS » ; au bas, « FRANC et LOYAL ».


Description bibliographique d'une très-belle collection de livres rares et curieux, provenant de la bibliothèque de Melle la comtesse d'Yve, rédigée par feu M. D. L. S. [De La Serna] ; revue et achevée par L. F. A. Gaudefroy, ancien libraire de Paris. Tome premier. (Bruxelles, Aug. Wahlen et Compe, 1819, in-8, [1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-[2]-xix-[1 bl.]-338-[1]-[1 bl.] p., 2.915 lots).
Vente en 15 vacations, du lundi 4 au mercredi 20 octobre 1819, en son hôtel, 29 rue de Louvain.

Auguste Wahlen (Bruxelles, 1785-Paris, 1849), imprimeur-libraire de 1817 à 1830, rue de l'Evêque, à Bruxelles, fut le régénérateur de l'imprimerie en Belgique. Son nom fut utilisé comme pseudonyme par Jean-François-Nicolas Loumyer (1801-1875).
Anne-Thérèse-Philippine d'Yve (Bruxelles, 28 juillet 1738-25 mars 1814), fille de Gaspard-Henri-René d'Yve (-1749), comte de Ruysbroeck, et de Anne-Philippine-Antoinette Van der Noot (1715-), s'était d'abord vouée à la politique et fut une des héroïnes de la révolution brabançonne de 1789. Elle est morte sans alliance. Sa bibliothèque passait pour l'une des plus riches de l'Europe. 


Son ex-libris portait ses armes, « Palé de gueules et de vair ».

« Sous le n° 6 la Bible de Mayence, sans date (vers 1455), dans sa première reliure, dont les catalogues des plus beaux cabinets, publiés depuis 60 ans, n'ont offert que 3 exemplaires sur papier.
Sous le n° 7, la première Bible avec date fixe, celle de 1462, aussi imprimée à Mayence par Fust et Schoiffer. L'exemplaire de M. Crevenna, coupé en 4 vol. et relié en maroquin, conséquemment en seconde reliure, fut porté à sa vente, en 1790, à 1460 flor. Notre exemplaire est en 2 voL, dans sa première reliure en bois. […].
On trouvera dans la JURISPRUDENCE, sous le n° 555, la Bulle du Pape Pie II contre les Turcs, imprimée à Mayence, en 1460, par P. Schoiffer ; […].
On remarquera d'abord dans les SCIENCES ET ARTS, la première édition de l'Encyclopédie, en 35 vol. in-fol., sous le n° 1167 ; à l'HISTOIRE NATURELLE, celle de Buffon et Daubenton, édition de l'impr. royale, 37 vol. in-4, sous le n° 1813 ; l'Aldrovande, édition de Bologne, 1599, 13 vol. in-fol. sous le n° 1820 ; […].
Quoique les BELLES-LETTRES paraissent avoir été la partie la plus négligée de cette Bibliothèque, on y rencontrera encore d'excellens ouvrages : d'abord sous le n° 2409, Le Glossaire de Ducange, avec le Supplément de Carpentier, 10 vol. in-fol., et quelques autres articles très-rares qui se trouvent décrits depuis le n° 2516, jusqu'au n° 2530 ; […].
Reste à parler de la rédaction du catalogue : je l'ai trouvé tout fait, et je n'en ai même eu connaissance qu'entre les mains de l'imprimeur, quand il en avait déjà fait composer 4 feuilles, par son invitation, à l'effet d'en coordonnancer les divisions et d'en corriger les épreuves. » (p. i-v)

Description bibliographique d'une très-belle collection de livres rares et curieux, provenant de la bibliothèque de Melle la comtesse d'Yve ; rédigée et mise en ordre par L. F. A. Gaudefroy, bibliographe. Tome second. (Bruxelles, Aug. Wahlen et Compe, 1820, in-8, [1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-[6]-xvij-[1 bl.]-561-[1 bl.] p., 3.906 [numérotés 2.916-6.821] lots).
Vente en 19 vacations, du lundi 9 au lundi 30 octobre 1820, en son hôtel, 29 rue de Louvain.

« quoique ce volume n'offre pas au premier abord, comme notre précédent, des articles de la première rareté, […] qui se trouvaient principalement dans la THÉOLOGIE, on verra, dans ce tome 2, après plusieurs articles des premières éditions de l'HISTOIRE UNIVERSELLE, ou CHRONIQUES, […], une version latine de Flavius Josephus : Argentinæ, typis Mentellianis (circà 1472). Cette édition est aussi rare que celles qui viennent d'être citées, quoiqu'elle soit inférieure en prix. » (p. i-ij)

Gaudefroy a revu la 3e édition du Manuel du libraire et de l'amateur de livres (Paris, chez l'auteur, 1820, 4 vol. in-8), par Jacques-Charles Brunet (1780-1867), contrefaite par l’imprimeur-libraire bruxellois H. Remy, rue de l'Empereur, en 1821 : 


Manuel du libraire et de l'amateur de livres (Bruxelles, P. J. De Mat et H. Remy, 1821, 4 vol. in-8). Le premier volume a paru en janvier, les trois autres ont suivi régulièrement de deux en deux mois. Informé que cette édition avait rectifié un grand nombre de numéros de renvoi fautifs, l'imprimeur-libraire P. J. De Mat traita avec son confrère du restant de l’édition, un mois après la mise en vente du dernier volume :
Dans cette édition de Bruxelles, les signatures sont placées de huit pages en huit pages et en chiffres, au lieu d’être en lettres et de seize pages en seize pages.
Le tome I de l’édition de Paris finit à la page 616. Celui de l’édition de Bruxelles a sa pagination continuée jusqu’à 620 : les deux derniers feuillets contenant les additions du même volume qui sont placés, avec celles des tomes II et III de l’édition de Paris.
Le tome II de l’édition de Paris est terminé à la page 608. L’édition de Bruxelles a 610 pages, deux pages de plus pour les additions de ce volume.
Le tome III de l’édition de Paris, ayant à la fin toutes les corrections et additions de ses trois volumes, a 644 pages, tandis que le même volume de l’édition de Bruxelles a 638 pages. Les corrections de l’édition de Paris, ayant été rectifiées à leur place dans l’édition de Bruxelles, ne se trouvent conséquemment pas à la fin de chacun des volumes de cette édition.
Au tome IV, édition de Paris, la page vij des pièces préliminaires se termine par une table de 13 lignes dont la dernière est : « Classiques italiens, imprimés à Milan … 588 ». Dans l’édition de Bruxelles, après cette même ligne, on a ajouté un « AVIS ESSENTIEL. », contenu en 14 lignes, qui indique sommairement une partie des corrections faites dans les trois précédents volumes ; plus, la manière qu’on a été obligé d’employer dans ce volume pour rectifier les erreurs des chiffres de renvoi du tome I ; c’est-à-dire qu’on a placé, entre deux crochets, le vrai chiffre de renvoi, après celui de la série qui se trouve être fautif dans l’édition de Paris. Le tome IV dans les deux éditions finit à la page 589 : dans celle de Paris, au verso, est une correction pour la « Page 9, n° 339 », qui a été faite à sa place dans l’édition de Bruxelles ; cette dernière a, sur le verso de la page 589, une « ADDITION AU TOME QUATRIEME. », composée seulement de trois lignes dans la première colonne et de quatre dans la seconde ; plus, un « ERRATA. » aussi de quatre lignes ; enfin il a été ajouté dans cette dernière édition des « NOUVELLES ADDITIONS AU TOME PREMIER. », sur les traductions françaises de deux ouvrages d’Aristote, données par Oresme, et imprimées chez Antoine Vérard, en 1488 et 1489, signées « L.-F.-A. GAUDEFROY, bibliographe. »

« En s’emparant ainsi de ma propriété, ces messieurs ont usé d’un droit que je ne puis légalement leur contester hors de France ; mais en même temps ils ont fait une chose qui n’est loyale nulle part : c’est d’avoir mis en circulation une partie des exemplaires de leur contrefaçon avec des titres portant l’indication de Paris et mon adresse, et d’avoir donné ainsi à certains libraires anglais qui me sont bien connus, le moyen de les vendre pour l’édition originale. Or, comme je ne veux répondre que de mes propres fautes, je désavoue entièrement cette édition de Bruxelles, qui se distingue de la mienne au premier coup d’œil […] » (J.-C. Brunet. Nouvelles recherches bibliographiques. Paris, Silvestre, 1834, t. I, p. xj)


Le dernier travail de Gaudefroy en Belgique fut le Catalogue de la bibliothèque d'un amateur, […]. Tome premier. [Tome second.] (Bruxelles, P. J. De Mat, 1823, 2 vol. in-8, [1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-iv-lxxxviij-20-318 et [1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-490 [chiffrées 319-808] p., 2.834 et 4.084 [numérotés 2.835-6.918] lots). Avec une « Table alphabétique des noms des auteurs, et titres des ouvrages anonymes. »
L'amateur est P. J. De Mat. 



La vente n'eut lieu qu'en 1841, en 19 vacations, du jeudi 5 au mercredi 26 mai, 24 rue de Batterie : Catalogue des livres anciens et modernes composant la collection connue depuis 1823 sous la dénomination de : Bibliothèque d'un amateur belge, collection délaissée par feu P.-J. De Mat, ancien libraire, à Bruxelles, décédé le 24 février 1828 (Bruxelles, Imprimerie de Jean De Mat, 1841, in-8, VIII-361-[1 bl.] p., 6.084 + 403 = 6.487 lots).

« Après les collections de MM. Van Hulthem et Lammens, le catalogue que nous présentons aujourd'hui au public est un des plus complets qui aient été exposés en vente publique dans notre royaume. […]
Cette collection, fruit de 30 années de recherches et de la fréquentation des plus belles ventes faites en Belgique depuis 1805 jusqu'à nos jours, a été enrichie successivement par son fondateur, feu P.-J. De Mat, d'une foule d'excellentes éditions ; on retrouve dans la partie des Belles-Lettres beaucoup de ces ouvrages si purs de texte, édités par les Elzevir, les Plantin, les Alde, les Wettstein, les Verdussen, les Baskerville et autres imprimeurs célèbres, dont les chefs-d'œuvre deviennent plus rares de jour en jour. » (p. I)

41, quai des Grands-Augustins
Revenu de nouveau à Paris en 1824, il s'installa dans un immeuble construit en 1680, 41 quai des Augustins [quai des Grands-Augustins, VIe], y vendit des livres et y dressa des catalogues.

Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. le chevalier Delambre (Paris, L. F. A. Gaudefroy et Bachelier, 1824, in-8, [1]-[1 bl.]-[1]-[1 bl.]-xiv-[2]-100 p., 1.554 + 9 = 1.563 lots).
Vente en 15 vacations, du lundi 10 au mercredi 26 mai 1824, en sa maison du 10 rue du Dragon [VIe].

Fils aîné de Jean-Nicolas-Joseph Delambre (1718-1800), drapier rue de la Viéserie [rue Delambre], et d'Élisabeth Devismes, Jean-Baptiste-Joseph Delambre est né à Amiens [Somme], le 19 septembre 1749. Il a été baptisé le même jour en l'église de Saint-Firmin-en-Castillon [détruite en 1806].
Il eut dans le collège de cette ville le poète Jacques Delille (1738-1813) pour professeur. Il devint ensuite l'élève de Jérôme Lefrançois de Lalande (1732-1807) dont il fut le collaborateur et l'ami. Précepteur des enfants de Jean-Claude Geoffroy d'Assy (1729-1794), receveur général des Finances, qui mit à sa disposition un petit observatoire [détruit vers 1912] sur le toit de son propre hôtel, rue de Paradis [58 bis rue des Francs-Bourgeois, IIIe, dépendance des Archives nationales], Delambre y dressa ses tables astronomiques, qui lui ouvrirent les portes de l'Académie des sciences dès 1792. Dans la même année 1792, il fut chargé avec Pierre Méchain (1744-1804) de mesurer un arc du méridien depuis Dunkerque jusqu'à Barcelone, et il est généralement considéré comme ayant fixé la base du système métrique. Entré au Bureau des Longitudes à sa création en 1795, il fut nommé en 1802 un des trois inspecteurs généraux des études. En 1804, il épousa sa compagne de longue date, Élisabeth-Aglaé Sinfray, veuve d'Achille Leblanc de Pommard, ancien prévôt général de la maréchaussée de Touraine. Élu par la classe des sciences de l'Institut secrétaire perpétuel en 1805, il fut appelé au Collège de France en 1807 pour remplacer Lalande dont il prononça l'éloge. Son rapport sur les progrès des sciences mathématiques, de 1789 à 1807, jouit d'une estime méritée, et son grand ouvrage sur l'histoire de l'astronomie, est un livre classique. Delambre mourut à Paris, le 19 août 1822, et fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise [10e div.]. Sa veuve, née à Paris le 5 août 1761, décéda le 28 septembre 1833 et fut inhumée au chevet de l'église de Bréauté [Seine-Maritime].

« Chargé, en 1815, de faire le Catalogue de la Bibliothèque de l'illustre Lagrange, je fus obligé d'en abandonner bientôt la rédaction pour me livrer à d'autres travaux bibliographiques beaucoup plus considérables, qui m'ont retenu à Bruxelles pendant huit ans. Maintenant que je viens reprendre à Paris les occupations auxquelles je m'étais livré pendant 30 années, je me trouve très flatté d'avoir été choisi pour rédiger le Catalogue de la Bibliothèque de mon savant Compatriote qui m'a honoré de son amitié, et qui fut mon premier protecteur. […]
Riche d'ouvrages du premier ordre, mais modeste dans ses apparences, j'ai contribué depuis 1781 à l'augmenter, en procurant à M. Delambre les livres relatifs aux divers genres d'études qu'il embrassait. Aussi la collection que nous allons offrir, beaucoup plus complète, en livres de Mathématiques et d'Astronomie, que ne l'était celle de son collègue De Lalande, et qu'aucune des bibliothèques de ce genre qui les précédèrent, pourra devenir un Répertoire classique pour les Amateurs de la Science » (p. xii)

Gaudefroy a coopéré à la rédaction du catalogue d'Antoine Boulard, pour les tomes I, II et IV.

Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Mr. A. M. H. Boulard, notaire honoraire à Paris, […]. Première partie, contenant la théologie, la jurisprudence et les sciences et arts ; rédigée par L. F. Gaudefroy et J. A. Bleuet, anciens libraires. (Paris, L. F. A. Gaudefroy et J. A. Bleuet, 1828, in-8, xxxij-507-[1 bl.]-[4] p., 5.146 lots).
Vente en 60 vacations, du lundi 19 mai au samedi 26 juillet 1828, en sa demeure, 21 rue des Petits-Augustins [rue Bonaparte, VIe].

Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Mr. A. M. H. Boulard, notaire honoraire à Paris, […]. Tome II, comprenant les belles-lettres ; rédigé par L. F. A. Gaudefroy, libraire. (Paris, L. F. A. Gaudefroy, 1829, in-8, xvi-287-[1 bl.] p., 4.205 lots).
Vente en 42 vacations, du lundi 18 mai au lundi 6 juillet 1829.

Catalogue des livres de la bibliothèque de feu Mr. A. M. H. Boulard […] comprenant un supplément aux trois premiers volumes, une collection d'ouvrages relatifs à la Révolution française, et les manuscrits (Paris, L. F. A. Gaudefroy, 1833, in-8, 172 p., 1.899 lots).
Vente du 3 au 25 juin 1833.

Fils de notaire, Antoine-Marie-Henri Boulard est né à Paris, le 5 septembre 1754. En 1782, son père lui céda son étude de la rue Saint-André-des-Arts [VIe] et il épousa Marie Chrestien des Ruflais (1765-1858). Passionné par la littérature et les langues étrangères, il forma une bibliothèque dès les premières années de la Révolution, qui devint la plus nombreuse de Paris, après celle du Roi. Nommé maire du XIe [VIe], arrondissement de Paris en 1800, député du département de la Seine en 1803, il 

21, rue Bonaparte
fit l'acquisition de l'immeuble du 21 rue des Petits-Augustins [rue Bonaparte], à l'angle de la rue des Marais [rue Visconti], en 1804 et remit sa charge à l'aîné de ses fils en 1808.
Il faisait chaque jour des acquisitions, sur les quais ou à la salle Silvestre. Il mourut d'une pleurésie le 8 mai 1825, et fut inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Il laissa une bibliothèque d'environ 500.000 volumes, entassés dans plusieurs maisons. La plus grande partie, particulièrement riche en ouvrages de la période révolutionnaire et en ouvrages de littérature anglaise et allemande, fut vendue en sa demeure et forma 5 catalogues, rédigés par Gaudefroy, Jean-Antoine Bleuet (v. 1750-v. 1828), André-Thomas Barbier, neveu du bibliographe, et Jean-Pierre Parison (1771-1855) pour les manuscrits.

Dans le Feuilleton du Journal de la Librairie du 28 avril 1838, l'éditeur de Jacques-Charles Brunet, Louis-Catherine Silvestre (1792-1867), libraire rue des Bons-Enfants [Ier], fit paraître un « Avis aux bibliophiles et aux libraires de tous les pays » :

« Il vient de paraître à Bruxelles, une nouvelle contrefaçon du Manuel du Libraire et de l’Amateur de livres de M. Brunet, et des Nouvelles Recherches du même bibliographe, le tout, à ce que porte le titre, rédigé et mis en ordre (lisez désordre) par une société de bibliophiles belges [Bruxelles, 4e éd., Société belge de librairie, Hauman et Compe., Meline, Cans et Compe., 1838-1845, 5 vol. in-8, dont 1 vol. de « Table méthodique » complétée et mise en ordre par le Bibliophile Jacob]. Or, le travail de cette société anonyme, ou plutôt du plagiaire qui s’est caché sous un nom collectif, s’est réduit à intercaler, tant bien que mal, les articles des Nouvelles recherches dans le Dictionnaire formant la première partie du Manuel, en conservant du reste, sans autre changement que quelques coupures assez maladroites, le texte de l’édition de 1820. […] Encore si quelque intelligence avait présidé à cette déplorable opération […] nous nous serions contentés de gémir de ce nouvel attentat porté à la propriété litéraire [sic] et de prendre des mesures pour en atténuer l’effet […]. Mais dans l’état de mutilation et d’absurdité où l’on a réduit le grand travail de M. Brunet, nous devons hautement protester, au nom de l’auteur et de tous ceux qui apprécient l’utilité de son ouvrage, contre un abus aussi intolérable, et signaler aux pays étrangers comme à la France ce nouveau forfait de la piraterie belge. »


À Bruxelles en effet, le baron Frédéric de Reiffenberg (1795-1850) s’était chargé de revoir et de compléter le Manuel et son supplément dans la contrefaçon du libraire Louis Hauman (1810-1872), sur les instances d’un littérateur distingué, ami de Brunet, qui lui avait affirmé que cette entreprise était désirée par l’auteur. Mais averti par Joseph-Marie Quérard (1796-1865) qu’au contraire Brunet la désavouait, il rompit les engagements qui pouvaient porter atteinte à une propriété littéraire sacrée, et écrivit, le 20 octobre 1836, à Quérard : « j’aime mieux payer au libraire avec qui j’avais traité, des dommages et intérêts assez considérables que de faire quelque chose de désagréable à un homme pour qui j’ai une grande estime. » Hauman mit alors, sur le titre de son édition, qu’elle était rédigée par une Société de bibliophiles belges : cette société belge se réduisait en réalité à un ancien libraire parisien, Gaudefroy, qui envoyait ses notes à Hauman.

Louis-François-André Gaudefroy mourut à Paris, le 25 mars 1839. Il avait formé une collection de 825 catalogues de bibliothèques ou notices de ventes de livres faites à Paris de 1784 à 1831, avec les prix et les noms des acquéreurs, qui fut dispersée en vente publique en 1839.














































dimanche 20 décembre 2015

Les Catalogues du comte Libri

L'affaire Libri « est demeurée troublante, malgré le temps écoulé, car elle a dépassé les limites d'une simple affaire judiciaire. Elle a divisé les partis, passionné le public lettré du temps, fait fuir Libri en Angleterre … et conduit Mérimée en prison. […] S'il est innocent, pourquoi fuir ? car il fuit. S'il est coupable, comment des hommes tels que Mérimée, Panizzi, Jubinal, F. Buloz, ont-ils été si longtemps ses dupes, l'ont-ils soutenu et défendu avec tant de courage et de persévérance ? » (Marie-Louise Pailleron. « François Buloz et ses amis » In Revue des deux mondes, 15 septembre 1918, p. 306-308)

Guglielmo Libri. Lithographie Alexis-Nicolas Noël. Imprimerie Lemercier.
Guglielmo Libri est né à Florence [Italie], le 2 janvier 1802, de Giorgio Libri (1781-1836), comte de Bagnano, et de Rosa Del Rosso (v. 1783-1849), et fut baptisé le lendemain à S. Giovanni. [Michael S. Cullen : « Libri was not born in 1803, but in 1802 – this is now inscribed on the stone of his ossuary at S. Miniato. The original, composed by Capponi, and with the wrong year of birth, was replaced in 1966. I have a copy of Libri’s birth certificate from the archives of the Florence Cathedral. He was born on Jan 2, 1802, and baptized at S. Giovanni on Jan 3, 1802. »]

Son père, né à Florence le 6 octobre 1781, s'était montré un des plus chauds partisans des Français à leur arrivée en Italie. Il leva deux régiments pour eux, à ses frais, se battit dans leurs rangs et commanda même avec distinction, de 1799 à 1801. Mais à la paix, il fut obligé de quitter l'Italie, où sa conduite l'avait rendu suspect aux autorités autrichiennes, et se retira en France. Exposé à des poursuites pour escroquerie, il fut acquitté à Toulouse en 1802. Marié en 1801, mais fondé à se plaindre de son épouse, il provoqua un divorce en 1807. Condamné à dix ans de travaux forcés, pour faux en effets de commerce, à Lyon en 1816, il parvint à se soustraire à l'exécution de sa peine, mais fut condamné à Riom en 1817, aux travaux forcés à perpétuité, pour faux en récidive. Sa peine fut commuée en un emprisonnement perpétuel, puis, en 1825, en un bannissement perpétuel. Il passa alors à Bruxelles [Belgique], où il devint l'agent du roi de Hollande. Il défendit dans Le National, qui a paru du 16 mai 1829 au 26 août 1830, la politique de Guillaume Ier, et par là s'attira l'antipathie la plus prononcée de la part des Belges. 

La maison de Libri Bagnano  dans la nuit du 25 au 26 août 1830
(Louis Hymans. Bruxelles à travers les âges. Bruxelles, Bruylant-Christophe et Cie, 1884, t. II, p. 296)
Le 25 août 1830, au soir, l'insurrection belge éclata. Son premier acte fut d'envahir les bureaux du National, rue Fossé-aux-Loups, et de là se porter chez lui, rue de la Madeleine, où tout fut pillé. Il se retira à Amsterdam [Hollande], où le roi se montra généreux avec lui, jusqu'à sa mort, arrivée le 1er janvier 1836, selon son acte de décès [Michael S. Cullen].

Élevé par sa mère, Guglielmo Libri entra en 1816 à l'Université de Pise pour étudier le droit, puis les mathématiques. Il fut remarqué après avoir publié, à l'âge de 17 ans, Memoria di Guglielmo Libri sopra la teoria dei numeri [Mémoire sur la théorie des nombres] (Firenze, Leonardo Ciardetti, e figlio, 1820). En 1821, il devint membre de l'Accademia dei Georgofili [Académie de Georgofili], à Florence, académie des sciences agricoles, logée alors dans la Bibliothèque Magliabechiana et dont le siège est aujourd'hui dans la Torre dei Pulci. Il fut nommé en 1823 professeur de physique mathématique à l'Université de Pise. En 1824, devenu membre de l'Académie des sciences de Turin, il fut particulièrement bien accueilli à Paris par les membres de l'Académie des sciences, conduits par leur président, l'astronome et physicien François Arago (1786-1853). À son retour, en 1825, il fut nommé directeur de la bibliothèque de l'Académie de Georgofili ; il aurait démissionné l'année suivante, pour éviter un scandale, quand on découvrit la disparition de 300 volumes. La plupart de ses travaux furent publiés dans ses Mémoires de mathématique et de physique (Pise, Prosperi, 1827). Après un séjour à Milan en 1829, puis à Turin en 1830, il fut contraint de quitter Florence, pour des raisons politiques. Avant de se réfugier à Paris, il rencontra le patriote italien Giuseppe Mazzini (1805-1872), exilé à Marseille.

Soutenu par Arago, qui était devenu député, Guglielmo Libri obtint la naturalisation française le 19 février 1833 :

« N° 3495. ˗ Ordonnance du Roi qui accorde des Lettres de déclaration de naturalité au sieur Guillaume-Brutus-Icile-Timoléon comte de Libri-Carucci-Dalla-Sommaia, né le 2 janvier 1803 à Florence, ancien département de l'Arno, propriétaire, membre des académies royales des sciences de Berlin, de Turin, correspondant de l'académie des sciences de France, et demeurant à Paris. » (Bulletin des lois du royaume de France. Paris, Imprimerie royale, février 1834, IXe série, IIe partie, IIe section, t. IV, n° 65, p. 118)

Guillaume Libri fut élu, le 18 mars 1833, membre de l'Académie des sciences. L'année suivante, il fut nommé professeur adjoint à la Faculté des sciences, installée à la Sorbonne. Devenu une des sommités scientifiques contemporaines, il fut fait chevalier dans l'Ordre de la Légion d'honneur en 1838.
On lui doit alors une remarquable Histoire des sciences mathématiques en Italie (Paris, Jules Renouard et Cie, 1838-1841, 4 vol. in-8). La première édition du premier volume (Paris, Paulin, 1835) avait été consumée dans l'incendie du 14 rue du Pot-de-Fer [Ve], le 12 décembre 1835, et avait été entièrement refondue. Rédacteur à la Revue des deux mondes et au Journal des débats depuis 1832, il collabora également au Journal des savants, à partir de 1838, et à la Biographie universelle ancienne et moderne de Michaud, en 1843.

Libri était « bibliophile, bibliographe, et surtout bibliopole » [J.-Ch. Brunet. Manuel du libraire et de l'amateur de livres. Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1862, t. III, col. 1.059].
Il avait acheté son premier livre à l'âge de 12 ans. Dès 1837, après la mort de Van Praet, et de nouveau en 1839, il tenta, en vain, de se faire attacher à la Bibliothèque royale. Mais, devenu le rival d'Arago à l'Académie des sciences, Libri avait trouvé la protection du ministre des Affaires étrangères François Guizot (1787-1874) et fut nommé, le 2 septembre 1841, membre et secrétaire d'une commission chargée d'assurer les travaux relatifs à la confection du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des départements. C'est à ce titre qu'il visita de nombreuses bibliothèques publiques. Profitant de l'abandon de certaines collections et des négligences de quelques conservateurs, il usa de sa position pour piller dès 1842 les dépôts les plus riches de Paris - Bibliothèque nationale, Bibliothèque Mazarine, Bibliothèque de l'Arsenal, Bibliothèque de l'Observatoire, Bibliothèque de l'Institut -, et de la province - bibliothèques municipales de Tours, Lyon, Orléans, Troyes, Dijon, Grenoble, Albi, Poitiers, Carpentras, Montpellier, bibliothèque du séminaire d'Autun.
Selon le degré d'avancement des catalogues, il choisissait de voler des manuscrits entiers, qu'il remplaçait parfois dans les rayons par des volumes de peu d'intérêt, non cotés, ou seulement un certain nombre de feuillets ou de cahiers, choisis de façon à former des volumes apparemment complets. Avec la complicité de certains libraires et relieurs, dont Hippolyte Duru (1803-1884), il faisait gratter les estampilles, quand elles existaient, et défigurait les manuscrits en les faisant relier à l'italienne [planchettes de bois réunies par un dos de cuir] et en leur ajoutant une fausse mention de provenance, dans le but de faire croire qu'ils avaient jadis appartenu à des institutions de son pays natal.
En 1843, il succéda à Sylvestre-François Lacroix (1765-1843), professeur de mathématiques au Collège de France. Le 6 juin 1846, après avoir rédigé les catalogues des manuscrits des bibliothèques de la ville et de la Faculté de médecine de Montpellier et celui des manuscrits d'Albi, Libri se démit de ses fonctions de membre et de secrétaire de la commission, et cessa entièrement de participer à ses travaux.

De 1835 à 1846, Libri rédigea quinze catalogues de ventes, anonymes ou sous pseudonymes, dans lesquels figuraient des pièces vendues aux enchères pour son compte, à la Maison Silvestre, 30 rue des Bons-Enfants.



Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. A. de Canazar, collection remarquable (Paris, Merlin, 1835, in-8, X-127-[1] p., 1.428 + 28 bis = 1.456 lots de livres, 68 [chiffrés 1.429-1.496] + 1 bis = 69 lots d'autographes). Vente du 9 au 26 décembre 1835. 75 pièces autographes appartenaient à Libri.



Notice de livres rares et curieux, de beaux manuscrits et d'un choix de lettres autographes des plus précieuses, provenant du cabinet de sir Thomas W.... baronet (Paris, Merlin, 1837, in-8, 39-[1bl.] p., 200 + 3 bis = 203 lots de livres, 106 + 1 bis = 107 lots d'autographes, 10 lots de manuscrits). Vente annoncée pour le 27 avril et remise du 18 au 20 mai 1837. 106 lettres autographes appartenaient à Libri.

Catalogue des lettres autographes rares et précieuses provenant du cabinet de feu M. Riffet (Paris, Merlin, 1837, in-8, IV-39 p., 521 lots). Vente du 20 au 24 novembre 1837. En outre, 24 lettres non cataloguées. Toutes les pièces du catalogue, sauf les lettres d'époque moderne, appartenaient à Libri.

Catalogue des livres et des lettres autographes du cabinet d'un officier général étranger (Paris, Merlin, 1837, in-8, 66 p.). Vente du 24 janvier au 2 février 1838. 105 lettres autographes. Les pièces antérieures au XVIIIe siècle appartenaient presque toutes à Libri.




Catalogue d'une belle collection d'autographes provenant du cabinet de M. T. de Saint-Julien (Paris, Merlin, 1838, in-8, 54 p., 399 numéros et 30 numéros de supplément, faisant 1.644 pièces). Vente du 21 au 28 mai 1838. Sauf les autographes modernes, toutes les pièces appartenaient à Libri.

Catalogue d'une belle collection d'autographes (Paris, Charon, 1839, in-8, 78 p., 579 lots). Vente du 7 au 14 février 1839. Une partie de ces autographes provenaient de Libri.

Catalogue d'une belle collection d'autographes provenant du cabinet de M. W. Gottlieb W*** (Paris, Merlin, 1839, in-8, 64 p., 334 lots). Vente du 27 février au 2 mars 1839. À l'exception des pièces modernes, ces autographes appartenaient à Libri.



Catalogue des livres composant la bibliothèque d'un ancien oratorien (Paris, Merlin, 1840, in-8, [2]-80-[2] p., 882 lots). Vente du mercredi 29 janvier au jeudi 6 février 1840, en 8 vacations.


Catalogue des livres et des manuscrits, composant la bibliothèque de feu M. le professeur Bern. Lori (Paris, R. Merlin, 1840, in-8, [4]-115-[1] p., 1.472 [chiffrés 1.482] lots). Vente du mardi 21 avril au jeudi 7 mai 1840, en 14 vacations.

Catalogue analytique des autographes la plupart relatifs à l'histoire de France provenant du cabinet du bibliophile Jacob (Paris, Techener, 1840, in-8, IV-48 p., 244 pièces autographes et 20 non cataloguées). Vente commençant le 25 mai 1840.

« La préface du catalogue de cette vente est signée du bibliophile Jacob et peut servir à donner une idée des petits artifices familiers à ceux qui se trouvent mêlés à ce que M. Lacroix a appelée lui-même la cuisine des ventes d'autographes. On y lit les passages suivants : Les autographes que je possède sont, pour la plupart, remarquables au point de vue historique ; je les avais choisis avec soin, en m'assurant de leur authenticité. J'ai voulu que ce catalogue survécût à la vente de mes autographes, et me consolât ainsi de leur dispersion. Or, les autographes qui appartenaient à M. Lacroix et formaient son cabinet, se composaient de dix-huit lettres à lui adressées ou autres pièces modernes dont la vente lui a rapporté la somme de 78 fr. 20 cent. M. Libri, à qui, par pure obligeance, cela va sans dire, il avait bien voulu servir de prête-nom, se trouvait être ou avoir été le propriétaire de la presque totalité du reste des pièces annoncées sur le catalogue. » [sic]
(Lud. Lalanne et H. Bordier. Dictionnaire de pièces autographes volées aux bibliothèques publiques de la France. Paris, Panckoucke, 1851, p. 45, n° 69)



Catalogue d'une belle collection d'autographes provenant du cabinet de feu M. S*** [Simon] (Paris, Merlin, 1841, in-8, 32 p., 177 lots). Vente les 18 et 19 novembre 1841. Ces autographes appartenaient tous à Libri.

Catalogue d'une belle collection de lettres autographes (Paris, Charon, 1843, in-8, 76 p., 536 lots). Vente du 15 au 20 mai 1843. Ces autographes appartenaient en partie à Madame de Dolomieu et à Libri.

Catalogue d'autographes de la collection de M. Van Sloppen (Paris, R. Merlin, 1843, in-8, 66 p., 526 lots, faisant environ 2.300 pièces). Vente du 13 au 17 juin 1843.

Catalogue d'une belle collection de lettres autographes (Paris, Charon, 1845, in-8, 64 p., 434 lots). Vente du 8 au 11 décembre 1845. La plus grande et la plus précieuse partie de ces autographes appartenait à Libri.

Catalogue d'une belle collection de lettres autographes (Paris, Charon, 1846, in-8, XV-71 p., 476 lots). Vente du 16 au 21 avril 1846. La plupart des pièces anciennes appartenaient à Libri.

Dès janvier 1846, Libri avait décidé de vendre clandestinement la collection de manuscrits qu'il s'était constituée, tout en faisant croire à des propositions de don. 

Antonio Panizzi, s. d.
La vente au British Museum, malgré le bon vouloir d'un bibliothécaire, son ami et compatriote Antonio Panizzi (1797-1879), puis à l'Université de Turin, échoua.

Pendant ce temps, le 5 février 1846, le préfet de police fit remettre au procureur du Roi, Félix Boucly (1797-1880), une note qui avait été rédigée sous ses yeux :

« M. L....[sic], qui a la réputation d'un bibliomane peu scrupuleux sur les moyens à employer pour se procurer les manuscrits qui lui conviennent, a vendu à la maison de librairie Painn et Foss, de Londres, pour le prix de 7,000 fr., un psautier manuscrit très curieux, ayant appartenu autrefois à la chartreuse de Grenoble, et qui fut classé dans la bibliothèque de cette ville, où bon nombre d'amateurs l'ont vu. Comment ce manuscrit passa-t-il dans les mains de M. L....? Ce qu'on peut dire, c'est que tout le monde fut surpris de l'en voir possesseur.
Il y a eu des soustractions semblables à Montpellier, de la part de la même personne. »

Cette note accompagnait une note pseudonyme signée « Henri de Baisne », qui était parvenue à la préfecture de police, le 3 décembre précédent, et qui dénonçait au procureur du roi M. Libri, membre de l'Institut, comme étant parvenu à réunir, à l'aide de soustractions commises dans les bibliothèques publiques des villes du midi, notamment à Carpentras, des livres rares, des manuscrits précieux et des lettres autographes, d'une valeur de 3 à 400.000 fr. On ajoutait que, pour écarter tous soupçons, Libri, après avoir gratté les cachets marqués sur ces livres et manuscrits, les avait artificieusement envoyés en Italie, pour les faire revenir habillés à l'italienne et qu'ensuite il les avait vendus en Angleterre. Un seul volume avait été acheté de lui, au prix de 6.000 fr., par le Musée de Londres. Enfin, on lui imputait d'avoir soustrait les lettres de Henri IV à la Bibliothèque de l'Arsenal. Les investigations, dont le résultat fut incomplet et incertain, furent suspendues.

À Londres, informé de la vente des manuscrits de Libri par John Holmes, conservateur-adjoint des manuscrits au British Museum, Bertram, quatrième comte d'Ashburnham (1797-1878), envoya à Paris le libraire Thomas Rodd (1796-1849), dit « le Jeune », pour examiner la collection, et finit par se porter acquéreur de 1.923 manuscrits, pour 8.000 £., en prenant l'engagement d'honneur de garder le plus profond secret sur cette acquisition. 

Ashburnham Place. La bibliothèque, avec le portrait d'Elizabeth Ashburnham.
Les manuscrits, emballés dans 16 caisses, arrivèrent à Ashburnham Place le 23 avril 1847.


Un catalogue reproduisant les notes très abrégées que Libri avait rédigées en 1845 pour vendre sa collection sera édité en 1853 : Catalogue of the manuscripts at Ashburnham Place. Part the first, comprising a collection formed by professor Libri (London, Charles Francis Hodgson, s. d., in-4, [1]-[1 bl.]-[238] p., 1.923 numéros).




Deux mois après la vente de ses manuscrits, Libri mit en vente la série des Belles-Lettres de ses imprimés : Catalogue de la bibliothèque de M. L**** (Paris, L. C. Silvestre et P. Jannet, 1847, in-8, xlij-[1]-[1 bl.]-496 p., 3.025 + 51 bis + 2 ter = 3.078 lots).
Elle était surtout précieuse pour la littérature italienne, et se composait, pour la plus grande partie, de livres rares et curieux des quinzième et seizième siècles. Il aurait dépensé, pour certains volumes, 1.000 francs de restauration et 150 francs de lavage, outre le prix d'acquisition et les frais de reliure.
La vente, qui eut lieu à la Maison Silvestre, du lundi 28 juin au mercredi 4 août 1847, rapporta 105.751 francs.
On a pu lire alors, dans la Bibliothèque de l'École des chartes (Paris, J. B. Dumoulin, 1846, t. III, 2e série, p. 535) :

« En comptant au même taux les quatre autres sections du catalogue (théologie, jurisprudence, sciences et arts, histoire), les livres imprimés de M. Libri pourront rapporter environ 550,000 francs, lesquels joints aux 200,000 qu'il a reçus en vendant aux Anglais les manuscrits précieux rassemblés par ses soins pendant ses voyages scientifiques dans nos départements et en Italie, formeront en total un chiffre dont la perspective est tout à fait propre à encourager chez nous le goût des vieux livres. La partie de la bibliothèque du duc de la Vallière, vendue aux enchères en 1783, qui fut la plus précieuse des collections de manuscrits et d'éditions rares qu'un particulier ait jamais possédée, ne produisit qu'une somme de 464,677 livres. Le duc de la Vallière, malgré son opulence, avait mis près de cinquante ans à former sa collection ; en quelques années, M. Libri a été assez heureux pour réunir une bibliothèque d'une valeur beaucoup plus grande. Telle est la splendide hospitalité que donne la France, et les prodigieuses ressources qu'elle peut offrir en peu de temps aux savants étrangers qui viennent lui demander un abri. »

Pendant la vente des Belles-Lettres de ses imprimés, le 13 juillet 1847, une seconde dénonciation, anonyme, portée contre Libri, fut adressée au procureur général près la cour royale, qui la transmit au procureur du Roi : Libri aurait commis des soustractions dans les bibliothèques Mazarine et de l'Arsenal, à Paris, et dans celles de Carpentras, Troyes, Poitiers, Albi et autres villes du midi de la France. On répétait que ces vols étaient connus de tout le monde, mais que personne n'osait les divulguer. Les investigations furent reprises et fournirent des renseignements de quelque gravité.

Le rapport du procureur du Roi, daté du 4 février 1848, fut adressé au garde des sceaux Michel Hébert (1799-1887), quand arriva la révolution des 23 et 24 février. Le rapport fut retrouvé dans les cartons de Guizot, ancien chef du gouvernement, et fut bientôt rendu public. L'affaire Libri éclata au grand jour le 19 mars 1848 à la parution du rapport dans Le Moniteur universel.

Libri s'était enfui à Londres, dès le 28 février, averti en séance de l'Institut par Albert Terrien, rédacteur au journal Le National, qui lui avait écrit un billet portant : « Monsieur, vous ignorez sans doute la découverte qui a été faite du rapport judiciaire concernant votre inspection dans les bibliothèques publiques. Croyez-moi, épargnez à la société nouvelle des réactions qui lui répugnent ; ne venez plus à l'Institut. ». Il se fit suivre de 18 caisses de livres, expédiées par le libraire Hector Bossange (1795-1884) et embarquées au Havre.

Une instruction criminelle fut aussitôt commencée, et l'un de ses premiers actes fut l'apposition des scellés au domicile de Libri, à la Sorbonne. La rapidité de la fuite du contumax ne lui avait pas permis pas de faire enlever les meubles meublants, tableaux, objets d'art et de curiosité, d'une valeur considérable, qui garnissaient son magnifique appartement, et qui furent dès lors mis sous la main de la justice. Mais le reste de la bibliothèque avait été enlevé et caché par des relieurs, des libraires et des amis, rue de Sèvres [VIe] et rue d'Enfer [XIVe], avant d'être récupéré par le juge d'instruction. Celui-ci délégua, le 13 avril 1848, cinq archivistes-paléographes, pour examiner les 30.000 volumes de cette bibliothèque, les autographes et autres documents : Ludovic Lalanne (1815-1898), Félix Bourquelot (1815-1868), Henri Bordier (1817-1888), Louis de Mas Latrie (1815-1897) et Jules Quicherat (1814-1882). À partir du 22 juin 1848, cette commission fut réduite aux trois premiers membres.

Au cours de l'instruction, on fut d'abord frappé de l'immense disproportion qui existait entre la richesse de ses collections et ses ressources personnelles. On trouva à son domicile des fers servant à l'imitation des reliures anciennes, des volumes ayant subi ce genre de falsification, les modèles qui avaient été habilement calqués et reproduits, une boîte remplie de caractères d'imprimerie. On reconnut qu'il avait fait monter à l'anglaise des pièces sur feuilles de papier, de manière non seulement à les consolider et à leur donner meilleure apparence, mais encore à les dépayser entièrement et à pouvoir les confondre dans un même lot d'autographes avec d'autres pièces venant de Londres ; que, plus d'une fois, les écritures, se trouvant en tête des premiers feuillets comme à la fin des livres, avaient disparu sous le lavage ; que des estampilles avaient été tantôt grattées, tantôt enlevées au moyen de procédés chimiques.
L'instruction constata, à la Bibliothèque Mazarine et dans les bibliothèques de Troyes, Grenoble, Montpellier et Carpentras, la disparition d'ouvrages rares et précieux, et toujours dans les mêmes circonstances. Partout on reconnut la main d'un visiteur à qui ses relations scientifiques, ses missions officielles avaient assuré une liberté à peu près sans limite.
L'instruction constata également des soustractions d'autographes, dans les bibliothèques de l'Observatoire, de l'Institut, nationale [collections Baluze, Boulliau, Peiresc, Dupuy], de Carpentras et de Montpellier, et dans les Archives de l'Institut. Elle constata enfin que, sur environ 800 manuscrits dont on ne voit aucune trace d'acquisition de la part de Libri, 93 étaient antérieurs au XIIe siècle. On se demanda comment un simple particulier avait pu, avec des ressources fort ordinaires, réunir tant de précieuses raretés qui, depuis longtemps, ne se trouvaient plus que dans les bibliothèques publiques, les ventes publiques offrant peu de manuscrits antérieurs au XIIe siècle.

Libri ne s'est pas présenté devant le juge d'instruction, mais il s'est défendu. De Londres, il s'est fait passer pour une victime de la révolution de 1848, de la calomnie et de la jalousie des professeurs et des élèves de l'École des chartes. Pour sa défense, il publia lui-même, ou fit publier par ses amis, de nombreuses brochures et articles, à la suite de sa Réponse de M. Libri au rapport de M. Boucly, publié dans Le Moniteur universel du 19 mars 1848 (Londres, Schulze et Cie, 1848, xii p.), datée de Londres, le 30 avril 1848.
Il fit travailler le faussaire Théodore Hagué (1823-1891), alors présent à Londres, et continua d'organiser la vente de ses livres :

Catalogue of very fine, important, and valuable books, selected from the library of an eminent literary character which will be sold by auction (London, S. Leigh Sotheby & Co, 1849, in-8, 97 p., ). À cette vente figurèrent les précieux manuscrits de l'abbaye de Stavelot que Libri avait fait acheter à Gand en 1847.Vente du lundi 19 au vendredi 23 février 1849.

Catalogue of the extensive, curious and valuable library and manuscripts of an eminent collector (London, 1850, in-8, 152 p.). Les manuscrits sont tous orientaux ; les papiers de Klaproth y sont compris. Vente à partir du 21 février 1850.

Libri épousa, à Londres, Jeanne-Charlotte-Mélanie Double, née à Paris le 10 mai 1810 [Michael S. Cullen : « According to a necrology written by her daughter. »]

Accusé d'avoir, à différentes époques, remontant à moins de dix ans, soustrait, frauduleusement, diverses pièces contenues dans des dépôts publics, et consistant en livres imprimés, en autographes et en manuscrits, Libri fut renvoyé, par la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris,
par arrêt en date du 12 avril 1850, devant la Cour d'assises du département de la Seine, pour y être jugé conformément à la loi.
Le 22 juin 1850, la Cour d'assises du département de la Seine condamna Libri, par contumace [bien qu'il ne fût pas contumax, n'ayant jamais été appelé à comparaître devant la justice], à dix ans de prison et, envers l'État et par corps, aux frais du procès liquidés à 9.224 fr. 75 c.
L'administration des domaines se trouva dès lors investie du droit de séquestre et de l'administration des biens du condamné.

De son côté, Libri avait réussi à convaincre des gens illustres, parmi lesquels se trouvèrent le mathématicien britannique Auguste de Morgan (1806-1871), le littérateur Gustave Brunet (1805-1896), Achille Jubinal (1810-1875), professeur de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Montpellier, les érudits Paul Lacroix (1806-1884) et Paulin Paris (1800-1881), le lexicographe Alfred de Wailly (1800-1866), le jurisconsulte Edouard Laboulaye (1811-1883) et l'écrivain Prosper Mérimée (1803-1870). 

Prosper Mérimée prisonnier à la Conciergerie
Autoportrait à l'encre brune, 23 juillet 1852
Sotheby's, Paris, 26 novembre 2009 : 4.375 €

Ce dernier fut condamné à quinze jours d'incarcération à la Conciergerie et 1.000 francs d'amende, pour avoir contesté la décision de justice dans un article de la Revue des deux mondes du 15 avril 1852 (p. 306-336).

Mélanie Double finit par faire lever le séquestre des biens de son mari condamné. Une partie des livres séquestrés fut dispersée pour couvrir les frais de justice et désintéresser quelques créanciers :


Catalogue de livres la plupart rares et curieux provenant de la bibliothèque de M. Libri Carucci (Paris, Victor Tilliard, 1855,[3]-[1 bl.]-IV-174 p., 1.853 lots). Vente du jeudi 12 au samedi 28 avril 1855, en 15 vacations, au dépôt domanial, cour des Barnabites, 3 place du Palais de Justice.


Catalogue d'une collection extraordinaire de livres […] provenant de la bibliothèque de M. Libri (Paris, Victor Tilliard, 1857, in-8, [4]-16-477-[1 bl.] p., 7.179 lots). Prévue le 15 avril 1857, sous le titre Catalogue de livres principalement sur les sciences mathématiques, la vente fut reportée du jeudi 2 juillet au vendredi 14 août 1857, en 38 vacations, à la Maison Silvestre.



Catalogue d'une collection extraordinaire de livres […] provenant de la bibliothèque de M. Libri […]. Deuxième partie. (Paris, Victor Tilliard, 1858, in-8, XII-396 p., 5.608 lots). Vente du jeudi 14 octobre au samedi 13 novembre 1858, en 26 vacations, à la Maison Silvestre.

Les ventes se poursuivirent à Londres :


Vente du lundi 28 mars au mardi 5 avril 1859, en 8 vacations : Catalogue of the extraordinary collection of splendid manuscripts, chiefly upon vellum, in various languages of Europe and the East (London, Sotheby and Wilkinson, 1859, in-8, [2]-L-260 p. et XXXVII pl. h.-t., 1.190 + 9* lots). Ces manuscrits ont produit 7.000 £.


Vente du lundi 1er au lundi 15 août 1859, en 13 vacations : Catalogue of the choicer portion of the magnificent library, formed by M. Guglielmo Libri, so eminent as a collector, who is leaving London in consequence of ill health (London, S. Leigh Sotheby & John Wilkinson, 1859, in-8, xx-380 p., 2.824 + 2* = 2.826 lots).
La vente a produit 275.000 francs.

La préface de ce catalogue a été publiée en français : Introduction au catalogue des livres imprimés de M. Libri (Traduction.) (Paris, s. n., 1859, in-8, XVIII p.).


Vente du jeudi 25 avril au mercredi 8 mai 1861, en 12 vacations : Catalogue of the mathematical, historical, bibliographical and miscellaneous portion of the celebrated library of M. Guglielmo Libri, […] ; and a most interesting collection of books with autograph annotations […]. Part the first, A-L. (London, S. Leigh Sotheby & John Wilkinson, 1861, in-8, xxxi-[1]-475-[1 bl.] p., 4 pl. h.-t., 4.335 + 7 * = 4.342 lots).


Vente du jeudi 18 au vendredi 26 juillet 1861, en 8 vacations : Catalogue of the mathematical, historical, bibliographical and miscellaneous portion of the celebrated library of M. Guglielmo Libri, […]. Part the second, M-Z. (London, S. Leigh Sotheby & John Wilkinson, 1861, in-8, [3]-[1 bl.]-323 [chiffrées 477-799]-[1 bl.] p., 3.293 [numérotés 4.336-7.628] + 8* = 3.301 lots).


Vente du vendredi 25 au mardi 29 juillet 1862, en 4 vacations : Catalogue of the reserved and most valuable portion of the Libri collection, containing one of the most extraordinary assemblages of ancient manuscripts and printed books ever submitted for sale, […] ; several unknown block-books ; and a large collection of ancient drawings by the great masters ; […]. Together with the magnificent collection of historical ornamented bindings (London, S. Leigh Sotheby & John Wilkinson, 1862, in-8, [3]-[1 bl.]-185-[1 bl.] p., 713 + 1 bis = 714 lots).
La vente a produit 258.000 francs.
Il existe une édition de ce catalogue en français : Catalogue de la partie réservée et la plus précieuse de la collection Libri, comprenant une des plus extraordinaires réunion de livres imprimés et manuscrits qui aient jamais été mises en vente, […] ; plusieurs livres xylographiques inconnus, et une grande collection de dessins anciens des plus grands maîtres. […]. Avec la réunion la plus extraordinaire de reliures historiques ornées (Londres, S. Leigh Sotheby et John Wilkinson, 1862, in-8, [3]-[1 bl.]-143-[1 bl.] p., 713 + 1 bis = 714 lots).
C'est à des articles compris dans la vente de 1862 que se rapportent la plupart des notices et des planches de l'ouvrage de Libri intitulé, dans l'édition anglaise : Inedited or scarcely known monuments forming part of the cabinet of Guglielmo Libri ; et dans l'édition française : Monuments inédits ou peu connus faisant partie du cabinet de Guillaume Libri […] Seconde édition. (Londres, 1864, in-fol., 14 p. et 60 pl.).


Vente le mercredi 1er juin 1864 : Catalogue of the magnificent collection of precious manuscripts and objects of art and vertu, of M. Guglielmo Libri (London, Sotheby, Wilkinson & Hodge, 1864, in-4, [1]-[1 bl.]-[2]-44 p., 15 pl. h.-t., 153 lots).


On a publié en français un abrégé de ce catalogue : Abrégé du catalogue de la magnifique collection d'objets d'art, de manuscrits à miniatures et de dessins, appartenant à M. G. Libri (Londres, 1864, in-4, 8 p., 150 lots).

Pour trois de ces ventes, celles du 28 mars et du 1er août 1859 et celle du 25 juillet 1862, on a publié une liste des prix et des noms des acquéreurs, qui, entre autres avantages, a celui de nous faire connaître les nombreux manuscrits de Libri qui ont été achetés par sir Thomas Phillipps : 


The Libri collection of books and manuscripts. Prices and purchaser's names to the catalogues of the « collection of manuscripts, » (eight days' sale,) « the choicer portion of the library, » (thirteen days' sale,) and « the reserved portion of the ancient manuscripts and printed books, » (four days' sale,) sold by Messrs. Sotheby and Wilkinson, of Wellington street, strand, 1859-1866. (London, Puttick and Simpson, 1868, in-8, [2]-48 p.).

Pendant ce temps, Mélanie Double avait adressé, le 16 décembre 1860, une pétition au Sénat pour faire annuler la condamnation de son mari, qui ne pouvait pas recourir directement à la justice. Bien que signée par Guizot, membre de l'Institut, le marquis d'Audiffret, sénateur et membre de l'Institut, Prosper Mérimée, sénateur et membre de l'Institut, Édouard Laboulaye, professeur de jurisprudence au Collège de France et membre de l'Institut, Victor Leclerc, doyen de la Faculté des lettres et membre de l'institut, Paulin Paris, conservateur à la Bibliothèque impériale et membre de l'Institut, Jules Pelletier, conseiller-maître à la Cour des comptes et membre de l'Institut, Alfred de Wailly, inspecteur général de l'Université, Romain Merlin, conservateur bibliothécaire au ministère d'État, et Henry Celliez, avocat, cette pétition fut rejetée le 11 juin 1861.
Mélanie Double mourut de chagrin le 26 avril 1865, en son domicile parisien, 114 rue Neuve-des-Mathurins [VIIIe].
À Londres, le 4 juillet 1867, Libri se remaria avec Hélène de La Motte (1845-1919), de quarante-deux ans sa cadette.

Cimetière des Portes Saintes, à Florence.
Rentré enfin en Italie en 1868, pour raison de santé, Libri mourut à Fiesole [au N-E de Florence] le 28 septembre 1869, sans avoir osé affronter les débats publics de la Cour d'assises. Il fut inhumé au cimetière des Portes Saintes [cimitero delle Porte Sante], à Florence, dans l'enceinte du bastion fortifié de la basilique San Miniato al Monte. Sa très jeune veuve fit graver sur sa tombe une inscription élogieuse.

Le comte d'Ashburnham avait très tôt soupçonné la véritable origine d'une partie des manuscrits de Libri et très vite saisi la portée des accusations qui s'élevèrent en France contre le malfaiteur. La législation anglaise l'autorisant à conserver les manuscrits volés, il prit néanmoins soin de faire imprimer les catalogues de ses collections, dont celui de la collection Libri en 1853, et autorisa, dès 1865, le docteur Charles-Victor Daremberg (1817-1872), bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine, et Paul Meyer (1840-1917), conservateur à la Bibliothèque nationale, à travailler sur les manuscrits du fonds Libri.
Après sa mort, son fils Bertram, cinquième comte d'Ashburnham (1840-1913), qui ne portait pas un attachement aussi prononcé à ces manuscrits que son père, annonça son intention de vendre les collections. Auparavant, il se crut obligé de remettre à l'ambassadeur de France les fragments du Pentateuque de Lyon, du VIe siècle, après que Léopold Delisle (1826-1910), administrateur général de la Bibliothèque nationale depuis 1875, lui ait démontré la mention de l'existence des dits fragments à la Bibliothèque de Lyon, dans un ouvrage du docteur Ferdinand-Florens Fleck (1800-1849), publié à Leipzig en 1837.


Léopold Delisle à la Bibliothèque nationale de France.
Après l'échec des premières négociations en 1880 et en 1883, ce fut grâce à la ténacité de Léopold Delisle, et avec l'aide du libraire strasbourgeois Karl-Ignaz Trübner (1846-1907), neveu du célèbre libraire londonien Johann-Nikolaus Trübner (1817-1884), que 166 manuscrits, indûment sortis de leurs bibliothèques, rentrèrent en France en 1888. En 1901, la Bibliothèque nationale se rendit acquéreur de 69 autres manuscrits.