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In Georg Braun et Frans Hogenberg. Civitates Orbis Terrarum, t. I, 1572 |
Henri Plon, fondateur de la
maison d’édition française éponyme, descend d’une lignée d’imprimeurs-libraires
belges d’origine danoise. Le berceau de la famille serait la ville de Plön, en
Holstein, possession danoise annexée par la Prusse avec le Schleswig en 1866,
qui forme aujourd’hui, avec le sud du Schleswig, le Land de Schleswig-Holstein
[Allemagne].
Selon la tradition familiale, Jean
Plon serait venu de Plön, pour des raisons inconnues, habiter à Mons [Belgique],
où il aurait épousé, vers 1583, la fille d’un ouvrier typographe. Ses
descendants auraient, eux aussi, exercé la typographie à Mons, jusqu’à
Jacques-Joseph Plon (1683-1755), qui y fut arpenteur.
Pierre Plon (1716-1785) |
Fils de ce dernier, Pierre-Jean-Joseph
Plon, baptisé en l’église Saint-Germain de Mons le 29 décembre 1716, entra en
1731 comme apprenti chez Mathieu Wilmet, imprimeur-libraire à Mons, rue de la
Clef, puis sur la Grand Place, où il demeura deux années. Puis il passa deux
autres années chez Jean-Baptiste Henry, imprimeur-libraire à Lille [Nord].
Le
19 janvier 1742, il fut autorisé à s’installer imprimeur-libraire à Ath [25 km
au nord-ouest de Mons], rue aux Gâdes, tout près de la Grand Place. Le premier
corps de bâtiment donnant sur la rue était occupé au rez-de-chaussée par la
librairie ; au-dessus étaient les chambres d’habitation. Un second corps
de bâtiment par derrière était consacré à l’imprimerie : au
rez-de-chaussée, le magasin à papier ; au premier étage, la presse à bras
et ses accessoires ; au second, les rangs, les casses et le matériel de
composition. Le 1er février
suivant, il épousa à Mons, en l’église Saint-Nicolas-en-Havré,
Marie-Caroline-Joseph de Ladrière (1717-1791).
Après la prise de la ville par
les Français le 10 juillet 1746, Pierre Plon quitta Ath pour aller s’établir à
Mons, rue de la Clef, vis-à-vis du Marché aux herbes, comme imprimeur du roi
Louis XV,
puis, en 1747, rue de Nimy, vis-à-vis des Filles Notre-Dame.
À partir
de 1760, en plusieurs étapes, il transféra son établissement sur la Grand Place,
entre l’Hôtel de Ville et la rue Neuve. Une longue maladie s’étant ajoutée à la
pénurie des travaux d’imprimerie, Pierre Plon se retira en 1778, avec sa femme,
auprès de l’aîné de ses quatorze enfants, Emmanuel Plon, établi
imprimeur-libraire depuis 1774 à Nivelles [40 km au nord-est de Mons], où il
mourut le 17 novembre 1785.
Emmanuel Plon (1742-1832) |
Il
s’installa à Nivelles en 1774, sur la Grand Place, au coin de la rue de
Soignies. Après l’épidémie de 1804, il transporta son établissement amoindri
rue Coquerne, puis rue des Annonciades [rue de la Religion] et enfin rue des
Canonniers. Breveté imprimeur en lettres le 15 juillet 1811, il déplaça une
dernière fois sa librairie et son imprimerie place Saint-Paul, après la
bataille de Waterloo. Il se retira des affaires rue de Soignies, où il
s’éteignit le 9 septembre 1832. De ses neuf enfants, Alexandre-Joseph Plon (°
1783) lui avait succédé, tandis que trois autres s’étaient établis à
Paris : Henri-Ghislain-Joseph Plon (1777-1866) et Léopold-Joseph Plon (°
1780), comme employés à la Banque de France ; Charles-Philippe-Joseph Plon
(1774-1843), comme imprimeur.
Philippe Plon (1774-1843) |
6 rue du Regard (1902) Photographie Eugène Atget Musée Carnavalet |
Après son mariage, il habita 6 rue du Regard [VIe, détruit], en face de l’hôtel de Croy, dans
une maison avec jardin, où sont nés ses six enfants.
Affiche Lorilleux (1912) |
En 1824, il alla se fixer
14 rue du Cimetière-Saint-André-des-Arts [VIe, 16 rue Suger depuis
1844], dans un appartement au 2e étage, auquel on accédait par un
escalier au fond de la cour à droite : il était alors voisin de
René-Pierre Lorilleux (1788-1865), fabricant d’encres à imprimer. En 1827, Philippe
Plon entra à la Banque de France, comme prote de l’imprimerie des billets, et
termina sa carrière dans cet emploi. Après la mort de son épouse, le 28 mai
1828, il alla demeurer avec ses enfants dans une maison située à l’angle du
boulevard du Montparnasse et du boulevard d’Enfer [boulevard Raspail, XIVe],
4 rue de l'Abbaye (juin 2019) |
puis 4 rue de l’Abbaye [VIe, immeuble construit en 1800], où
habitaient également l’éditeur Pierre-Joseph Challamel (1813-1892) et le
relieur Antoine Lenègre (1819-1867), et où il mourut le 26 octobre 1843.
Henri Plon (1806-1872) par Emile-Antoine Bayard (1837-1891) |
Henri-Philippe Plon, fils aîné de
Philippe Plon et de Mélanie Camus, naquit à Paris, 6 rue du Regard, le 26 avril
1806.
Pension Claude Liautard |
Il fit ses études classiques à la pension de l’abbé Claude Liautard
(1774-1844), installé dans l’hôtel Traversière, 58 rue Notre-Dame-des-Champs,
face à la rue Vavin [VIe, collège Stanislas]. Dès l’âge de quinze
ans, il fit son apprentissage à l’imprimerie Firmin Didot (1764-1836), puis à
l’imprimerie Paul Dupont (1796-1879), qui occupait l’hôtel des Fermes, rue de
Grenelle-Saint-Honoré [partie sud de l’actuelle rue Jean-Jacques Rousseau, Ier].
Hippolyte Plon (à G) et Charles Plon (à D) |
Deux de ses frères, Hippolyte Plon (1809-1868) et Charles Plon (1810-1881),
firent également leur apprentissage à l’imprimerie Paul Dupont.
Au lieu d’une installation en
Belgique, Henri Plon préféra s’associer le 18 avril 1829 avec Théophile Belin
(1794-1863), imprimeur à Épernay [Marne], dont il avait rencontré l’épouse
fortuitement lors d’un voyage à Bruxelles, pour fonder la première imprimerie
de Sézanne [Marne], dans l’ancienne Maison de Ville, place du Marché [40 place
de la République].
Place du Marché, Sézanne (v. 1900) |
40 place de la République, Sézanne (juin 2019) |
Au-dessus du premier étage, on lisait une inscription, dans
quatre cartouches, extraite du Livre de Job : « POST TENEBRAS SPERO LUCEM »
[Après les ténèbres, j’espère la lumière].
Malgré les progrès de
l’entreprise, Henri Plon pensa qu’il n’arriverait jamais à amener l’imprimerie,
trop éloignée de Paris, à un plus grand développement : l’association fut
dissoute en 1832 et les anciens associés rentrèrent à Paris.
Ils contractèrent
une nouvelle association le 28 mars 1833 avec Maximilien Béthune (° 1793), imprimeur
5 rue Palatine [VIe], qui imprimait, depuis l’année précédente, le
Dictionnaire de la conversation et de la
lecture, par William Duckett (1805-1873), édité par Belin-Mandar, libraire
55 rue Saint-André-des-Arts [VIe] :
36 rue de Vaugirard |
l’imprimerie « Béthune,
Belin et Plon », installée dans le « petit hôtel de Condé », construit
en 1650, 36 rue de Vaugirard [VIe], en face du « Petit
Luxembourg » [résidence du président du Sénat depuis 1825], signa les
tomes XI à XVI (1834-1835).
Caroline Jolly (1812-1906) |
Le 15 mai 1834, Henri Plon
épousa Marie-Caroline Jolly, née à Paris le 3 novembre 1812, fille de Alexandre
Jolly (1777-1839), banquier, d’une famille originaire de Soncourt-sur-Marne
[Haute-Marne], et de Alexandrine-Victoire-Dorothée Rostenne (1791-1879), d’une
famille originaire de Namur [Belgique] ; le mariage religieux fut célébré deux
jours après en l’église Saint-Philippe-du-Roule [VIIIe]. Le ménage
s’installa provisoirement au premier étage du 17 rue Garancière [VIe],
puis au premier étage du 36 rue de Vaugirard. Théophile Belin se retirant de
l’association, la maison « Béthune et Plon » fut fondée le 5 janvier
1835.
Imprimeurs de grandes œuvres de
la littérature – Maurice Alhoy, Honoré de Balzac, Charles de Bernard,
Chateaubriand -, « Béthune et Plon » éditèrent quelques ouvrages
politiques et religieux. En 1841, Henri Plon acheta la totalité des poinçons et
matrices du fondeur de caractères Jules Didot (1794-1871), qui avait perdu la
raison en 1838. La maison « Béthune et Plon » obtint une médaille
d’argent à l’Exposition de Paris en 1844 :
« MM. Béthune et Plon
soutiennent une excellente réputation. C’est à eux que revient l’honneur
d’avoir trouvé cet excellent type de fabrication des Bibliothèques Gosselin
et Charpentier, remarquable par sa bonne disposition typographique, qui a
permis de faire des volumes lisibles et même agréables, malgré la grande
quantité de matière qu’on y fait entrer. MM. Béthune et Plon exposaient plus de
300 ouvrages, renfermant des vignettes intercalées dans le texte ;
notamment un nouvel ouvrage intitulé Faits mémorables de l’histoire de
France, illustré par des vignettes de V. Adam, parfaitement tiré et dû aux
soins particuliers de M. Plon. »
(Exposition de l’industrie
française. Année 1844. Paris, Challamel, t. II, p. 46)
Devenue l’une des plus
importantes imprimeries de Paris vers la fin de la monarchie de Juillet, la
Société « Béthune et Plon » fut dissoute le 28 janvier 1845,
remplacée par la Société « Plon frères et Cie »,
associant Henri Plon avec ses deux frères, Hippolyte Plon et Charles Plon :
elle fut dénommée « Typographie des Abeilles », uniquement sur les en-têtes
de lettres, les enveloppes à épreuves, les traites et effets de commerce. Henri
Plon fut breveté imprimeur le 28 février 1845, en remplacement de Maximilien
Béthune, démissionnaire. La même année, il fit construire une petite maison
dans le fond du jardin du 36 rue de Vaugirard, pour y fonder sa librairie ;
il obtint le brevet de libraire le 14 mai 1847.
La Librairie « Plon frères
et Cie » débuta par une série de livres liturgiques illustrés. Au
sujet de l’activité de Henri Plon à cette époque, l’éditeur Pierre-Jules Hetzel
(1814-1886) expliquait à Denis Affre (1793-1848), archevêque de Paris, dans une
lettre datée du 22 juillet 1846, la différence entre éditeur et
imprimeur :
« M. Plon a débuté comme
imprimeur sous la raison sociale Béthune et Plon. M. Béthune était administrateur
de l’affaire, M. Plon ne s’occupait que du matériel. C’est sous
l’administration de M. Béthune, c’est sous le nom de Messieurs Béthune et Plon
que les livres dont vous me parlez ont été NON PUBLIÉS mais
imprimés, ce qui est bien différent, dans les ateliers de Messieurs Béthune et
Plon.
Depuis lors la Société Béthune
et Plon a été dissoute. M. Plon s’est associé avec son frère, et Mrs Plon et
frère n’ont à encourir ni à craindre aucune des remarques qui ont été faites
sur la société Béthune et Plon. »
(A. Parménie et C. Bonnier de La
Chapelle. Histoire d’un éditeur et de ses auteurs. P.-J. Hetzel (Stahl).
Paris, Albin Michel, 1953, p. 72)
Au mois de février 1848, une
bande d’émeutiers vint mette l’imprimerie à sac et briser toutes les machines,
ce qui n’empêcha pas la maison « Plon frères et Cie » d’obtenir
en 1849 la médaille d’or à l’Exposition de Paris :
« MM. Plon frères
justifient, par de constants efforts, la réputation croissante de leur
imprimerie. Élevés dès l’enfance par leur père, habile typographe, ils
connaissent, aussi bien que les ouvriers les plus expérimentés, toutes les
parties de la typographie. Ils joignent à ces connaissances la passion de leur
art et le goût du beau. Tout ce qui sort de leurs presses porte un cachet de
perfection relative qui est un mérite d’autant plus digne d’être loué, qu’ils
impriment à la fois un très-grand nombre d’ouvrages de luxe et de
fantaisie ; ceux même d’une fabrication courante sont toujours exécutés
avec soin.
Il serait impossible de signaler
tous les ouvrages qu’ils ont mis à l’exposition ; mais comme tous ont un
véritable mérite d’exécution, plus le nombre en est grand, plus le mérite
s’accroit. Nous nous bornerons à signaler en grands ouvrages celui du docteur
Chénu sur la Conchyliologie, et l’ouvrage intitulé Selectæ praxis
medico-chirurgicæ, par Al. Anvert. En ouvrages in-8°, les Lettres de
Marie-Stuart, recueillies par les soins du prince Labanoff, en 7
volumes ; les Œuvres de Casimir Delavigne ; l’Histoire des
Girondins, par M. de Lamartine ; deux éditions des Fables de La
Fontaine, grand in-8° avec vignettes ; parfaitement exécutées ;
l’ouvrage intitulé Cent traités pour l’instruction du peuple ;
enfin une foule de livres dans le format in-18. Nous signalerons
particulièrement une charmante édition des Fables de La Fontaine, d’un
très-petit format et imprimée en caractères microscopiques. La netteté de l’impression
en fait un véritable bijou typographique.
C’est à MM. Plon qu’on doit
l’usage, devenu presque général, de glacer le papier étant encore humide, ce
qui rend l’impression plus nette et plus brillante. Les premiers livres
imprimés d’après ce procédé sont
les Pélerinages en [de]Suisse (1839) et les poésies d’André Chénier (1840). Ce charmant volume frappa l’attention du public, par son élégance et la netteté de son impression.
les Pélerinages en [de]Suisse (1839) et les poésies d’André Chénier (1840). Ce charmant volume frappa l’attention du public, par son élégance et la netteté de son impression.
Ils impriment aussi une foule
d’ouvrages liturgiques ornés de gravures ; tels sont le livre de
Mariage et le Paroissien, entourés de vignettes, enrichis de lettres
ornées, comparables aux jolis livres qu’imprimait Pigouchet pour le libraire
Simon Vostre au XVIe siècle,
mais qui se distinguent par un goût plus moderne, et par la perfection toujours
croissante de la gravure en bois. La variété infiniment plus grande des sujets
évite la monotonie qui résultait de leur répétition trop fréquente dans ces
petits chefs-d’œuvre du XVIe siècle.
Une spécialité qui distingue
l’imprimerie de MM. Plon est la perfection avec laquelle s’y impriment les
gravures sur bois ; on peut en juger par le grand nombre de celles qui
ornent les éditions de luxe sorties de leurs presses, et par le journal l’Illustration,
qui, bien qu’imprimé avec la célérité qu’exige ce genre de publication, est
d’une exécution remarquable.
Dans l’imprimerie de MM. Plon, 8
presses mécaniques et 20 presses à bras impriment près de 60,000 rames par
année. MM. Plon ont ajouté à leur établissement une fonderie de caractères.
MM. Plon ont déjà obtenu la
médaille d’argent ; le jury leur accorde cette année la médaille
d’or. » [sic]
(Rapport du jury central sur
les produits de l’agriculture et de l’industrie exposés en 1849. Paris,
Imprimerie nationale, 1850, t. III, p. 494-496)
In Feuilleton du Journal de la librairie, 7 décembre 1850 |
La « Prize Medal »
obtenue à la première des Expositions universelles, qui eut lieu à Londres en
1851, valut à Henri Plon d’être fait chevalier de la Légion d’honneur le 22
novembre.
En 1852, voulant lui témoigner « sa satisfaction des efforts
constants qu’il a faits pour perfectionner l’art typographique », Henri
Plon reçut de Napoléon III le titre d’« Imprimeur de l’Empereur ».
« Les dirigeants de Plon
n’ont cessé de s’interroger sur la date de naissance de leur maison. Ils ont longtemps
aimé faire valoir son ancienneté en faisant remonter son origine à un lointain
ancêtre qui aurait épousé, en 1583, la fille d’un imprimeur de Mons en
Belgique. Il est évident que cette date ne correspond en rien à la naissance de
la maison Plon qui commence réellement son activité en France au XIXe siècle.
En 1933, la Librairie Plon préfère faire savoir que cette année est celle de
son centenaire, ce qui fait remonter sa fondation à la création de la société
« Béthune, Belin et Plon ». Mais des lettres à en-tête des années
1950 portent, elles : « Maison fondée en 1845 », année qui vit
Henri Plon obtenir le brevet d’imprimeur en lettres, suite à la démission de
Maximilien Béthune, et se créer la société « Plon frères et Cie ».
Aujourd’hui, le site Internet des éditions Plon donne, sans la moindre
explication, la date de 1852 – si cette année-là Henri Plon reçut le titre
d’imprimeur de l’Empereur, cette distinction ne faisait que consacrer un
imprimeur-éditeur déjà bien installé dans le monde de l’imprimerie
parisienne. » [sic]
(Patricia Sorel. Plon. Le
Sens de l’Histoire (1833-1962). Presses Universitaires de Rennes,
2016, p. 16)
Le 8 et le 10 rue de Garancière vers 1650 Photographie BnF |
8 rue Garancière |
Le bail du 36 rue de Vaugirard
venant à expiration, Henri Plon se rendit acquéreur, le 13 mars 1852, pour
283.000 francs, de l’hôtel construit de 1646 à 1648, 8 rue Garancière [VIe],
qui avait été successivement appelé « de Léon », « de Rieux »,
« de Sourdéac », « de Montaigu », « de Roquelaure »,
« de Lubersac », avant de devenir la mairie de l’ancien XIe
arrondissement de 1818 à 1849. Après d’importants travaux, le déménagement fut
fait au printemps 1854.
« La grande cour d’honneur
du côté de la rue Garancière, la seconde cour du côté de la rue Servandoni
étaient reliées entre elles par une allée pavée, avec double rangée d’arbres,
passant entre deux petits jardins à droite et à gauche. Longtemps la mairie de
notre arrondissement, autrefois le XIe, aujourd’hui le VIe,
avait occupé une grande partie des locaux de ce vaste hôtel : mais elle
était allée récemment s’installer de l’autre côté de la place Saint-Sulpice,
dans un immeuble construit spécialement pour ses services. Sur le large espace
qui séparait les deux cours de l’hôtel dit de Roquelaure, mon père avait donc
pu élever des bâtiments ayant un rez-de-chaussée et un étage. Dans ces
constructions nouvelles, ainsi que dans le vieil immeuble de la rue Servandoni,
il installa ses ateliers avec entrée sur cette rue. Au rez-de-chaussée de la
cour de la rue Garancière, il mit ses bureaux et sa librairie, où par
conséquent on entrait par la rue Garancière. Comme appartement privé, il prit
l’un des deux du premier étage : celui qui occupe la façade sur la rue, la
façade correspondante sur la grande cour et l’aile de gauche. » [sic]
([Eugène Plon]. Notre livre
intime de famille. Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1893, p.
221-222, H. C.)
En 1855, l’association « Plon
frères et Cie » prit fin et Henri Plon demeura l’unique
propriétaire de l’imprimerie et de la librairie : ses frères Hippolyte et
Charles, tout en se retirant comme associés, lui continuèrent leur concours
pour la direction des ateliers de l’imprimerie.
Henri Plon prit part aux travaux
et à la direction du Cercle de la librairie, alors rue Bonaparte [aujourd’hui
117 boulevard Saint-Germain, VIe], dont il fut vice-président en
1858, et fut président de la Chambre des imprimeurs de Paris de 1861 à 1863.
À partir de 1860, Henri Plon
utilisa parfois deux marques pour ses éditions :
la première,
encore utilisée en 1871, présente les médailles obtenues à Paris en 1849 et
1855, et celle obtenue à Londres en 1851, avec la croix de la Légion d’honneur,
entourant les initiales « H » et « P » et deux cornes
d’abondance ;
la seconde, utilisée à partir de 1868, avec la devise
« LABOR OMNIA VINCIT IMPROBUS » [un travail acharné vient à bout de
tout], citation des Géorgiques de Virgile, qui entoure un écu portant
les initiales « H-P » et une abeille, accroché à un arbre.
Henri Plon a créé ou contribué à
créer plusieurs journaux : Le Journal pour rire (1848), remplacé
par le Journal amusant (1856) ; Le Moniteur vinicole (1856) ;
L’Univers illustré (1858) ; Le Journal illustré (1864).
Henri Plon lança la « Collection
des Classiques français du Prince impérial » (1861-1881, 61 vol. in-32),
tirée à 1.000 exemplaires sur papier vélin, à 4 francs le volume, et à 200
exemplaires sur papier de Hollande, avec les portraits sur Chine, à 6 francs le
volume, dus à Louis Brière (1838-1906), bibliophile manceau :
Beaumarchais, Boileau, Bossuet, Corneille, Fléchier, La Bruyère, La Fontaine,
La Rochefoucauld, Marivaux, Massillon, Molière, Montesquieu, Pascal, Racine,
Regnard, Vauvenargues.
Ayant acquis le 10 rue
Garancière le 20 avril 1864, pour 204.000 francs, Henri Plon fit démolir
l’immeuble pour en bâtir un autre où, en novembre 1865, il installa la
librairie, les bureaux et ses appartements. Dans le fond du jardin, il
construisit le grand atelier des machines.
Il publia la plupart des écrits
de Napoléon III, dont son Histoire de Jules César (1865-1866, 2 vol. de
texte et 1 atlas, in-4).
« Henri Plon avait
notamment développé sa “ Bibliothèque historique ” avec portraits gravés et
fac-similés d’autographes, les deux périodes privilégiées étant la Révolution
française et le Premier Empire. S’y ajoute rapidement une série d’ouvrages
relatifs aux “ événements douloureux ” de 1870-1871. Alors que la chute de l’Empire
aurait pu être fatale à celui qui portait depuis 1852 le titre d’ “
imprimeur de l’Empereur ” et que les éditeurs parisiens attendaient prudemment
des temps plus apaisés, Henri Plon vit tout le profit qu’il pouvait tirer des
événements pour sa maison d’édition.
Dès la fin du conflit contre la Prusse, il
mena une série de démarches auprès des principaux chefs militaires pour
préparer la publication d’une grande collection d’ouvrages sur la guerre de
1870-1871. Les auteurs de la collection furent ainsi “ ceux-là mêmes qui
avaient pris la part la plus considérable aux événements ” : les généraux
Antoine-Eugène-Alfred Chanzy, Louis Aurelle de Paladine, Charles-Gabriel-Félicité
Martin des Pallières, le comte de Palikao, Joseph Vinoy, l’amiral La
Roncière-Le Noury, le maréchal François-Achille Bazaine, l’ancien ambassadeur
de France en Prusse le comte Vincent Benedetti, le ministre des Affaires
étrangères Jules Favre. La “ Bibliothèque de la guerre de 1870 ” se fit le
porte-parole de ceux qui attribuaient la défaite à la supériorité du système
éducatif allemand, appelant de leurs vœux une réforme du système éducatif
français et, avant tout, de l’enseignement de l’histoire. […]
Henri Plon fait une première
incursion dans le domaine des belles-lettres avec la “ Collection des
classiques français ” : de 1861 à 1881, y sont publiés, en 61 volumes
in-32, les grands auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles
sous un “ élégant cartonnage or et étoffe ”. Si la maison s’oriente d’abord
vers la publication d’ouvrages de luxe et de classiques destinés aux
bibliophiles, l’arrivée de Robert Nourrit dans la société va faire évoluer le
catalogue vers le roman contemporain. Créée en 1876, “ La Bibliothèque des
romans ” offre notamment les œuvres d’Henry Gréville – pseudonyme d’Alice-Marie-Céleste
Durand née Fleury - ; Robert Nourrit fit une excellente affaire en
recrutant, puis en s’assurant la fidélité de cet auteur prolifique, dont les
œuvres connaîtront un rapide et grand succès. » [sic]
(Patricia Sorel. « Les
Collections de la Librairie Plon (1845-1939) : une maison fidèle à ses
engagements idéologiques ». In La Collection. Essor et affirmation d’un
objet éditorial. Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 56 et 63)
Henri Plon mourut d’une maladie
de cœur, le 25 novembre 1872, dans la grande pièce de l’appartement sur la
cour, 10 rue Garancière.
Il fut inhumé au cimetière du Montparnasse [Division 12].
Sa fortune fut évaluée à
2.147.216 francs, dont plus de la moitié en immeubles et un tiers dans l’imprimerie-librairie.
Prudent, Henri Plon ne s’était pas risqué dans des opérations financières
aventureuses et, contrairement à certains de ses confrères, n’avait pas investi
dans une maison de campagne. Au total, avec un passif de 1.300.782 francs, il restait
846.499 francs [environ 3 millions d’euros].
« D’après l’inventaire
après décès dressé le 11 décembre 1872, l’imprimerie comprend une presse à
vapeur de douze chevaux estimée à 11 000 francs avec ses accessoires, huit
presses mécaniques à retiration, trois presses en blanc estimées à 45 500
francs, sept presses à bras et quatre presses à glacer d’une valeur de
3 150 francs, une presse en taille-douce, quarante-six pierres
lithographiques, deux presses lithographiques et quatre machines à fondre. Au
total, le matériel mobilier de l’imprimerie et de la fonderie est évalué à
230 779 francs. La valeur des ouvrages de la librairie est quant à elle
estimée à 400 738 francs, ce qui illustre la diversification de
l’entreprise. En y ajoutant le matériel dépendant de la librairie (d’une valeur
de 2 237 francs), l’ensemble atteint la somme de 633 754 francs.
Quant au fonds de commerce, il est évalué à 20 000 francs, ce qui est peu.
D’après l’état de partage de la succession d’Henri Plon, la valeur du matériel
mobilier de l’imprimerie et de la fonderie et celle du fonds de commerce
reviennent à Eugène Plon, tandis que la valeur de la librairie est partagée
entre la veuve d’Henri Plon (126 221 francs), son fils Eugène (146 453
francs) et sa fille Marie, épouse de Robert Nourrit (128 062
francs). » [sic]
(Patricia Sorel. Plon. Le
Sens de l’Histoire (1833-1962). Presses Universitaires de Rennes,
2016, p. 49)
Eugène Plon (1836-1895) |
En 1873, Eugène Plon, né à Paris
le 11 juin 1836, et son gendre Louis-Robert Nourrit, avocat au Conseil d’Etat,
né à Paris le 22 février 1833, époux de Marie Plon le 17 décembre 1860,
devinrent associés gérants. Leur principal défi fut de faire de l’imprimerie
Plon une véritable maison d’édition.
De 1873 à 1882, la raison
sociale de la maison fut « E. Plon et Cie ». Durant cette
période, il y eut un troisième associé, Émile Perrin (1828-1884), ancien
libraire à Mulhouse [Haut-Rhin], qui, après l’expiration de l’association, a
acquis la Librairie académique Didier en 1884, à la tête de laquelle il mit son
fils Paul Perrin.
Fronton de la façade de l'entrée de la Librairie au fond de la cour intérieure du 8 rue Garancière |
À partir de 1883, la raison
sociale fut « E. Plon, Nourrit et Cie », la maison étant
redevenue un bien exclusivement de famille : Robert Nourrit fit entrer
dans la société ses deux gendres, Pierre-Marie Mainguet (1855-1926) et
Henri-Joseph Bourdel (1856-1945), puis son propre fils, Adolphe-Eugène-André
Nourrit (1869-1915).
Robert Nourrit mourut le 11 juin
1894, Eugène Plon le 31 mars 1895.
« Eugène Plon étant mort
sans descendance en 1895, la maison passe aux mains des héritiers de Robert
Nourrit : Pierre Mainguet et Joseph Bourdel, ses deux gendres, et Adolphe
Nourrit, son fils [qui obtint, le 30 novembre 1895, l’autorisation de faire
précéder son nom patronymique du nom de Plon]. L’arrivée de la quatrième
génération intervient peu de temps avant la Première Guerre mondiale avec
l’entrée en scène d’Henri Bourdel, Henri et André Mainguet. La maison familiale
sort de la guerre fragilisée par la disparition au front de trois des siens,
Adolphe Nourrit, Henri Bourdel et André Mainguet. Pourtant, […] la Librairie
Plon va connaître un véritable essor pendant l’entre-deux-guerres. Constituée
en SARL en 1926, elle devient société anonyme en 1935. Le fonds de littérature
s’enrichit avec l’arrivée d’auteurs qui vont faire le succès de la
maison : après Paul Bourget, passé d’Adolphe Lemerre à Plon, et Henry
Bordeaux, qui publie son premier roman en 1900, les frères Tharaud, Georges
Bernanos et Julien Green vont permettre à la Librairie Plon de rivaliser avec
les grands éditeurs littéraires de son temps. C’est aussi dans
l’entre-deux-guerres que sont lancées plusieurs collections prestigieuses –
« Le Roseau d’or », la « Collection d’auteurs étrangers »,
qui devient « Feux croisés », et « La Palatine » -, ainsi
qu’une collection de poche, la « Bibliothèque Plon », qui réédite les
succès de la maison. La Librairie Plon s’est également fait l’éditeur de deux
revues littéraires, La Revue hebdomadaire et Le Nain vert, et
d’un magazine d’actualités, 1933. […]
Le déclenchement de la Seconde
Guerre mondiale va désorganiser l’activité de la maison d’édition et, plus
encore, celle de l’imprimerie de Meaux [l’imprimerie avait été transférée à
Nanteuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne) en 1899]. […] l’Occupation va pourtant être
pour Plon une période d’enrichissement : comme la plupart des éditeurs, la
société profite de la forte demande de lecture, ce qui lui permet d’écouler
facilement ses nouveautés et une bonne partie de ses stocks. Ses dirigeants
auront toutefois à rendre des comptes à la Libération : leur engagement
pétainiste et la publication de plusieurs ouvrages faisant l’apologie du
gouvernement de Vichy et de la politique de collaboration leur vaudront d’être
traduits en justice. Un non-lieu sera rendu, mais l’équipe dirigeante devra
déployer tous ses efforts pour maintenir la réputation de la maison et
consolider une trésorerie fragilisée dans un contexte économique difficile.
Dans la période d’après-guerre […], c’est un homme extérieur à la famille qui
va apporter un vent de renouveau dans le vieil hôtel de la rue Garancière.
Charles Orengo, le fondateur des Éditions du Rocher, appelé par Maurice Bourdel
au poste de directeur littéraire, va tenter de rajeunir et de diversifier les
catalogues en lançant de nouvelles collections, notamment dans le domaine des
sciences humaines et sociales. Mais la Librairie Plon n’aura pas la force de
résister à la première vague de concentrations qui touche le monde de l’édition
dans les années 1950. Elle sera l’une des premières maisons à tomber entre les
mains d’un financier, Thierry de Clermont-Tonnerre, qui devient P-DG de Plon en
juillet 1962. En vendant la maison de ses ancêtres à l’Union financière de
Paris, qui la revendra bientôt aux Presses de la Cité, Maurice Bourdel choisit
de mettre un terme à l’histoire d’une entreprise familiale vieille de quelque
130 ans. » [sic]
(Patricia Sorel. Ibid.,
p. 17-18)
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