jeudi 3 mars 2022

Pierre Séguier (1588-1672) : « Si l’on veut me séduire, on n’a qu’à m’offrir des livres »

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La famille des Séguier est originaire de Saint-Pourçain-sur-Sioule [Allier].

Paris, P. Rocolet, 1642
Photographie BnF

Blaise Séguier, apothicaire, fut le premier qui vint s’établir à Paris. Il mourut le 25 avril 1510, laissant de Catherine Chenart, fille de Jean Chenart, maître de la Monnaie de Paris, Nicolas Séguier, notaire et secrétaire du Roi, seigneur de L’Étang-la-Ville [Yvelines] et de Drancy [Seine-Saint-Denis], mort le 22 décembre 1533, qui avait épousé, le 29 juillet 1497, Catherine le Blanc, fille de Louis le Blanc, greffier des comptes.


Pierre Séguier, premier du nom, seigneur de Sorel [Sorel-Moussel, Eure-et-Loir], L’Étang-la-Ville, Saint-Brisson [Saint-Brisson-sur-Loire, Loiret], Autry [Autry-le-Châtel, Loiret] et autres lieux, fut président à mortier au Parlement de Paris en 1554, charge qu’il exerça pendant vingt-deux ans, et « l’un des plus grands ornemens de son siècle, & l’une des plus vives lumières du Temple des loix » (Scévole de Sainte-Marthe. Éloges des hommes illustres. Paris, Antoine de Sommaville, Augustin Courbé et François Langlois, 1644, p. 276). Il mourut le 25 octobre 1580, âgé de 76 ans. Il avait épousé Louise Boudet, fille de Simon Boudet, seigneur de La Bouillie [Côtes-d’Armor], morte le 5 août 1594, qui lui avait donné six garçons et six filles. Bibliophile, il fut à l’origine de la passion de son petit-fils, qu’il n’a pas connu.

Pierre Séguier, premier du nom
Dans la Chronologie collée (v. 1600)
Photographie British Museum

Jean Séguier, qui a fait la branche d’Autry, fut conseiller au Parlement, puis maître des requêtes en 1580, et lieutenant civil au Châtelet en 1587. Mort de la peste, il fut enterré dans la chapelle des Séguier, en l’église Saint-André-des-Arts le 10 avril 1596. Il avait épousé Marie Tudert, fille de Claude Tudert, seigneur de la Bournalière [Cuhon, Vienne], tante du cardinal de Bérulle.

Pierre Séguier, deuxième du nom

Pierre Séguier, fils aîné de Jean Séguier, est né à Paris, le 28 mai 1588. C’est du moins la date donnée en toutes lettres par François du Chesne dans son Histoire des chanceliers et gardes des sceaux de France (Paris, chez l’Auteur, 1680, p. 789). Le Grand Dictionnaire historique de Louis Moréri (Basle, Jean Brandmuller, 1732, t. VI, p. 398) porte la date du 29 mai. L’historien Auguste Jal (1795-1873) n’a pas retrouvé l’acte de son baptême.

Orphelin de père à l’âge de neuf ans, Pierre Séguier fut élevé par son oncle Antoine Séguier (1552-1624), célibataire. 

Le Magasin pittoresque, 1879, p. 376

Devenu conseiller au Parlement de Paris en 1612, Pierre Séguier épousa, le 30 janvier 1614, dans l’église de Saint-Jean-le-Rond [détruite en 1748], qui jouxtait la cathédrale Notre-Dame à l’emplacement de la rue du Cloître-Notre-Dame [IVe], Madeleine Fabri, née le 22 novembre 1597, fille de Jean Fabri, seigneur de Champauzé [Puy-de-Dôme], trésorier de l’extraordinaire des guerres, et de Marie Buatier, dont il eut deux filles : Marie, née le 10 août 1618, qui épousa, en premières noces, le bossu César du Cambout, marquis de Coislin, colonel général des Suisses, et, en secondes noces, Guy, marquis de Laval, lieutenant général des armées du Roi ; Charlotte, née le 5 avril 1623, mariée, en premières noces, à Maximilien de Béthune, duc de Sully, pair de France, et, en secondes noces, à Henry de Bourbon, duc de Verneuil, pair de France, chevalier des Ordres du Roi, gouverneur de Languedoc.

Maître des requêtes ordinaire de l’hôtel en 1618, intendant de la Justice en Guyenne en 1622, président à mortier au même Parlement en 1624, commandeur des Ordres de Sa Majesté, le cardinal de Richelieu (1585-1642) nomma Séguier garde des Sceaux en 1633, puis chancelier de France en 1635.

En 1639 et 1640, il fut en Normandie pour réprimer la révolte des « Nu-Pieds », soulèvement populaire déclenché à la suite de l’instauration de la gabelle dans le Cotentin [Manche]. Il en profita pour visiter des bibliothèques, notamment à Rouen et à Caen, et se fit offrir de rares manuscrits.

Il fut chargé du procès du marquis de Cinq-Mars en 1642. Après la mort de Louis XIII, arrivée le 14 mai 1643, il contribua à faire casser le testament du roi et à faire reconnaître Anne d’Autriche (1601-1666) pour régente. Il sut gagner la confiance de Jules Mazarin (1602-1661), ce qui le rendit très impopulaire ; lors de la journée des Barricades, en 1648, il courut de sérieux dangers. Il quitta Paris en 1650 pendant la Fronde parlementaire et se réfugia à Rosny [Rosny-sous-Bois depuis 1897, Seine-Saint-Denis], chez son gendre le duc de Sully, où il ne pensa qu’à sa bibliothèque, écrivant à son bibliothécaire : « Je vous recommande ma mestresse, et de la bien courtiser en mon absence […] je vous recommande d’avoir soing de ma bien aymée, je veux dire de ma bibliothèque. C’est ma passion. » Seigneur d’Autry, comte de Gien [Loiret] depuis 1620, Séguier vit sa baronnie de Villemaur [Aube] et sa seigneurie de Saint-Liébault [Estissac, Aube] érigées en duché, sous le nom de Villemor, par Anne d’Autriche, en récompense de sa fidélité.    

Après la mort de Mazarin, il présida la commission chargée de juger le surintendant Nicolas Fouquet, et se prononça pour la peine la plus sévère.


Roger de Saint-Lary (1563-1646), duc de Bellegarde, grand écuyer de France, avait fait construire, rue de Grenelle-Saint-Honoré [rue Jean-Jacques Rousseau depuis 1868, Ier], son hôtel à la place de deux maisons réunies, qu’il avait achetées en 1612, et qui avaient porté successivement depuis 1573 les noms d’hôtel de Condé, d’hôtel de Soissons et d’hôtel de Montpensier. L’hôtel de Bellegarde devint en 1634 l’hôtel Séguier, et le chancelier l’augmenta d’une double galerie qui fut peinte par Simon Voüet (1590-1649), et fit dessiner le jardin par Charles Le Brun (1619-1690) :


 




Porticus Bibliothecæ Illustriss. Seguierii
Photographies British Museum

« Entre les deux jardins, que je viens de décrire, sont placées les deux galleries ; sur le plafond de la premiere le Chancelier y a figuré à l’ombre de plusieurs fables les faits heroïques de Louis XIII, & du Cardinal de Richelieu […]

L’autre gallerie regne au-dessus de la precedente ; elle est pleine de livres, & couverte d’une voute que Vouet a enrichie d’un grand fonds d’or à la Mosaïque, & de plusieurs fables si ingenieusement inventées, & qui viennent si bien à une magnifique Bibliotheque, que Dorigni [Michel Dorigny (1617-1665), gendre de Voüet] les a gravées & données au public [Porticus Bibliothecæ Illustriss. Seguierii. Paris, 1640, in-fol., 7 pl. y compris le titre gravé], & que Isaac Habert [1598-1668], Evêque de Vabres, les a expliquées en vers Latins.

Bien que cette gallerie soit fort grande, elle ne renferme pas neanmoins la moitié des livres du Chancelier. L’Histoire sainte & profane est si complette, qu’elle l’occupe toute entiere : les autres sciences, les extraits des Regîtres du Parlement, de la Chambre des Comptes, du Châtelet & de l’Hotel de Ville, sont rangés dans trois grandes chambres qui y sont attachées ; les ambassades, les manuscrits grecs achetés des Caloyers du mont Athos ; les Arabes, Syriaques, Chaldaïques, Hebreux, venus d’Alexandrie, remplissent une grande salle de la maison du Marquis de Bauve ; tos ces volumes au reste sont bien choisis, bien reliés & bien conditionnés. » [sic]

(Henri Sauval. Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris. Paris, Charles Moette et Jacques Chardon, 1724, t. II, p. 197)

L’Académie y siégea pendant trente ans, de 1643 à 1673, et y reçut la reine Christine de Suède (1626-1689) le 11 mars 1658. 

Hôtel des Fermes
Ch. Nodier, Aug. Regnier et Champin. Paris historique (Paris, F.G. Levrault, 1838) 

En 1690, l’hôtel fut acheté par les fermiers du Roi, qui y établirent leurs bureaux. Le vieil hôtel des Fermes, 55 rue de Grenelle-Saint-Honoré, qui avait une seconde entrée 24 rue du Bouloi [Ier], devint propriété nationale en 1792 et fut transformé en prison, par les soins du conventionnel André Dupin (1744-1833) : deux portes de chêne convertissaient l’antichambre en guichet, des cloisons d’épais madriers séparaient les bâtiments des maisons voisines, des grilles de fer garnissaient les fenêtres. Puis on en fit un théâtre : ouvert en 1793, le Théâtre de l’hôtel des fermes fut ensuite occupé par l’École dramatique (1803), le Théâtre des Fabulistes (1810) et le Théâtre Comte (1817). Enfin, on le morcela en propriétés particulières, avant d’être détruit en 1888.

Séguier scella, le 4 décembre 1634, les lettres patentes de l’Académie française et demanda à Germain Habert (1610-1654), abbé de Cerisy [Cerisy-la-Forêt, Manche], qui les lui avait apportées, de faire partie de cette compagnie : il fut nommé le 8 janvier 1635, mais cessa d’être académicien quand il fut nommé protecteur en 1643.  Les séances se tinrent dans son hôtel, jusqu’à sa mort, arrivée à Saint-Germain-en-Laye [Yvelines] le 28 janvier 1672, à l’âge de 84 ans. Il fut enterré dans une chapelle au-devant du cloître du couvent des Carmélites de Pontoise, dont sa sœur Jeanne avait été prieure. 

Mausolée érigé à la mémoire du chancelier Séguier, le 5 mai 1672
Inventé par Le Brun, dessiné et gravé par Le Clerc

À Paris, plusieurs services solennels furent célébrés en l’honneur du plus savant des magistrats de son siècle. Le plus beau monument funéraire fut élevé par le peintre Le Brun, lors des obsèques solennelles qui furent célébrées dans l’église des Pères de l’Oratoire de la rue Saint-Honoré [Ier] :

« A Paris, vendredi 6 mai 1672.

Ma fille, il faut que je vous conte ; c’est une radoterie que je ne puis éviter. Je fus hier à un service de M. le chancelier à l’Oratoire : ce sont les peintres, les sculpteurs, les musiciens et les orateurs qui en ont fait la dépense, en un mot, les quatre arts libéraux. C’était la plus belle décoration qu’on puisse imaginer : le Brun avait fait le dessin ; le mausolée touchait à la voûte, orné de mille lumières, et de plusieurs figures convenables à celui qu’on voulait louer. Quatre squelettes, en bas, étaient chargés des marques de sa dignité ; comme lui ayant ôté les honneurs avec la vie : l’un portait son mortier, l’autre sa couronne de duc, l’autre son ordre, l’autre les masses de chancelier. Les quatre Arts étaient éplorés et désolés d’avoir perdu leur protecteur : la Peinture, la Musique, l’Éloquence et la Sculpture. Quatre Vertus soutenaient la première représentation : la Force, la Justice, la Tempérance, et la Religion. Quatre Anges ou quatre Génies recevaient au-dessus cette belle âme. Le mausolée était encore orné de plusieurs Anges qui soutenaient une chapelle ardente, laquelle tenait à la voûte. Jamais il ne s’est rien vu de si magnifique, ni de si bien imaginé ; c’est le chef-d’œuvre de le Brun. Toute l’église était parée de tableaux, de devises et d’emblèmes qui avaient rapport aux armes ou à la vie du chancelier : plusieurs actions principales y étaient peintes. Madame de Verneuil [Charlotte Séguier (1623-1704), fille cadette du chancelier] voulait acheter toute cette décoration un prix excessif. Ils ont tous, en corps, résolu d’en parer une galerie, et de laisser cette marque de leur reconnaissance et de leur magnificence à l’éternité. L’assemblée était belle et grande, mais sans confusion ; j’étais auprès de M. de Tulle [Jules Mascaron (1634-1703), évêque de Tulle], de M. Colbert [Jean-Baptiste Colbert (1619-1683)], et de M. de Monmouth [James Scott (1649-1685), duc de Monmouth, fils naturel de Charles II, roi d’Angleterre, et de Lucy Walter], beau comme du temps du Palais-Royal, qui, par parenthèse, s’en va à l’armée trouver le roi. Il est venu un jeune père de l’Oratoire [Vincent Léna (1633-1677), dit « Laisné »] pour faire l’oraison funèbre […]. Pour la musique, c’est une chose qu’on ne peut expliquer. Baptiste [Jean-Baptiste Lully (1632-1687)] avait fait un dernier effort de toute la musique du roi ; ce beau Miserere y était encore augmenté ; il y eut un Libera où tous les yeux étaient pleins de larmes ; je ne crois point qu’il y ait une autre musique dans le ciel. Il y avait beaucoup de prélats […] » [sic]

(Lettres de MME de Sévigné. Paris, Firmin-Didot et CIE, 1883, p. 224-226)

Bibliotheca Coislinianaolim Segueriana (Paris, Louis Guérin et Charles Robustel, 1715, p. 1)
Photographie BnF

Grâce à la fortune de sa femme, Pierre Séguier avait composé la plus belle et la plus nombreuse bibliothèque qu’aucun particulier eût encore possédée, supérieure même à celle de Mazarin : 4.000 manuscrits et 30.000 imprimés.

Séguier faisait copier les manuscrits, qu’il ne pouvait pas acquérir. Particulièrement intéressé par les manuscrits grecs, il en faisait copier par Jean Tinerel de Bellérophon (1598-1670), magistrat et helléniste, et acheter par le Père Athanase Rhetor (1571-1663), prêtre grec. La moitié du fonds grec de Séguier fut tiré des bibliothèques des monastères du Mont Athos [Grèce].

Il recueillit de nombreux manuscrits lors de la dispersion des bibliothèques de Laurent Bouchel (1559-1629), avocat au Parlement de Paris, et du poète Philippe Desportes (1546-1606). Il acquit la plupart des manuscrits du conseiller d’État Auguste Galland (1572-1637), mis en vente en 1655. Léon Brulart (1571-1649), ambassadeur à Venise, lui laissa plusieurs manuscrits. Jean Ballesdens (1595-1675), qui travaillait dans le cabinet du chancelier, lui offrit quelques volumes précieux.

Séguier entretenait en province et à l’étranger des relations souvent profitables à sa bibliothèque : il était en correspondance avec Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), conseiller au Parlement de Provence, avec Louis Laîné de la Marguerie (1615-1680), intendant de Guyenne, avec Louis Machon (1603-1672), chanoine de Toul, avec des marchands français établis en Égypte.

Les manuscrits étaient généralement reliés en veau. Une partie des livres imprimés étaient reliés en basane, en veau raciné ou en maroquin rouge, par Antoine Ruette (1609-1669) ou par Pierre Rocolet, actif de 1638 à 1662. 

Armes de Pierre Séguier, avant 1635

Armes de Pierre Séguier, après 1635

La plupart des volumes portaient les armoiries de Séguier : « d’azur au chevron d’or, accompagné en chef de deux étoiles de même, et en pointe d’un mouton passant d’argent ».

Le bibliothécaire de Séguier était Pierre Blaise, fils de Thomas Blaise (1578-1654), libraire rue Saint-Jacques, et de sa première femme, Marie Rezé : libraire-juré le 30 mars 1634 et adjoint le 2 octobre 1643, Pierre Blaise devint chanoine de Saint-Mammès de Langres [Haute-Marne] en 1645 et mourut à Paris le 4 février 1674.

« La Bibliothèque du chancelier Séguier était particulièrement remarquable, non-seulement pour le nombre et le choix des livres, mais aussi pour la grandeur et la beauté du local. C’était un modèle en ce genre ; moins grandiose, sans doute que le palais construit pour ses livres par le cardinal Mazarin ; mais sans contredit le plus vaste et le plus riche parmi les cabinets d’amateurs. Pierre Blaise était le conservateur de la Bibliothèque des Séguier.

La veuve du chancelier Séguier regarda comme un devoir d’entretenir cette belle collection, riche surtout en manuscrits latins, grecs, arabes, turcs, etc. Elle la traita comme elle aurait fait d’un monument de famille, et se plut même à l’enrichir encore annuellement de quelques morceaux précieux, à partir de 1672, époque de la mort de son mari.

Une Mazarinade dit pourtant que Madame Séguier n’avait de goût que pour les livres qui lui étaient dédiés.

La Bibliothèque de Pierre Séguier fut transmise par héritage dans sa maison jusqu’à M. de Coislin, évêque de Metz, son arrière-petit-fils, qui la légua à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

Une grande partie des manuscrits fut vendue en vente publique, à Paris, les 13 et 14 avril 1736. La Bibliothèque du roi en acheta dix-huit, à vil prix.

En 1715 on publia le catalogue de cette Bibliothèque, en un vol. in-folio, sous ce titre : Bibliotheca Coisliniana olim seguieriana ; accedunt anecdota multa quæ ad paleographiam pertinent, etc.

Il y a aussi un catalogue des manuscrits de Séguier. Paris, 1686, in-12.

S’il faut en croire Tallemant, ce serait une liaison de bibliophile qui aurait fait la fortune de Pierre Séguier. Il s’occupait de livres curieux, et ce goût, joint au voisinage, le mit en relation avec Le Masle [Michel Le Masle (1587-1662)], abbé des Roches, qui fut secrétaire du cardinal de Richelieu. Celui-ci s’avisa de le proposer comme garde des sceaux dans un moment d’embarras où l’on voulait avoir un instrument docile ; il fut agréé “ bien que l’opinion publique ne le trouvât pas trop en passe d’une pareille position.”

En effet, Pierre Séguier n’avait pas la réputation d’homme d’esprit, si l’on s’en rapporte à la fameuse anecdote du Raisonnement des bêtes.

Lorsque Cureau de La Chambre fut sur le point de publier ce livre, le chancelier Séguier lui demanda s’il ne pensait pas à lui dédier. “ J’y avois songé, repartit La Chambre, mais j’hésite à le faire, parce que le public pourroit y trouver matière à railleries.”

(Rymaille sur les plus célèbres bibliotières de Paris en 1649. Paris, Auguste Aubry, 1868, p. 13-14)

Peu de mois après la mort du chancelier, le procès-verbal de la prisée remplit deux volumes in-folio : le premier contenait les livres imprimés, que les imprimeurs Pierre Le Petit et Sébastien Mabre Cramoisy estimèrent à 21.855 livres et 11 sous ; le second contenait les livres manuscrits, que Melsichédech Thévenot et Claude Hardy estimèrent à 56.557 livres.

La veuve du chancelier conserva pendant onze années la bibliothèque de son mari. 



Les livres dont elle enrichit la bibliothèque pendant son veuvage portent les armes de Séguier avec, sur le dos et aux angles des plats les initiales « P S M F » [Pierre Séguier, Madeleine Fabri].



 

Après sa mort, on imprima, en vue de la vente de la bibliothèque, un catalogue des imprimés et un catalogue des manuscrits, établis à partir du procès-verbal de la prisée de 1672 : Bibliothecæ Seguierianæ catalogus (Paris, André Cramoisy, 1685, in-12, [1]-[1 bl.]-268 p.) et Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de défunt monseigneur le chancelier Séguier (Paris, François Le Cointe, 1686, in-12, 119-[1 bl.]-48-36-45-[1 bl.] p.) ; ce catalogue de manuscrits contient aussi des livres imprimés, soit dispersés parmi les manuscrits, soit rassemblés en fin de volume.

Marin Cureau de La Chambre.Novae methodi pro explicandis Hippocrate
(Paris, Edme Martin, 1668, in-12)
Paris, Alde, 24 mai 2016 : 14.640 €  

 
Martin Zeiller. Topographia Galliae (Francfort, 1657, in-fol.)

Pierre-Antoine Mascaron. Rome délivrée (Paris, Augustin Courbé, 1646, in-4)
Photographie Eric Grangeon


Le Rommant de la Rose (Paris, Antoine Vérard, 1497, in-fol.)
Reliure de Pierre Rocolet. Armes peintes sur le premier feuillet
Photographies BnF

Nicolas et Guillaume Sanson. Tables de la Géographie ancienne et nouvelle
(Paris, Pierre Mariette, 1667, in-fol.)
Photographie Fabrice Teissèdre

Reliure siamoise au chiffre de Séguier et de sa femme
sur Psalmi, Proverbia (1629-1650, 2 parties en 1 vol. in-12)
Bibliothèque de Montpellier

Les imprimés furent dispersés : dans le catalogue, on trouve des livres curieux, dans tous les genres ; les titres sont décrits sommairement ; on indique partout la ville, la date, le format et le nombre de volumes ; classement par ordre de matières.


 
Photographie BnF

L’essentiel des manuscrits resta par héritage dans la famille jusqu’à l’arrière-petit-fils du chancelier, Henri-Charles du Cambout de Coislin (1665-1732), évêque de Metz de 1697 à 1732, qui confia le catalogage des manuscrits à Dom Bernard de Montfaucon (1655-1741) : Bibliotheca Coisliniana, olim Segueriana (Paris, Louis Guérin et Charles Robustel, 1715, in-fol., [1]-[1 bl.]-[22]-810 p., fig.). Par testament, en date du 1er mai 1731, L’évêque les légua à la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qui en prit possession en 1735.



Après la suppression des couvents, la bibliothèque de Saint-Germain fut remise à la garde de Dom Germain Poirier (1724-1803), qui eut la douleur de la voir exposée à toute espèce de périls pendant plusieurs années. En 1791, des voleurs enlevèrent un nombre considérable de manuscrits pour un secrétaire de l’ambassade russe à Paris, Pierre Dubrowsky (1754-1816), qui revint en 1800 à Saint-Pétersbourg avec sa collection, qu’il céda au gouvernement contre émoluments et pensions ; il avait vendu quelques-uns de ces manuscrits, grecs principalement, à James Edwards (1756-1816), libraire de Londres, et à Christopher-Vilhelm Dreyer (1738-1810), diplomate danois à Paris, ce qui expliquerait la présence d’une centaine de volumes à la British Library.      

Le terrible incendie qui dévora la bibliothèque le 20 août 1794 détruisi tous les livres imprimés, mais épargna presque tous les manuscrits. Ces derniers furent transportés à la Bibliothèque nationale en décembre 1795 et en janvier et février 1796.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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