dimanche 7 mai 2023

Paul de Saint-Victor (1825-1881), né dans le cabinet des antiques

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Port de Nantes, par Yves Le Gouaz, d'après Nicolas Ozanne (1776)

Fuyant la colonisation anglaise et la guerre, l’Irlandais Oger Binsse s’est exilé à Remscheid [Allemagne] à la fin du XVIIe siècle, avant de s’installer à Nantes [Loire-Atlantique], sur la paroisse Saint-Nicolas. Il mourut avant le mariage de son fils Jean-Georges.


 

Le 2 mai 1735, Jean-Georges Binsse, né à Remscheid en 1699, épousa, en l’église Saint-Saturnin de Nantes, Marie-Claude Lesné, née le 12 mai 1698 à Conquereuil [Loire-Atlantique]. Aubergiste, Jean-Georges Binsse mourut le 4 octobre 1749, sa femme le 17 avril 1769.

Georges Binsse naquit à Nantes, paroisse Saint-Nicolas, le 12 août 1736. Capitaine de navire, il épousa, le 1er septembre 1766, Thomase-Marie Diot, en la chapelle Saint-Gabriel, dite « chapelle des Irlandais », rue Penthièvre [rue Voltaire], en face du manoir de la Touche où mourut le duc Jean V en 1442 : rattachée à la paroisse Saint-Nicolas, cette chapelle fut démolie en 1867 par l’industriel Thomas Dobrée (1810-1895) pour construire son palais, gardant le bénitier et le portail, qui furent placés sur la façade ouest du manoir de la Touche après la Première Guerre mondiale. 

Vue et perspective du Cap Français (1717)
Photographie BnF


À l’occasion de son installation à Saint-Domingue [Haïti] en 1770, Georges Binsse ajouta à son nom « de Saint-Victor », dont l’origine est inconnue, et dont les armes étaient « D’or, à deux fasces de gueules, chargées chacune de trois merlettes d’argent ». Devenu major d’infanterie, il mourut à Saint-Domingue, au Cap-Français en 1785.

Jacques Binsse de Saint-Victor, par Anne-Louis Girodet-Trioson (1812)

Jacques-Maximilien-Benjamin Binsse de Saint-Victor, né au Cap-Français le 14 janvier 1772, revint à Paris avec sa mère, après la mort de son père. Il fit ses études au collège des Jésuites de La Flèche [Sarthe], jeta une rose à Charlotte Corday (1768-1793) qu’on menait à la guillotine, devint journaliste et entra dans les conspirations royalistes sous l’Empire. Il travailla au Journal de l’Empire [Journal des Débats], puis au journal Le Drapeau blanc et au journal Le Défenseur.

Demeurant alors rue du Hasard [rue Thérèse, Paris Ier], il épousa, le 21 septembre 1812 à Versailles [Yvelines], Marie-Joseph-Augustine de Tourmont, née le 11 mars 1786 à Versailles, où elle mourut le 16 mars 1830.


En 1820, Jacques de Saint-Victor fonda la « Librairie Classique Élémentaire », 8 rue du Paon [hôtel de Tours, rue du Paon-Saint-André, VIe, détruit en 1866], qui fut dirigée successivement par Marguerite et Lesage. Une mauvaise gestion lui fit perdre beaucoup d’argent, ainsi qu’à Félicité de La Mennais (1782-1854), son associé bailleur de fonds. La librairie fut vendue en 1827 à Belin-Mandar et François-Xavier Devaux, qui, en 1828, installèrent la librairie au 55 rue Saint-André-des-Arts [VIe].

Après la révolution de juillet 1830, Jacques de Saint-Victor partit pour l’Amérique. Il en revint en 1834 sans avoir rétabli sa fortune, utilisa le titre de « comte » et collabora au journal La France. Journal des Intérêts Monarchiques et Religieux de l’Europe à Paris, puis à L’Invariable, nouveau mémorial catholique à Fribourg [Suisse], avant de se fixer à Rome, piazza di Spagna [place d’Espagne], où le succès de ses collections de tableaux, d’ivoires et d’objets de curiosité lui permit de rentrer à Paris en 1842. Il y mourut le 8 août 1858.

On a de lui : Les Grands Poètes malheureux (Paris, Barba, An X-1802), Tableau historique et pittoresque de Paris (Paris, H. Nicolle et Le Normant, 1808-1809), Musée des antiques (Paris, P. Didot l’Aîné, 1810), Documents historiques, critiques, apologétiques, concernant la Compagnie de Jésus (Paris, Carié de la Charie, 1827-1830) et des livrets d’opéras.  

Paul de Saint-Victor
Photographie BnF

Paul-Jacques-Raymond Binsse de Saint-Victor, connu sous le nom de « Paul de Saint-Victor », est né le 11 juillet 1825, à Paris [VIe], 15 rue du Cherche-Midi, et fut baptisé le 30 juillet à Saint-Sulpice. Il fit ses études successivement chez les Jésuites à Fribourg, au collège La Favorite à Lyon, chez les Jésuites à Meylan [Isère] et au collège de Saint-Ignace à Rome. Rentré à Paris en 1842, il débuta sa carrière littéraire en 1844 dans Le Correspondant. De 1848 à 1850, il fut secrétaire d’Alphonse de Lamartine (1790-1869). Il écrivit ensuite dans plusieurs journaux et revues, notamment dans Le Pays, où il entra en 1852, et dans La Presse, où il entra en 1855, dans lesquels il fit de la critique dramatique et littéraire. 

49 rue de Grenelle (1906)
Musée Carnavalet

Il habitait alors 49 rue de Grenelle-Saint-Germain [rue de Grenelle, VIIe]. Il devint l’ami de Barbey d’Aurevilly et de Théophile Gautier, puis de Victor Hugo – qui lui écrivit le 4 avril 1866 « On écrirait un livre rien que pour vous faire écrire une page » -, des frères Goncourt, de Gustave Claudin, d’Arsène Houssaye, de Philippe Burty et de Jean-Baptiste Guilhiermoz.

6 rue de Furstemberg
Atelier de Delacroix à gauche, appartement de Saint-Victor au 2e étage à droite

« Depuis de longues années, Paul de Saint-Victor s’était installé, au pied de l’église Saint-Germain des Prés, dans une maison, calme et triste, portant le numéro 6 de la rue de Furstemberg. Il avait pour voisin Eugène Delacroix, qui occupait, au rez-de-chaussée, un atelier construit dans un petit jardin. Et, de ses fenêtres du second étage, où Paul de Saint-Victor avait entassé ses livres, ses estampes, ses objets d’art et ses tableaux, il avait constamment sous les yeux la baie énorme de l’atelier où le peintre poursuivait son idéal tourmenté, avec une énergie fiévreuse et volontaire, et créait, dans son antre obscur, plus de soleil qu’il n’en recevait du ciel. […]

Il fallait grimper deux étages, par un escalier inégal et vulgaire, pour arriver à l’appartement de Paul de Saint-Victor. Une antichambre sombre donnait accès à une toute petite salle à manger où dormait le favori du maître de la maison, un gros chat, aussi immobile et invraisemblable que ses frères de faïence, de grès ou de porcelaine qui ornaient les buffets et les dressoirs. Les murs étaient couverts de tableaux. […]

Un salon assez vaste, mais bas de plafond, avec deux fenêtres donnant sur le jardin, faisait suite à la salle à manger. Sur un fond minium d’atelier, se détachait une série assez curieuse de peintures à l’œuf qu’exécutaient saintement, dans l’enfance austère de leur art, les primitifs allemands et italiens. […]

Après le grand salon, tout couvert de ces reliques de la peinture, venait, en enfilade, une pièce, beaucoup plus profonde que large, dont les quatre murs étaient cachés, du haut jusqu’en bas, par des rangées de livres doubles et triples en profondeur. Il y avait là peu de reliures et l’aspect n’était pas de ce ton chaud, varié mais harmonieux, que donnent aux bibliothèques les vieux dos de veau fauve, les vélins jaunis d’Italie, les Bradel, et les maroquins aux petits fers.

L’œil se reposait là sur une tonalité grise, avant de pénétrer dans la chambre à coucher, vaste et carrée, toute encombrée, elle aussi, de tableaux, de faïences et de curiosités, et qui servait de cabinet de travail.

Un de ces lits de nos pères, vastes et hospitaliers, où la naissance, la vie et la mort se trouvaient à l’aise, occupait, la tête au mûr, le fond de la pièce. De larges fauteuils de style Louis XIV donnaient au foyer un aspect sévère et faisaient penser à la scène des portraits du Misanthrope. A gauche de la cheminée, au coin du feu, un petit guéridon d’acajou, dont on pouvait relever les ailes tombantes et qu’il était facile de changer de place, était la table sur laquelle travaillait Paul de Saint-Victor. »

(Alidor Delzant. Paul de Saint-Victor. Paris, Calmann Lévy, 1886, p. 325-333)

Lia Félix (1876)

Paul de Saint-Victor ne se maria jamais. Il eut une liaison avec la sœur de la tragédienne Rachel Félix (1821-1858), Adélaïde, dite « Lia », Félix, née à Saumur [Maine-et-Loire] le 6 juillet 1830 et décédée à Paris [VIIIe], 23 rue Tronchet, le 16 janvier 1908. De cette liaison est née Claire-Élisabeth-Marie, le 26 octobre 1860.

La collaboration de Paul de Saint-Victor à La Presse dura jusqu’en 1868, quand Émile de Girardin fonda La Liberté : Paul de Saint-Victor passa au nouveau journal. En 1870, il fut nommé inspecteur des Beaux-Arts. À partir de juillet 1871, il fit les comptes rendus des théâtres dans Le Moniteur universel. En 1880, il échoua à l’Académie française, contre Maxime Du Camp (1822-1894).

Diabétique, il mourut brutalement et prématurément d’une congestion cérébrale le 9 juillet 1881, en son domicile du 6 rue de Furstemberg [VIe]. Les obsèques eurent lieu à Saint-Germain-des-Prés le 12 juillet ; on y lut une lettre de Victor Hugo : « Combinez la science d’un mage assyrien avec la courtoisie d’un chevalier français, vous aurez Saint-Victor ». 

Cimetière du Père Lachaise

Il fut inhumé au cimetière Saint-Louis de Versailles, mais, le 10 juillet 1882, son corps fut exhumé et ramené à Paris, au cimetière du Père Lachaise [division 9]. Il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur le 11 août 1860 et officier le 15 janvier 1879.

Paul de Saint-Victor fut pendant plus d’un quart de siècle au premier rang des écrivains français. Ses principaux volumes consistent pour la plupart en recueils d’articles : Les Dieux et les Demi-Dieux de la peinture [en collaboration avec Théophile Gautier et Arsène Houssaye] (Paris, Morizot, 1864), Hommes et Dieux. Études d’histoire et de littérature (Paris, Michel Lévy Frères, 1867), Les Femmes de Goethe (Paris, Hachette, 1869), Barbares et bandits -la Prusse et la Commune – (Paris, Michel Lévy Frères, 1871). Son ouvrage le plus considérable s’intitule Les Deux Masques (Paris, Calmann Lévy, 1880-1883) : il mourut après en avoir publié le premier volume consacré à Eschyle, le deuxième et le troisième furent composés d’après ses notes et ses feuilletons. Après sa mort ont paru : Victor Hugo (Paris, Calmann Lévy, 1884), Anciens et Modernes (Paris, Calmann Lévy, 1886) et Le Théâtre contemporain. Émile Augier. Alexandre Dumas Fils (Paris, Calmann Lévy, 1889).

Tout le monde ne semblait pas partager l’avis général rapporté par Paul Eudel, dans L’Hôtel Drouot et la curiosité en 1882 (Paris, G. Charpentier, 1883, p. 18) : Paul de Saint-Victor « fut un grand écrivain dont chaque page était un tableau de maître ». 


À l’occasion de la parution du deuxième volume des Deux Masques, « E. B. » écrivit en effet, dans la Bibliothèque universelle et Revue suisse (Lausanne, 1882, t. XVI, p. 188-189) :

« Pour un critique, M. de Saint-Victor admet trop facilement la tradition et ne fait pas la part de la vérité et de la légende. […]

Le mal vient de ce que M. de Saint-Victor n’a pas puisé aux sources originales, que pour les citations de passages il a simplement transcrit des traductions, que pour les questions historiques il s’est renseigné dans des ouvrages de seconde et de troisième main, que dans les questions d’archéologie il ignore les éléments mêmes de la méthode, en un mot que cela a l’air de quelque chose de savant, tandis qu’en réalité ce n’est rien, et voilà pourquoi ce livre, si brillant et si prétentieux, n’est d’aucune utilité, d’aucune valeur pour celui qui veut réellement connaître le théâtre grec. Si la science française n’était représentée que par de tels ouvrages, elle ferait bien triste figure. »


 

Grand liseur, Paul de Saint-Victor aimait les livres et aimait en parler : il fit graver son ex-libris par Moïse Stern (1826-1915), 47 passage des Panoramas [IIe]. 

« Bien que M. Barbey d’Aurevilly ait dit de lui qu’il était un bibliophile taillé dans le diamant d’un poète, Paul de Saint-Victor n’a jamais été un amoureux des livres, dans le sens raffiné du mot. Il n’avait pas aux mains ces tentacules spéciales des initiés par lesquelles ils palpent, avec émotion, les fibres et le grain d’un exemplaire rare et caressent le maroquin bien battu, aux petits fers, qui l’emboîte. […]

Mais Paul de Saint-Victor a été un ami des livres en ce sens qu’il était un grand liseur. […]

Mais Paul de Saint-Victor a écrit aussi sur les ouvrages anciens et il a propagé le goût des livres dans une classe, non pas de lecteurs, mais d’acheteurs qui, il y a vingt ans, ne s’en souciaient guère. Vers 1860 naquit un agiotage inconnu jusque-là. Les pamphlets, les livres singuliers que le vent d’automne feuilletait seul, dans les boîtes des quais, devinrent l’objet de la passion de nouveaux curieux, les éditions originales du XVIe et du XVIIe siècle furent poursuivies avec fureur, et quelques exemplaires uniques et vraiment précieux furent ainsi sauvés. On se mit à rechercher les livres à images du XVIIIe siècle, dont Brunet parle à peine dans son Manuel et qui étaient aussi dédaignés que les dessins de Watteau, de Boucher et de Fragonard. Cette innovation du goût, Paul de Saint-Victor l’a analysée d’une façon charmante dans un article qu’il publia, dans le Moniteur, en 1873, et qui servit de préface à un des catalogues de la librairie Fontaine. »

(Alidor Delzant. Ibid., p. 286-289)

« M. Auguste Fontaine vient de publier un nouveau Catalogue de sa librairie, en un gros volume in-8°, de près de cinq cents pages, comprenant 1,862 ouvrages. C’est le quatrième ou le cinquième paru. Supposez le Manuel du Libraire de Brunet détruit, on pourrait le reconstituer aux deux tiers, avec ces vastes répertoires où défilent, d’année en année, soigneusement collationnés et décrits, les plus rares et les plus beaux livres du monde, couverts des plus merveilleuses reliures, de Derôme et de Le Gascon, de Trautz-Bauzonnet de de Niédrée, de Capé et de Lortic, de Chambolle-Duru et de Hardy-Mesnil. Chaque volume s’ouvre régulièrement par une introduction de M. Paul Lacroix, le maître du genre, l’arbitre de ses curiosités et de ses dilettantismes. Ces notices sont autant de dissertations exquises, pleines de miettes friandes, de particularités piquantes, d’érudition rompue, variée, excursive. Il n’est pas besoin d’être bibliophile, il suffit d’avoir la pratique et l’amour des lettres pour y “ prendre un plaisir extrême.” M. Paul Lacroix n’a pas seulement la science de la bibliographie, il en a aussi et surtout la muse. Toutes les minuties spéciales de cette science charmante s’animent, se jouent, sourient sous sa plume. Il fait éclore les fleurs de l’esprit entre les feuillets poudreux des vieux tomes. Les pages qu’il a écrites en tête de ce nouveau volume, contiennent sur la rédaction des catalogues, sur la valeur comparée des livres, sur les bibliophiles anciens et contemporains, une quantité d’aperçus, de remarques, “ d’aménités littéraires ”, comme on disait autrefois, du goût le plus ingénieux et le plus disert.

Les Catalogues de la librairie Fontaine méritent l’honneur de tels frontispices. Nous avons dit, en parlant, il y a trois ans, de l’un des derniers, l’humble origine de cette maison du passage des Panoramas, devenue aujourd’hui l’Office et la Bourse de la Bibliophilie contemporaine. On y vendit d’abord des livres courants ; les publications modernes de luxe devinrent ensuite sa spécialité. Mais, en maniant les livres, M. Auguste Fontaine apprit bientôt à les discerner et à les connaître. Son goût s’élargit, ses entreprises s’étendirent aussi rapidement que sa clientèle, il se lança dans la haute curiosité et dans les grands prix. Il pressentit le renchérissement prochain des beaux livres, à l’heure où leur hausse semblait avoir atteint sa limite extrême ; il sut prévoir les séries inédites et les veines nouvelles sur lesquelles la passion des amateurs allait se porter ; il acheta à tous prix et de toutes mains. Des bibliothèques célèbres passèrent en masse sur ses rayons. Les exemplaires hors ligne y affluèrent de tous les points de l’Europe, attirés par la magnificence des offres répondant à l’empressement des demandes. C’est ainsi que, depuis dix ans, cette maison est en permanence, une des plus riches bibliothèques qui existent : bibliothèque mouvante et changeante, incessamment dispersée et renouvelée, dont le trésor se remplit aussitôt vide. Ses cinq ou six catalogues, épuisés après chaque publication, représentent une valeur d’autant de millions. Comparez les librairies anciennes d’autrefois des Potier, des Merlin, des Téchener père, ces ruches exquises, mais restreintes, où Nodier venait butiner, avec son tact et son flair d’abeille, quelque volume longuement choisi, où le petit groupe des amateurs du temps tenait à l’aise ses cénacles ; comparez-les à cette vaste officine qui regorge et qui surabonde, dont les sous-sols sont aussi remplis que les magasins : c’est la différence des modestes boutiques d’autrefois aux bazars démesurés du Paris moderne. Un train-express emporte ce siècle, et les livres mêmes sont entrés dans le tourbillon qui est l’air du temps.

Ce “ luxe effréné ” correspond aux ardeurs et aux exigences d’un nouveau public. Là où les amateurs étaient dix, ils sont presque mille aujourd’hui. Le goût des beaux livres est devenu la plus avide et la plus coûteuse des passions. Les grandes fortunes s’y sont jetées comme sur une forme supérieure de la possession ; les convoitises de la richesse en ont fait une des modes du high-life. Il y a concurrence de princes et de banquiers autour des bouquins qui ne dépassaient pas récemment un petit cercle d’hommes de lettres et de fureteurs. Aucune valeur de bourse n’est capable de hausses si soudaines et moins sujette à la baisse. Le crescendo va son train et ne s’arrête plus. D’une année à l’autre, tel volume insigne, qu’on croyait follement poussé, ajoute un zéro à son ancien prix. A un certain degré de beauté, de singularité, de rareté, de condition parfaite et irréprochable, le livre redevient ce que le manuscrit unique était au Moyen âge, un joyau inestimable, un talisman impayable qu’on échangeait parfois contre une forêt ou une métairie. […]

La passion des livres ne raisonne et ne compte pas plus que l’amour. Les simples amants des lettres doivent renoncer à ces bonnes fortunes des bibliothèques, plus coûteuses que celles des boudoirs. […] Car ce plaisir, en apparence dispendieux, se trouve être le plus lucratif des placements. Que de fortunes faites, depuis dix ans, avec des collections formées et vendues, reformées pour être revendues encore ! Le livre exceptionnel travaille, immobile, sur le rayon où il est fixé, plus fructueusement que l’action du chemin de fer d’avenir, de l’usine à gros revenus. C’est quelquefois cent pour cent qu’il rapporte par année, à son possesseur. On peut s’attrister de cet enrichissement inouï qui transforme en parvenus inabordables ces anciens amis familiers de l’artiste et de l’homme de lettres ; mais il faut aussi s’en réjouir comme d’un éclatant hommage rendu aux œuvres et aux séductions de l’esprit. – L’apothéose du livre, ainsi que l’appelle M. Paul Lacroix, est aussi celle des grands écrivains dont il est la forme visible et l’immortelle survivance. » [sic]

(Paul de Saint-Victor. « Revue dramatique et littéraire ». Le Moniteur universel, lundi 12 février 1877, p. 194-195)

Photographie BnF

 

Le mobilier de Paul de Saint-Victor fut vendu les lundi 23 et mardi 24 janvier 1882, à l’Hôtel Drouot, salle n° 8 : Catalogue des tableaux anciens et modernes, objets d’art et de curiosité, Porcelaines, Bronzes de l’Orient, Meubles anciens, Objets variés, Albums chinois et japonais, composant la collection de M. Paul de Saint-Victor (Paris, Paul Chevallier, E. Féral et Ch. Mannheim, 1882, in-8, 59-[1] p., 192 lots), avec une préface d’Arsène Houssaye. La vente des tableaux produisit 86.446 francs, celle des objets d’art 18.576 francs, soit un total de 105.022 francs.

 


Sa bibliothèque fut vendue du mardi 11 au samedi 15 avril 1882, en 5 vacations, à l’Hôtel des commissaires-priseurs, 5 rue Drouot, salle n° 7, au premier étage : Catalogue de bons livres anciens et modernes, et collection nombreuse d’épreuves photographiques, Reproduction des plus beaux tableaux et dessins des différents Musées de l’Europe, composant la bibliothèque de feu Paul de Saint-Victor (Paris, Ch. Porquet, 1882, in-8, [1]-[1 bl.]-XIII-[1 bl.]-172 p., 1.066 – 1 manque + 1 double [bis] = 1.066 lots), dont Théologie [31 lots = 2,90 %], Jurisprudence [1 lot = 0,09 %], Sciences et Arts [341 lots = 31,98 %], Belles-Lettres [483 lots = 45,30 %], Histoire [210 lots = 19,69 %], avec une préface de P.-L. Jacob, bibliophile. Elle contenait surtout, en exemplaires de luxe, les livres d’art et de littérature publiés en France, depuis 1850. Presque tous portaient des hommages et les envois des auteurs. La vente a produit 38.027 francs.


 

90. L’Art de naviguer de maistre Pierre de Medine, Espaignol. Traduict de Castillan en Françoys par Nicolas de Nicolai, du Dauphiné. Lyon, Guillaume Rouille, 1554, in-fol., front. et fig., demi-rel. 68 fr. à Fontaine.

Photographie BnF


147. [La Tauromaquia de Francisco Goya] Treinta y tres estampas que representan diferentes suertes y actitudes del arte de lidiar los Toros, inventadas y grabadas al agua fuerte en Madrid por Don Francisco de Goya y Lucientes. [Madrid], s. n., 1816, in-fol. obl., 33 eaux-fortes, demi-rel. mar. r. 200 fr. à Conquet.



149. Goya. Fatales Consequencias de la sangrienta guerra en España con Buonaparte. Y otros caprichos enfaticos. In-4, s. l. n. d., 82 eaux-fortes, demi-rel. mar. r., non rogn. 365 fr. à Baillieu.



162. Études à l’eau-forte par Francis Seymour Haden. Notice et descriptions par Philippe Burty. Paris, 1866, in-fol., 25 pl. à l’eau-forte, br., en carton. 355 fr. à Durel.



227. L’Art du dix-huitième siècle, par Edmond et Jules de Goncourt. Paris, E. Dentu, 1860-1875, 12 liv. in-8, 38 eaux-fortes, br. Avec envoi autogr. de Edmond de Goncourt à Paul de Saint-Victor. 345 fr. à Porquet.



277. Musée royal de Naples, peintures, bronzes et statues érotiques du cabinet secret. Paris, Abel Ledoux, 1836, in-4, 60 gravures coloriées, demi-rel. mar. r., coins, non rogn. 102 fr. à Rapilly.



350. Les Gemmes et Joyaux de la Couronne. Publiés et expliqués par Henry Barbet de Jouy. Dessinés et gravés à l’eau-forte par Jules Jacquemart. Paris, Musée impérial du Louvre, 1865, 2 part. en 1 vol. in-fol., 60 pl., br. 315 fr. à Labitte.



379. Oraison funèbre du Grand Condé par J.-B. Bossuet. Paris, Damascène Morgand et Charles Fatout, 1879, in-4, portr. et fig., br. Ex. sur Japon « Imprimé pour M. Paul de Saint-Victor ». 72 fr. à Porquet.



471. Les Fleurs du Mal par Charles Baudelaire. Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1857, in-12, pap. de Hollande, demi-rel. mar. ch. r., tête dor., non rogn. Édition originale avec envoi autogr. de l’auteur à Paul de Saint-Victor. 241 fr. à Saint-Jorre.

Photographie BnF


497. Fables choisies, mises en vers par J. de La Fontaine. Paris, Desaint & Saillant, et Durand, 1755-1759, 4 vol. in-fol., fig. d’Oudry, veau écaille, fil., tr. dor. 275 fr. à Porquet.



506. Contes et nouvelles en vers, Par M. de La Fontaine. Amsterdam, 1762, 2 vol. in-8, portr., fig., fleurons, mar. r., fil., dos ornés, gardes de pap. dor., tr. dor. (Rel. anc.). Édition des fermiers généraux. 705 fr. à Rouquette.

Photographie BnF


527. Choix de chansons mises en musique par M. de La Borde. Ornées d’estampes par J. M. Moreau. Paris, De Lormel, 1773, 4 tomes en 2 vol. gr. in-8, titre gravé, 4 front. et 100 fig., mar. r., dent., dos ornés, tr. dor. (Rel. anc.). 1.060 fr. à Porquet.



556. Il Petrarcha. Con l’espositione d’Alessandro Vellutello di novo ristampato con le figure ai triomphi, et con piu cose utili in varii luoghi aggiunte. Vinegia, Gabriel Giolito de Ferrari, 1547, in-4, fig. sur bois, mar. r., compart., arabesques, tr. ciselée et dorée (Rel. anc.). 212 fr. à Porquet.

Photographie BnF


614. Hernani ou l’Honneur castillan, Drame, par Victor Hugo. Paris, Mame et Delaunay-Vallée, 1830, in-8, br., couv. imprimée. Édition originale, avec le timbre « Hierro » et la note aux comédiens. 95 fr. à Belin.

Photographie BnF


628. Faust, tragédie de M. de Goethe, traduite en Français par M. Albert Stapfer. Paris, Ch. Motte et Sautelet, 1828, in-fol., portr. et 17 dessins par Eugène Delacroix, demi-rel. mar. ch. bleu, tr. m. 102 fr. à Conquet.

Photographie BnF


634. Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé. S. l., s. n., 1745, in-4, front. et fig. grav. par Audran, d’après les dessins de Philippe, duc d’Orléans, mar. citr., fil., dos orné, tr. dor. (Derome). 145 fr. à Rouquette.



721. Edmond et Jules de Goncourt. Sœur Philomène. Paris, Librairie Nouvelle, 1861, in-12, demi-rel. mar. r., non rogn. Édition originale, 1 des 8 ex. sur pap. de Hollande, avec envoi autogr. des Goncourt à Paul de Saint-Victor. 53 fr. à Nadeau.

Photographie Librairie Le Feu Follet


723. Edmond & Jules de Goncourt. Renée Mauperin. Paris, Charpentier, 1864, in-12, br. Édition originale. 1 des 10 ex. sur pap. de Hollande, avec envoi autogr. des Goncourt à Paul de Saint-Victor. 76 fr. à Porquet.



727. Gustave Flaubert. Madame Bovary – Mœurs de province - Paris, Michel Lévy Frères, 1857, 2 part. en 1 vol. in-12, demi-rel. mar. ch. r., tête dor., non rogn. Édition originale sur gr. pap., avec envoi autogr. de l’auteur à Paul de Saint-Victor. 250 fr. à Belin.



729. Gustave Flaubert. Salammbô. Paris, Michel Lévy Frères, 1863, in-8, demi-rel. mar. br., tête dor., non rogn. Édition originale. 1 des 25 sur pap. de Hollande, avec envoi autogr. de l’auteur à Paul de Saint-Victor. 126 fr. à Porquet.



763. Les Contes drolatiques, colligez ez abbayes de Touraine, et mis en lumière par le sieur de Balzac, pour l’esbattement des pantagruelistes et non aultres. Cinquiesme édition illustrée de 425 dessins par Gustave Doré. Paris, Société générale de librairie, 1855, in-8, mar. r., fil., dos orné, tête dor., non rogn. Très rare ex. tiré sur pap. de Chine, du premier tirage des fig. de G. Doré. 1.545 fr. à Porquet.

Photographie BnF


768. Contes du temps passé par Charles Perrault. Paris, L. Curmer, 1843, gr. in-8, fig., demi-rel. mar. bl., non rogn. 365 fr. à Rouquette.

Photographie BnF


880. Promenades japonaises. Texte par Émile Guimet. Dessins d’après nature par Félix Régamey. Paris, G. Charpentier, 1878, gr. in-8, fig. noir et coul., br. 23 fr. à Mademoiselle de Saint-Victor.



985. Venise. Histoire – Art – Industrie. La Ville – La Vie. Par Charles Yriarte. Paris, J. Rothschild, 1878, in-4, 525 fig. noir et coul. dont 50 h.-t., demi-rel. mar. ch. r., tête dor., non rogn. 76 fr. à Belin.



1.004. Les Châteaux historiques de la France, par M. Gustave Eyriès. Paris et Poitiers, H. Oudin Frères, 1877-1879, 2 vol. in-4, fig., br. 115 fr. à Porquet.


 

Neuf exemplaires portant l’ex-libris de Paul de Saint-Victor [lots numéros 13-66-69-91-145-258-263-335] furent présentés à la vente après décès de M. P***, qui eut lieu à l’Hôtel des commissaires-priseurs, 9 rue Drouot, salle n° 4, les lundi 28 et mardi 29 janvier 1889 : Catalogue de livres rares et curieux, anciens et modernes. École romantique et livres illustrés Du XIXe Siècle, Provenant en partie des Bibliothèques de J. Janin, J. Noilly, Paul de Saint-Victor, etc., etc. (Paris, E. Maillet, 1889, in-8, 53-[1 bl.] p., 348 lots).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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