samedi 22 décembre 2012

Mises au point sur Jean Grolier




« Le prince des bibliophiles passés, présents et futurs. » [J.-Ch. Brunet. Manuel du libraire et de l’amateur de livres. Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1860,   t. I, col. 141], Jean Grolier, seigneur vicomte d’Aguisy [aujourd’hui Villers-Agron-Aiguizy, Aisne], trésorier de France, mourut à Paris le 22 octobre 1565, âgé de 86 ans, dans l’hôtel de Lyon, qu’il avait fait construire rue de Buci (VIe), et fut inhumé dans l’église de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, devant le grand autel, avec l’épitaphe suivante :

« Cy gist Messire Iehan Grollier en son viuãnt Chevalier, Seigneur Vicomte d’Aguisy, Thresorier de Milan & de France, en la charge & Thresorerie d’oultre Seine & Yonne, General des finances du Roy. Qui trespassa le 22. Octobre 1565. Priez Dieu pour luy. 

Et aux pieds de son effigie est insculpé.

Ioanni Grolerio, Insubriae dudum, Galliae nuper Quaestori Castiss. fideliss. Integer. VC. virtutum omnium litterarum comprimis, & venerandae antiquitatis Amantiss. Obseruantiss. Studiosiss. Anna & Iacobella filiae Anthonius & Petrus nepotes Parenti Cariss. MMM.PP. vixit annos LXXXVI. Obiit XI. Kal. Nouemb. »

(Jacques du Breul. Le Theatre des Antiquitez de Paris. Paris, Claude de la Tour, 1612, p. 310) 


Plan ancien et moderne de l'église de Saint-Germain-des-Prés
Jacques Bouillart. Histoire de l'abbaye royale de Saint Germain des Prez. Paris, Grégoire Dupuis, 1724


Sa tombe fut déplacée en 1704 dans la chapelle Saint-Casimir, située dans le bras de la croisée, à gauche du maître-autel.




Il naquit donc, à Lyon, en 1479, quoique puisse en penser Anthony Hobson [A. Hobson. Renaissance book collecting. Cambridge, University Press, 1999, p. 5], qui le fait naître dix ans plus tard, avec des arguments peu convaincants et sans aucune preuve : doit-on retenir l’hypothèse d’un historien du XXe siècle ou le témoignage d’un contemporain ?

Faute d’une étude sérieuse de la biographie de Jean Grolier, Wikipedia, le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, le Grolier Club de New York, l’Encyclopédie Britannica et le British Museum, lui attribuent la baronnie de Servières [Monts-de-Randon, Lozère], qui n’a jamais été sa propriété : cette baronnie fut apportée le 9 décembre 1566 à son petit-cousin Antoine Grolier (1545-1610) par son épouse Philiberte Bonyn, fille d’Antoine Bonyn de Servières, contrôleur général des finances de Lyon.

Le 11 octobre 1520, à Lyon, Jean Grolier épousa Anne Briçonnet († 1545), fille du contrôleur général des finances de Bretagne et petite-fille du fameux cardinal de Saint-Malo, qui lui donna un fils, mort sans postérité, et quatre filles dont deux seront les seules de ses cinq enfants à lui survivre.

Jean Grolier chez Alde Manuce en 1504, par François Flameng (1856-1923)
Coll. Grolier Club de New York


Jean Grolier chez Alde Manuce en 1504
gravé par Léopold Flameng (1831-1911), d'après François Flameng (1856-1923) 



Jean Grolier chez Alde Manuce en 1504, par G. A. Lucas, d'après François Flameng. Coll. priv.

Dès son premier séjour milanais (1509-1513), il constitua une bibliothèque et collectionna les monnaies et les médailles antiques, devenant le mécène des savants, des lettrés et des artistes au cours de son second séjour (1515-1521).
Son ex-libris, « Io. Grolierii Lugdunensis et amicorum » [À Jean Grolier de Lyon et à ses amis], et sa devise, « Portio mea, Domine, sit in terra viventium » [Que ma part, Seigneur, soit sur la terre des vivants], furent d’abord manuscrits à l’intérieur des volumes de sa première bibliothèque, milanaise, et de sa deuxième bibliothèque, parisienne, constituée après son retour en France.
À la première bibliothèque appartiennent des ouvrages revêtus de reliures à plaquettes, aux armes de la famille Grolier peintes sur les tranches, en veau ou en maroquin, dont les encadrements dorés formés par la juxtaposition de petits fers entourent une médaille, imprimée en relief au centre des plats et rehaussée de peinture.
À la deuxième bibliothèque appartiennent des volumes dans des reliures en veau brun dont les décors dorés sont faits de filets et de fers pleins agencés au centre des plats ou disposés en encadrements.





En 1536, il dut vendre tous ses biens, résidence et bibliothèque, pour s’acquitter d’une dette importante et éviter l’incarcération. Il s’attacha alors à constituer une troisième bibliothèque et à faire construire une nouvelle résidence.
La majeure partie de cette bibliothèque d’environ 3.000 volumes était composée de livres grecs et latins ; elle contenait moins d’une vingtaine de manuscrits et aucun des grands livres illustrés français des xve et xvie siècles. Seuls 400 volumes environ sont recensés aujourd’hui, qui furent reliés dans plusieurs ateliers parisiens : d’abord celui du « relieur à la fleur de lis » [Étienne Roffet, dit« le Faulcheur » ?] en 1538, puis celui du « relieur de Antoine du Saix », surtout celui du « relieur aux entrelacs géométriques » [Jean Picard] de 1540 à 1547, celui du « relieur à l’arc de Cupidon » de 1548 à 1555, celui de Gomar Estienne au début des années 1550 et celui du « dernier relieur de Grolier » à la fin des années 1550. 
Les reliures sont en veau fauve, ou en maroquin pour les ouvrages les plus précieux ; les peaux en sont très écrasées. Le dos, presque toujours sans ornements, est à cinq ou six nerfs. Les tranches sont simplement dorées. La garde qui recouvre la reliure intérieurement est ordinairement en vélin. Sur les deux plats, des compartiments nombreux, tantôt or et noirs, tantôt verts, noirs et or, sur fond brun, mais plus volontiers à ornements très variés en or, avec filets et enroulements de même, sur fond vert, sont toujours combinés de manière à former au milieu de chaque plat, soit un carré, soit un losange, soit un écusson, où se trouvent inscrits, sur le plat supérieur, le titre de l’ouvrage, et sur le plat inférieur, la devise « Portio mea, Domine, sit in terra viventium » ; au bas du plat supérieur, généralement entre les filets qui forment encadrement, on lit « Io. Grolierii et amicorum. » Le titre, l’ex-libris et la devise sont imprimés avec des lettres d’or, en caractères romains.

Une partie de la bibliothèque fut dispersée après la mort de Grolier, comme en témoignent les exemplaires possédés par Jacques-Auguste de Thou, Paul Petau et Jean Ballesdens. 
La majeure partie échut par acquisition ou héritage à Méry de Vic, chevalier, seigneur d’Ermenonville [Oise], des Bergeries [Chartrettes, Seine-et-Marne], de Saint-Port [Seine-Port, Seine-et-Marne], et de Sainte-Assise [Seine-et-Marne], près Corbeil [Corbeil-Essonnes, Essonne]. Il était maître des requêtes du roi Henri III lorsque ce prince n’était encore que duc d’Anjou. Il le pourvût d’une charge de maître des requêtes de son hôtel par lettres du 26 novembre 1581. Méry de Vic fut reçu le 23 juin de l’année suivante, et l’exerça jusqu’en 1597 qu’il fut fait président au parlement de Toulouse et conseiller d’état. Il fut ensuite surintendant de la justice en Guyenne et rendit de notables services au roi Henri IV en la négociation du renouvellement d’alliance avec les Suisses, vers lesquels il avait été envoyé en ambassade. Le roi Louis XIII étant à Bordeaux, lui donna la charge de garde des sceaux de France par lettres du 24 décembre 1621. Il n’en jouit pas longtemps, car ayant suivi sa majesté au voyage de Montpellier, il mourut à Pignan [département de l’Hérault], entre cette ville et celle de Pézenas, le 2 septembre 1622. Son corps fut porté en sa terre d’Ermenonville proche Senlis, et y est enterré. 
La bibliothèque passa entre les mains de son fils Gédéon de Vic, seigneur d’Ermenonville, maréchal des camps et armées du roi, cornette de la compagnie des deux cents chevaux légers de sa garde ordinaire, qui mourut le 26 février 1636, laissant après lui cinq enfants dont le dernier, Dominique de Vic, seigneur d’Ermenonville, de Morand [Indre-et-Loire], d’Autrêches [Oise], du grand et petit Breuil, mourut au mois de février 1676, ayant eu sept enfants, dont cinq d’un premier lit et deux d’un second. C’est à la suite d’une licitation entre les enfants nés de ces deux lits que fut vendue la bibliothèque. Les monnaies et médailles antiques, transportées de Paris en Provence pour passer en Italie, furent rachetées par Charles IX, ou plutôt par sa mère Catherine de Médicis, et réunies aux collections royales.

Les livres de Grolier firent l’ornement des bibliothèques particulières jusqu’à la Révolution : Bibliotheca Thuanæ (1679), Bibliotheca Bigotiana (1701), Bibliothecæ Petaviana et Mansartiana (1722), Bibliotheca Fayana (1725), celles d’Esprit Fléchier (1725), de Hoym (1738), de Soubise (1788), de Lamoignon (1791), etc. De même au xixe siècle : celles du duc d’Aumale, de Coste, de Mac-Carthy Reagh, de Renouard, de Solar, de Yemeniz, etc. Des collections furent faites en Angleterre – celles de Clayton Mordaunt Cracherode (1730-1799), de Thomas Grenville (1755-1846) et de lord Gosford (1806-1864) à Londres, du duc de Marlborough au château de Blenheim – et en Allemagne – celle du baron de Hohendorf –, etc.

1 commentaire:

  1. Où j'ai lu que le plus gros collectionneur de livres de Grolier actuellement, était américain?
    J'attends également la parution du catalogue Jean Bonna sur les 16e : je crois savoir qu'il en a de très beaux!

    Cordialement,

    Wolfi

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