samedi 5 octobre 2013

À la recherche de la bibliothèque de Longepierre






Hilaire-Bernard de Requeleyne, baron de Longepierre et seigneur de La Villeneuve, naquit à Dijon le 18 octobre 1659, place Saint-Michel, dans l’hôtel de ses parents, Michel de Requeleyne, maître des comptes, et Oudette de Mouhy. Il fut baptisé le lendemain :

« Hilaire Bernard fils De Mr  Maistre Michel Derequelaine Conseiller du Roy et Maistre ordinaire en sa chambre des Comptes à Dijon et Dame-Dame oudette Demouy fut Baptisé le mardi Dixneufvieme jour D’octobre 1659. Ses parrin et marrine Me Hilaire Bernard Demouhy Conseiller du Roy et trésorier de France en la généralité de Bourgogne et Bresse et Damoiselle Guyette Canabolin feme de Me Benigne Demouhy Baron de longepierre. » [sic]    

La famille de Requeleyne était de vieille souche bourguignonne. Les seigneuries de Longepierre et de La Villeneuve s’étendaient sur les territoires des villages de mêmes noms, dans le département actuel de Saône-et-Loire.

Les armoiries des Requeleyne étaient « d’azur à une toison d’or suspendue à une nuée d’argent surmontée de deux étoiles d’or ».



Élève du collège des Jésuites, dit le Collège des Godrans [aujourd’hui Bibliothèque municipale], Longepierre eut de bonne heure une passion pour l’étude des auteurs grecs et latins ; en outre, son père l’engagea à cultiver la poésie française.
Il devint auteur à l’âge de 25 ans, en publiant, anonymement, Les Poésies d’Anacréon et de Sapho traduites de grec en vers françois (Paris, Pierre Emery, 1684), puis continua de donner plusieurs traductions de poètes grecs et même quelques ouvrages de son fonds : des trois tragédies qu’il donna au théâtre, on cite surtout Médée (Paris, Aubouyn, Emery, Clouzier, s.d. [1694]), la seule qui fut imprimée, la même année que sa représentation, et qui fut signalée avec éloge par Voltaire.





Aeschyli Tragoediae VII. Genève, Henri Estienne, 1557, in-4.


Mais ce fut l’amour des livres qui contribua plus à sa notoriété que ses médiocres pièces de théâtre :

« Sa noblesse était son seul mérite ; si toutefois c’en est un. Il savait un peu de grec et de latin, s’admirait beaucoup lui-même à défaut des autres, rimait des traductions françaises plates et verbeuses, amplifiait des tragédies antiques, et faisait un tout fort vain, fort sot et fort ennuyeux. On était tenté de s’endormir dès qu’il ouvrait la bouche. » (Mémoires du cardinal Dubois. Paris, Mame et Delaunay-Vallée, 1829, t. III, p. 128)


Longepierre, par François de Troy
Paris, Hôtel Drouot, vente A. Degeuser, 13 mai 1898 : 6.000 fr.


Dans sa Bibliothèque des auteurs de Bourgogne (Dijon, Marteret, 1742, t. I, p. 414), le chanoine Philibert Papillon dit de Longepierre :

« Il a été successivement Précepteur de M. le Comte de Toulouse, & de M. le Duc de Chartres, depuis Duc d’Orléans & Régent du Royaume ; ensuite Secretaire des Commandemens de M. le Duc de Berry, & enfin Gentil’homme Ordinaire de M. le Duc d’Orléans. » [sic]

Papillon n’a pas été bien instruit à cet égard : ce fut en qualité d’homme de lettres que Longepierre fut placé auprès de Louis-Alexandre de Bourbon (1678-1737), comte de Toulouse, – d’où il fut chassé pour avoir entêté le comte d’épouser mademoiselle d’Armagnac –, puis auprès de Louis d’Orléans (1703-1752), duc de Chartres et fils du futur Régent. Après la mort du duc de Berry, Longepierre continua de faire sa cour au duc d’Orléans, mais ne fut point son Gentilhomme ordinaire, si on en croit les états de la maison de ce prince.

Le duc de Saint-Simon a parlé plusieurs fois, de façon malveillante, du baron de Longepierre, tout dévoué au duc de Noailles, rival du duc de Saint-Simon dans la faveur du Régent :

« Le bel esprit, les vers, le dos des livres lui [duc de Noailles] servirent à raccrocher Longepierre, rat de cour, pédant, à qui un homme comme le duc de Noailles tournait la tête, et qui se trouva heureux qu’il eût oublié, ou voulu oublier, qu’il avait eu, malgré ses soins et ses services, une charge chez madame la duchesse de Berry. Longepierre se fourrait où il pouvait à l’ombre du grec et des pièces de théâtre. Il était fort bien avec madame la duchesse d’Orléans et avec M. du Maine. Noailles voulait tirer d’eux par lui, et par lui être vanté à eux ; la voie était fort sourde et immédiate, et il eu sut tirer parti, parce que Longepierre avait plus d’esprit que d’honneur, et qu’il voulait faire fortune. C’est ce qui le jeta dans la suite à l’abbé Dubois, qui en fit le même usage que Noailles, et à l’égard des mêmes personnes, et qui, pour cela, pardonna sans peine à ce poëte, orateur, géomètre et musicien, pédant d’ailleurs fort maussade, d’avoir emporté sur lui une charge qu’il ne pouvait déjà plus regretter. » [sic] (Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la Régence. Paris, Garnier frères, 1853, t. XXIII, chap. CCCXCIII, p. 86-87)      

En 1703, Longepierre épousa Marie-Élisabeth Raince († 3 novembre 1721), fille d’un secrétaire du Roi, qui lui apporta plus de 200.000 livres, mais ne lui donnera pas d’enfant.
À son mariage, il y avait chez lui, faubourg Saint-Honoré :

« Douze cent volumes de livres qui sont en deux tablettes du grand cabinet et dans douze tablettes garnies de drap vert à clouds d’or avec des rideaux d’étoffe de la même couleur, et tous ces livres vallant sept à huit mille livres. » [sic]






Horace. Opera. Leyde, ex officina Elzeviriana, 1628, in-16
Paris, Christie's, 8 novembre 2004 : 4.935 €


Les ouvrages qui ont appartenu à Longepierre étaient presque tous reliés en maroquin rouge ou bleu, généralement doublé de maroquin de même couleur ou vert, ornés de l’emblème de l’Ordre de la Toison d’or [toison d’un bélier suspendue par le milieu du ventre], et sortaient des mains de Luc-Antoine Boyet, de Antoine-Michel Padeloup « le jeune » et parfois de Augustin Duseuil, relieur du duc et de la duchesse de Berry.





Tournefort. Relation d'un voyage du Levant. Paris, Impr. royale, 1717, in-4

Les simples « veau brun » sont parfois timbrés de son fer, ou portent sa signature ou son ex-libris sur papier.







Ce n’est pas à cause du succès de sa tragédie de Médée qu’il avait pris comme signe distinctif une toison d’or suspendue par le milieu du ventre, – Médée était la femme de Jason, qui avait conduit l’expédition des Argonautes pour conquérir la Toison d’or du Jardin des Hespérides –, mais parce qu’elle figure tout simplement dans ses armes.

Longepierre mourut à Paris le 30 mars 1721 : il avait légué ses livres à Louis-Antoine de Noailles (1651-1729), archevêque de Paris puis cardinal, avec lequel il était lié d’amitié.


Huit ans après Longepierre, le cardinal mourut à son tour : il avait fait son légataire universel son neveu Adrien-Maurice de Noailles (1678-1766), comte d’Ayen et duc de Noailles, maréchal de France, qui reçut la bibliothèque.


La vente d’une partie de ses livres, le 11 juillet 1740, se fit à prix marqués : le Catalogue des livres de la bibliothèque de M***. (Paris, Gandouin et Piget, 1740, in-8, [2]-178 p., 2.412 lots) ne contient pas la bibliothèque de Longepierre.

À la Révolution, l’hôtel de Noailles, rue Saint-Honoré, presque en face de Saint-Roch, fut pillé. Les livres ont-ils été pris ou détruits en partie ? Ils ne figurent pas non plus dans le Catalogue abrégé des livres de la bibliothèque de Noailles, dont la vente se fera rue des Pères n° 29, le 22 vendémiaire an IV [14 octobre 1795]. C’est pourtant à cette époque que le révérend Clayton-Mordaunt Cracherode (1730-1799) put en choisir et transporter à Londres quelques exemplaires pour sa bibliothèque d’environ 4.500 volumes, qu’il légua au British Museum.





Guarini. Il Pastor fido. Paris, Cramoisy, 1650, in-4.
Sotheby's Paris, 19 novembre 2012 : 4.000 €


Depuis qu’ils sont en circulation, les livres à la Toison d’or ont été recherchés par les bibliophiles les plus difficiles : baron Jérôme Pichon, comte de Sauvage, baronne James de Rothschild, vicomte de Savigny, marquise de l’Aigle, duc d’Aumale, Jean-Charles Motteley, Damascène Morgand, Ambroise Firmin Didot, Guyot de Villeneuve, Louis de Montgermont, comte de Lurde, baron de Ruble, Roch de Tollon, Adolphe Bordes, La Roche Lacarelle, Félix Solar, Félicie Dosne, Eugène Dutuit, José-Maria de Heredia, Pixerécourt, etc.





Junii Juvenalis et auli Persii Flacci Satyrae.
Lyon et Rotterdam, Hackius, 1664, in-8


« Les reliures de la bibliothèque de Longepierre, remarquables par les insignes de la Toison-d’Or dont elles sont décorées, jouissent du même crédit auprès des amateurs que celles qui annoncent les livres de Groslier, du président de Thou, du comte d’Hoym, etc. Elles sont, en général, d’une grande perfection dans leur simplicité, et, cette bibliothèque, d’un choix admirable, ne paraissant pas avoir été jamais fort étendue, elles se présentent très rarement dans les ventes. » [sic] (Charles Nodier. Bibliothèque de M. G. de Pixerécourt. Paris, 1839, p. 1) 

À la vente Parison, en 1856, le Télémaque (Paris, F. Delaulne, 1717, 2 vol. in-12, maroquin bleu) de Longepierre, qui n’avait coûté que 30 francs au défunt, fut l’objet d’une lutte acharnée entre un riche financier et Jacques-Charles Brunet : ce dernier finit par l’emporter pour 1.785 francs, prix considéré comme un caprice extravagant à l’époque.





Florus. [Histoire romaine]. Lugd. Batav., apud Elzevirios, 1638, in-12.
Librairie Amélie Sourget, cat. n° 2, automne 2013 : 7.500 € 


Des Elzévirs de la bibliothèque de Longepierre, que collectionnait Motteley, brûlèrent dans l’incendie de la Bibliothèque du Louvre en 1871.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire