Originaire d'une famille
de tanneurs d'Amiens [Somme], dont les descendants s'étaient
installés à Paris comme orfèvres, Charles Trudaine avait été
baptisé le 3 janvier 1660 en l'église Saint-Nicolas-des-Champs
[IIIe]. Il fut successivement conseiller au Parlement de
Paris en 1684, maître des requêtes, intendant des généralités de
Lyon et de Dijon, conseiller d'État.
Plan d'intendance de Montigny (1777-1789) Coll. A.D. Seine-et-Marne |
La châtellenie-baronnie de Montigny-Lencoup [Seine-et-Marne] lui fut
adjugée le 20 septembre 1694. Il épousa, le 4 février 1701, en
l'église Saint-Eustache de Paris [Ier], Renée-Madeleine
de Rambouillet de La Sablière (1680-1746), baptisée le 8 décembre
1680, fille de Nicolas de Rambouillet, seigneur de La Sablière
[Saint-Germain-le-Gaillard, Eure-et-Loir], et de Louise-Madeleine
Henry de Cheusse ; petite-fille de la célèbre Marguerite Hessein de
La Sablière (1640-1693), qui donna l'hospitalité à La Fontaine,
elle mourut à Paris, le 20 novembre 1746. Prévôt des marchands de
Paris de 1716 à 1720, Charles Trudaine fut destitué par le Régent
parce qu'il avait été « trop honnête homme » : il avait trop
fermement défendu les intérêts municipaux contre les combinaisons
financières de Law ! Il mourut à Paris, le 21 juillet 1721, âgé
de 61 ans : « un abcès lui a crevé dans la tête ».
De son mariage étaient
nés cinq enfants, dont Daniel-Charles Trudaine, dit plus tard « Le
Grand Trudaine ».
Daniel-Charles Trudaine (1761) par L. C. de Carmontelle |
Né à Paris le 3 janvier
1703, Daniel-Charles Trudaine fut élevé au collège des Jésuites,
fit son Droit et devint conseiller au Parlement de Paris en 1721. En
1727, il épousa, le 19 février, Marie-Marguerite Chauvin
(1711-1734), née le 1er janvier 1711, fille de Michel
Chauvin, conseiller au Parlement de Paris, et de Marie-Catherine de
Bragelongne, puis acheta une charge de maître des requêtes. En
1729, il fut nommé intendant de la généralité d'Auvergne. En
1734, sa femme mourut à Clermont-Ferrand [Puy-de-Dôme] le 21 mars,
âgée de 23 ans ; six mois plus tard, il fut fait intendant des
Finances et administra ainsi les quatre départements importants des
Fermes générales, du Commerce, des Manufactures et des
Ponts-et-Chaussées.
Cette même année 1734, il fit planter, dans le
parc du château de Montigny, un cèdre que le botaniste Bernard de
Jussieu (1699-1777) lui avait rapporté du Liban. Daniel-Charles
Trudaine aimait les sciences et se plaisait dans la société des
gens de lettres et des savants ; il fut admis à l'Académie des
sciences en 1743. Il créa un bureau de dessinateurs pour dresser les
plans des grands chemins de France [« Atlas de Trudaine »,
1745-1780, 62 vol. grand in-fol. contenant plus de 3.000 planches
manuscrites aquarellées], puis fonda l'École
des Ponts-et-Chaussées en 1747. Il fit reconstruire, en 1749, le
vieux manoir de Montigny. Il mourut à Paris le 19 janvier 1769. Il
avait eu trois enfants.
Jean-Charles-Philibert Trudaine
gravé par Augustin de Saint-Aubin (1774)
d'après C. N. Cochin
|
Il fut inhumé
le 7 août dans le chœur
de l'église Sainte-Geneviève de Montigny.
La bibliothèque de
Jean-Charles-Philibert Trudaine fut dispersée à partir du lundi 17
novembre suivant, en son hôtel parisien de la rue des Vieilles
Audriettes [rue des Haudriettes, IIIe] : Notice des
douze premières vacations des livres de la bibliothèque de feu M.
Trudaine, conseiller d'Etat & conseiller aux Conseils
royaux des Finances et du Commerce (Paris, Mérigot l'aîné,
1777, in-8, 234 p.) ; la deuxième partie du catalogue a une page de
titre propre : Notice des quatorze premières vacations des livres
de la bibliothèque de feu M. Trudaine. Veuf en premières noces
de Françoise Gaigne de Périgny, fille de Jean-Antoine Gaigne de
Périgny, maître des requêtes, qu'il avait épousée le 21 mars
1756, Trudaine était veuf en secondes noces d'Anne-Marie-Rosalie
Bouvart de Fourqueux (1747-1776), fille de Michel Bouvart de
Fourqueux [Yvelines], intendant des Finances, et de Marie-Louise
Auget de Monthyon, qu'il avait épousée le 9 janvier 1762 et qui
était décédée à Paris le 26 septembre 1776 ; il en avait eu deux
fils.
Charles-Louis Trudaine (1794) par Joseph-Benoît Suvée Musée des Beaux-Arts, Tours |
Marie-Joseph-Louise Micault de Courbeton
par J. L. David
Musée du Louvre
|
Élevés
au collège de Navarre, les deux frères furent les condisciples du
poète André Chénier (1762-1794), avec lequel ils eurent toujours
les rapports de la plus étroite amitié. D'abord avocats du Roi au
Châtelet de Paris, ils furent ensuite conseillers au Parlement.
Charles-Louis Trudaine
avait formé une riche bibliothèque. Ami des lettres et des arts, il
était lié avec un grand nombre de savants et d'artistes, au nombre
desquels se trouvaient plusieurs des anciens amis de son père.
La Mort de Socrate par J. L. David Metropolitan Museum of Art, New York |
En
1787, le peintre Jacques-Louis David fit le tableau « La Mort de Socrate » pour
les frères Trudaine. En 1793, les deux frères quittèrent Paris et
vinrent fixer leur résidence à Montigny, où ils s'occupèrent
d'agriculture.
Le 27 germinal an II [16
avril 1794], Jean-Vivant Micault de Courbeton, devenu président au
Parlement de Dijon, beau-père de Charles-Louis Trudaine, tombait
sous la hache révolutionnaire, accusé de « tentative d'émigration
».
À
son tour, Charles-Louis Trudaine fut arrêté à Montigny, avec son
beau-frère Joseph-Vivant Micault de Courbeton :
L'Appel des dernières victimes de la Terreur à la prison Saint-Lazare (7 thermidor an II) par Charles-Louis Muller Musée des Beaux-Arts, Carcassonne |
ils arrivèrent à
Paris le 13 prairial an II [1er juin 1794] et furent
conduits à Saint-Lazare, où Charles-Michel Trudaine les rejoignit.
Un ancien ami du père des deux frères sollicita en leur faveur le
peintre David, membre du Comité de sûreté générale : protégé
autrefois par les deux frères, David refusa de s'intéresser à ses
anciens amis.
Le 8 thermidor an II [26
juillet 1794], au lendemain de l'exécution d'André Chénier et la
veille de celle de Robespierre, les frères Trudaine et Micault de
Courbeton furent condamnés comme « complices d'une conspiration
dans les prisons de Saint-Lazare »
La guillotine à la barrière du Trône-Renversé (8 thermidor an II) |
et exécutés à la barrière
d'octroi du Trône-Renversé [la guillotine avait été dressée à
l'emplacement du 79 boulevard de Picpus, XIIe] ; ils
furent enterrés dans les deux fosses du cimetière de Picpus [35 rue
de Picpus, XIIe]. Charles-Louis Trudaine, 29 ans, n'avait
pas d'enfant ; son frère, 28 ans, était célibataire : avec eux
finit cette famille dont le nom respecté depuis plusieurs
générations, rappelait constamment le souvenir de la probité et de
la justice.
La veuve de Charles-Louis
Trudaine habita encore quelques années le château de Montigny. Elle
donna à l'abbé Sieyès la riche et remarquable collection
d'histoire naturelle et d'instruments de physique formée par son
mari à Montigny et mit en vente une première partie de sa
bibliothèque, en sa maison parisienne du 31 rue Taitbout [IXe],
du 14 au 29 nivôse an X [4 au 19
janvier 1802] : Catalogue des
livres de la bibliothèque de feu Charles-Louis Trudaine l’aîné
(Paris, Bleuet fils aîné, an X [1801], in-8, viij-194-[2] p., 1.424
lots).
La liquidation de la
succession des frères Trudaine, compliquée par l'intervention de
l'État représentant les
héritiers émigrés, dura près de sept ans. Leurs biens [Montigny
et La Sablière], estimés 2.888.700 livres, furent séquestrés et
administrativement dévolus moitié aux descendants de la ligne
paternelle, moitié aux descendants de la ligne maternelle des
suppliciés. La moitié dévolue à la ligne maternelle fut attribuée
à une unique héritière, Adélaïde-Agnès Bouvart de Fourqueux
(1745-1813), tante maternelle des défunts, épouse d'Étienne
Maynon d'Invault (1721-1801), contrôleur général des Finances : il
lui fut attribué le château de Montigny et ses dépendances.
Malade, la veuve de Charles-Louis Trudaine alla mourir à Genève, le 11 brumaire an XI [2 novembre 1802], à l'âge de 33 ans : son corps fut ramené à Montigny et inhumé le 22 brumaire an XI [13 novembre 1802] dans le chœur de l'église, auprès de celui de son beau-père.
La bibliothèque de son
mari fut dispersée du lundi 25 nivôse an XII [16 janvier 1804] au
vendredi 11 ventôse an XII [2 mars 1804], en sa maison, rue
Taitbout, au coin du boulevard des Italiens : Catalogue des livres
et manuscrits précieux, provenant de la bibliothèque de
Ch.-L. Trudaine, après le décès de Mme
sa veuve (Paris, Bleuet, An XII-1803, in-8, [2]-x-467-[1 bl.] p.,
3.066 + 2 bis = 3.068 lots). Théologie [260 lots = 8,47 %],
jurisprudence [110 lots = 3,58 %], sciences et arts [963 lots = 31,38
%], belles-lettres [645 lots = 21,02 %], histoire [1.090 lots = 35,52
%].
« A la fin de cette
[dernière] Vacation, on vendra deux Corps de Bibliothèque
d'ébénisterie, en forme d'Armoires, faits par BOULE.
Chaque Corps, ouvrant à
deux vanteaux, portes pleines par le bas, et grillagées par le haut,
garnies d'excellentes serrures à bascules, a 8 pieds 6 pouces de
hauteur, 5 pieds de largeur, et 18 pouces de profondeur.
Ces Bibliothèques, sont
d'acajou, plaquées en ébéne, enrichies de grotesques en cuivre et
écaille coloriée, formant partie et contre-partie : le tout
parfaitement conservé. Le bon goût qui règne dans ces sortes de
meubles, et le fini précieux que savoit y donner le célèbre
ébéniste Boule, les font rechercher par les amateurs. »
[sic] (p. 467)
31. Heures de la
Vierge. In-8, m. r. d. s. tr. Manuscrit sur vélin, acheté à la
vente du baron d'Heiss, le 7 août 1782, avec de jolies miniatures.
43. Heures à
l'usaige de Rome. Paris, Gillet Hardouin, in-4, rel. ant. à compart.
Impr. sur vélin, orn. de 18 grandes miniatures, de lettres capitales
peintes en or et en couleur, et des fig. grav. en bois. Ces Heures
ont appartenu à Dom Gousset, et auparavant à Catherine de Médicis.
193. Musladini
Sadi Rosarium politicum. Amstelod. Blaew. 1651, in-fol., ch. m. couv.
en vél. cis. verd. d. s. t. Acheté à la vente de Mirabeau l'aîné.
265. Hommes à
célébrer, pour avoir, en ces derniers âges, mérité de leur
siècle et de l'humanité, relativement à l'instruction politique et
économique, par Mirabeau le père. Italie, 1789, 2 vol. gr. in-8,
gr. pap., bas. m. Exemplaire de Mirabeau fils aîné.
513. Description
des animaux rares, tant sur la terre que dans l'eau, en nature et en
squelette, par J. D. Meyer. Nuremberg, 1748, in-fol. gr. pap. v. fau.
roul. fig. color. Exemplaire de Buffon acheté à la vente de
Mirabeau l'aîné [n° 1.225].
516. Ornithologie,
par Brisson. Paris, Bauche, 1760, 6 vol. in-4, v. m. fig. Exemplaire
ayant appartenu à Buffon, sur lequel il y a quelques notes de sa
main.
517. Histoire
naturelle des oiseaux, trad. de l'anglois. La Haye, De Hondt, 1750, 4
vol. gr. in-4, v. br. Ex. de Buffon signé de lui.
531. Histoire des
insectes, par Aug.-Jean Roesel de Rosenhof et Klemann. Nuremberg,
Fleischmann, 1746 et suiv., 5 vol. in-4, m. verd, d. s. t. fig.
color. Ex. de Mirabeau l'aîné.
543. A voyage to
the islands Madera, Barbados, Nieves, St. Christophers, and Jamaica,
by Hans Sloane. London, 1707, 2 vol. in-fol., m. r. dent. à petit
fer, d. s. t. fig. Ex. donné en présent à l'abbé Bignon.
689. Analyse des
mesures, des rapports et des angles, par Walmesley. Paris, Quillau,
1749, in-4, v. fil. fig. Ex. signé de Buffon.
880. Hymne
Mantchou, chanté à l'occasion de la conquête du King-Tchouen, en
1779. In-fol. v. m. fil. Manuscrit acheté à la vente de Mirabeau
l'aîné.
894. L'Enéïde de
Virgile en vers françois. In-fol. m. r. fil. d. s. t. Manuscrit sur
vélin du XVIe sur 2 col., 24 places propres à recevoir
des miniatures ont été conservées en blanc. Original de la
traduction faite par Octavien de Saint-Gelais. Acheté en janvier
1792 à la vente Félix, de Marseille. Vient de la bibliothèque de
La Vallière [n° 2.459].
1.224. Mémoires
du comte de Grammont, par le comte Ant. Hamilton. Stawberry-Hill,
1772, in-4,
v. éc. fil. fig. Ex.
d'Hangar [n° 1.573].
1.677. Recueil de
pièces intéressantes pour servir à l'Histoire de France, sous
Henri IV et Louis XIII. In-fol. vél. Manuscrit sur papier, contenant
798 pages. Recueil rempli de faits curieux et peu connus, et
accompagné d'une table des matières.
Adjugé pour le modeste
prix de 20 francs au marquis Hippolyte de Châteaugiron (1774-1848),
qui avait reconnu le manuscrit original et autographe [conservé
aujourd'hui à Chantilly] des Historiettes de Tallemant des Réaux,
inédites : l'ouvrage fut publié, censuré, par Monmerqué,
Châteaugiron et Taschereau
chez Alphonse Levavasseur en 1834 et
1835, en 6 volumes in-8, la notice et la table des matières en 1836.
À son mariage en 1701
avec Charles Trudaine (1659-1721), Renée-Madeleine de Rambouillet de
La Sablière (1680-1746) fut assistée par Élisabeth
de Rambouillet de La Sablière (° 1632), sa grande-tante, veuve de
Gédéon Tallemant (1619-1692), sieur des Réaux, restée seule
héritière de toute sa famille. Madame Trudaine apporta donc à son
mari tous les manuscrits de Tallemant des Réaux, son grand-oncle ;
ils ont été conservés dans la bibliothèque de Montigny et n'en
sont sortis qu'après la mort du dernier des Trudaine.
1.942. Picturae
Etruscorum in vasculis nunc primum in unum colectae. Romae, Zempel,
1767, 3 vol. in-fol., bas. éc. dent. d. s. t. fig. coloriées. Ex.
de Loménie de Brienne.
1.944. Danicorum
monumentorum Lib. VI. Hafniae, Moltkenius, 1643, in-fol. v. jas. fil.
fig. Ex. aux armes de Huet, évêque d'Avranches.
2.400. Ph.-Jac.
Sachs Gammatologia curiosa. Francof. Fellgibel, 1665, in-8, v. br.
fig. Ex. de Colbert.
2.402. L'Histoire
naturelle éclaircie dans une de ses parties principales, la
Conchyliologie, par M*** [Dezalier-d'Argenville]. Paris, De Bure
l'aîné, 1757, 2 part. en 1 vol. gr. in-4, mar. bl. lav. régl. Ex.
de Le Camus de Limare [n° 710].
2.517. Divers
projets d'une place publique pour ériger la statue équestre de
Louis XV. 1753, in-fol. atl. mar. r. dent. d. s. t. doub. de tabis.
Rel. de Padeloup aux armes de Madame de Pompadour. Recueil manuscrit
par François Blondel.
En 1811, la fille
adoptive d'Adélaïde-Agnès Bouvart de Fourqueux,
Élisabeth-Françoise
Bouvart de Fourqueux (1793-1867) [fille naturelle de Charles-Michel
Trudaine et de Victoire-Marie-Françoise de Montmorin (1765-1794)],
femme du comte Benjamin-Pierre-Aimé-Théodore Le Cornu de Balivière
(1782-1821), hérita de Montigny, qu'elle vendit en 1822 au comte
anglais Georges de Stacpoole, moyennant 1.566.000 francs.
En 1823, le
Conseil municipal décida de placer sur la fontaine de la place du
Marché, don de Jean-Charles-Philibert Trudaine, une plaque de marbre
noir portant « A LA FAMILLE TRUDAINE, LES
HABITANTS DE MONTIGNY-LENCOUP RECONNAISSANTS. ». En partie
brisé, le marbre fut remplacé en 1877 par une plaque de fonte
reproduisant la même inscription en lettres d'or.
À
la mort du comte de Stacpoole, en 1852, le château fut vendu à une
société de spéculateurs qui le démolirent afin de tirer profit
des matériaux. Le cèdre du parc faillit alors être livré aux
bûcherons : grâce à une souscription départementale, il put être
conservé par la commune. Endommagé par un ouragan en 1860, il eut
une branche de 2,50 m. de circonférence cassée, qui fut envoyée à
Melun et fournit le bois des meubles qui ornèrent la préfecture de
Seine-et-Marne. Il a beaucoup souffert des rigueurs de l'hiver 1879.
Cet arbre, dont le tronc avait 12,10 m. de circonférence, atteignait
38 m. de hauteur et couvrait une superficie de plus de 1.000 m2 : il
fut brisé par une tornade le 1er décembre 1935, à 13 h.
15.
D'or, à trois daims passants de sable |
Document très intéressant et très émouvant pour moi puisque j'ai vécu à Montigny Lencoup de 1955 à 1974 Mes parents étaient commerçants dans ce village.
RépondreSupprimer