Lambert de Ballyhier. Compiègne historique et monumental. Compiègne, Langlois, 1842, t. I, p. 365. |
D'une ancienne famille de
Compiègne [Oise] installée sur la paroisse Saint-Jacques, c'est au n° 8 l'ancienne rue de la Cagnette [rue
Vivenel], face aux Petites Écuries,
que naquit le 27 ventôse an VII [17 mars 1799], Antoine-François
Vivenel, fils d'Antoine-Nicolas Vivenel (1777-1839), plâtrier, et de
Marie-Françoise Bonnezon (1779-1819), mariés depuis le 29 ventôse
an VI [19 mars 1798].
Après avoir interrompu
des études au collège de Compiègne, Antoine Vivenel vint à Paris
en 1817 pour entrer comme commis chez André-Alexandre Marcel
(1777-1841), entrepreneur de bâtiments. Il se mit à travailler avec
ardeur et suivit les cours de l'École
royale gratuite de dessin, rue de l'École
de médecine [VIe].
Après plusieurs voyages
formateurs en Italie, en Allemagne et en Angleterre, il entreprit la
construction de maisons à partir de 1827. En 1839, il se construisit
une « Casa Vivenel », 61 rue Blanche [détruit, IXe].
Hôtel Collot. |
Remarqué par l'architecte Louis Visconti (1791-1853), il fut
l'entrepreneur de la construction des hôtels Collot [25 quai Anatole
France, VIIe, Galerie J. Kugel], en 1840,
Hôtel de Pontalba. |
et de Pontalba
[41 rue du Faubourg-Saint-Honoré, VIIIe, résidence de
l'ambassadeur des Etats-Unis], de 1842 à 1855, de la crypte sous le
Dôme des Invalides, de 1842 à 1861, pour recevoir le tombeau de
Napoléon,
Edmond Texier. Tableau de Paris. Paris, Paulin et Le Chevalier, 1853, t. II, p. 244. |
et des fontaines Saint-Sulpice [place Saint-Sulpice, VIe],
de 1843 à 1848,
Edmond Texier. Tableau de Paris. Paris, Paulin et Le Chevalier, 1853, t. II, p. 243. |
et Molière [place Mireille, Ier], en 1844.
Place de Grève en 1819 |
Depuis longtemps insuffisant, l'Hôtel de Ville de Paris fut agrandi de 1837 à 1846, sous la direction d'Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869) et de Jean-Baptiste Lesueur (1794-1883). Vivenel devint l'entrepreneur général des travaux : la cour fut couverte d'une verrière, l'étendue de la façade primitive fut doublée par l'adjonction de deux ailes et des bâtiments furent construits sur la rue de Rivoli, la place Lobau et le quai.
Peu à peu, il parvint à
une position de fortune assez considérable, qui lui permit de
collectionner des objets d'art, des estampes et des livres.
Voulant offrir à la
jeunesse de sa ville natale les supports d'un enseignement dont il
n'avait pu profiter lui-même, il commença dès 1840 à offrir des
livres à la bibliothèque de Compiègne : plus de 400 ouvrages,
livres d'histoire et d'architecture surtout, mais aussi des livres
gravés de grande valeur, ainsi certaines éditions du XVIe
siècle de Dürer, ainsi que les Œuvres
complètes de Voltaire, reliées aux armes de l'impératrice
Joséphine. Ces livres portaient pour la plupart un de ses ex-libris.
Vivenel possédait au moins trois
ex-libris : un ex-libris gravé représentant deux anges encadrant
les initiales entrelacées d'Antoine Vivenel [54 x 45 mm.], le plus souvent utilisé
; une simple petite vignette portant l'inscription « A. Vivenel » ;
un ex-libris gravé, plus rare, représentant un simple chapiteau
corinthien au pied d'un buisson.
Pour son usage personnel
et pour ses amis, il dressa le catalogue de sa bibliothèque. Ce
Catalogue des livres en petit nombre composant la bibliothèque de
M. Vivenel architecte , entrepreneur général de l'Hôtel de
Ville de Paris (Paris, J. Techener, 1844, in-8, [4]-VII-[1
bl.]-434 p., 1.306 articles non numérotés) renferme un grand nombre
d'ouvrages sur les beaux-arts, les dessins des grands maîtres
nationaux et étrangers, leurs œuvres
capitales, les sciences et les arts, et, on s'y attend, une série
presque complète d'ouvrages sur l'architecture ;
Vivenel s'est
attaché, entre autres, à rassembler tout ce qu'il a pu trouver du
grand architecte du XVIe siècle,
Jacques Androuet du Cerceau. Beaux-arts (p. 1-138), architecture
(p. 139-244), antiquités (p. 245-259), sciences et arts (p.
261-284), jurisprudence (p. 285-292), sciences philosophiques (p.
293-300), belles-lettres (p. 301-350), histoire (p. 351-404), table
des divisions (p. 405-408), table des noms d'auteurs et des matières
(p. 409-434). Orné de 2 planches en taille-douce et de 36
illustrations sur bois, ce catalogue, non destiné au commerce, n'a
été tiré qu'à 100 exemplaires, papier façon de Hollande, et 5
exemplaires sur papier de couleur : l'exemplaire du comte Horace de
Viel Castel (1802-1864), conservateur au Louvre, est sur papier vélin
rose ; celui offert par l'auteur à la Société des Antiquaires de
Picardie a été imprimé sur papier bleu.
« Dans une bibliothèque
de quelqu'importance un catalogue est indispensable ; c'est d'abord
un répertoire utile ; c'est de plus un panorama varié que l'amateur
studieux parcourt avec plaisir en reposant sa vue sur les ouvrages
qui flattent le plus ses goûts et le genre spécial de ses études.
Mais ce n'est pas dans le
nombre des volumes qu'il faut faire consister l'excellence d'une
bibliothèque, c'est dans le choix qui a présidé à sa composition
et dans le mérite des ouvrages qu'elle réunit.
C'est alors seulement que
les personnes éclairées lui assignent un rang élevé, et que sa
réputation, confirmée par le temps, lui donne un prix considérable.
Je n'ai jamais été
bibliomane, mais dès ma première jeunesse j'étais bibliophile ; je
recherchais partout les bons livres, les bonnes éditions et même
les belles reliures, parce que je crois que les grandes et belles
choses doivent être dans toutes leurs parties l'objet d'une
recherche dirigée par des vues artistiques.
Mon amour pour les livres
s'est donc fortifié avec l'âge, mais je m'estime heureux d'avoir su
contenir cette passion dans de justes limites, ma bibliothèque était
uniquement pour moi une amie que j'élevais pour mon bonheur
personnel et domestique, aussi me suis-je bien gardé de vouloir trop
l'étendre ; j'ai écarté de mes rayons tout ce qui n'était point à
mon usage, tout ce qui ne se rapportait pas à ma spécialité
studieuse. Par les mêmes motifs, j'ai renoncé aux vieux manuscrits,
fort curieux d'ailleurs, mais dont souvent le premier mérite est de
coûter fort cher à cause de leur rareté et de la difficulté que
l'on éprouve à se les procurer. Les vieux manuscrits doivent bien
plutôt être l'objet d'une collection nationale ; ils représentent
les archives de l'histoire, et, sous ce point de vue, leur réunion
est une véritable richesse ; que contiennent-ils souvent ? Rien qui
n'ait été mieux exprimé, mieux présenté, mieux développé par
les auteurs modernes, qui ont traité les mêmes sujets. En un mot,
un vieux manuscrit est un titre authentique auquel on a recours dans
l'occasion pour rétablir un fait altéré ou dénaturé, pour rendre
à la vérité l'éclat qui lui appartient, et que voilent
quelquefois la passion ou l'ignorance.
Né avec un goût
passionné pour la littérature, pour les arts et pour les sciences,
j'ai eu le chagrin fréquemment renouvelé d'en être détourné par
les affaires, par les grandes entreprises qui ont absorbé ma
première jeunesse, cette époque heureuse de la vie où l'on
pourrait amasser tant de trésors, et mon âge mûr où il m'eût été
possible de les mettre en ordre. J'ai donc été entraîné malgré
moi non par le désir, ou par le besoin de spéculer, mais par la
nécessité de suivre un cours de choses devenues pour moi une
nécessité pressante par leur liaison étroite et indissoluble.
Aussi l'étude des
langues grecque et latine n'est-elle plus guère qu'une ombre pour
moi ; je n'ai pu mettre dans ma bibliothèque tous ces auteurs de
l'antiquité qui sont encore aujourd'hui la gloire des lettres, je
n'ai que la traduction de leurs chefs-d'œuvre
; sans doute aussi, je ne jouis pas autant que je le voudrais du
génie de ces langues mortes, mais Homère, Sophocle, Euripide,
Démosthène, Cicéron, Virgile, Horace et tant d'autres n'en sont
pas moins sublimes pour moi, et me font toujours passer les plus
agréables heures de la journée.
Ma bibliothèque se
compose en grande partie de livres d'arts, notamment sur
l'architecture. Ces ouvrages sont enrichis de beaux dessins, de
belles gravures, de portraits magnifiques. Ma collection est peu
nombreuse ; mais je crois pouvoir, sans trop de présomption,
affirmer qu'elle peut être considérée comme précieuse.
Je n'ai point voulu, en
formant cette collection de livres, étaler un faste scientifique qui
serait presque ridicule, j'ai travaillé pour moi ; ma bibliothèque
n'est point en acajou, elle n'est point en palissandre, elle est en
chêne ; je n'ai point du haut en bas, et surtout à son sommet, des
masses d'in-folios, d'in-quartos, d'in-octavos, qui font ouvrir les
yeux des visiteurs, qui leur donnent tout d'abord une haute idée du
possesseur ; mais, j'ai des livres d'une bonne morale, propres à de
saines études ; j'ai des livres qui remplissent le cœur
et l'âme, qui donnent de bonnes pensées et portent aux bonnes
actions. » [sic]
(Vivenel. « Un mot »,
p. I-IV)
« Si le premier et
principal mérite d'une collection de livres est, comme le pensent
quelques personnes, d'avoir un caractère spécial et déterminé qui
fasse connaître du premier coup d'œil
le goût dominant ou les occupations habituelles de son possesseur,
nulle bibliothèque ne me parût jamais mieux remplir cette condition
que celle dont j'ai en ce moment le catalogue sous les yeux. Voué
par inclination, et par les devoirs que lui impose son honorable
profession, aux travaux, à toutes les études qui se rattachent à
l'architecture, en même temps qu'il se sentait entraîné par un
penchant irrésistible vers la culture de tous les arts qui se
rapportent au dessin, M. Vivenel n'a rien négligé pour satisfaire à
la fois les exigences de sa position et ses goûts particuliers. Il a
donc voulu réunir, et je dois dire qu'il a réuni, avec autant
d'intelligence que de jugement, les divers ouvrages propres à
remplir ce double but. On trouve dans sa bibliothèque tous les
livres importants publiés en France et à l'étranger sur toutes les
parties de l'architecture, aussi bien que les somptueuses
publications entreprises à grands frais pour faire connaître aux
amateurs et aux curieux, qui ne peuvent ou ne veulent se déplacer,
soit les sites pittoresques les plus remarquables des diverses
parties du monde, soit ces musées célèbres de sculpture et de
peinture que les voyageurs vont admirer en France, en Italie, en
Angleterre et en Allemagne. Je n'essaierai pas de désigner ici
quelques uns de ces grands et magnifiques ouvrages que je signale ;
en citer un ou deux de préférence serait se montrer en quelque
sorte injuste pour tous les autres, et, à moins de transcrire le
catalogue même, je ne réussirais pas à en donner une idée
suffisante. Je dirai toutefois que, parmi ces grands artistes dont
les productions figurent avec éclat dans la riche collection de M.
Vivenel, il en est un qui a été pour lui l'objet d'une attention
constante et passionnée qui pourrait presque être considérée
comme un culte. Androuet du Cerceau, c'est de lui que je parle, était
au reste bien digne d'un pareil enthousiasme qui n'étonnera aucun de
ceux qui connaissent l'élévation et la fécondité de son génie.
M. Vivenel, qui s'est plu
également à recueillir une ample collection d'estampes de tous les
maîtres et de toutes les écoles, a placé, dans ce catalogue,
celles de ses estampes qui tiennent le premier rang ; mais ce n'est
là en quelque sorte qu'un simple échantillon d'une collection aussi
précieuse que considérable, dont la description détaillée eût
peut-être exigé des volumes.
Malgré son caractère
presque exclusivement spécial et sa physionomie particulière, il ne
faudrait pas croire que la bibliothèque de M. Vivenel soit restée
étrangère aux belles-lettres non plus qu'à l'histoire. Ces deux
facultés y figurent pour un petit nombre d'ouvrages, mais ces
ouvrages sont tout simplement des chefs-d'œuvre
; c'est encore une preuve de goût de la part du propriétaire de
cette bibliothèque de s'être montré aussi délicat sous ce rapport
qu'il s'était montré magnifique en tout ce qui concerne les
beaux-arts.
Il y a, dans cette
bibliothèque, tout ce qu'il faut pour satisfaire l'artiste le plus
passionné, le littérateur le plus éclairé et le plus difficile.
Existe-t-il beaucoup de collections de livres dont il soit possible
de faire un pareil éloge ? »
(G. D.
[Gratet-Duplessis]. « De la bibliothèque de M. Vivenel », p.
V-VII)
Portrait d'Antoine Vivenel [détail] par Dominique Papety (Musée Vivenel, Compiègne) |
Vivenel envoya également
ses collections d'objets d'art, qui constituèrent, par acte de
donation du 20 mars 1843, le « Musée Vivenel ».
Notice historique sur Compiègne et Pierrefonds. Compiègne, Dubois, 1843, 2e édition, frontispice |
Celui-ci fut
organisé dans le 1er étage du bâtiment situé au fond
de la cour de l'Hôtel de Ville, et dans l'aile qui touche à
l'impasse de l'Arsenal, formant autrefois le Café de la Cloche.
« La collection de
Compiègne est une encyclopédie abrégée de tous les arts, dans
tous les temps et chez tous les peuples. Sculpture, peinture,
céramique, verrerie, ameublement, panoplie, serrurerie, bijouterie,
orfèvrerie, horlogerie, émaux, curiosités égyptiennes, hindoues,
chinoises, japonaises, médailles, glyptique, il n'y a pas une
création du génie humain qui ne soit glorieusement représentée au
Musée de Compiègne. »
(Lettre de Eugène Pelletan à Félicien
Mallefille, juillet 1850)
Musée Vivenel, Compiègne. |
La plus grande partie des
collections fut transférée en 1952 à l'hôtel de
Bicquilley-Songeons, 2 rue d'Austerlitz, édifié sur l'emplacement
probable du palais de Charles-le-Chauve (823-877), qui devint le «
Musée Antoine Vivenel ».
La révolution de 1848 et
ses dons à la ville de Compiègne ruinèrent Vivenel. Il fut alors
recueilli par son ami Jean-Marie-Victor Viel (1796-1863), architecte
du Palais de l'Industrie, élevé pour l'Exposition universelle de
1855 ; il en fit son exécuteur testamentaire. Puis sa cousine
célibataire, Marie-Louise-Octavie Cailleaux (1816-1862), lui donna
asile au 6e étage du 14 quai de la Grève [quai de
l'Hôtel-de-Ville, entre le pont d'Arcole et la rue Geoffroy
l'Asnier, IVe] ; il en fit sa légataire universelle.
Plan de Paris [détail] en 1861. |
Vivenel mourut
célibataire, chez sa cousine, le 19 février 1862, après une
opération pour lithiase urinaire. Son corps fut ramené à
Compiègne. Le 22 février, un service fut célébré en l'église
Saint
-Jacques et son corps
déposé dans le caveau familial au cimetière de Clamart. Lorsque
Clamart fut désaffecté, il fut transporté au cimetière du Nord.
La lecture de son testament montra combien il vivait d'emprunts à
divers amis et combien sa situation financière était
catastrophique.
Sa cousine mourut cinq
jours après lui, le 24 février 1862, chez son neveu,
Eugène-Jean-François Plinguier, 19 rue des Juifs [rue Ferdinand
Duval, IVe] : dans cet appartement résida Adolphe
Clémence (1838-1889), ouvrier relieur membre de la Commune, qui
entreprit en mai 1869 la publication d'une Revue de la reliure et
de la bibliophilie, dont il ne parut que trois numéros in-8.
Le reste des collections
d'estampes et de livres de Vivenel fut vendu à Drouot, du mercredi
16 au vendredi 18 juillet 1862, en 3 vacations. Le Cabinet de feu
M. A. V., architecte – Estampes […] Ornements
[…] Livres à figures […] (Paris, Vignères, 1862, in-8,
67-[1 bl.] p., 744 lots) contient des ornements [70 lots = 9,40 %],
des œuvres des maîtres
[501 lots = 67,33 %] et des livres [173 lots = 23,25 %]. La vente
produisit environ 35.000 francs.
on ne publie pas un commentaire après chaque lecture, mais chacun de ses articles est passionnant. Merci à vous de nous offrir une telle diversité de destins.
RépondreSupprimerPatrick C.