dimanche 6 mars 2016

La Vénération d'Antoine Vivenel (1799-1862) pour Androuet du Cerceau

Lambert de Ballyhier. Compiègne historique et monumental.
Compiègne, Langlois, 1842, t. I, p. 365.

D'une ancienne famille de Compiègne [Oise] installée sur la paroisse Saint-Jacques, c'est au n° 8 l'ancienne rue de la Cagnette [rue Vivenel], face aux Petites Écuries, que naquit le 27 ventôse an VII [17 mars 1799], Antoine-François Vivenel, fils d'Antoine-Nicolas Vivenel (1777-1839), plâtrier, et de Marie-Françoise Bonnezon (1779-1819), mariés depuis le 29 ventôse an VI [19 mars 1798].

Après avoir interrompu des études au collège de Compiègne, Antoine Vivenel vint à Paris en 1817 pour entrer comme commis chez André-Alexandre Marcel (1777-1841), entrepreneur de bâtiments. Il se mit à travailler avec ardeur et suivit les cours de l'École royale gratuite de dessin, rue de l'École de médecine [VIe].

Après plusieurs voyages formateurs en Italie, en Allemagne et en Angleterre, il entreprit la construction de maisons à partir de 1827. En 1839, il se construisit une « Casa Vivenel », 61 rue Blanche [détruit, IXe]. 

Hôtel Collot.

Remarqué par l'architecte Louis Visconti (1791-1853), il fut l'entrepreneur de la construction des hôtels Collot [25 quai Anatole France, VIIe, Galerie J. Kugel], en 1840, 

Hôtel de Pontalba.

et de Pontalba [41 rue du Faubourg-Saint-Honoré, VIIIe, résidence de l'ambassadeur des Etats-Unis], de 1842 à 1855, de la crypte sous le Dôme des Invalides, de 1842 à 1861, pour recevoir le tombeau de Napoléon, 

Edmond Texier. Tableau de Paris.
Paris, Paulin et Le Chevalier, 1853, t. II, p. 244.
et des fontaines Saint-Sulpice [place Saint-Sulpice, VIe], de 1843 à 1848, 


Edmond Texier. Tableau de Paris.
Paris, Paulin et Le Chevalier, 1853, t. II, p. 243. 









et Molière [place Mireille, Ier], en 1844.

Place de Grève en 1819


Depuis longtemps insuffisant, l'Hôtel de Ville de Paris fut agrandi de 1837 à 1846, sous la direction d'Étienne-Hippolyte Godde (1781-1869) et de Jean-Baptiste Lesueur (1794-1883). Vivenel devint l'entrepreneur général des travaux : la cour fut couverte d'une verrière, l'étendue de la façade primitive fut doublée par l'adjonction de deux ailes et des bâtiments furent construits sur la rue de Rivoli, la place Lobau et le quai.

Peu à peu, il parvint à une position de fortune assez considérable, qui lui permit de collectionner des objets d'art, des estampes et des livres.
Voulant offrir à la jeunesse de sa ville natale les supports d'un enseignement dont il n'avait pu profiter lui-même, il commença dès 1840 à offrir des livres à la bibliothèque de Compiègne : plus de 400 ouvrages, livres d'histoire et d'architecture surtout, mais aussi des livres gravés de grande valeur, ainsi certaines éditions du XVIe siècle de Dürer, ainsi que les Œuvres complètes de Voltaire, reliées aux armes de l'impératrice Joséphine. Ces livres portaient pour la plupart un de ses ex-libris.



Vivenel possédait au moins trois ex-libris : un ex-libris gravé représentant deux anges encadrant les initiales entrelacées d'Antoine Vivenel [54 x 45 mm.], le plus souvent utilisé ; une simple petite vignette portant l'inscription « A. Vivenel » ; un ex-libris gravé, plus rare, représentant un simple chapiteau corinthien au pied d'un buisson.



Pour son usage personnel et pour ses amis, il dressa le catalogue de sa bibliothèque. Ce Catalogue des livres en petit nombre composant la bibliothèque de M. Vivenel architecte , entrepreneur général de l'Hôtel de Ville de Paris (Paris, J. Techener, 1844, in-8, [4]-VII-[1 bl.]-434 p., 1.306 articles non numérotés) renferme un grand nombre d'ouvrages sur les beaux-arts, les dessins des grands maîtres nationaux et étrangers, leurs œuvres capitales, les sciences et les arts, et, on s'y attend, une série presque complète d'ouvrages sur l'architecture ; 





Vivenel s'est attaché, entre autres, à rassembler tout ce qu'il a pu trouver du grand architecte du XVIe siècle, Jacques Androuet du Cerceau. Beaux-arts (p. 1-138), architecture (p. 139-244), antiquités (p. 245-259), sciences et arts (p. 261-284), jurisprudence (p. 285-292), sciences philosophiques (p. 293-300), belles-lettres (p. 301-350), histoire (p. 351-404), table des divisions (p. 405-408), table des noms d'auteurs et des matières (p. 409-434). Orné de 2 planches en taille-douce et de 36 illustrations sur bois, ce catalogue, non destiné au commerce, n'a été tiré qu'à 100 exemplaires, papier façon de Hollande, et 5 exemplaires sur papier de couleur : l'exemplaire du comte Horace de Viel Castel (1802-1864), conservateur au Louvre, est sur papier vélin rose ; celui offert par l'auteur à la Société des Antiquaires de Picardie a été imprimé sur papier bleu.

« Dans une bibliothèque de quelqu'importance un catalogue est indispensable ; c'est d'abord un répertoire utile ; c'est de plus un panorama varié que l'amateur studieux parcourt avec plaisir en reposant sa vue sur les ouvrages qui flattent le plus ses goûts et le genre spécial de ses études.
Mais ce n'est pas dans le nombre des volumes qu'il faut faire consister l'excellence d'une bibliothèque, c'est dans le choix qui a présidé à sa composition et dans le mérite des ouvrages qu'elle réunit.
C'est alors seulement que les personnes éclairées lui assignent un rang élevé, et que sa réputation, confirmée par le temps, lui donne un prix considérable.
Je n'ai jamais été bibliomane, mais dès ma première jeunesse j'étais bibliophile ; je recherchais partout les bons livres, les bonnes éditions et même les belles reliures, parce que je crois que les grandes et belles choses doivent être dans toutes leurs parties l'objet d'une recherche dirigée par des vues artistiques.
Mon amour pour les livres s'est donc fortifié avec l'âge, mais je m'estime heureux d'avoir su contenir cette passion dans de justes limites, ma bibliothèque était uniquement pour moi une amie que j'élevais pour mon bonheur personnel et domestique, aussi me suis-je bien gardé de vouloir trop l'étendre ; j'ai écarté de mes rayons tout ce qui n'était point à mon usage, tout ce qui ne se rapportait pas à ma spécialité studieuse. Par les mêmes motifs, j'ai renoncé aux vieux manuscrits, fort curieux d'ailleurs, mais dont souvent le premier mérite est de coûter fort cher à cause de leur rareté et de la difficulté que l'on éprouve à se les procurer. Les vieux manuscrits doivent bien plutôt être l'objet d'une collection nationale ; ils représentent les archives de l'histoire, et, sous ce point de vue, leur réunion est une véritable richesse ; que contiennent-ils souvent ? Rien qui n'ait été mieux exprimé, mieux présenté, mieux développé par les auteurs modernes, qui ont traité les mêmes sujets. En un mot, un vieux manuscrit est un titre authentique auquel on a recours dans l'occasion pour rétablir un fait altéré ou dénaturé, pour rendre à la vérité l'éclat qui lui appartient, et que voilent quelquefois la passion ou l'ignorance.
Né avec un goût passionné pour la littérature, pour les arts et pour les sciences, j'ai eu le chagrin fréquemment renouvelé d'en être détourné par les affaires, par les grandes entreprises qui ont absorbé ma première jeunesse, cette époque heureuse de la vie où l'on pourrait amasser tant de trésors, et mon âge mûr où il m'eût été possible de les mettre en ordre. J'ai donc été entraîné malgré moi non par le désir, ou par le besoin de spéculer, mais par la nécessité de suivre un cours de choses devenues pour moi une nécessité pressante par leur liaison étroite et indissoluble.
Aussi l'étude des langues grecque et latine n'est-elle plus guère qu'une ombre pour moi ; je n'ai pu mettre dans ma bibliothèque tous ces auteurs de l'antiquité qui sont encore aujourd'hui la gloire des lettres, je n'ai que la traduction de leurs chefs-d'œuvre ; sans doute aussi, je ne jouis pas autant que je le voudrais du génie de ces langues mortes, mais Homère, Sophocle, Euripide, Démosthène, Cicéron, Virgile, Horace et tant d'autres n'en sont pas moins sublimes pour moi, et me font toujours passer les plus agréables heures de la journée.
Ma bibliothèque se compose en grande partie de livres d'arts, notamment sur l'architecture. Ces ouvrages sont enrichis de beaux dessins, de belles gravures, de portraits magnifiques. Ma collection est peu nombreuse ; mais je crois pouvoir, sans trop de présomption, affirmer qu'elle peut être considérée comme précieuse.
Je n'ai point voulu, en formant cette collection de livres, étaler un faste scientifique qui serait presque ridicule, j'ai travaillé pour moi ; ma bibliothèque n'est point en acajou, elle n'est point en palissandre, elle est en chêne ; je n'ai point du haut en bas, et surtout à son sommet, des masses d'in-folios, d'in-quartos, d'in-octavos, qui font ouvrir les yeux des visiteurs, qui leur donnent tout d'abord une haute idée du possesseur ; mais, j'ai des livres d'une bonne morale, propres à de saines études ; j'ai des livres qui remplissent le cœur et l'âme, qui donnent de bonnes pensées et portent aux bonnes actions. » [sic]
(Vivenel. « Un mot », p. I-IV)

« Si le premier et principal mérite d'une collection de livres est, comme le pensent quelques personnes, d'avoir un caractère spécial et déterminé qui fasse connaître du premier coup d'œil le goût dominant ou les occupations habituelles de son possesseur, nulle bibliothèque ne me parût jamais mieux remplir cette condition que celle dont j'ai en ce moment le catalogue sous les yeux. Voué par inclination, et par les devoirs que lui impose son honorable profession, aux travaux, à toutes les études qui se rattachent à l'architecture, en même temps qu'il se sentait entraîné par un penchant irrésistible vers la culture de tous les arts qui se rapportent au dessin, M. Vivenel n'a rien négligé pour satisfaire à la fois les exigences de sa position et ses goûts particuliers. Il a donc voulu réunir, et je dois dire qu'il a réuni, avec autant d'intelligence que de jugement, les divers ouvrages propres à remplir ce double but. On trouve dans sa bibliothèque tous les livres importants publiés en France et à l'étranger sur toutes les parties de l'architecture, aussi bien que les somptueuses publications entreprises à grands frais pour faire connaître aux amateurs et aux curieux, qui ne peuvent ou ne veulent se déplacer, soit les sites pittoresques les plus remarquables des diverses parties du monde, soit ces musées célèbres de sculpture et de peinture que les voyageurs vont admirer en France, en Italie, en Angleterre et en Allemagne. Je n'essaierai pas de désigner ici quelques uns de ces grands et magnifiques ouvrages que je signale ; en citer un ou deux de préférence serait se montrer en quelque sorte injuste pour tous les autres, et, à moins de transcrire le catalogue même, je ne réussirais pas à en donner une idée suffisante. Je dirai toutefois que, parmi ces grands artistes dont les productions figurent avec éclat dans la riche collection de M. Vivenel, il en est un qui a été pour lui l'objet d'une attention constante et passionnée qui pourrait presque être considérée comme un culte. Androuet du Cerceau, c'est de lui que je parle, était au reste bien digne d'un pareil enthousiasme qui n'étonnera aucun de ceux qui connaissent l'élévation et la fécondité de son génie.
M. Vivenel, qui s'est plu également à recueillir une ample collection d'estampes de tous les maîtres et de toutes les écoles, a placé, dans ce catalogue, celles de ses estampes qui tiennent le premier rang ; mais ce n'est là en quelque sorte qu'un simple échantillon d'une collection aussi précieuse que considérable, dont la description détaillée eût peut-être exigé des volumes.
Malgré son caractère presque exclusivement spécial et sa physionomie particulière, il ne faudrait pas croire que la bibliothèque de M. Vivenel soit restée étrangère aux belles-lettres non plus qu'à l'histoire. Ces deux facultés y figurent pour un petit nombre d'ouvrages, mais ces ouvrages sont tout simplement des chefs-d'œuvre ; c'est encore une preuve de goût de la part du propriétaire de cette bibliothèque de s'être montré aussi délicat sous ce rapport qu'il s'était montré magnifique en tout ce qui concerne les beaux-arts.
Il y a, dans cette bibliothèque, tout ce qu'il faut pour satisfaire l'artiste le plus passionné, le littérateur le plus éclairé et le plus difficile. Existe-t-il beaucoup de collections de livres dont il soit possible de faire un pareil éloge ? »
(G. D. [Gratet-Duplessis]. « De la bibliothèque de M. Vivenel », p. V-VII)

Portrait d'Antoine Vivenel [détail] par Dominique Papety
(Musée Vivenel, Compiègne)
Vivenel envoya également ses collections d'objets d'art, qui constituèrent, par acte de donation du 20 mars 1843, le « Musée Vivenel ». 

Notice historique sur Compiègne et Pierrefonds.
Compiègne, Dubois, 1843, 2e édition, frontispice

Celui-ci fut organisé dans le 1er étage du bâtiment situé au fond de la cour de l'Hôtel de Ville, et dans l'aile qui touche à l'impasse de l'Arsenal, formant autrefois le Café de la Cloche.

« La collection de Compiègne est une encyclopédie abrégée de tous les arts, dans tous les temps et chez tous les peuples. Sculpture, peinture, céramique, verrerie, ameublement, panoplie, serrurerie, bijouterie, orfèvrerie, horlogerie, émaux, curiosités égyptiennes, hindoues, chinoises, japonaises, médailles, glyptique, il n'y a pas une création du génie humain qui ne soit glorieusement représentée au Musée de Compiègne. »
(Lettre de Eugène Pelletan à Félicien Mallefille, juillet 1850)

Musée Vivenel, Compiègne.
La plus grande partie des collections fut transférée en 1952 à l'hôtel de Bicquilley-Songeons, 2 rue d'Austerlitz, édifié sur l'emplacement probable du palais de Charles-le-Chauve (823-877), qui devint le « Musée Antoine Vivenel ».

La révolution de 1848 et ses dons à la ville de Compiègne ruinèrent Vivenel. Il fut alors recueilli par son ami Jean-Marie-Victor Viel (1796-1863), architecte du Palais de l'Industrie, élevé pour l'Exposition universelle de 1855 ; il en fit son exécuteur testamentaire. Puis sa cousine célibataire, Marie-Louise-Octavie Cailleaux (1816-1862), lui donna asile au 6e étage du 14 quai de la Grève [quai de l'Hôtel-de-Ville, entre le pont d'Arcole et la rue Geoffroy l'Asnier, IVe] ; il en fit sa légataire universelle.

Plan de Paris [détail] en 1861.

Vivenel mourut célibataire, chez sa cousine, le 19 février 1862, après une opération pour lithiase urinaire. Son corps fut ramené à Compiègne. Le 22 février, un service fut célébré en l'église Saint
-Jacques et son corps déposé dans le caveau familial au cimetière de Clamart. Lorsque Clamart fut désaffecté, il fut transporté au cimetière du Nord. La lecture de son testament montra combien il vivait d'emprunts à divers amis et combien sa situation financière était catastrophique.

Sa cousine mourut cinq jours après lui, le 24 février 1862, chez son neveu, Eugène-Jean-François Plinguier, 19 rue des Juifs [rue Ferdinand Duval, IVe] : dans cet appartement résida Adolphe Clémence (1838-1889), ouvrier relieur membre de la Commune, qui entreprit en mai 1869 la publication d'une Revue de la reliure et de la bibliophilie, dont il ne parut que trois numéros in-8.


Le reste des collections d'estampes et de livres de Vivenel fut vendu à Drouot, du mercredi 16 au vendredi 18 juillet 1862, en 3 vacations. Le Cabinet de feu M. A. V., architecteEstampes […] Ornements […] Livres à figures […] (Paris, Vignères, 1862, in-8, 67-[1 bl.] p., 744 lots) contient des ornements [70 lots = 9,40 %], des œuvres des maîtres [501 lots = 67,33 %] et des livres [173 lots = 23,25 %]. La vente produisit environ 35.000 francs.





1 commentaire:

  1. on ne publie pas un commentaire après chaque lecture, mais chacun de ses articles est passionnant. Merci à vous de nous offrir une telle diversité de destins.
    Patrick C.

    RépondreSupprimer