*
C'est à son fils aîné, Eugène-Emmanuel Viollet le Duc
(1814-1879), que le patronyme doit d'être orthographié avec des
tirets, dans un souci de rationalité.
Descendant
d'une famille de bourgeois de Paris portant « D'argent à un chevron
d'or accompagné en chef de deux trèfles de sinople et en pointe
d'un bouquet de violettes au naturel », Emmanuel-Louis-Nicolas
Viollet le Duc est né à Paris, le 30 mai 1781, de Jean-Nicolas
Viollet le Duc (1741-1816), huissier, commissaire-priseur au
Châtelet, et de Adélaïde-Françoise Boyaval (1750-1799).
Il
dut abandonner ses études, forcé par la fermeture des collèges en
1793 et traumatisé l'année suivante par l'arrestation de son père
comme « suspect et aristocrate », qui fut enfermé à la prison des
Carmes.
À
vingt ans, il fut placé chez un notaire, où il expédiait des
grosses de huit heures du matin à dix heures du soir, puis il fut
pourvu d'un emploi de chef de bureau au ministère de la Guerre. En
1804, il occupa le poste de sous-contrôleur du service du Grand
maréchal du palais, Michel Duroc (1772-1813).
Le
18 juillet 1810, il épousa Élisabeth-Eugénie Delécluze
(1785-1832), fille de l'entrepreneur de bâtiments Jean-Baptiste
Delécluze (1733-1806) et de Marie-Geneviève Mathieu.
1 rue Chabanais, Paris IIe |
Le couple
habita au 2e étage de l'immeuble appartenant aux
Delécluze, 1 rue Chabanais [IIe] : au 1er
étage résidait la veuve Delécluze et son second mari, Louis Foin,
chef de bureau au ministère des Finances ; au 3e étage
résidait Sophie Delécluze (1783-1840) et son mari, Antoine
Clérambourg (1776-1855), fonctionnaire au ministère des Finances ;
Étienne Delécluze (1781-1863), artiste peintre, occupait les 4e
et 5e étages. Les deux beaux-frères, Viollet le Duc et
Étienne Delécluze partageaient une même habitude de réception
dans les salons de l'immeuble de la rue Chabanais : le vendredi chez
Viollet le Duc, le dimanche chez Delécluze.
«
Tous les vendredis soir se réunissait chez lui un groupe de lettrés
dont plusieurs passaient leurs soirées à se parfumer de vieilles
poésies. Joseph-Victor Le Clerc, Casimir Delavigne et son frère
Germain ; le vieux Briffault, pareil à l'ombre de Ninus ; Paul
Avenel, l'auteur du livre étrange Le Guillotiné stupéfait ;
M. Patin, homme de goût, saturé de Virgile et d'Horace ; Delécluze,
devenu le beau-frère de Viollet le Duc ; Beyle, esprit de trempe
vigoureuse, plein d'aperçus éclatants, qui entreprit tout, qui eût
pu tout achever et n'acheva rien, météore étrange et original,
plus célèbre sous le pseudonyme de Stendhal ; Ampère, “
changeant comme le mois d'avril (fickle as April, ” dit
Shakespeare), fils infiniment spirituel d'un homme de génie ;
Mignet, talent sévère, un modèle de droiture et de dignité ;
Sautelet, pétillant de verve ; tels étaient les habitués de ce
cercle, qui se tenait alternativement le vendredi chez le Duc, le
dimanche chez Delécluze, rue Chabannais, au coin de la rue Neuve des
Petits-Champs. Le romantisme naissant défrayait d'ordinaire la
conversation, qui tournait en discussions animées où Beyle faisait
avec une vivacité spirituelle, une bravoure sans égale, sa partie
paradoxale. Du sein de ces discussions sortit, vers 1819, l'essai
d'un recueil périodique, le Lycée français, feuille
purement littéraire qui voulait être classique, tout en admettant
des compositions du goût le plus divers, et qui promit plus qu'elle
n'eut le temps d'accomplir. » [sic]
(F.
Feuillet de Conches. Causeries d'un curieux. Paris, H. Plon,
1868, t. IV, p. 14)
Sous
la Restauration, en 1814, il devint sous-contrôleur des services du
palais des Tuileries ; en 1824, il fut nommé conservateur des
résidences royales et vérificateur des dépenses de la Maison du
Roi.
Palais des Tuileries en 1857. |
S'étant
formé uniquement par la lecture des poètes, Emmanuel-Louis Viollet
le Duc [dit « Viollet-Leduc »] débuta dans les lettres
avec un Nouvel art poétique. Poëme en un chant (Paris,
Martinet, 1809), qui fut son grand succès et qui eut trois éditions
dans la même année. Suivirent Le Retour d'Apollon, poëme
satirique (Paris, Janet et Cotelle, 1812), Philippiques à
Napoléon (Paris, Marchands de nouveautés, 1815), L'Art de
parvenir, poëme en un chant (Paris, Marchands de
nouveautés, 1817), La Métroxylotechnie poëme en un chant
(Paris, A. Bobée, 1820), Précis d'un traité de poétique et
de versification (Paris, Bureau de l'Encyclopédie portative et
Bachelier, 1829), Précis de dramatique ou De l'art de composer et
exécuter les pièces de théâtre (Paris, Bureau de
l'Encyclopédie portative et Bachelier, 1830).
Emmanuel-Louis-Nicolas Viollet le Duc, par G. Staal. Le Bibliophile français. Gazette illustrée. Paris, Bachelin-Deflorenne, n° 6, avril 1869, p. 333. |
Il
a pris part à la rédaction du Lycée français, ou
Mélanges de littérature et de critique (Paris, Bechet aîné,
1819-1820, 5 vol.), et a donné de nouvelles éditions des Œuvres
de Jean Rotrou (Paris, Th. Desoer, 1820, 5 vol.), des Œuvres
de Boileau Despréaux (Paris, Th. Desoer, 1821), des Œuvres
de Mathurin Regnier (Paris, Th. Desoer, 1822).
Le
plus important de ses ouvrages fut le Catalogue des livres
composant la bibliothèque poétique de M. Viollet le Duc, […].
Pour servir à l'histoire de la poésie en France (Paris, L.
Hachette, 1843, in-8, 11-[1 bl.]-624 p., articles non numérotés),
avec une « Table alphabétique des poëtes français annotés dans
ce volume ».
«
La spoliation des grandes bibliothèques avait couvert les boulevarts
et les quais de ces livres dont j'étais curieux, que mes occupations
ne me permettaient pas de consulter dans les établissements publics,
et qui depuis sont devenus introuvables. Je différais en cela
du plus grand nombre de nos amateurs actuels, que je n'achetais ces
livres que pour les lire, et non pour leur beauté ou leur rareté :
car personne n'en voulait, et leur emplète m'attirait les reproches
de ma famille et les sarcasmes de mes amis, tant était étrange, à
cette époque, mon goût pour ces bouquins ! Les Anglais, accourus en
1814, enlevèrent les dernières richesses en ce genre que
possédaient encore quelques vieux libraires, et nos bibliophiles ne
pensèrent à les désirer que quand il ne s'en trouva plus ; au
point que c'est en Angleterre qu'ils vont maintenant les racheter au
poids de l'or, afin de se procurer la satisfaction d'enfouir sous
l'acajou ou le palissandre ces livres, dès lors perdus pour l'étude
et pour eux-mêmes, qui souvent les ont touchés une dernière fois
en les mettant sous clef.
Pour
n'être pas confondu avec cette espèce de bibliotaphes, j'ai
voulu faire connaître ces livres inconnus. […]
Je
n'ai pas la prétention d'avoir composé une histoire complète de la
poésie française. Mon ouvrage, s'il mérite ce nom, n'est que le
catalogue, la liste des poëtes que je possède, avec des notices
bibliographiques sur leurs différentes éditions ; l'analyse
consciencieuse, accompagnée d'extraits, de ce que leurs œuvres
contiennent, et la biographie de ces auteurs. […] Ce sont de
simples matériaux pour un travail plus important, et dont je laisse
l'exécution à un écrivain plus jeune que moi, plus habile, ou plus
hardi.
On
n'a cessé de m'objecter que ce titre de CATALOGUE
que je donne à mon livre éloignerait bien des lecteurs. Cette
considération fort sérieuse, en m'empêchant de trouver un
libraire, m'a mis dans l'obligation d'imprimer à mes frais ; mais
elle n'a pas eu le pouvoir de m'arrêter. […] Je tenais à mon
titre de Catalogue, par l'excellente raison que ce livre n'est
réellement qu'un catalogue ; […] Et puis j'ai vu passer sous mes
yeux tant de livres rares et ignorés, provenant de bibliothèques
précieuses vendues et dispersées de mon temps, dont il ne nous
reste rien que ces catalogues qui ne donnent que des titres, encore
souvent inexacts ou mal classés, rédigés à la hâte par des
libraires illettrés, que j'ai craint le même sort pour le peu de
livres que je possède. » [sic] (« Avertissement », p. 6-9)
Le
soin que Viollet le Duc prit dans son catalogue de souligner les
conditions, d'indiquer la grandeur des marges, la bonne conservation
des reliures ou la qualité des papiers, témoignent de son
expérience et de son ardeur de bibliophile.
Ce
catalogue fut complété par un second volume : Catalogue des
livres composant la bibliothèque poétique de M. Viollet le Duc […].
Chansons, fabliaux, contes en vers et en prose […]
(Paris, J. Flot, 1847, in-8, XII-31-[1 bl.]-252 p.), avec une «
Table alphabétique des chansonniers et de leurs ouvrages » et une «
Table alphabétique des conteurs et de leurs ouvrages ».
La
révolution de février 1848 lui fit perdre son emploi, l'expulsa du
local où il avait réuni ses livres et le jeta dans un profond
découragement. Il se retira à la campagne et se renferma au milieu
de sa chère bibliothèque. Pour se compléter une modeste aisance –
un honnête homme ne s'enrichit point dans les administrations
publiques -, il se décida à se défaire d'une partie de sa
bibliothèque, fruit de cinquante années de recherches et de
travaux, en la livrant aux enchères :
Bibliothèque de M. Viollet
le Duc. Première partie. Poésie, conteurs en prose,
facéties, histoires satyriques, prodigieuses,
etc., addition : Œuvres de Voltaire, exemplaire
unique (Paris, P. Jannet et Regnault, 1849, in-8, xj-[1 bl.]-224
p., 1.623 + 11a ou bis + 1b = 1.635 lots). La
vente se déroula à la Maison Silvestre, 28 rue des Bons-Enfants, du
lundi 5 au mercredi 21 novembre 1849, en 15 vacations.
«
Plus tard, sans doute, un autre catalogue annoncera-t-il encore la
vente du reste de mes livres sur l'art dramatique, les pièces de
l'ancien théâtre français ; puis une collection d'ouvrages sur la
langue française, la philologie, les logomachies, les proverbes,
etc., etc. ; puis une multitude de livres à emblèmes, à gravures
anciennes ; puis les historiens, les mémoires particuliers, et ces
petits bijoux, recueils historiques que j'ai vus si recherchés dans
un autre temps, et que j'avais acquis, classés, soignés et
habillés, comme de vieux amis de jeunesse qui ne devaient
m'abandonner qu'au tombeau. Je ne crois pas que l'ingratitude soit de
mon côté : j'avais foi aux enseignements de l'histoire ; l'étude
de ces livres m'a entretenu dans une fatale sécurité. Je reconnais
la vanité de leurs leçons : ils m'ont trompé. » (p. vj)
Il
y eut effectivement une deuxième partie, dont la vente s'effectua à
la Maison Silvestre, du jeudi 17 au samedi 19 février 1853, en 3
vacations : Bibliothèque de M. Viollet le Duc. Deuxième
partie. Théologie,
jurisprudence,
beaux-arts, théâtre,
histoire (Paris, J.
Jannet, 1853, in-8, [2]-42 p., 479 + 1bis
= 480 lots).
Lié
avec Pierre Jannet (1820-1870), successeur de Silvestre, qui avait
entrepris la publication d'une « Bibliothèque elzévirienne »,
Viollet le Duc fournit à cette collection un roman, Six mois de
la vie d'un jeune homme (1797) (Paris, P. Jannet, 1853),
qui a parfois une apparence d'autobiographie, et l'Ancien théâtre
françois ou Collection des ouvrages dramatiques les plus
remarquables depuis les mystères jusqu'à Corneille (Paris, P.
Jannet, 1854-1857, 10 vol.).
Emmanuel-Louis-Nicolas
Viollet le Duc est décédé à Fontainebleau [Seine-et-Marne], 17
rue Marrier, le dimanche 12 juillet 1857, à 4 heures du matin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire